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#1 2025-10-27 03:23:35

Denryl Altéria
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Guerre sur les terres de l'Aigle

PRÉAMBULE

Le bruit des navires qui accostent violemment sur les côtes intérieures d’Okord. Les ordres qui fusent, des milliers d’hommes qui jettent à bas pontons et cordages pour débarquer les provisions, et descendre les machines de guerre désassemblées sur les chariots de transport. L’aube de la guerre.

Quelques régiments de cavalerie se dispersent dans les plaines centrales, pour repérer le lieu de rassemblement et s’assurer que rien ne viendra troubler le voyage de l’armée. Pendant plusieurs heures, les navires de guerre déversent une marée de chevaux et de soldats aux couleurs azur.

Hormis la Garde de Cylariel restée en garnison à la Citadelle de Massoala, l’armée au grand complet entame sa marche : chevaliers de la noblesse, soldats de métier, ainsi que des phalangistes rescapés d’Illyrie et même quelques compagnies de mercenaires telles que les Verdoyants aux piques. Plus de 60 000 guerriers dont le pas résonne dans les étendues verdoyantes.

A leur tête flotte la bannière du Cygne blanc sur fond azur, frappé de la triple cotice. Leur seigneur de guerre et maître, qui a apporté toute sa vie durant prestige, gloire et victoire aux légions d’azur : Denryl Altéria, Duc de Massoala, seigneur de Cylariel et Grand amiral du royaume, fervent d’Yggnir et favori de Ralgh, déesse de la force.

De sa courte histoire, Cylariel n’avait que rarement connu tel déploiement de force. Cela ne pouvait annoncer qu’une chose :  l’arrivée imminente des tributs de sang et du chant des lames dans une bataille à l’issue incertaine.

La guerre contre la plus grande armée d’Okord, rival à la hauteur de Cylariel,

La guerre contre l’Aigle d’Autriche.

Dernière modification par Altéria (2025-10-27 03:30:49)


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#2 2025-10-27 16:53:42

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

La vallée s’ouvrait sous le ciel pâle. L’herbe, d’un vert profond, ondulait sous le vent tiède, bruissant autour des pas comme un murmure. Entre les collines couvertes de brume, la colonne avançait lentement, long serpent de fer et de chair, bardé d’acier terni et de cuir craquelé. Les fanions claquaient dans la lumière du matin : une tour sombre dressée sur un fond doré, symbole de puissance et d’orgueil de la vieille maison Trof. Les ombres des hommes s’allongeaient sur les pierres et les herbes, le chant des corneilles se mêlant au tintement des pièces métalliques, douce mélodie qui précède la bataille.

— Par tous les dieux, j’ai les pieds en feu, grogna Hadrin en ajustant la lanière de son harnois. Trois lunes qu’on marche, et toujours pas de repos digne de ce nom.
— Trois lunes ? répondit son compagnon Jorek en ricanant. Moi, j’dirais trois vies. Et toujours pas un mot sur où on va. Peut-être qu’on tourne en rond, va savoir.
— S’ils voulaient nous perdre, ils s’y prendraient pas autrement.
— T’en fais pas, vieux frère, rit Jorek. Quand on tombera de fatigue, ils nous enterreront sur place et diront qu’on a trouvé un foyer.
Hadrin eut un grognement rauque, à mi-chemin entre le rire et la plainte. Puis, alors qu’il levait les yeux vers la bannière d’or, son pied glissa sur une pierre saillante.
— Putain du nord !
Il s’écroula dans la poussière, tandis que Jorek éclatait d’un rire sonore repris par les hommes alentour. La colonne ne s’arrêta pas pour autant, nul ne s’arrêtait jamais, dans l’armée dorée.

Un grondement monta soudain de l’arrière, coupant court aux éclats de rire. Un cavalier surgit dans un nuage de poussière, galopant à vive allure le long de la colonne. Sa voix fendant l’air comme un fouet :
— Cachez les fanions ! Drapés d’ouvrier pour tous ! Qu’aucun acier ne luise au soleil !
Les hommes s’agitèrent, repliant les bannières d’or dans des toiles sombres, couvrant les casques, effaçant ainsi la guerre sous des étoffes grossières.
Derrière eux, les marais s’étendaient encore brillants comme la mousse humide du matin. Et devant, se dressaient de petites chaînes de montagnes couvertes de pins.
— On s’arrête ici ? murmura Hadrin, l’œil méfiant. Ils veulent qu’on cache une armée entière dans ces collines ?
Des ordres passèrent de bouche en bouche : monter des abris, dresser des palissades de fortune, bâtir l’illusion d’une exploitation forestière.
Les marteaux remplaceraient les épées, pour un temps.
Jorek leva la tête vers les montagnes et ses yeux s’écarquillèrent.
— Par l'Unique… souffla-t-il soudain apeuré. Derrière ces crêtes… c’est... c'est l'Autrichien !


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#3 2025-10-28 02:31:35

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Les jours passèrent dans un calme trompeur.
Sous les pins, l’illusion d’un camp d’ouvriers prit racine. Les marteaux battaient les troncs, les haches mordaient le bois, et la suie des foyers brouillait l’air du matin. Des charrettes passaient, tirées par des bœufs épuisés, chargées de rondins et de pierres. On aurait juré une exploitation forestière honnête — si l’on avait ignoré les silhouettes d’hommes aux épaules trop droites, aux gestes trop précis.
Au loin à l’Ouest, d’autres chantiers s’élevaient, de véritables bûcherons venus d’Autriche. Ils saluaient parfois les hommes du domaine Trof, sans se douter que dans leurs tentes dormaient des cuirasses et des lames affûtées.
Chaque soir, la brume montait des marais, couvrant les toits de branchages et noyant les sentinelles dans un voile humide. Le silence s’y faisait lourd, chargé d’attente.

Une nuit, Jorek sursauta.
Un bruit de sabots. Lourds, réguliers, étouffés par la mousse. Il écarta la toile de la tente, le cœur battant.
Sous la pâle clarté des étoiles, il distingua des cavaliers glissant entre les pins. Des reflets d’or passaient sur leurs cuirasses, des plastrons étincelants malgré la nuit.
Des chevaliers.
Les siens.
Les dorés de Trof.
— Que Podeswa me guide… souffla-t-il. Que foutent-ils ici ?
Il se rua dans la tente et secoua Hadrin.
— Debout, vieille bête, debout ! Des cavaliers du domaine ! Ils sortent des bois comme des ombres !
Hadrin grogna, la barbe ébouriffée, la voix pâteuse :
— Qu’est-ce que tu racontes encore…
— Je te dis qu’ils sont là ! Et pas une poignée : une troupe entière !
— Tss… dors un peu, Jorek. Ces types-là, s’ils sont ici, c’est que tout est déjà décidé.
Il se redressa à moitié, se frottant les yeux.
— J’ai entendu des choses, moi. Des murmures, rien d’officiel. L’Architecte a ordonné la construction d’une forteresse, à l’ouest. Un bastion perdu, là où même les marchands ne passent plus. Ce serait… le point de ralliement.
— Pour quoi faire ?
— Pour fondre sur Vienne, dit Hadrin en soupirant.
Puis, se recouchant :
— Maintenant, dors. Tu ne changeras pas le monde cette nuit.
Jorek resta un moment assis, écoutant encore les sabots s’éloigner, avant de s’allonger, l’esprit brûlant de questions.

L’aube ne vint pas doucement.
Une trompette brève fendit l’air, suivie de cris d’ordres. Des silhouettes couraient entre les tentes, les feux s’éteignaient dans la hâte.
Jorek bondit hors de la toile, suivi d’un Hadrin à demi chaussé.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Ordre de marche ! cria un sergent en passant. Rassemblement vers la forteresse !
Le camp se vida dans un chaos discipliné : hommes harnachés, bannières dissimulées, visages tendus. L’armée dorée reprenait la route, mais cette fois, les marteaux restèrent derrière. Les épées, elles, retrouvèrent leurs fourreaux.
La colonne serpentait à nouveau dans la vallée.
Les armures luisaient sous le soleil gris, le fer chantait à chaque pas.
Un officier, caparaçonné de noir, remontait lentement les rangs sur un grand destrier.
— Hé, messire ! lança Jorek. On va où, cette fois ? On a juste entendu parler d’une foutue forteresse !
Le cavalier jeta un regard en coin, un sourire sec aux lèvres.
— L’Architecte veut des murs sûrs avant l’hiver. Nous allons les lui donner.
— Et après ? demanda Hadrin.
— Après, dit l’officier, l’Amiral Alteria nous rejoindra. Ses flottes traversent déjà les terres pour nous trouver.
— Alteria ?! gronda Jorek. L’Amiral du Grand Canal ? On va l’affronter ?
L’officier eut un petit rire.
— Non, soldat. Pas cette fois. Cette fois, nous marchons ensemble. L’Architecte a convoqué un ost royal. Unis, nous frapperons l’Autriche.
Il piqua son cheval et s’éloigna, laissant derrière lui la poussière et le silence.
Jorek échangea un regard avec Hadrin.
— L’Amiral, hein… On dit qu’il n’a jamais perdu une bataille.
— Espérons qu’il ne commence pas avec nous, répondit Hadrin, avant de hausser son sac sur l’épaule.
La marche reprit.
Au loin, dans la brume, un cor résonna — profond, ancien — comme un présage


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#4 2025-10-28 22:56:30

Philippe d'Autriche
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

La Bataille de Vienne
musique d'ambiance

Minuit. La porte des appartements de Philippe s'ouvre violemment. Un officier, le visage blême, fait irruption sans frapper.

— Monseigneur ! Des armées !

Philippe se lève d'un bond, enfile une tunique et suit l'officier qui court déjà vers les remparts. Sur les fortifications, dans le froid de la nuit, il s'arrête net.

Au loin, des milliers de torches avancent dans l'obscurité. Deux masses distinctes, deux marées de feu convergent vers Vienne. Chacune si vaste qu'on ne peut en distinguer les limites. Philippe reste immobile. Ses mains se crispent lentement sur le parapet de pierre.

Un autre officier arrive, tenant un rapport:

— Monseigneur, nos éclaireurs ont identifié les bannières. Au nord... la Tour dorée des Trofs. Le roi Kap Hital.

Philippe ne réagit pas. Son regard reste fixé sur l’horizon. L'officier hésite, puis poursuit:

— Et à l'est... le Cygne azur, monseigneur. Le prince Denryl Altéria.

Philippe se fige. Quelque chose passe dans ses yeux — une stupéfaction brève, presque incrédule. Ses mâchoires se serrent. Il ferme les yeux un instant.

Denryl.

Sans déclaration. Sans avertissement. De nuit.

Philippe rouvre les yeux. Son visage est devenu un masque de pierre.

— Ont-ils envoyé une déclaration de guerre ?

Sa voix est calme, trop calme.

— Non, monseigneur. Rien. Pas un mot.

Un long silence. Puis, d'une voix parfaitement maîtrisée:

— Alerte générale. Tous aux armes. Convoquez le conseil de guerre. Maintenant.

Philippe reste seul sur les remparts quelques instants encore. Le Cygne azur flotte quelque part dans cette masse. Philippe serre les poings jusqu'à ce que ses jointures blanchissent. Il descend vers la salle de guerre, sans un mot, le visage impénétrable.

***

Lucidité

Une heure plus tard, dans la salle de guerre. Des cartes étalées sur la table. Philippe observe en silence les rapports de ses éclaireurs.

— Les effectifs de leurs armées coalisées sont comparables aux nôtres, annonce-t-il calmement.

Un jeune officier s'illumine:

— Alors nous avons une chance, monseigneur ! Les fortifications, les murs...

Philippe lève la main pour l'interrompre, pas méchamment mais avec une franchise brutale:

— Deux armées. Deux commandants. Cela signifie qu'ils peuvent attaquer sans relâche. Pendant que l'un lance l'assaut, l'autre garde ses hommes frais. Ils peuvent frapper simultanément au nord et à l'est. Nous épuiser. Nous ne pourrons jamais nous reposer. Eux si.

Il marque une pause, laissant ses mots faire leur effet.

— Vienne tombera. La question n'est pas si, mais quand.

Le silence est pesant. Un vieux général ose enfin:

— Alors... que faisons-nous, monseigneur ?

Silence. Philippe plante son poing sur la carte, exactement sur Vienne.

— L'Aigle d'Autriche, même troué de flèches, même agonisant, garde ses serres. Et avant de tomber, il fera basculer les Tours dorées et noiera les Cygnes dans leur propre sang. Ils nous prendront. Mais ils paieront.

***

Préparatifs

Les heures qui suivent sont un tourbillon d'activité fébrile. Des chariots quittent discrètement la ville par des tunnels secrets, emportant trésors et archives. Les civils qui le souhaitent sont évacués. Beaucoup refusent de partir.

Les remparts sont renforcés. Les forgerons travaillent jour et nuit. Les réserves s'accumulent: flèches, vivres, eau. Philippe inspecte chaque bastion, chaque position défensive. Vienne se prépare au siège.

Il croise Rainer qui affûte sa lame. L'homme lève les yeux, un sourire étrange aux lèvres.

— Ils sont nombreux.

Philippe ne répond pas.

— Bien.

***

Moment suspendu

À l'aube, avant les premiers assauts. Philippe parcourt les lignes. Il s'arrête auprès d'un groupe de jeunes soldats qui préparent leurs armes. L'un d'eux, tremblant légèrement, ose:

— Monseigneur, pourquoi restons-nous si nous savons que nous allons perdre ?

Philippe s'assoit près d'eux, geste inhabituel pour un archiduc. Il regarde la ville endormie — les toits, les clochers, les ruelles qu'on devine dans l'obscurité.

— Vous voyez ces lumières ? C'est chez nous. Pas juste des maisons, pas juste des pierres. C'est là que vos pères sont nés. Où vos enfants ont fait leurs premiers pas. Cette place où vous avez embrassé votre femme le jour de votre mariage. Ce temple où vous avez prié Rituath quand vous aviez peur.

Il se tait un instant, la voix plus rauque:

— Vienne n'est pas une ville. C'est notre cœur. Notre âme. Tout ce que nous sommes. Quand on aime quelque chose à ce point, on ne le regarde pas mourir sans se battre. Même si on sait qu'on va perdre. Surtout si on sait qu'on va perdre. Parce que c'est dans ces moments-là qu'on prouve que notre amour était réel.

Un vétéran aux cheveux gris, les larmes aux yeux:

— Je suis né dans cette ville, monseigneur. Mon père y est enterré. Mes petits-enfants y jouent. Si je dois mourir, autant que ce soit ici, pour eux.

Philippe pose la main sur son épaule:

— Nous mourrons peut-être. Vienne tombera sûrement. Mais l'Autriche, elle, ne mourra jamais. Parce que l'Autriche n'est pas une ville. C'est une âme. Tant qu'il restera un Autrichien debout, quelque part, l'Autriche vivra. Nous défendons Vienne. Mais nous sommes l'Autriche.

***

L'aube de Vienne

Les premiers rayons du soleil dévoilent le spectacle terrible: face à face dans la plaine. D'un côté, deux armées géantes massées aux portes de Vienne. Des dizaines de milliers d'hommes, des centaines de bannières. Une mer de fer.

De l'autre, les légions autrichiennes ont pris position devant leur capitale. Les Autrichiens sont droits, l'arme au poing, le regard dur.

Philippe se tient parmi ses hommes, au cœur de son armée. L'Aigle impérial flotte au-dessus des rangs autrichiens. Il regarde longuement les forces ennemies massées en face. Puis sa voix s'élève, portant à travers les lignes:

— Les Tours dorées et les Cygnes azur ont acculé l'Aigle. Mais c'est quand il ne peut plus fuir qu'il déchire le plus. Venez. Vous paierez chaque pas.

Il se retourne vers ses soldats, ses frères d'armes:

— Soldats d'Autriche ! Nous ne défendons pas des murs. Nous défendons notre âme. L'Autriche vit en nous, et tant que nous respirons, elle ne mourra pas. Au combat !

Soudain, un murmure parcourt les rangs. Les légions autrichiennes s'écartent lentement, créant un corridor. Un cavalier avance. Seul. Cuirasse simple. Pas de bannière. Philippe fronce les sourcils. L'homme lève la tête.

Ferdinand.

Dans ses yeux, Philippe voit ce qui ne peut se dire: la certitude tranquille d'un homme qui a fait la paix avec sa mort. Son visage porte les marques de celui qui a déjà abandonné toute attache terrestre. Ses traits sont graves, apaisés même, comme sculptés dans l'acceptation sereine.

Ce n'est pas l'allure d'un guerrier venu se battre. C'est celle d'un homme venu là où il devait être. Parce que Ferdinand et l'Autriche ne font qu'un. Parce qu'au pire moment de Vienne, il était impensable qu'il soit ailleurs.

Leurs regards se croisent. Aucun mot n'est échangé. Ce n'est pas nécessaire.

Ferdinand fait avancer son cheval calmement, traverse les rangs, et vient se placer à la droite de Philippe. Les deux cavaliers, l'ancien roi et l'archiduc régnant, côte à côte face aux armées ennemies. Deux frères d'Autriche, montés et prêts au combat.

Derrière Ferdinand, un rugissement s'élève des troupes autrichiennes. Un cri de guerre primitif, sauvage, plein d'espoir et de rage mêlés.

Les premières flèches ennemies s'envolent.

La bataille pour Vienne venait de commencer.


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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#5 2025-10-28 23:27:02

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

( Note : Cette partie se déroule avant l'arrivée des armées devant la cité Vienne d'Autriche)

Le jour s’était levé sur un ciel d’acier, lavé de nuages bas qui pesaient sur la vallée apportant la promesse de pluie.
La colonne avançait depuis l’aube, lente et interminable. Les fantassins ouvraient la marche suivis des lanciers, des hommes aux visages burinés, bardés de cuir, tenant leurs lances comme des troncs de chêne. Derrière eux venaient les archers, arcs courbés sur le dos, le pas souple mais las, suivis par les arbalétriers traînant leurs larges carquois remplis de carreaux. La poussière soulevée par leurs bottes formait une brume ocre qui collait à la peau, mêlant sueur et fatigue en une même odeur de métal et de terre.

Hadrin, le dos voûté sous le poids de son sac, observait sans mot dire la colonne des cavaliers qui les dépassait au galop. Leurs montures, de puissants étalons d’Osterlich, écumaient d’écarlate à la bouche, la croupe luisante sous les harnais ouvragés. Les rênes dorées se balançaient dans le vent comme un feu mouvant.
— Regarde-moi ça, maugréa Jorek. Eux au moins ne sentent pas la boue.
— Non, répondit Hadrin d’un ton sec, mais ils mourront comme nous. Peut-être juste un peu plus vite.
Les deux hommes échangèrent un sourire fatigué.

Un peu plus loin derriere eux un grondement rythmé se fit entendre : les huskarls. Ils couraient sous la pluie, leurs lourds boucliers battant leurs flancs. Des géants aux visages taillés à la serpe, payés pour être bruts, payés pour survivre là où d’autres tombent.
— Par la lumière de l'Unique, souffla Jorek, s’ils devaient nous marcher dessus, ils le feraient sans même s’en excuser.
— Pas sûr qu’ils sachent parler, répondit Hadrin en ajustant sa besace.
— Pas besoin de parler quand on a des bras comme des poutres, hein ?
Un rire bref les secoua, vite emporté par le vent. Devant eux, la colonne s’étirait à perte de vue, cinquante mille âmes au moins avançant vers une guerre dont nul ne devait prononcer le nom.

Quand la forteresse apparut enfin, elle ressemblait moins à un bastion qu’à un miracle de bois et de volonté.
De hautes palissades encerclaient un dédale de tentes et de charpentes à demi levées. Des feux fumaient partout, et le sol tremblait sous les pas de l'effort et le fracas des marteaux. Des hommes portaient des poutres, d’autres creusaient des fossés, d’autres encore érigeaient les tours de guet. Le grondement du camp formait une mer de sons, le cri du métal, le râle du bois, la clameur des ordres.

Un lieutenant passa, gueulant leurs noms d’une voix râpeuse :
— Hadrin ! Jorek ! Vous deux, par ici ! Atelier Sud, section des armes de siège !
Les deux compères échangèrent un regard résigné.
— On va encore porter du bois, marmonna Jorek.
— Tant qu’on ne sert pas de contrepoids, répondit Hadrin.

Ils passèrent la journée à renforcer les poutres, fixer les chaînes, graisser les charnières des engins. Le soir venu, les trébuchets et les balistes dressaient leurs silhouettes contre la lueur du crépuscule, monstres endormis attendant leur heure.
Mais à peine eurent-ils fini qu’un nouvel ordre tomba : " Démontez tout !"
Les cordes furent détachées, les poutres empilées par lots. Hadrin fronça les sourcils.
— C’est une farce ? On les monte pour les démonter ?
— Peut-être qu’ils veulent voir si on obéit sans réfléchir, répondit Jorek, essuyant la sueur de son front.
Le lieutenant, entendant leurs murmures, s’approcha d’un pas sec. Son regard brûlait de colère contenue.
— Vous avez un problème, vous deux ?
— Non, messire, mais… pourquoi démonter ?
Le lieutenant inspira longuement.
— Parce que, tas de crétins, le roi Kap Hital n’a pas l’intention d’attendre. L’Architecte veut la foudre, pas le tonnerre.
Il désigna les piles de bois et de cordes.
— Ce soir, une troupe partira. Chevaliers, cavaliers légers, archers rapides. Ils prendront ces lots et fileront vers Vienne, sans repos, pour les remonter au pied de la cité. Chaque homme en arme qu’ils croiseront devra tomber avant de pouvoir parler. Vous m’entendez ? Avant.
Les deux soldats échangèrent un regard.
— Et nous ? demanda Jorek, la voix basse.
Le lieutenant eut un sourire sans joie.
— Vous deux, vous en êtes, rejoignez l'escouade de porteurs. Départ au crépuscule.
Il tourna les talons, les laissant là, figés dans la lumière mourante.
Le vent souffla entre les tentes, portant avec lui l’odeur du pin et de la peur.
Jorek serra ses poings.
— On dirait que notre repos attendra encore, vieux frère.
— Le repos, répondit Hadrin, c’est pour ceux qui ne marchent plus.
Tandis que la nuit tombait déjà sur la petite forteresse du roi doré, les deux hommes rejoignirent l'escouade de porteurs et découvrirent la route prochainement empruntée.
— On se reposera quand on sera mort.
— Le plus tard possible Hadrin, le plus tard possible...

Alentours-de-Vienne.png

Dernière modification par K-lean (2025-10-28 23:30:46)


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#6 2025-10-31 11:25:48

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

La nuit était tombée depuis des heures quand ils quittèrent le camp.
Sous les nuages bas, la colonne d’hommes avançait sans un mot, silhouettes sombres ondulant dans la plaine. Le vent du sud soufflait chaud, balayant la poussière et séchant la sueur sur les visages. Le monde semblait figé, comme s’il retenait son souffle.
Hadrin portait sur l’épaule un sac rempli de pièces de bois et de cordes. Ses mains brûlaient, son dos criait. Autour de lui, les porteurs courbaient l’échine en silence, entre les cavaliers et les archers qui fermaient la marche.
De temps à autre, un hennissement, un cliquetis d’armure, puis de nouveau le silence, oppressant.
— J’aimerais bien voir la tête du roi, grogna Jorek, quand il saura qu’on traîne des catapultes en morceaux au beau milieu de la nuit.
— Il s’en moque, répondit Hadrin. Tant que les morceaux deviennent des armes au matin.
Ils marchèrent ainsi des heures, à travers la plaine noire. Le ciel s’éclaircissait parfois d’un éclat de lune avant de replonger dans les nuées.
Aucun feu, aucun chant, rien que la respiration des hommes et le martèlement sourd des bottes.
Les premiers reliefs apparurent à l’horizon. Des collines, d’abord, puis des roches grises dressées comme des dents. Là, le vent tournait, charriant l’odeur âcre des pins et de la pierre mouillée.
Ce fut là que tout se gâta.
Une patrouille ennemie, surgie de nulle part. Des cavaliers vêtus de cuir sombre, leurs torches luisant faiblement à travers la brume.
Les archers réagirent avant même l’ordre : des traits sifflèrent, rapides et précis. Les silhouettes s’effondrèrent dans un craquement étouffé.
Pas un cri. Pas un son. Juste la mort qui passa, brève et froide.
— C’est propre, murmura Jorek.
— Trop, répondit Hadrin. La propreté, ça annonce toujours un sale lendemain.
Ils reprirent la marche, plus vite cette fois, car le retard s’accumulait.
Le terrain devint traître. Des pentes abruptes, des sentiers étroits où les sabots glissaient sur la roche. Les hommes pestaient, chutaient, se relevaient.
En contrebas, la vallée s’étendait, noire et silencieuse.
Ils passèrent ainsi à flanc de montagne, invisibles aux villages endormis.
Mais à mesure qu’ils approchaient de Vienne, les ombres changeaient.
Des lueurs, d’abord, des feux lointains. Puis le murmure de la grande foire,  même au cœur de la nuit, la cité ne dormait jamais tout à fait.
Des voix, des rires, le tintement d’un marteau sur une enclume.
— On y est, souffla Jorek, haletant.
— Presque, répondit Hadrin. Et “presque”, c’est souvent là qu’on meurt.
Ils atteignirent enfin le bois au pied des murs. Des arbres noueux, humides de rosée, les avalèrent dans leur ombre.
Les hommes tombèrent au sol, épuisés. Certains s’endormirent aussitôt, d’autres restèrent allongés, fixant les remparts dans le lointain.
Mais le répit ne dura pas, une nouvelle patrouille s’approchait du bois. Les archers en éveil n’attendirent aucun ordre et cachèrent ensuite les corps dans les sous bois.
— Debout ! tonna une voix. On monte les engins maintenant !
Des torches s’allumèrent. Les porteurs délièrent les sacs, les charpentiers déployèrent leurs outils. Des chevaliers mirent pied à terre, prirent place parmi eux.
Un capitaine s’avança, cuirasse ouverte, les yeux durs.
— Qui a le plan ? lança-t-il. L’Architecte a tout prévu, alors sortez-moi ce foutu parchemin !
Silence.
Les regards se tournèrent vers Hadrin. Puis vers Jorek.
— C’est toi qui l’avais, non ? demanda Jorek, la voix un peu trop haute.
— Moi ? Non, c’est toi qui l’as pris du lieutenant !
— Faux ! Tu l’as mis dans ton sac, je t’ai vu !
— Mon sac ? Il est plein de chaînes et de cordes, pas de foutus plans !
Le capitaine s’approcha, menaçant.
— Vous voulez me dire qu’après tout ce temps de marche, personne n’a ce plan ?
Un rire nerveux éclata derrière eux, vite étouffé.
Hadrin fouilla son sac en hâte, en sortant des morceaux de bois, un bout de corde, une miche de pain écrasée.
Rien.
Il releva la tête, blême.
— On va devoir le refaire, dit-il. De mémoire.
— De mémoire ? répéta Jorek, les yeux écarquillés.
— T’as mieux à proposer ?
Le capitaine serra la mâchoire, puis fit un geste sec.
— Alors au travail. Avant l’aube. Et si ça ne tire pas, c’est vos têtes qui serviront de projectiles.
Hadrin et Jorek échangèrent un regard épuisé.
La pluie commença à tomber, fine et chaude.
— On se reposera quand on sera morts, marmonna Hadrin.
— Le plus tard possible, vieux frère, le plus tard possible.


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#7 2025-11-01 10:48:49

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Le trébuchet refusait d’obéir.
— Tire ! hurla Jorek.
— Je tire ! répondit Hadrin, rouge de rage.
La corde vibra, geignit, puis claqua dans le vide sans rien projeter. Le bras du trébuchet resta figé, grotesque, comme un vieillard pris de crampe.
Autour d’eux, les hommes grondaient.
La baliste avait frappé juste : la tour de guet gisait éventrée, et le bélier attendait son tour, aligné comme un taureau en cage.
Mais tant que le donjon gardait son pont-levis et ses maudites jarres d’huile, impossible d’avancer.
— Ça bloque ici ! beugla Hadrin.
Jorek lui lança un regard de panique.
— J’crois que le levier est coincé !
— Ben décoince-le, bougre d’âne !
Les cavaliers ennemis sortaient par le pont-levis, silhouettes noires à travers la brume. Des lances abaissées, des bannières noires couchées par l’allure.
Le capitaine hurla :
— Qu’ils tiennent ! Protégez les machines !
Les archers s’alignèrent, décochant leurs flèches dans un cliquetis sec. Les cavaliers se ruèrent à la rencontre des cavaliers.
La pression montait. Les cris se rapprochaient.
Hadrin donna un dernier coup de pied sur la base du bras coincé.
— Attends, non ! cria quelqu’un derrière lui.
Trop tard.
Le mécanisme s’enclencha d’un coup sec, libérant la sangle.
La lourde pierre s’éleva… accompagnée d’un hurlement strident.
Un homme venait de partir avec.
Le trébuchet gronda, et le malheureux s’envola dans le ciel, bras écartés, hurlant comme un démon qu’on aurait surpris en plein sommeil.
Un silence stupéfait suivit.
— Par les dieux… marmonna Jorek.
— T’as vu ça ? Il vole !
— Il est pas censé voler, il devait juste remettre la pierre !
— Bah, il l’a remise…
Les deux compères suivirent des yeux la trajectoire du projectile.
— Moi j’dis qu’il va s’écraser sur le mur, fit Jorek.
— Non, il passera par-dessus. Regarde-moi cet angle !
— Un repas et deux pintes qu’il s’éclate contre la pierre !
— Marché conclu.
La pierre percuta un angle du donjon dans un fracas de fin du monde.
Des pans de pierre s’écroulèrent, entraînant la gouttière et le mécanisme du pont-levis.
L’huile s’enflamma, s’écoulant en flammes sur les défenseurs.
Le pont se bloqua, les flèches cessèrent de pleuvoir.
Un instant, tout le monde resta muet. Puis les cris d’enthousiasme éclatèrent.
— J’te l’avais dit ! lança Hadrin en éclatant de rire.
— Ah non ! Regarde ! Le type, il bouge encore !
La forme humaine venait de glisser du toit et pendait maintenant à une gouttière tordue.
— Il va tomber…
— Non, attends…
L’homme lâcha la gouttière, disparut de leur champ de vision, puis réapparut sur le rempart, épée en main.
Il hurlait, frappait, frappait encore. Trois soldats tombèrent sous ses coups avant qu’un dernier le perce à la poitrine.
Le silence retomba.
Hadrin retira son casque, essuya la boue de son front.
— Sacré diable.
— C’était qui ?
— J’sais pas j’ai pas reconnu. Cherche pas sinon va falloir lui rendre hommage. Et je déteste les cérémonies.
Ils restèrent un court moment à regarder le donjon en flammes. Puis un cor retentit derrière eux, puissant, solennel, emplissant la vallée.
Un autre répondit, plus clair, presque musical.
Les deux hommes sortirent du petit bois pour aller voir de leurs yeux.
Et ce qu’ils virent leur coupa le souffle.
Sur la plaine, à perte de vue, s’avançaient les armées du roi Kap Hital et de l’amiral Denryl Alteria.
Cent mille hommes, peut-être plus. Des rangs d’or étincelant sous le soleil levant aux côtés d’une multitude de fanion couleur azur.
Derrière eux, la foire de Vienne, vidée de ses rires, n’était plus qu’une mer de tentes et d’acier. Un tableau magnifique pour des hommes manquant de sommeil.
— Regarde-moi ça, souffla Jorek.
— Les dorés sur le flanc Est, les azur à l’Ouest… C’est toute la couronne en marche.
Au centre, monté sur un destrier blanc, le prince Denryl Alteria.
Une cape azur flottait derrière lui, constellée de broderies d’argent.
Son armure brillait comme une lame neuve.
— On dirait qu’il sort tout droit d’une légende, murmura Hadrin.
— Ou d’un foutu tableau. Regarde-le, pas une tache de boue.
— C’est ça, la noblesse : ils arrivent quand tout est presque fini et qu’il reste juste à poser pour les bardes.
Un rire leur échappa, nerveux mais sincère.
— Allez, dit Hadrin en reprenant sa pique. On va quand même pas les laisser prendre tout le mérite.
— Pas question. Et puis, j’dois récupérer mes pintes gagnées.
Ils se levèrent, époussetèrent vaguement la boue.
— T’as pas gagné il s’est pas éclaté sur les murs.
— Il est pas passé au delà je te ferais remarquer…
Ils rejoignirent les lignes tandis que la plaine grondait du tonnerre des tambours royaux.


Lignée des Trofs, et autres successeurs

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#8 2025-11-02 22:17:20

Philippe d'Autriche
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

L'Enfer de Fer

L'aube se lève sur la plaine de Vienne, révélant aux soldats autrichiens un terrible spectacle: deux armées géantes, la Tour Dorée et le Cygne Azur à l'est, massées comme deux marées de fer prêtes à déferler. Les tambours résonnent. Les bannières s'agitent. La bataille commence.

Pour les simples soldats autrichiens, la réalité du combat n'a rien de glorieux. Pas de charges héroïques, pas de duels chevaleresques. Seulement la pluie.

Une pluie de fer.

Les flèches d'abord. Des milliers. Des dizaines de milliers. Elles montent en volées sombres dans le ciel d'été, occultant brièvement le soleil, puis retombent en sifflant. Le soldat autrichien n'a pas le temps de lever son bouclier qu'une flèche lui traverse l'épaule. Un autre reçoit un carreau d'arbalète en pleine poitrine et s'effondre sans un cri. À côté de lui, un jeune fantassin, le visage à peine marqué par la barbe, tente de protéger son capitaine tombé au sol — trois flèches le clouent au sol en moins de deux secondes.

La mort tombe du ciel. Sans répit. Sans arrêt. Sans pitié.

Les archers de la Tour Dorée et du Cygne Azur, protégés par la supériorité numérique écrasante de leurs bataillons, demeurent hors de portée des contre-tirs autrichiens. Ils tirent, rechargent, tirent encore. Méthodiquement. Froidement. Comme on abat du gibier dans une battue.

Les Autrichiens ne peuvent que subir. Avancer sous cette pluie mortelle, c'est mourir. Reculer, c'est abandonner Vienne. Alors ils tiennent. Ils serrent les rangs autour de leurs blessés. Ils lèvent leurs boucliers jusqu'à ce que leurs bras tremblent d'épuisement. Et quand un homme tombe, le suivant prend sa place.

Mais pour chaque homme qui tombe, personne ne vient le remplacer.

***

Résistance héroïque

Malgré l'enfer qui s'abat sur eux, les Autrichiens résistent. Chaque mètre de terrain est disputé avec un acharnement féroce. Les fantassins forment des carrés défensifs autour des positions clés. Les cavaliers lancent des contre-charges désespérées pour briser la progression ennemie. Les arbalétriers autrichiens, décimés par les tirs adverses, continuent de riposter tant qu'ils peuvent tenir leur arme.

Sur le flanc nord, un bataillon autrichien tient une petite colline pendant trois heures contre des assauts répétés de la Tour Dorée. Quand les ennemis finissent par la prendre, il ne reste que douze survivants sur trois cents hommes. Ils se rendent, couverts de sang et de gloire.

Sur le flanc est, les troupes du Cygne Azur progressent méthodiquement, repoussant les défenseurs mètre par mètre. Chaque recul autrichien est payé en sang ennemi, mais le résultat est inévitable : les Autrichiens sont repoussés vers leurs dernières lignes défensives.

***

Stratégie du désespoir

Dans la tente de commandement, les officiers autrichiens se penchent sur les cartes. La situation est claire : les deux armées ennemies progressent sur les flancs, menaçant d'encercler complètement les forces autrichiennes.

L'archiduc Philippe, le visage marqué par la tension et le manque de sommeil, prend une décision :

— On abandonne les flancs. On concentre tout au centre. S'ils veulent nous encercler, qu'ils le fassent. Mais ils paieront chaque pas vers Vienne.

La stratégie est mise en œuvre immédiatement. Les bataillons des flancs se replient en bon ordre vers le centre, créant une masse compacte de troupes autrichiennes face à Vienne. L'idée est simple : forcer l'ennemi à se concentrer au centre, où la supériorité numérique compte moins, où les archers ne peuvent tirer sans risquer de toucher leurs propres troupes.

Pendant quelques heures, cela fonctionne. Les Autrichiens tiennent. Ils infligent des pertes terribles aux assaillants qui tentent de percer leur ligne. Les corps s'empilent devant les positions défensives.

Mais ce n'est qu'un répit. Les ennemis ajustent leur tactique. Ils positionnent leurs archers sur les hauteurs conquises sur les flancs et reprennent leurs tirs de saturation. La pluie de fer reprend, plus dense encore.

Cela ne fait que retarder l'inévitable.

***

Détresse

Puis vient le moment que redoutaient tous les défenseurs.

Six grands bataillons autrichiens sont envoyés pour lancer une contre-offensive au centre et briser l'étau ennemi. Ils avancent en formation serrée, bannières déployées, dans un grondement de pas cadencés qui fait trembler la terre.

Les archers de la Tour Dorée et du Cygne Azur les voient venir. Ils ajustent leur position. Ils tendent leurs arcs.

Et ils lâchent l'enfer.

Les volées de flèches et de carreaux d'arbalète s'abattent sur les six bataillons avec une précision et une intensité terrifiantes. Les rangs autrichiens se désintègrent littéralement sous le déluge de projectiles. Les hommes tombent par dizaines, par centaines. Les cris des blessés se mêlent au sifflement des flèches. Les bannières s'effondrent l'une après l'autre.

En quelques minutes — quelques minutes seulement — les six bataillons sont balayés.

Les survivants, hébétés, couverts du sang de leurs camarades, reculent en désordre vers les lignes autrichiennes. Sur ces six bataillons, peut-être mille hommes reviennent. Les autres jonchent le champ de bataille, transformé en cimetière.

Un silence de mort s'abat sur les défenseurs de Vienne.

Les soldats se regardent. Dans leurs yeux, on ne lit plus l'espoir. Seulement l'épouvante. La certitude de la défaite. La conscience que la prochaine charge sera leur dernière.

Les capitaines eux-mêmes semblent rechigner. Ils savent ce que signifie l'ordre d'avancer : une mort certaine. Comment peuvent-ils demander à leurs hommes de marcher vers ce massacre ?

***

Charge de l'Archiduc

C'est alors que l'archiduc Philippe sort de sa tente de commandement.

Il ne porte pas sa cuirasse d'apparat, mais une simple armure de combat. Il ne brandit pas d'épée cérémonielle, mais une arbalète de soldat et une courte épée. Il s'avance au milieu des troupes qui hésitent, et sa voix s'élève, claire et ferme :

— Grand bataillon d'arbalétriers ! Avec moi !

Il ne discute pas. Il ne harangue pas. Il ne promet pas la victoire. Il fait simplement ce qu'un chef doit faire : il montre l'exemple. L'archiduc se met en marche vers l'ennemi. Seul d'abord. Puis un capitaine le rejoint. Puis un sergent. Puis dix hommes. Puis cent.

Bientôt, un immense bataillon composé de dix-huit mille arbalétriers se forme derrière lui et avance en formation vers les lignes ennemies. Ils savent qu'ils vont mourir. Mais leur archiduc marche devant eux, et un Autrichien ne laisse pas son chef mourir seul.

La charge est soudaine, brutale, désespérée. Les arbalétriers autrichiens tirent, rechargent, tirent encore en avançant. Ils atteignent les premières lignes ennemies et s'y jettent avec une fureur née du désespoir. Le combat est sanglant, chaotique, terrible ; cinq mille chevaliers de la Cylariel sont décimés par la charge.

Philippe lui-même, à la tête de ses hommes, se bat comme un lion. On le voit charger, frapper, repousser les assaillants. Autour de lui, ses hommes tombent, mais d'autres les remplacent.

Cette charge ne change pas le cours de la bataille. Mais elle change quelque chose d'autre : elle rallume l'espoir.

Les autres bataillons autrichiens, voyant leur archiduc combattre au premier rang, reprennent courage. Ils repartent à l'assaut. Les lignes se stabilisent. L'avancée ennemie est momentanément stoppée. Mais Philippe sait que ce n'est qu'un sursis.

***

Conseil de guerre

La nuit tombe sur le champ de bataille. L'intensité des combats diminue légèrement, laissant place aux cris des blessés et au crépitement des incendies.

Dans la tente de commandement autrichienne, éclairée par quelques chandelles tremblantes, se tiennent les derniers chefs de l'armée impériale. Ils sont épuisés, couverts de poussière et de sang, mais debout encore.

L'archiduc Philippe, le visage noirci par la fumée, se tient devant la carte de la bataille. À ses côtés, Ferdinand, son aîné, l'ancien roi, observe en silence. Autour d'eux, les commandants survivants attendent.

Philippe brise le silence :

— Messieurs. Rapport.

Un capitaine s'avance, le bras en écharpe :

— Excellence... nous avons perdu plus de trente mille hommes aujourd'hui. À l'exception des Chevaliers d'élite, les deux tiers de nos bataillons sont en-dessous de la moitié de leurs effectifs. Les réserves sont épuisées.

Un autre ajoute, la voix rauque :

— Les flancs sont perdus. Nous tenons encore partiellement le centre, mais ils nous encerclent. D'ici demain midi, ils nous auront coupés de toute retraite.

Philippe fixe la carte. Ses doigts tapotent nerveusement le bois de la table. Puis il relève la tête et son regard balaie l'assemblée :

— Il existe encore une chance de victoire.

Les officiers le fixent, incrédules.

Philippe continue, sa voix se faisant plus dure :

— Il existe encore une chance de victoire. Regardez les rapports : leurs chevaliers ont subi de lourdes pertes lors des assauts répétés. Ils ne sont plus assez nombreux pour forcer le passage en charge frontale. C'est leur faiblesse.

Il pointe du doigt les positions ennemies sur la carte :

— Le vrai danger, ce sont leurs maudits archers et arbalétriers. Tant qu'ils restent à distance, protégés par leurs bataillons, ils nous massacrent impunément. Mais si nous parvenons à repousser leurs derniers chevaliers, si nous brisons leurs lignes et que nous forçons le contact au corps à corps avec leurs tireurs... tout change. Un archer sans protection, dans la mêlée, ne vaut pas un fantassin autrichien.

Il martèle la table du poing :

— Nous devons lancer une charge massive. Accepter les pertes sous leurs tirs pour atteindre leurs rangs. Une fois au contact, leur supériorité numérique compte moins. Dans la mêlée, sur la plaine devant Vienne, nous pouvons les battre. Si nous avons le courage d'accepter le prix : des dizaines de milliers d'Autrichiens qui mourront avant d'atteindre l'ennemi. Mais c'est notre seule chance. La gloire de Vienne en dépend.

Un commandant ose intervenir :

— Excellence... cela signifierait...

Philippe le coupe :

— Je le sais. Mais c'est le prix de la gloire de Vienne. Le prix de notre honneur. Le prix de montrer au monde qu'on ne soumet pas l'Autriche.

Il martèle la table du poing :

— Nous pouvons encore gagner. Si nous avons le courage d'aller jusqu'au bout. Si nous acceptons de tout sacrifier pour cette juste cause.

Les commandants échangent des regards. Certains semblent tentés. D'autres, horrifiés. La discussion commence, hésitante, entre ceux qui croient encore à la victoire et ceux qui n'y croient plus.

Puis, soudainement, une voix s'élève. Ferdinand se lève lentement ; tous les regards convergent vers lui. Son visage porte cette sérénité étrange, cette tranquillité de celui qui a fait la paix avec la mort, avec le monde, avec lui-même. Il regarde son frère avec une tendresse infinie, puis se tourne vers les commandants.

— Philippe... Messieurs... écoutez-moi.

Sa voix n'est pas forte, mais elle porte une autorité naturelle qui commande le silence absolu.

— Mon frère a raison sur un point : nous pouvons continuer à nous battre. Nous pouvons transformer Vienne en enfer. Nous pouvons faire payer à nos ennemis chaque pierre, chaque rue, chaque maison. Nous pouvons tuer des dizaines de milliers d'entre eux avant de tomber.

Il marque une pause, puis continue :

— Mais dites-moi... quel genre de chefs serions-nous si nous faisions ce choix ?

Philippe ouvre la bouche pour répondre, mais Ferdinand lève doucement la main :

— Laisse-moi finir, mon frère. Quel genre de chefs serions-nous si nous acceptions d'envoyer à la mort des dizaines de milliers d'Autrichiens — nos Autrichiens, nos frères, nos fils — pour quoi exactement ? Pour la gloire de défaire deux armées ? Pour la satisfaction de montrer que nous ne plions pas ? Pour l'honneur de préserver... quoi ? Des pierres ?

Il s'approche de la carte et pose doucement sa main sur Vienne :

— Cette ville... ces murs... ces palais... ce ne sont que des pierres, Philippe. De belles pierres, anciennes, chargées d'histoire. Mais des pierres quand même. On peut les reconstruire. On peut les rebâtir. Les pierres ne meurent pas.

Il se tourne vers les commandants, son regard embrassant chacun d'eux :

— Mais les hommes, eux, meurent. Et ils ne reviennent pas. Chaque soldat que nous envoyons mourir demain est un père qui ne verra pas grandir ses enfants. Un fils que sa mère ne reverra jamais. Un mari dont la femme portera le deuil toute sa vie.

Sa voix se fait plus intense, chargée d'émotion contenue :

— La grandeur de l'Autriche n'est pas dans les pierres de sa capitale, messieurs. Elle n'est pas dans la hauteur de ses tours ni dans l'éclat de ses bannières. La grandeur de l'Autriche est dans l'âme de ses sujets. Dans le cœur de ces hommes qui ont combattu héroïquement aujourd'hui. Dans le courage de ces soldats qui nous ont suivis jusqu'en enfer sans hésiter.

Il revient vers Philippe et pose une main sur son épaule :

— Si nous les tuons tous pour sauver des pierres... à quoi bon, Philippe ? Si nos Autrichiens sont morts, si leurs familles sont brisées, si leurs villages sont vidés de leurs hommes... quelle Autriche restera-t-il à défendre ? Des murs vides ? Des rues désertes ? Des palais hantés par les fantômes de ceux que nous avons sacrifiés ?

Le silence dans la tente est total. Même les chandelles semblent retenir leur souffle.

Ferdinand continue, sa voix devenant un murmure chargé de conviction :

— Nous avons combattu avec honneur. Nous avons montré au monde ce que signifie être autrichien. Personne ne pourra dire que nous nous sommes défilés. Nous avons tenu face à deux armées. Nous avons saigné pour chaque mètre de terrain. Nous avons prouvé notre valeur.

Il se redresse et regarde son frère droit dans les yeux :

— Mais maintenant, il est temps de choisir : voulons-nous mourir pour des pierres ? Ou voulons-nous vivre pour que l'Autriche survive ?

Un long silence suit ces mots.

Philippe fixe son frère, le visage tiraillé entre la rage, la frustration, et quelque chose d'autre — peut-être la reconnaissance d'une vérité qu'il ne voulait pas voir.

Les commandants baissent les yeux. Certains ont les larmes aux yeux. D'autres serrent les poings, partagés entre la honte de renoncer et le soulagement de ne pas avoir à envoyer leurs hommes vers une mort certaine.

Ferdinand ajoute, presque dans un souffle :

— L'Autriche, Philippe, ce n'est pas Vienne. C'est nous. C'est eux, dehors, ces braves qui attendent nos ordres. Tant qu'ils vivent, l'Autriche vit. Si nous les tuons tous... nous tuons l'Autriche de nos propres mains.

Philippe ferme les yeux. Ses épaules s'affaissent légèrement. Quand il les rouvre, quelque chose a changé dans son regard. Il se tourne vers ses officiers :

— Préparez un messager.


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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#9 2025-11-02 22:41:51

Philippe d'Autriche
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Un cavalier solitaire se présente aux avant-postes de la coalition. L'Aigle impérial d'Autriche, déchiré et noirci par la fumée, flotte encore au bout de sa lance.

L'homme descend péniblement de cheval. C'est un officier d'un certain âge, peut-être un capitaine, vêtu d'une cuirasse cabossée et maculée de sang séché — le sien ou celui d'un camarade, impossible à dire. Son tabard aux couleurs de l'Autriche est déchiré à l'épaule et brûlé sur un côté. Ses cheveux gris sont collés par la sueur et la cendre. Une entaille récente barre sa joue gauche, mal pansée avec un linge sale.

Mais c'est son regard qui frappe le plus. Pas de supplication, pas de peur. Ses yeux, enfoncés dans des orbites creusées par l'épuisement et le manque de sommeil, brûlent encore d'une fierté farouche, presque insolente. Il tient son dos droit malgré la fatigue visible qui fait trembler ses jambes.

Il porte un pli scellé à la cire rouge — le sceau de Philippe d'Autriche — qu'il serre contre sa poitrine comme un trésor. Ses mains, noircies par la poudre et couvertes de coupures, ne tremblent pas lorsqu'il tend le document.

Sa voix, quand il parle, est rauque, éraillée par la fumée des incendies qui ravagent encore Vienne :

— Message de Son Excellence l'Archiduc Philippe d'Autriche pour les commandants de la coalition.

Il attend simplement, debout, que quelqu'un prenne le pli. Son maintien est droit non par arrogance, mais par respect pour ceux qu'il représente — les milliers d'Autrichiens tombés qui méritent qu'on porte leur dernier message avec dignité. Derrière lui, visible au loin, les fumées montent encore de Vienne assiégée.

Lorsqu'un officier de la coalition s'avance enfin pour prendre le document, l'Autrichien le salue d'une inclinaison de tête — brève mais sincère. Un geste de soldat à soldat, de guerrier à guerrier.

***

Le message

Seigneurs de la coalition,

L'Autriche avait consenti à votre défi. Nous n'avons pas appelé d'armée à notre secours, bien que nous le pouvions. Nous avons choisi d'honorer seuls ce combat, sachant qu'il nous condamnait. Car tel est l'Autrichien : il ne se dérobe jamais, fût-ce devant deux armées, fût-ce devant l'impossible.

Nous avons tenu. Nous avons combattu jusqu'à ce que nos rangs se vident, jusqu'à ce que nos murs tremblent, jusqu'à ce que la terre se gorge du sang de nos braves.

Mais ce qui se joue désormais sur cette plaine n'est plus une bataille rangée où l'honneur peut s'exprimer. C'est un carnage méthodique. Des dizaines de milliers de mes hommes sont tombés, criblés de flèches par des archers que votre supériorité numérique rend inaccessibles. Ils meurent sans pouvoir riposter, sans pouvoir combattre, réduits à l'impuissance par le seul nombre de vos bataillons.

Poursuivre cette tuerie ne servirait plus qu'un objectif : vous permettre d'orner vos bannières d'une gloire facile bâtie sur le massacre de braves qui n'ont plus les moyens de se défendre.

L'Autriche offre deux voies.

La première : nos légions battent en retraite. Nous nous replions vers nos territoires et ce conflit s'enlise dans une guerre d'usure qui durera des années. Le Lys contre les partisans du roi. Bataille après bataille. Siège après siège. Cette guerre fragilisera nos deux camps, épuisera le royaume d'Okord, et ne servira que les vautours qui attendent dans l'ombre que nous nous entre-tuions.

La seconde : nous déposons les armes et nous nous réunissons — vous, Kap Hital des Trofs, Denryl Altéria du Cygne, et moi, Philippe d'Autriche — pour négocier les conditions d'une paix. Pour épargner à Okord le spectacle d'une guerre sans fin.

Mais avant que cette paix ne puisse être scellée, il existe une dette d'honneur qui doit être réglée.

Prince Denryl Altéria, vous avez gravement trahi l'amitié ancienne entre nos deux maisons — cette amitié qui remonte à la Guerre de l'Ouest, scellée dans le sang et l'honneur. Vous nous avez attaqués de nuit, sans déclaration, sans avertissement. Cette trahison constitue un crime d'honneur au sens des us et coutumes d'Autriche.

En réparation de cette offense, je vous défie en combat singulier. Que les Dieux tranchent entre nous. Que votre lame prouve si votre cause était juste, ou que la mienne venge l'honneur brisé de l'Autriche.

Je vous attendrai sur le champ de bataille.

Philippe d'Autriche, Archiduc d'Autriche


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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#10 2025-11-03 03:32:13

Denryl Altéria
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Denryl parcourut les lignes du document, ne laissant transparaître aucune émotion.

Les combats de ces derniers jours avaient permis une avancée stoïque des troupes sur le champ de bataille. De lourds tributs avaient été payés pour permettre l’avancée et le positionnement des bataillons, mais ce n’était rien par rapport à celui que devait payer l’Autriche pour ralentir l’avancée de la coalition, et maintenir ses derniers retranchements.

Pour un ennemi, il aurait choisi la première option : cribler de flèches les derniers bataillons encore engagés, charger les derniers rangs d’archers et d’arbalétriers. Poursuivre une armée en déroute, et tuer impitoyablement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus âme qui vive.

Pour un ennemi.

La bataille était un succès. Les objectifs du pouvoir royal étaient atteints : la puissance autrichienne était diminuée et défaite, et les négociations aboutiraient probablement à une paix plus durable. Quant à Denryl, le prince était heureux de voir que l’Autriche avait cédé avant l’armée autrichienne ne soit entièrement abattue, et que Vienne la Sublime ne devienne un cimetière à ciel ouvert.

Quant à lui, il était… satisfait. Il avait pu mener un combat dont l’issue ne faisait plus de doutes, mener ses troupes à la victoire contre un ennemi qui en valait la peine. Mais sa déesse ne saurait se satisfaire d’une simple victoire militaire, et lui non plus. Ses hommes étaient prêts à mourir pour lui, et lui pour préserver leur honneur. La demande de l’Autriche était légitime, et il y répondrait.

Dites à l’Archiduc que le sang des autrichiens ne coulera plus, et que sa reddition sera discutée selon des termes équitables. Faites-lui savoir que je relève son défi, afin que les torts commis soient réparés sous le regard des dieux.

Denryl se lève, alors que plusieurs messagers s’empressent de se rendre aux différents bataillons pour propager la nouvelle et ordonner une cessation d’hostilités. Il ajuste son armure et se dirige vers la sortie. En dépassant le messager autrichien, il déclare quelques mots à sa seule attention :

Les soldats autrichiens ont accompli leur devoir sans faillir.

Sans attendre de réponse, il enfourche son cheval, et se rend sur le champ de bataille escorté par un peloton de ses chevaliers.

Dernière modification par Altéria (2025-11-03 03:38:13)


Maison Altéria, Dames et Seigneurs de Cylariel et de Massoala

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#11 2025-11-03 10:51:32

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

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Le messager déboula sur la plaine comme un corbeau aux ailes sombres, le pas pressé, la bannière noire claquant au vent — un aigle d’un noir de charbon sur champ noir, silhouette d’ombre dans l’éclat de l’incendie. À sa droite, un porteur simple, droit comme un pieu, tenait la hampe du drapeau blanc ; il avançait sans fioritures, visage fermé, porteur d’une paix ou d’un piège, on ne saurait dire encore. Autour d’eux la bataille respirait, haletante : les étendards, les casques, le cliquetis des lames lointaines, l’odeur de métal et de chair rôtie — mais là, auprès des deux rois, un silence s’imposa, lourd comme un verdict.
Kap Hital se tenait en manteau sombre, les liserés d’or coupant la nuit comme des nervures d’un plan soigneusement tracé. Son regard était celui d’un architecte — pas seulement de pierres, mais de mouvements d’hommes et de temps : il voyait les lignes de siège, les arcs de cavalerie, les points faibles que seuls les chiffres et la géométrie révélaient. Le parchemin fut déposé à ses pieds comme une latrine qu’on n’ose fouler : il le prit, le plia, ouvrit et lut. Les mots d’un adversaire tenaient plus de poids qu’un boulet ; ils étaient des ordres pour la conscience.
À la lecture, la première émotion qui creusa le visage de Kap Hital fut l’irritation — fine, tranchante. On pouvait lire dans la façon dont il plissa les yeux que chaque phrase venait heurter une architecture mentale déjà établie. « Ils ont tenu. Ils ont combattu… » Les lignes évoquaient des morts à la pelle, l’héroïsme d’un peuple et l’absurdité d’un carnage. Plus bas, la clause que nul n’attendait : la reddition, l’offre d’un débat de paix, et la demande que l’offense de Denryl soit lavée par le duel. Un défi. Une propositon de retrait au moment même où la machine de guerre d’Okord s’apprêtait à déverser sa cavalerie sur les dernières lices.
Kap Hital releva les yeux. Là, à sa droite, Denryl Altéria se tenait droit comme une flèche tendue : azur profond, cuirasse d’argent qui captait la lueur des incendies et la rendait dure comme une promesse. Le roi sentit, un instant, le monde basculer — non à cause d’une trahison, mais parce que les arithmétiques de la guerre n’avaient plus cours devant ce geste. Ses rapports l’avaient dit : l’ennemi, malgré les pertes, recevait des renforts ; chaque missive le confirmait. Et pourtant, quand enfin leur flanc allait céder au galop, quand la masse autrichienne — qu’il estimait à quatre-vingt mille hommes — serait enfin contrainte de se déployer, voici qu’ils abaissaient l’étendard.
« Pourquoi maintenant ? » demanda Kap Hital à voix basse, plus à lui-même qu’au messager. Le ton contenait à la fois la colère et la logique froide d’un homme qui pèse les probabilités. « Pourquoi renoncer lorsque vos cuirassiers n’ont jamais paru aussi menaçants ? Pourquoi déposer les armes après tant de provocations ? Quelles garanties avons-nous que ces gens ne reprendront pas les armes demain pour marcher sur quelque ville parce qu’une virgule leur déplaît ? »
Le messager ne pouvait répondre ; il n’était qu’un parchemin vivant. Son visage resta lisse, professionnel. À la gauche de Kap Hital, les flammes d’un bûcher lointain jetaient des langues de feu qui dansaient sur la lame d’or du roi — et la méthode, cette vieille compagne, reprit sa place dans l’esprit de Kap Hital. Il inspira, comme on redresse un plan chancelant, et parla d’un ton qui ne laissait ni fureur ni faiblesse s’échapper entièrement.
« Dites à Philippe d’Autriche que l’Okord n’ignore pas l’honneur. » Sa voix coula, grave, mesurée. « Si paix il doit y avoir, il faudra que ses représentants déposent les armes et ploient le genou — et non pas comme des pantins forcés, mais sous le regard du peuple. Qu’il fasse fondre ses cuirasses et qu’il forge des charrues. Qu’il rende utiles à notre terre ces outils qui jadis servaient à tuer. Alors la paix aura un sens. »
Denryl posa une main sur l’épaule de Kap Hital, et ce contact eut l’effet d’un fil tendu entre deux citadelles. Le prince parla sans emportement, avec la voix sèche d’un amiral qui sait calculer les marées : « Trouvons un accord. » Ce fut presque une supplique — mais une supplique qui sentait la victoire, car Denryl n’appelait pas au compromis par faiblesse mais par stratégie. Il savait, comme Kap Hital le savait, que prolonger cette tuerie ne servirait que les vautours qui guettent la dépouille des royaumes.
Kap Hital ferma les poings. Son esprit d’architecte jaugea encore : la conquête, la rétribution, la stabilité. Dans la fumée qui montait de Vienne, il entrevoyait des rues piétinées, des forges éteintes, des hommes qui porteraient des cicatrices pour des générations. Et pourtant, l’idée d’un duel — l’idée que l’honneur d’une maison réclame du sang personnel — lui tira un rictus amer. Le royaume n’était pas un théâtre pour grandes exécutions de fierté : il était une cité de plans et d’ouvrages, de ponts et de canaux, et chaque homme qu’on gaspillait en toge de gloire était une pierre retirée de la fondation commune.
« J’accepte la paix si elle guérit, » dit Kap Hital enfin, d’une voix qui ne sonna ni molle ni triomphante, mais mesurée comme une décision prise sur plan. « Si Philippe tient parole et si ses armes deviennent socs et charrues. Si Denryl accepte de mettre son honneur en gage — non pour un duel de vanité, mais pour que l’on scelle la confiance. Transmettez-leur cela. »
Le messager inclina la tête. Les deux bannières derrière lui, l’aigle noir et l’étoffe immaculée, battaient comme deux cœurs qui hésitent. Alors que l’homme repartait, emportant la réponse vers la flamme et la pierre, Kap Hital resta un moment seul avec Denryl, les ombres longues des deux seigneurs coulant sur la terre comme des cartes tracées à l’encre. Il pensa à Okord, à ses routes, à ses enfants. Il pensa que parfois la victoire la plus difficile n’était pas d’écraser l’ennemi, mais de le contraindre à réparer ce qui avait été brisé.
Denryl, à ses côtés, leva le menton dans l’obscurité et souffla : « Trouvons un accord. » Et leurs silhouettes, deux tours sur la plaine, demeurèrent immobiles — non pour savourer la victoire, mais pour bâtir, à la hache et à la paix, un avenir qui vaudrait mieux que le glaive.


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#12 2025-11-03 22:12:28

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

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#13 2025-11-04 12:50:37

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Leur duel aurait lieu, mais le roi Kap Hital n'acceptait pas que ce duel passe avant la signature de la paix.
Il sollicita le jeune prince Altéria de lui envoyer son second et en fit de même avec Philippe d'Autriche.

" Okord a besoin d'un temps de paix. Voici mes propositions :

- L'Autriche dépose les armes et à ce titre ploiera le genou devant la couronne. Pas devant celui qui la porte mais devant le symbole de l'union commune d'Okord. Ce qui vous parait n'être qu'un génuflexion est un symbole pour le peuple. Nous avons besoin de cette union autour de la couronne pour faire face aux royaumes étrangers.

- L'Autriche et le lys ne soutiendront plus de domaines dissident, plus de soutient aux domaines déclarant sécession. Okord doit rester uni par ses frontières et ses lois communes, tout en respectant comme aujourd'hui les coutumes locales. A ce titre je demande à ce que vous annonciez publiquement que vous ne soutenez pas le domaine du Valdor dans sa déclaration de sécession.

- J'ai proposé à plusieurs seigneurs du lys ou de la chaine vassalique de l'Autriche d'integrer le conseil royal. Je réitère ces propositions et il serait de bon augure que le lys participe aux conseils et décisions du royaume. Je vous demande que des seigneurs du lys intègrent ce conseil royal, vos voix doivent se faire entendre de l'oreille de la couronne.

- Et j'en viens à la solution qui puisse assurer une paix d'au moins un an. Le seul de nous trois qui soit reconnu et respecté de tout Okord est la maison de Cylariel mais je connais son désintérêt pour la couronne. Je propose que nous décidions ensemble d'un Okordien souverain pour l'année à venir. Une année de paix qui sera dirigée par une seigneur d'Okord soutenu par trois des plus grands maitres militaires d'Okord. Un seigneur de paix soutenu et conseillé par des seigneurs de guerre. Le seul nom qui me vient à l'esprit aujourd'hui est celui d'Aguilar de Vivesource, l'actuel Grand Chambellan, que l'on sait tous capable de s'emporter à l'encontre de sa perception de la justice, mais jamais ce seigneur ne porte la guerre sur les guerres d'autrui. Je renoncerais donc à la couronne pour lui, pour la paix en Okord. Et je vous demande d'en faire de même.


Ais je votre accord ? "


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#14 2025-11-04 15:58:34

Hélène von Eisenberg
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

La Duchesse Hélène avait quitté la Cour la veille et fut donc convoquée auprès du roi. Après l'avoir salué dans le respect du protocole, les traits figés dans un masque de diplomatie glaciale, elle prit la parole.

Que Votre Majesté me permette de répondre méthodiquement à chacune de ses propositions. Je porte la voix de l'Autriche et dispose de la pleine confiance de l'Archiduc Philippe pour m'exprimer en son nom.

[Sur la génuflexion]

Votre Majesté invoque la nécessité de l'union face aux royaumes étrangers. Cet objectif est louable et l'Autriche le partage pleinement. Mais permettez-moi d'observer que l'agression de la première force militaire du Royaume par deux armées royales n'était guère la méthode idéale pour l'atteindre.

Le résultat parle de lui-même : militairement, nous sommes collectivement affaiblis face à nos voisins opportunistes ; politiquement, le Royaume est plus divisé qu'il ne l'a été depuis des années, alors même que le Lys était entièrement dévoué à la Couronne et envisageait activement de mandater des représentants auprès du Conseil royal.

La veille de votre... initiative militaire, nous avions réaffirmé devant toute la Cour l'attachement absolu de l'Autriche au Royaume d'Okord. Personne n'a cru nécessaire de nous écouter. Si Votre Majesté juge qu'il faut renouveler cette proclamation avec le sang de nos vaillants défenseurs encore frais sur nos tuniques, et nous agenouiller devant le prochain souverain d'Okord, nous le ferons.

[Sur le soutien aux dissidents]

Votre Majesté évoque le soutien de l'Autriche à des domaines dissidents. Je dois clarifier immédiatement ce point, car aucune paix durable ne peut être bâtie sur des malentendus, qu'ils soient sincères ou délibérés.

L'Autriche n'a jamais soutenu de domaine dissident. Au contraire, nous avons explicitement conditionné notre protection de Baswen à son maintien absolu au sein du Royaume d'Okord. Les faits sont documentés et incontestables.

Si l'autorité royale et ses représentants s'engagent à cesser de déformer la réalité à des fins de propagande, l'Autriche annoncera publiquement qu'elle condamne toute déclaration unilatérale de sécession et qu'elle ne soutiendra jamais aucune maison qui choisirait cette voie. Mais cette annonce doit reposer sur des bases honnêtes : nous ne pouvons promettre de ne plus faire ce que nous n'avons jamais fait.

[Sur la participation au Conseil royal]

Votre Majesté réitère son invitation au Lys d'intégrer le Conseil royal. Nous accueillons favorablement cette proposition, qui correspond précisément au projet que le Lys avait initié avant le déclenchement des hostilités.

Le Lys mandatera au Conseil royal son chancelier, le seigneur Tristan de l'Ordre, dont la sagesse et la mesure sont reconnues de tous. Il portera la voix du Lys et veillera à ce que les intérêts du Royaume, dans leur ensemble, soient préservés.

Nous espérons que cette participation sera entendue avec l'attention qu'elle mérite, et qu'elle ne sera pas réduite à un simple ornement symbolique destiné à donner l'illusion d'une consultation qui n'existerait pas réellement.

[Sur le choix d'un souverain]

Votre Majesté propose de confier le Royaume pour une année à un seigneur de paix, soutenu par nous trois, et suggère le nom du Grand Chambellan Aguilar de Vivesource.

L'Autriche consent au principe d'un souverain choisi collégialement par nos trois maisons pour garantir une année de paix au Royaume. Ce mécanisme pourrait effectivement permettre à Okord de panser ses plaies et de retrouver l'unité nécessaire face aux menaces extérieures.

Toutefois, le candidat que vous proposez ne convient pas.

Le retour à la paix civile suppose d'investir une maison qui, à défaut de pouvoir faire l'unanimité — ce qui serait illusoire dans les circonstances actuelles —, ne suscitera pas le rejet catégorique de l'un des camps. Or, le seigneur de Vivesource a prononcé des paroles qui rendent sa candidature inacceptable pour nos alliés.

Il a qualifié publiquement les seigneurs du Lys de "rebelles". Ce mot, Votre Majesté, n'est pas anodin. Il ne s'agit pas d'une simple maladresse oratoire. Nos alliés de l'Ordre sont entrés en guerre en réponse à l'agression de l'Autriche, non par rébellion contre Okord. Ils n'ont jamais rejeté le Royaume, ni contesté l'autorité légitime de la Couronne. Ils ont combattu pour défendre un allié attaqué injustement, ce qui est leur droit le plus strict.

L'Autriche elle-même aurait accepté le seigneur de Vivesource si, fidèle au sens de la nuance qui caractérisait autrefois sa maison, il s'était contenté d'appeler les deux camps à la raison sans jeter d'anathèmes. Mais en choisissant ses mots avec si peu de soin, il s'est disqualifié lui-même.

En lieu et place, nous proposons la maison de Nortmannie, conseillée en qualité de Grand Chambellan par le seigneur de Vivesource.

On ne peut soupçonner les Nortmannais d'être des alliés secrets du Lys. Notre histoire commune compte autant d'affrontements militaires que de différends politiques. Mais précisément cette indépendance fait leur force. Le seigneur de Vaux a su adopter une position équilibrée dans ce conflit : il soutient sans équivoque le camp loyaliste, mais il s'est abstenu de participer à la surenchère et aux attaques verbales de certains. Il n'a pas, sauf erreur de notre part, approuvé publiquement l'attaque surprise contre Vienne.

Par ailleurs, la Nortmannie entretient des liens, directs ou indirects, avec la plupart des grandes maisons d'Okord. Cette toile de relations lui confère la capacité unique de naviguer dans les courants complexes de notre politique pour identifier des compromis acceptables.

L'Autriche apportera donc son soutien à tout représentant que la Nortmannie voudra bien mandater pour exercer cette fonction : que ce soit le seigneur de Vaux lui-même, ou tout autre haut dignitaire de cette noble maison qui fut, il y a longtemps, nos plus fidèles alliés.


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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#15 2025-11-04 19:25:13

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Kap-Hital-et-Von-Eisenberg.png

La tension était palpable entre les deux personnages.

Le roi Kap Hital avait écouté le long argumentaire de l'Autrichienne en serrant la mâchoire et les poings au fur et à mesure de ce monologue.
Il prit une grande inspiration pour ne pas céder à la colère et desserra ses poings tout en évacuant bruyamment l'air de ses poumons par le nez.

Dame Von Eisenberg, je vais essayer d'être bref.

En l'état actuel des choses vous avez déposé les armes et si nous ne parvenons pas à un accord de paix je signerais cette soumission par les armes.
L'Autriche se retrouvera avec une caserne sur ses terres, quelque soit les interprétations des discussions passées. C'est un fait.
Ce serait la simplicité que d'en rester là, mais la certitude d'une crise plus profonde dans le royaume bien que toutes les troupes du Lys se soient vues repoussées.

Voyez bien dans ma proposition que je vous tends la main, que j'offre la possibilité d'une situation de neutralité et non d'une situation de défaite pour l'Autriche et pour le Lys dans son intégralité. Aussi je fais un pas vers vous et vers chaque membre du Lys, j'aimerais donc que l'on se concentre sur cela et sur la suite des évènements pour la paix dans le Royaume d'Okord. J'aimerais donc que l'on évite de se perdre dans les interprétations des propos passés, qu'ils soient volontairement mal intentionnés ou bien simplement mal formulés, sinon nous n'y arriverons jamais et la conclusion sera factuellement la soumission par les armes de l'Autriche.

Ceci étant dit, je voudrais vous faire constater qu'une génuflexion refusée devant la couronne vous semble insignifiante, mais quelques mots prononcés suffisent à ce que vous marchiez sur les terres de la Nouë. Je ne remets pas en cause les décisions prises, je souhaite simplement vous faire constater que chacun a ses sensibilités et ses propres critères entraînant la mise en marche de ses armées.

Aujourd'hui je vous propose de faire table rase du passé, tout du moins d'une très grande partie du passé. Vous vous souviendrez des mots prononcés et du mal ressenti par ces mots. Vous vous souviendrez de notre attaque et du mal ressenti par celle-ci. J'en suis bien conscient. Mais que retiendront les Okordiens ? Qu'archiverons nous dans les livres d'histoire ? Nous archiverons que l'Autriche a déposé les armes, nous archiverons la proposition de paix triparitite que nous vous faisons, nous archiverons votre réponse. Les historiens n'archiveront pas que nous avons été en désaccord pour quelques mots prononcés par l'un ou par l'autre des prétendants. Les historiens archiveront que vous avez accepté ou que vous avez refusé. Les historiens archiveront que l'Autriche s'est inclinée devant la force de la couronne ... ou bien les historiens archiveront que trois grandes armées se sont inclinés devant un seigneur de paix pour que la paix règne en Okord.

* Désormais plus calme, Kap Hital fixa les yeux d'Hélène von Eisenberg quelques instants, levant les sourcils tout en inclinant légèrement la tête pour tenter de lire les pensées de la dame d'Autriche. *

Ne soutenons plus aucune dissidence. Ne jouons plus sur les mots, soyons ferme immédiatement tout comme l'Autriche a su le faire il y a des années avec les Happs.

Que le seigneur Tristan intègre le conseil royal et que l'Autriche soit désormais connétable du royaume. Incarnez par votre puissance le bras droit de la paix en Okord, soyez le bouclier fédérateur contre les royaumes hostiles. Vous êtes l'armée la plus puissante, le connétable n'est pas un animal qui répond au doigt et à l'oeil pour faire n'importe quoi.

Et pour conclure vous l'avez dis, à une phrase et quelques mots près vous auriez accepté le seigneur de Vivesource. C'est l'une des seules, peut être la seule même, qui n'ait jamais porté ses armées à l'encontre d'un autre domaine. Il n'y a pas plus concret que ce symbole de paix. Je comprends votre sympathie pour la maison de Nortmannie, c'est une maison digne que j'apprécie aussi pour ses nombreuses qualités. Mais elle a un passif que n'a pas la maison de Vivesource. De plus le seigneur De Vaux vient d'échouer dans sa mission aussi bien de faire libérer le jeune Morvayn que de rétablir l'autorité royale au Valdor. Il m'est difficile de placer sur le trône un seigneur revenant d'un échec important pour la couronne..
Je concède malgré tout à votre proposition, rencontrons la maison de Nortmannie et trouvons ensemble le parfait Grand Chambellan parmi leurs représentants. C'est le bras droit du roi, vous ne pourrez pas être trompé d'aucune sorte.

Avons nous un accord ? Pouvons nous faire fi du passé et préparer la paix en Okord ?

Dernière modification par K-lean (2025-11-04 19:29:44)


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#16 2025-11-04 21:03:44

Hélène von Eisenberg
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Hélène écouta le roi avec une attention soutenue, le visage parfaitement composé. Quand il eut terminé, elle laissa passer un bref silence avant de répondre, la voix posée mais ferme.

Votre Majesté, permettez-moi d'exprimer un étonnement sincère.

Vous parlez sans relâche de défaite, de soumission, de l'Autriche et du Lys comme appartenant au camp des perdants. Mais je me demande si nous regardons la même bataille, la même guerre, les mêmes événements.

L'Autriche sort grandie de ce conflit. Non pas malgré sa défaite, mais précisément à cause de la nature de cette défaite. Nous avons prouvé au monde entier — et vous l'avez prouvé vous-même, Votre Majesté — qu'il faut une coalition pour abattre l'Autriche. Pas une armée. Pas un royaume. Une coalition. Ce n'est pas l'histoire d'une faiblesse, c'est l'histoire d'une puissance qui force ses adversaires à s'allier pour survivre.

Quant au Lys, sa philosophie n'a jamais été de gagner toutes les batailles. Le Lys existe pour éveiller les Okordiens, pour les éprouver par la force, pour les fortifier dans le combat. Regardez autour de vous, Votre Majesté : cela faisait des années qu'Okord n'avait pas connu autant de batailles, autant d'épreuves. Notre aristocratie en sort trempée, aguerrie, renforcée. Le Lys a accompli sa mission. Peu importe l'issue des combats individuels.

Alors, oui, nous avons déposé les armes. Mais ne vous méprenez pas sur ce que cela signifie.

Elle marqua une pause, son regard se faisant plus froid.

Vous brandissez la menace du serment de soumission par les armes et l'installation d'une caserne sur nos terres. Permettez-moi de vous rappeler une réalité que nous connaissons tous deux : sans l'appui du prince de Cylariel, Votre Majesté n'aurait jamais pu vaincre l'Autriche. Jamais.

Vous avez tout autant intérêt que nous à trouver une paix convenable. Car vous savez — vous le savez — qu'un jour prochain, c'est peut-être votre domaine qui sera assiégé à son tour par un ost. Et ce jour-là, vous vous souviendrez de la manière dont vous aurez traité vos adversaires vaincus. Vous vous souviendrez si vous avez été généreux ou vengeur. Et ceux qui observent aujourd'hui se souviendront aussi.

Elle reprit, sa voix se faisant plus diplomatique, mais toujours ferme.

Vous dites vouloir faire table rase du passé. Mais en même temps, Votre Majesté, vous minimisez le rôle des mots et des interprétations. C'est là que je dois fermement vous contredire.

Les mots comptent. Les interprétations comptent. C'est précisément une interprétation tronquée des positions de l'Autriche qui vous a conduit à lever une coalition contre nous. Vous nous avez accusés de soutenir des dissidents alors que nous avions explicitement conditionné notre protection de Baswen à son maintien dans le Royaume. Vous avez ignoré nos déclarations de loyauté. Vous avez transformé nos propos en crimes pour justifier votre guerre.

Et maintenant, vous me demandez de faire fi de ces malentendus ? Les historiens n'archiveront pas seulement qui a accepté ou refusé. Ils archiveront aussi pourquoi cette guerre a eu lieu. Ils archiveront que l'Autriche a été attaquée pour un genou qui ne s'est pas plié au moment jugé opportun par Votre Majesté. Ils archiveront les dizaines de milliers de morts pour une question de protocole.

Alors, oui, soyons attentifs aux mots. Soyons précis dans nos interprétations. Car ce sont eux qui ont déclenché cette catastrophe.

Elle s'adoucit légèrement, marquant une ouverture.

Cela dit, Votre Majesté, je ne suis pas venue ici pour ressasser indéfiniment le passé. L'Autriche est prête à faire des concessions pour la paix. Des concessions substantielles.

Nous acceptons que l'Autriche assume les fonctions de Connétable du Royaume. Ces fonctions seront confiées à Rainer, général en chef de nos légions, dont la compétence militaire et la loyauté envers Okord ne font aucun doute. Nous incarnerons, comme vous le dites, le bouclier contre les royaumes hostiles. Nous protégerons Okord de ses ennemis extérieurs. C'est là une responsabilité que nous prenons au sérieux.

Le seigneur Tristan intégrera le Conseil royal comme nous l'avions déjà prévu avant le conflit. Il portera la voix du Lys avec la sagesse qui le caractérise.

Son ton se fit plus ferme à nouveau.

En revanche, sur la question du souverain de transition, nos doutes persistent.

Le seigneur de Vivesource a prononcé des paroles qui le disqualifient aux yeux de nos alliés. Vous dites que je l'aurais accepté "à une phrase et quelques mots près". Mais ces mots, Votre Majesté, ne sont pas anodins. Traiter nos alliés de "rebelles" n'est pas une maladresse. C'est une accusation grave, infondée, et politiquement inacceptable.

Au-delà de ces propos, j'ai une autre inquiétude concernant le seigneur de Vivesource : sa capacité à accepter la contradiction. Lorsqu'il était Prévôt sous le règne du roi Ferdinand d'Autriche, il a démissionné de ses fonctions parce que le roi avait refusé de condamner avec la sévérité qu'il attendait les agissements du seigneur Arkenus. Un homme qui se braque à la moindre contradiction, qui quitte ses responsabilités lorsque ses avis ne sont pas suivis à la lettre, peut-il vraiment exercer la fonction suprême dans un royaume aussi divisé qu'Okord ?

Car c'est bien de cela qu'il s'agit, Votre Majesté : Okord est un royaume de divisions, de contradictions, de sensibilités diverses. Un souverain, même temporaire, doit avoir la patience et la souplesse nécessaires pour naviguer dans ces eaux troubles. Il doit savoir écouter, composer, accepter que ses vues ne triomphent pas toujours. Le seigneur de Vivesource a-t-il démontré ces qualités ?

La Nortmannie, en revanche, possède ces qualités. Vous évoquez l'échec du seigneur de Vaux au Valdor. Mais cet échec ne remet pas en cause sa capacité à gouverner avec équilibre et sagesse. Au contraire : un homme qui a connu l'échec et qui en tire les leçons est souvent plus sage qu'un homme qui n'a jamais été contredit.

La Nortmannie n'est l'alliée secrète d'aucun camp. Elle a un passif avec de nombreuses maisons, certes, mais c'est précisément ce passif qui garantit son indépendance. Elle ne doit rien à personne. Elle peut donc juger avec impartialité.

Elle se tourna légèrement, comme pour inclure le prince de Cylariel dans la conversation.

Je suggère également que nous consultions le représentant de Cylariel, dont la sagesse et l'équilibre seront déterminants dans ce conflit. Qu'en pense Votre Seigneurie ?

Elle revint au roi, sa voix redevenant solennelle.

Votre Majesté, j'ai conscience que mes paroles peuvent parfois sembler dures. Mais comprenez que je ne cherche pas à prolonger le conflit par orgueil ou par ressentiment. Je cherche à bâtir une paix durable. Une paix qui ne sera pas simplement un armistice fragile avant la prochaine guerre.

Pour qu'une paix soit durable, elle doit être juste. Non pas juste au sens où chacun obtiendrait exactement ce qu'il veut — cela est impossible. Mais juste au sens où chaque camp peut l'accepter sans humiliation, sans sentiment d'avoir été écrasé.

Vous voulez que l'histoire retienne que trois grandes armées se sont inclinées devant un seigneur de paix ? Alors donnons-leur un seigneur qui incarne vraiment la paix, pas seulement pour un camp mais pour tous. Un seigneur que le Lys et les loyalistes peuvent accepter sans que personne n'ait l'impression de perdre la face.

C'est cela, la voie vers une paix qui durera plus d'un an. C'est cela, le compromis que je vous propose.
Avons-nous un accord sur ce point, Votre Majesté ?


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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#17 2025-11-04 22:06:22

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Le vent glissait sur la plaine comme une respiration lasse. Les bannières d’or et d’ébène claquaient dans la lumière mourante tandis que les troupes repliaient les rangs.

Kap Hital observa distraitement les silhouettes de ses hommes regagner le campement, les armures encore tièdes du combat. Leurs chants de victoire, lointains, lui semblaient plus réels que la voix qui parlait devant lui.
Hélène von Eisenberg, dame d’Autriche, s’exprimait avec la précision d’un forgeron qui martèle chaque mot jusqu’à la perfection. Son discours n’était pas sans beauté, mais Kap Hital n’y entendait qu’un murmure monotone, un fleuve de phrases qui s’étirait sans fin.
Comment les Autrichiens peuvent-ils encore prendre une décision avant l’hiver, si chacun parle aussi longtemps ? pensa-t-il, les yeux toujours rivés sur le mouvement des bannières au loin. Doivent-ils voter sur la ponctuation ? Ou nommer un comité pour débattre du mot à employer ?
Il retint un sourire. Dans son esprit, une image grotesque se formait : une salle d’école autrichienne où des enfants se livraient à un tournoi oratoire. L’un d’eux, frêle mais endurant, tenait bon tandis que ses camarades tombaient les uns après les autres, vaincus non par l’épée, mais par l’ennui. Le dernier debout devient ministre. imagina-t-il. Et s’il parvient à endormir le roi, on le couronne tout de suite.
Un léger ricanement lui échappa, imperceptible, mais suffisant pour que la dame marque une pause. Elle le fixait à présent, les sourcils légèrement froncés, attendant quelque chose. Kap Hital cligna des yeux, ses pensées revenant à la réalité.

« Avons nous un accord ? » demanda-t-elle, polie mais acérée, comme une lame bien affûtée.

Le roi sentit un vide sous ses mots. Rien ne lui revenait du discours qu’il n’avait pas écouté. Son esprit, ce traître fidèle, lui souffla alors une échappatoire : Cylariel. Le représentant de Cylariel, ça sonne bien. Diplomatique, même.

« Je… » balbutia-t-il, avant de redresser la tête et d’enrober sa voix d’autorité.

« Je suggère que nous consultions le représentant de Cylariel. »

Un silence suivit, aussi suspendu qu’une flèche avant de tomber. Puis la dame hocha lentement la tête, satisfaite.
Kap Hital inspira profondément, soulagé.
« Oui, bien sûr, » ajouta-t-il avec une assurance retrouvée. « Demandons son avis à Cylariel. »
Derrière lui, les chants de ses soldats s’élevaient à nouveau, plus forts, comme un écho moqueur à son propre répit.


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#18 2025-11-04 23:54:34

Denryl Altéria
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Denryl observe un moment les deux protagonistes en silence, peu enclin à participer à ce genre de conversation mais conscient de la nécessité d’intervenir. Après un instant, il se lance.

Pourquoi essayer de tourner autour de ce qui est déjà écrit ? Aucun n’a démérité dans cette bataille, affirmer le contraire serait manquer de respect à tous ceux tombés sur le champ de bataille.

Le Prince marque un temps d’arrêt, tapotant le pommeau de son épée.

La paix est tel un muscle qui se déchire par la guerre. Nous en sortirons renforcés, si toutefois nous lui laissons le temps de la guérison. Les menaces ne font que desservir ce dessein. J’ai affirmé une reddition équitable à l’Autriche, et je tiendrai parole : elle n’a à subir ni humiliation, ni disgrâce aucune, tout comme chacun des seigneurs impliqués dans cette guerre. Cela vaut aussi pour le Seigneur de Vaux, qui a combattu tant bien que mal et en sous-effectifs aux côtés d’un seigneur peu rompu à la guerre, tout comme nous aurions perdu si nous n’avions su nous coordonner ou prendre les décisions qui s’imposaient sur le champ de bataille.

Le temps de peser le poids de ses mots, il continue :

Alors ne demandons rien de ce que nous ne ferions nous-mêmes : renouvelons nos vœux de servir Okord et de veiller à l’intégrité du royaume. Ployons ensemble le genou devant le prochain roi, non pas en tant que vainqueur ou vaincu, mais en tant que guerriers unis dans un même idéal : la grandeur d’Okord. L’histoire, elle, retiendra simplement que des seigneurs okordiens de tout rang ont combattu pour l’accomplissement de leurs idéaux et de leurs objectifs, qu’ils soient communs, royaux ou personnels.

Le silence s’ensuit, laissant à ces paroles le temps de prendre racine dans les esprits, et au seigneur de Cylariel de faire un dernier choix.

Vous me demandez mon avis, le voici : pour Cylariel c’est un choix évident et bien entendu intéressé. La Nortmannie a tout mon assentiment, c’est un peuple de guerriers honorables qui sait diriger et lever l’épée quand il le juge nécessaire. Si le seigneur Mérovée n’avait pas gagné mon respect, mon héritier ne le servirait pas comme page, et son peuple n’aurait pas été accueilli en Massoala.  Il a prouvé qu’il savait régner, qu’il récupère donc la couronne s’il l’accepte. Qu’il soit conseillé par Aguilar de Vivesource, qui ne semble pas convoiter plus que moi cette place de pouvoir, et qui sait souvent tempérer les esprits. Malgré ses mots, il fut le premier à désapprouver que l’Autriche soit la cible de lames plutôt que de diplomatie.

Denryl s’assoit alors pour rédiger quelques lignes sur une feuille de parchemin, sur laquelle il appose son sceau. Enfin, il tend le document à son aide de camp, et se lève.

Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, il est des combats qui ne sont pas terminés.


Maison Altéria, Dames et Seigneurs de Cylariel et de Massoala

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#19 2025-11-05 02:11:16

Kap Hital
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Re : Guerre sur les terres de l'Aigle

Kap Hital écouta le prince de Cylariel, plus concentré mais toujours attentif aux mouvements des troupes qui retournaient au camp.

« Qu’il en soit ainsi et que la paix règne sur le royaume d’Okord.

Je vais faire parvenir un pigeon à toutes les maisons de notre décision de ployer le genou devant la nouvelle autorité royale en la personne de Merovee de Vaux de Nortmannie.

J’incluerais au préalable à cette lettre les nominations au conseil royal de Tristan dit le conquérant et de Phi… le représentant d’Autriche. Le prochain souverain décidera de son propre conseil royal, sait on jamais.

Je prendrais la direction des terres de Nortmannie dès que le camp sera levé.
Et je préfère vous prévenir dès maintenant que mes troupes armées fileront jusqu’au Valdor. Ce domaine a maintenu sa sécession sous mon autorité, c’est à moi de les ramener sous les lois d’Okord. »


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