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#1 2015-10-16 09:07:02

Guyard Phauques

Rébellion contre l'impôt et le roi

- Assez !
    Un homme s'avance au milieu de la foule de seigneurs, et se taille un chemin jusque dans l'espace laissé libre, devant le roi. La trentaine, une mine sombre, les cheveux d'un noir inégal. Sur sa poitrine, son surcot arbore les armoiries au coq du seigneur Godefroy. Impétueux, le personnage pointe un index réprobateur sur le monarque.
    - Je ne participerais pas à cette mascarade, roi Godefroy.
    Ménageant l'effet de surprise de son intervention, l'homme se retourne face à la foule de seigneurs dont il vient de surgir. Il prend la parole d'une voix aiguë, mais que l'écho de la pièce contribue à amplifier suffisamment pour qu'il soit clairement entendu par tous.
    - Seigneurs d'Okord ! Vous ne m'avez au mieux qu'aperçu de loin, un jour où vous visitiez le roi et où je ne me trouvais pas en mission. Mon rôle veut que vous ne me connaissiez pas, mais que je connaisse chacun de vous. Mon nom est Guyard Phauques, et je suis l'un des baillis royaux d'Okord.
    Guyard s'accorda une pause, et frappa du poing son plastron jaune avant de reprendre.
    - Je conçois que ma fonction puisse vous paraître étrange, mais moi et mes compagnons avons servis les rois successifs d'Okord depuis la fondation même du royaume. Nous sommes de ces nobles sans gloire et sans postérité, de ces petites mains qui s'affairent chaque jour pour s'assurer que les caisses royales restent pleines, que les convois atteignent leurs destinations, que les institutions du Grand Conseil puissent ne pas se préoccuper du moindre financement. Je sers Godefroy comme j'ai servi Zedicus et Wanderer avant lui. Mon poste est ma fierté.

    - Mais aujourd'hui... il n'y a plus de fierté à tirer dans la fonction que j'occupe ! Roi Godefroy ! Je vous ai vu jouer avec les finances royales, et jouer avec ce royaume tout entier trop longtemps ! Sous vos ordres, cela fait trop longtemps que je me dois d'enrichir un seigneur qui se réveille chaque matin plus riche et plus avide d'or à la fois !
    La foule commençait à s'agiter. Guyard jeta un coup d'œil à Foulques. L'intendant allait finir par se rendre compte de ce qui se passait, et probablement appeler les gardes.
    Certes, il avait prévu sa fuite. Les autres baillis royaux présents dans la pièce lui ménageraient un passage au besoin. Cependant, il ne devait plus tarder, sous peine de se voir jeté en prison par la garde du roi.

    - Aujourd'hui, vous allez saigner à blanc vos sujets pour vous faire construire des splendeurs supplémentaires ? Comme si vous n'étiez pas déjà couvert de celles-ci ? Ouvriez-vous vos caches de richesses que vous l'auriez déjà payée, cette capitale ! Vous avez fait votre dernière erreur, Godefroy. Vous ne valez plus mieux qu'Yselda. Elle, avait au moins la franchise de se payer sur le peuple des autres, et pas sur le sien.

    Guyard se tourna à nouveau vers les seigneurs assemblés. Sa dernière phrase avait jeté un silence de mort dans la salle. Personne n'évoquait Yselda si aisément. Et personne ne comparait quelqu'un à Yselda impunément non plus.
    - Ne vous faîtes aucune illusion, nobles d'Okord. Pour chaque pièce qui ira payer sa capitale, une autre ira s'enterrer profondément dans les caves du roi Godefroy le Fainéant, ou payer ses hommes et imposer sa tyrannie.
    C'était le moment. Guyard écarta les mains et tâcha d'adopter sa voix la plus tonnante. La partie la plus importante de son discours avait lieu maintenant. Foulques avait commencé à se rapprocher d'un sergent de garde accolé à une des murailles : le temps pressait.
    - Seigneurs d'Okord ! Il se peut que vous ayez peur. Le roi Godefroy est puissant et ses armées le sont aussi. Mais aujourd'hui, vous devez refuser de lui obéir ! Aujourd'hui, vous devez vous lever et vous dresser face à sa tyrannie ! Vous devez oublier vos querelles et vos différences, pour affronter ensemble son asservissement !
    Refusez son impôt ! Rebellez-vous ! Seul, aucun d'entre nous ne peut espérer vaincre le roi. Mais si suffisamment d'entre vous se lèvent et se révoltent, la victoire est à portée de main !

    La salle eut encore une précieuse seconde de silence. Un homme, quelque part, aboya un ordre que Guyard n'entendit pas. Le bailli fit un pas, puis un autre, et partit en grandes enjambées droit vers la porte.
    Personne ne l'arrêta. Ou du moins, personne ne put s'approcher assez près de lui pour le faire.
    Avant même que la garde du roi ne soit dans la salle, Guyard était déjà loin.

#2 2015-10-20 21:44:50

Guyard Phauques

Re : Rébellion contre l'impôt et le roi

Il faisait froid. Ce n'était pas le froid d'un vent d'automne ou d'une soirée d'hiver. La pièce était bien chauffée, et Guyard en était convaincu. Le froid qu'il ressentait était comme celui des fièvres : insidieux, et rien de plus qu'une illusion. La vérité, c'était qu'il avait peur, voilà tout. Peur au point d'en être gelé sur place.
Le bailli remplaça les chandelles qui s'entassaient sur son bureau, au milieu de piles de missives empilées et triées, aussi méthodiques que celles qu'il avait l'habitude de remplir pour les relevés des comptes royaux. Vieilles habitudes.
Certains hommes croyaient à la force des armes. Certains croyaient à la force de l'or. Guyard Phauques était de ceux qui croyaient avant tout à la force des mots. "Celui qui a une arme peut s'emparer de l'or par la force. Celui qui a de l'or peut louer des soldats. Mais celui qui maîtrise l'art de convaincre autrui peut s'allouer tout le reste."
Et si ses comptes étaient bons, il avait réussi à convaincre un peu plus d'un tiers du royaume. Combien d'or et combien d'épées un tiers du royaume d'Okord représentait t-il ?

Dans tous ces seigneurs ralliés, certains étaient des hommes précautionneux et calculateurs, d'autres des batailleurs intrépides. Certains des modèles de vertu chevaleresque, d'autres des félons à la réputation trouble. Certains avaient étés difficiles à convaincre, d'autres moins. Peu importait, tant qu'ils étaient prêts à se battre pour sauver le royaume d'Okord des griffes de Godefroy le Fainéant... le temps des bons sentiments était dépassé.
- Arcadio, Arcadio... discret, toujours vous l'avez été.
La lettre avec le sceau vert de la Tour trônait fièrement sur le bureau, au sommet de la pile de gauche. Les lettres à l'encre tracées sur le devant avaient traversé la pluie et n'étaient plus qu'à peine lisibles, mais le message à l'intérieur restait clair et porteur de tant... tant d'espoir.
- Toujours été de ceux qui ne se vantent pas, qui ne paradent pas. De ceux qui travaillent en silence.
Avec la Tour, les forces rebelles étaient suffisantes pour vaincre les armées royales. Enfin, les seigneurs d'Okord avaient devant eux un moyen de récupérer leurs justes possessions des griffes du tyran. Un avenir était possible.

Il n'avait jamais vu en personne les coffres du roi Godefroy qu'une seule et unique fois. Et il ne se souvenait qu'à peine de ce qui pouvait s'y trouver tant l'amas de richesses y était important... pierreries et métaux s'y entassaient presque à perte de vue. L'objet qui avait cependant le plus retenu son attention était une étrange couronne de métal blanc et brillant, recouvert de légers fils rouges. Un paysan aurait compris à quel point la chose était précieuse.
Il n'avait compris que bien plus tard de quoi il s'agissait. Un trésor de guerre, récupéré sur le corps d'un roi étranger... d'un conquérant, venu de par-delà le Grand Canal. A combien de millions Österlich se proposerait-elle de racheter un tel bijou ?

Guyard se leva et jeta un coup d’œil dans le bureau. Le sire Enigral l'avait installé, modestement mais correctement, dans un pavillon de chasse isolé, au beau milieu d'une vaste forêt du nord. Des tentures masquaient grossièrement les couleurs bleues qu'arboraient autrefois les murs. Autrefois, cet endroit avait été une place riche et prospère.
Et après... ce serait sans doute Zephyx, à l'ouest. Puis, le sud. Rester en mouvement constamment était le seul moyen de garantir une ombre de sécurité.

- Et vous, Intendant Foulques ? A quel point avez vous peur, ce soir ?
Une fenêtre étroite donnait sur les épais bois qui s'étendaient au-delà. Un rayon d'aube, au loin, annonçait une nouvelle journée sur un pays déchiré. Plus pour longtemps, cependant. Les armées se massaient dans les plaines, les rumeurs de guerre rameutant jusque dans les terres les seigneurs les plus isolés. Peu de temps restait pour les messages et les messagers. Le temps de l'or s'écoulait aussi... bientôt, seules les armes auraient un poids.
Bientôt, la partie serait jouée. Les vainqueurs régneraient sur un royaume meurtri mais apaisé, quand les vaincus ploieraient le genou... pour les plus chanceux. Guyard Phauques se doutait qu'en cas de défaite, seule la fuite pouvait lui épargner la corde. Et encore. A la condition de ne pas être trahi trop vite.

- L'histoire est sur le point de s'écrire, Godefroy. Et elle ne peut être écrite que par les gagnants.

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