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Par tous les saints de Podeszwa ! Cours, Mateusz, cours !
Le rire cristallin du jeune noble résonnait entre les façades de pierre patinées de Poznań, tandis que ses bottes claquaient sur les pavés encore luisants de rosée matinale. Derrière lui, haletant comme un soufflet de forge, son compagnon Mateusz peinait à suivre, le visage écarlate et les yeux exorbités de terreur.
Tu... tu avais dit... juste regarder ! suffoqua ce dernier en manquant trébucher sur un panier de navets renversé dans leur fuite.
J'ai regardé ! J'ai même très bien regardé ! répliqua le jeune homme avec un sourire éclatant, ses cheveux châtains volant au vent, son pourpoint de velours bleu déjà maculé de boue. Ces courbes valaient bien le détour, tu ne trouves pas ?
Les hurlements des gardes se rapprochaient dangereusement. Trois hommes en livrée aux couleurs de Krakow jaillissaient de la ruelle adjacente, leurs hallebardes étincelant sous le soleil levant.
HALTE AU NOM DE LA SIOSTRY !
Le jeune noble obliqua brusquement à gauche, entraînant Mateusz dans une venelle si étroite que les avant-toits des maisons se touchaient presque au-dessus de leurs têtes. Des draps fraîchement lavés pendaient en travers, formant un dédale de toile humide qu'ils traversèrent en s'empêtrant, ressortant de l'autre côté couverts de linges comme deux fantômes particulièrement désordonnés.
La fenêtre du bain ! LA FENÊTRE DU BAIN ! gémit Mateusz, dont le visage virait maintenant au vert pâle. Tu m'avais promis qu'on allait juste... juste...
Admirer l'architecture ! compléta son compagnon en bondissant par-dessus un tonneau de harengs, provoquant une avalanche de poissons argentés qui se répandirent sous les pieds de leurs poursuivants. Et c'est ce que nous avons fait ! Les baignoires publiques de Poznań présentent des courbes architecturales absolument... divines !
Un garde glissa sur un hareng, s'étalant de tout son long dans une gerbe d'écailles et de jurons créatifs qui auraient fait rougir un mercenaire.
Le jeune noble riait aux éclats maintenant, sa cape flottant derrière lui comme une bannière de bataille. Ils débouchèrent sur la place du Marché, où les premiers marchands installaient leurs étals. Un vendeur de volailles poussa un cri d'effroi en les voyant foncer droit sur ses cages.
Pardon ! Excusez-nous ! Service de la Siostry ! lança joyeusement le fuyard en enjambant un poulailler.
Les volatiles explosèrent dans un tourbillon de plumes et de caquètements hystériques. Des poules dans tous les sens, un coq furieux qui s'attaqua au mollet d'un garde, et Mateusz qui dérapait dans la fiente fraîche en poussant un glapissement digne d'une jeune fille surprise au bain.
Justement. Le bain.
Cette fille... elle a hurlé... son père... il est forgeron ! sanglota Mateusz en se rattrapant de justesse à une charrette de foin. Il va nous découper en morceaux ! En petits morceaux !
Sottises ! rétorqua son compagnon en virevoltant pour éviter une lessiveuse lancée par une matrone furieuse. D'abord, nous courons beaucoup trop vite pour être découpés. Ensuite, tu exagères, elle n'a même pas hurlé si fort que ça. Un petit cri de surprise, tout au plus !
TOUT AU PLUS ?! Elle a réveillé la moitié du quartier !
Ils s'engouffrèrent sous une arcade ornée, traversèrent une cour intérieure où des artisans levèrent des regards médusés, et ressortirent par une porte de service qui donnait – ô miracle – directement sur les quais animés du port.
Les entrepôts s'alignaient comme une rangée de géants de pierre. Des poutres, des cordes, des planches empilées, et surtout – le jeune noble eut un sourire carnassier – une montagne de tonneaux vides prêts à être chargés.
Suis-moi !
Non... non non non...
Trop tard. Le noble s'élança, saisit une corde qui pendait d'une grue, et se balança comme un acrobate au-dessus du vide, atterrissant avec une roulade parfaite derrière les tonneaux. Mateusz, beaucoup moins gracieux, trébucha, s'accrocha désespérément à la même corde et se retrouva coincé à mi-chemin, tournoyant pathétiquement comme un jambon fumé suspendu dans une cheminée.
Aide-moi ! couina-t-il.
Son compagnon, déjà dissimulé, lui fit de grands signes pour qu'il lâche prise. Mateusz ferma les yeux, murmura une prière à tous les saints qu'il connaissait, et lâcha.
Il s'écrasa dans un bruit mat contre une pile de sacs de laine, provoquant une mini-avalanche textile qui les ensevelit tous les deux juste au moment où les gardes débarquaient sur les quais.
Sous leur abri de fortune qui sentait le mouton et la lessive, ils retinrent leur souffle. Les bottes cloutées résonnaient sur les planches au-dessus de leurs têtes.
Ils sont forcément passés par ici !
Vérifiez les bateaux !
Les pas s'éloignèrent vers les embarcations amarrées. Le jeune noble, le visage enfoui dans la laine qui le faisait ressembler à un mouton particulièrement noble, pouffa de rire.
Tu vois ? Je t'avais dit que tout irait bien !
Mateusz émergea des sacs, couvert de bourre de laine, tremblant de tous ses membres. Son regard, jadis celui d'un compagnon loyal, s'était transformé en quelque chose entre l'incrédulité et la rage pure.
Tout... irait... BIEN ?!
Parfaitement ! Le noble extirpa une plume de poule de ses cheveux avec un air satisfait. Nous sommes vivants, libres, et nous avons vécu une aventure mémorable ! Que demander de mieux à un matin de...
TU ES FOU !
Mateusz se leva, époussetant frénétiquement ses vêtements ruinés.
Complètement, totalement, irrécupérablement FOU ! On aurait pu finir aux fers ! Ou pire, devant ta cousine la Siostry !
Ma cousine éloignée, corrigea le jeune homme avec un geste désinvolte. Très, très éloignée. Pratiquement dans un autre arbre généalogique.
Ça ne change rien ! Mateusz recula, les mains en avant comme pour se protéger d'une maladie contagieuse. Tu sais quoi ? J'en ai assez. Assez ! La semaine dernière, c'était le pari avec le taureau. Avant ça, le duel à la taverne parce que tu avais complimenté la femme du capitaine. Et maintenant... maintenant ÇA !
Oh, allons...
NON ! Mateusz pointait un doigt accusateur vers lui, tout en continuant à reculer. Je rentre. Je rentre chez moi. Je vais devenir scribe. Ou moine. Ou les deux. Mais je ne veux plus JAMAIS, tu m'entends, JAMAIS avoir quoi que ce soit à faire avec toi et tes... tes...
Aventures épiques ? suggéra le noble avec un sourire désarmant.
CATASTROPHES !
Et sur cette déclaration théâtrale, Mateusz tourna les talons et s'enfuit – dans la direction opposée aux gardes, heureusement – laissant derrière lui une traînée de laine et de dignité froissée.
Le jeune noble resta seul, assis au milieu de sa cachette textile, un sourire béat aux lèvres. Il épousseta tranquillement son pourpoint, arrangea ses cheveux, et constata avec satisfaction que malgré la boue, les plumes et la laine, il avait encore fière allure.
Scribe ou moine, murmura-t-il pour lui-même en se relevant avec élégance. Il sera de retour d'ici ce soir. Ils reviennent toujours.
Au loin, une cloche sonna l'heure. Le jeune homme regarda en direction de la citadelle de Poznań, où sa cousine – très, très éloignée – dirigeait quelque fois, quand elle n'était pas à Krakow, son peuple d'une main de fer drapée de piété.
Bon, soupira-t-il avec philosophie. Il va falloir que je trouve un plan pour éviter qu'elle n'apprenne cette petite... mésaventure.
Il s'extirpa de sa cachette, vérifia que les gardes étaient bien partis, et s'éloigna en sifflotant une mélodie joyeuse, les mains dans les poches, comme si de rien n'était.
Derrière lui, sur les quais, un garde revenait sur ses pas et découvrait les sacs de laine déplacés.
Lieutenant ! Ici ! Des traces fraîches !
Mais le jeune noble était déjà loin, disparu dans le dédale des ruelles de Poznań, déjà en train de planifier sa prochaine aventure.
Dernière modification par HernfeltMayer (2025-11-25 12:50:18)
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
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... une semaine plus tôt...
La place du marché aux bestiaux s'éveillait à peine lorsque Lancelin bondit par-dessus la barrière avec la grâce d'un félin et l'insouciance d'un ivrogne. Dans sa main droite, un ruban de soie écarlate ondulait comme une bannière miniature.
Tu es complètement FOU Lancelin ! siffla Mateusz depuis l'autre côté de l'enclos. C'est Czarny ! Le taureau qui a éventré trois hommes l'année dernière !
Justement ! répliqua Lancelin avec un sourire éclatant. C'est ce qui rend le pari intéressant ! Tu as vu la tête de Władysław quand j'ai accepté ?
Władysław, un noble arrogant de vingt ans, se tenait à distance respectable avec sa bande de parasites. Ils avaient parié cinquante okors que Lancelin n'oserait jamais attacher le ruban – celui de la belle Katarzyna – aux cornes de Czarny avant que le soleil n'atteigne le sommet du clocher.
Dans le coin opposé, Czarny contemplait l'intrusion avec le détachement d'un empereur dérangé. Une montagne de muscles noirs, des cornes longues comme des épées, des yeux brillant d'intelligence maléfique. De la vapeur s'échappait de ses naseaux dans l'air frais.
Gentil taureau, susurra Lancelin en avançant. On va juste ajouter une petite touche de couleur, d'accord ?
KAZ ! Il gratte le sol ! La voix de Mateusz monta d'une octave.
Czarny donna un coup de sabot. Puis un autre. Ses muscles se tendirent.
Il fait juste sa gymnastique matinale, commenta Lancelin. C'est excellent pour...
Czarny chargea.
Quinze cents livres de colère bovine traversèrent l'enclos comme une avalanche. La terre tremblait sous les sabots.
Au dernier moment, Lancelin pivota avec une élégance de danseur. Czarny passa à quelques pouces seulement.
Olé ! cria joyeusement le jeune noble.
Le taureau fit demi-tour et chargea de nouveau. Cette fois, Lancelin glissa dans la boue et s'étala de tout son long. Le ruban vola de sa main et atterrit sur la tête de Czarny, pendant entre ses cornes comme une décoration ratée.
Techniquement, le ruban EST sur sa tête ! Je réclame la victoire !
IL FAUT QUE CE SOIT ATTACHÉ SUR SES CORNES ! hurla Władysław.
Czarny secoua violemment la tête, essayant de se débarrasser de l'ornement, tout en piétinant chaque endroit où Lancelin venait de se trouver. Le jeune noble roula, bondit, glissa, exécutant une chorégraphie de survie désespérée. Boue, foin et pire maculaient son pourpoint.
LE BARIL ! cria Mateusz.
Lancelin plongea tête première dans un tonneau juste avant l'impact. Les cornes percutèrent le bois avec un CRAC retentissant. Le tonneau explosa. Lancelin émergea des débris, une planche coincée sous le bras comme un bouclier.
C'est alors qu'il aperçut la longue perche, utilisée pour ouvrir les volets de la grange attenante, posée contre le mur.
Oh non, gémit Mateusz. N'y pense même pas...
Trop tard. Lancelin attrapa la perche et se propulsa dans les airs en s'appuyant dessus, il retomba à cheval sur Czarny. Il attrapa en un instant le ruban, l'enroula autour d'une des cornes de la bête et à la première ruade de Czarny, il atterrit dans l'auge à eau.
L'eau explosa. Lancelin ressortit trempé, montrant triomphalement le ruban.
VICTOIRE !
IL FALLAIT L'ATTACHER ! protesta Władysław.
Aux cornes, tu as dit ! contra Lancelin en essorant ses cheveux. Tu n'as jamais spécifié COMMENT ! J'ai placé le ruban sur les cornes. Mission accomplie !
La foule était partagée entre hilarité et admiration incrédule. Katarzyna cachait son visage, ses épaules tremblant de rire.
Władysław, coincé, tendit une bourse qui tinta agréablement.
Plaisir de faire affaire, dit Lancelin en s'inclinant, ressemblant à un rat noyé. Tu vois ? Je t'avais dit que j'avais un plan !
TON PLAN ÉTAIT DE PRESQUE TE FAIRE TUER QUINZE FOIS ?!
Dix, maximum. Lancelin essora son pourpoint ruiné. Et regarde ! Cinquante okors ! De quoi s'offrir une bonne fin de journée !
Je veux juste que tu arrêtes de PRESQUE MOURIR !
Lancelin passa un bras boueux autour des épaules de son ami.
Où serait le plaisir ? Allez, on va dépenser cet or durement gagné. Je connais une taverne...
Derrière eux, Czarny retourna tranquillement à son foin, sa réputation de tueur quelque peu entachée par un gamin de seize ans.
Et Władysław passait déjà le reste de la journée à élaborer des paris encore plus impossibles, convaincu que cette fois, le petit morveux ne s'en sortirait pas.
Il se trompait déjà.
Dernière modification par HernfeltMayer (2025-11-26 13:24:40)
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
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