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#1 Hier 22:50:37

Rainer Le Dévoyé
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La république en péril

Entrevue secrète à Baswen

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Le vent soufflait du sud, chaud et poussiéreux, chargé des relents de charbon et de grain avarié. Rainer n’aimait pas ce vent. Il collait aux vêtements, alourdissait la respiration, et semblait ramener avec lui l’odeur des villes qui pourrissaient lentement. Depuis trois jours, il chevauchait en silence, longeant les vallées décharnées de l’ancien domaine royal, désormais “République” — un mot qui, dans sa bouche, sonnait comme une insulte élégante.

La veille, il avait fait halte dans une auberge sans nom, à deux lieues des premières tours de Baswen. L’endroit empestait la sueur et le vin noir, mais on y parlait fort - et c’est tout ce qu’il cherchait. Assis dans l’ombre, casque posé sur la table, il écouta les bavardages des marchands et des paysans : on y parlait de l’exode des Nortmannais, qui avaient traversé les plaines pour s’installer “là-bas, tout à l’est” ; et, bien sûr, du Polémarque qui aurait juré de libérer son peuple du joug des rois.

Les hommes riaient, les femmes haussaient les épaules. Rainer, lui, ne riait pas : il en avait vu connu, lui, des naissances sanglantes de républiques.

Deux prostituées étaient venues s’asseoir près de lui - l’une bavarde, l’autre muette, plus jeune, la peau tachée de cendre. Il avait payé les deux, sans conviction. La première pour qu’elle se taise, la seconde pour qu’elle l’oublie au matin. La nuit s’était achevée dans un silence lourd, seulement troublé par les cris d’un ivrogne que les gardes traînaient dehors.

Dès l'aube, il avait sellé son cheval, avalé un pain rassis et traversé les faubourgs encore endormis. À mesure qu’il approchait de la cité, les bannières de la "République" lui apparurent au-dessus des remparts : des draps teints à la hâte, rapiécés, qu’un vent paresseux agitait comme des linges de malades.

Les sentinelles, jeunes, nerveuses, le fixaient avec la même méfiance qu’un chien de ferme face à un loup. Devant la porte, il déclina son nom d’une voix lasse :

« Rainer. Envoyé de Vienne. »

L'officier de garde, un garçon mal rasé au regard craintif, l'introduisit sans discuter. Il traversa les rues pavées, encombrées de soldats en demi-uniforme et de marchands qui baissaient les yeux à son passage. Philippe l'avait envoyé non pour négocier mais pour jauger, pour sentir si cette République tiendrait plus longtemps qu'un feu de paille.

Devant le palais du Polémarque, il mit pied à terre. Une garde en armes lui barra le chemin. Il ne dit rien, se contenta d'un rictus. La garde s'écarta. Sous le manteau de voyage, il portait la cuirasse sombre frappée de l'aigle gris autrichien. Un symbole qu'il ne prenait pas la peine de cacher.

« Dites à votre Polémarque que l'Autriche s'enquiert de la santé de sa nouvelle voisine. Et que Rainer souhaite lui parler. Seul. »

Il s'essuya les bottes sur le tapis d'entrée, jeta un regard circulaire sur les murs nus, les gardes trop jeunes, les visages tendus. Un sourire mince se dessina sur ses lèvres. Ce genre d'endroit sentait toujours la peur. Et le pain chaud. Les deux finissaient toujours par manquer.

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Assis dans ses bureaux, le Polémarque fut averti par une servante qu'il était demandé par un certain Rainer Le Dévoyé.

Après quelques minutes de préparation, le Polémarque fit introduire le visiteur dans ses appartements.

Rainer remarqua la jeunesse du polémarque et sa silhouette élancée. Il était vêtu d'une tenue brodée du blason de la République de Baswen.

D'un air évasif, Rainer admira silencieusement les appartements du jeune Polémarque. De belles œuvres y étaient exposées. L'acte de proclamation d'indépendance y était encadré.

Il fut surpris par la simplicité et la splendeur des locaux. Le polémarque lui fit signe de s'asseoir et demanda à la servante de leur apporter du thé. La discussion pouvait ainsi commencer.

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« Imprudent, c'est le mot. Votre proclamation a pris Vienne de court. Philippe ne s'y attendait pas. »

Le seigneur mercenaire s'essuya les lèvres du revers de la main.

« Vous avez proclamé votre république comme l'on annonce à un cocu que l'on vient d'engrosser sa femme. »

« Veuillez adresser mes sincères excuses à l'archiduc. La santé de sieur Nogan s'est détériorée ces derniers jours. Nous avons été pressés de peur que sa mort n'engendre que discorde. »

« Ne vous méprenez pas : je ne vais pas vous faire la leçon sur l'autonomie. Ce n'est pas mon genre de réprimander ceux qui cherchent la liberté ! Mais si je suis là, c'est parce que Philippe m'a chargé de vous secouer les puces : on ne proclame pas une sécession avant d'avoir épuisé toutes les autres options. Vous avez sauté dans l'inconnu tête la première. Vous n'avez pas essayé de négocier avec Okord, vous n'avez pas cherché d'alliés, et vos grands plans tiennent sur une feuille blanche.

Vous vous êtes lancé dans l'exploration de la toundra en plein hiver — pieds nus et ventre vide. C'est ça, votre stratégie ? »

Le Polémarque prit un air soucieux, quoique déterminé :

« Je ne vous cacherais rien, elle se présente mal. Messire Nogan comptait sur Déomul pour faciliter les choses. Mais cela ne s'est pas déroulé comme sur des roulettes. Les seigneurs okordiens menacent d'attaquer. L'idée ne m'en déplaît pas, mais je pense d'abord à mon peuple. Toutefois, si je devais fléchir au premier problème, la République pour laquelle Nogan a risqué ces prérogatives, ces terres, n'aurait pas lieu d'exister. Voilà pourquoi je ne chancèlerai point. »

« Allons, allons. Qui n'a jamais fait de connerie ? Moi, je nettoie les merdiers — et je le fais bien. C'est pour ça que Philippe m'envoie. On va vous sortir de ce guêpier avant que les seigneurs d'Okord ne viennent vous saigner comme un cochon. »

« Que me proposez-vous ? »

Le seigneur condottiere marqua une pause. Non par souci d'éloquence ; il s'assurait simplement mentalement, par prudence, qu'il restituait correctement les conditions qu'avaient fixées Philippe.

« La solution est simple, Polémarque. Vous placez votre république sous protection autrichienne. Proclamez que vous êtes désormais sous Protectorat de l'Archiduché d'Autriche. L'Autriche vous couvre militairement, négocie avec Okord en votre nom, et vous obtenez une autonomie renforcée sans y laisser votre peau. Tout le monde y gagne — surtout vous, qui ne finirez pas pendu. Et en prime, vous aidez à approvisionner les légions en grain. Dans la mesure de vos moyens, bien sûr. Baswen est loin de Vienne — c'est pratique pour vous, moins pour nos intendants. »

« Je ne veux point soumettre ma république à Okord, ni directement, ni indirectement. J'accepte de vous approvisionner en blé à hauteur d'1 million. »

Rainer se pencha vers l'avant, en prenant l'air de celui qui s'apprête à partager une confidence. Cette fois il le sentait, il y était, il le tenait.

« Soumission ? Personne ne parle de soumission. Ce que je vous propose, c'est une porte de sortie pour rattraper votre gaffe. Vous ne connaissez pas encore Philippe, mais laissez-moi vous éclairer : l'Autriche change. Philippe veut plus d'autonomie pour l'Archiduché — tout en restant dans le Royaume. Du fédéralisme, si vous préférez les jolis mots. Votre république suit le mouvement, elle se place sous protection autrichienne, et vous survivez. Simple. Je vous tends une perche pour éviter la corde. Philippe ne veut pas de vassaux à genoux — il veut une Autriche forte et autonome au sein d'Okord. »

« Je suis pour un accord entre nous, toutefois je refuse de me soumettre aux lois okordiennes. »

La réplique fit décoller de surprise la mâchoire de Rainer, qui avait cru avoir raisonné le Républicain. "Je cause dans le vide — encore une république qui croit pouvoir écrire ses lois au clair de lune. La nuit va être longue."


Ferdinand
Seigneur d'Autriche

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