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De l'Enfance des Rues
Hank n'avait que sept hivers lorsque la fièvre noire emporta ses parents en l'espace de trois jours. Son père, charretier aux mains calleuses, et sa mère, couturière aux doigts agiles, furent ensevelis dans la fosse commune au-delà des murailles d'Hebron, avec tant d'autres que l'on avait cessé de compter les morts.
Les premières semaines, il vécut de la charité des voisins, dormant tantôt dans une grange, tantôt sous un auvent. Mais la compassion s'épuise comme l'huile d'une lampe, et bientôt l'enfant se retrouva seul face aux rues pavées qui lui semblaient soudain immenses et hostiles.
L'hiver qui suivit fut celui de l'apprentissage. Apprendre à fouiller les détritus derrière les auberges avant que les cochons ne soient lâchés. Apprendre à distinguer les champignons comestibles des vénéneux dans les recoins humides des murailles. Apprendre à fuir les coups de bâton des marchands quand ses doigts squelettiques tentaient de dérober un quignon de pain.
Il découvrit que la faim transformait l'homme. Les premiers jours, elle était une douleur aiguë qui lui tordait le ventre. Puis elle devenait une compagne permanente, un murmure constant qui ne le quittait jamais. Enfin, elle se muait en une sorte d'engourdissement, une brume qui voilait ses pensées et ralentissait ses gestes.
Hank apprit également à reconnaître les regards. Ceux qui glissaient sur lui comme s'il était invisible. Ceux qui se détournaient, gênés. Et plus rarement, ceux qui s'attardaient avec une pitié fugace avant de poursuivre leur chemin.
Les autres enfants des rues formaient une fratrie amère. Ils se regroupaient parfois pour la chaleur, partageaient leurs maigres trouvailles, mais la solidarité avait ses limites. Quand la nourriture manquait, chacun redevenait un loup solitaire. Hank vit des gamins se battre pour des pelures de pomme, des adolescents voler les plus jeunes de leurs dernières possessions.
De l'Éveil de la Conscience
Au fil des saisons, l'enfant développa une compréhension particulière de la ville et de ses habitants. Il observait les nobles dans leurs litières, vêtus de soies chatoyantes, et comparait leur embonpoint avec la maigreur des mendiants qui tendaient la main à leurs portières. Il voyait les marchands refuser un pain rassis à un affamé, puis jeter des plateaux entiers de victuailles avariées aux porcs.
Un jour, alors qu'il avait peut-être dix ans - il avait cessé de compter précisément -, il assista à une scène qui marqua profondément sa jeune conscience. Un seigneur en voyage avait fait fouetter publiquement un serf accusé de braconnage. L'homme, un père de famille aux côtes saillantes, n'avait pris qu'un lapin pour nourrir ses enfants malades. Hank, caché derrière une charrette, vit couler le sang et entendit les supplications. Mais ce qui le frappa le plus, ce fut l'indifférence de la foule. Les bourgeois continuaient leurs affaires, les artisans poursuivaient leur ouvrage, comme si cette souffrance n'existait pas.
Cette nuit-là, blotti dans un recoin de l'église abandonnée où il avait trouvé refuge, Hank pleura pour la première fois depuis la mort de ses parents. Mais ce n'étaient plus des larmes d'enfant. C'était le chagrin d'un être humain qui commençait à comprendre le monde dans lequel il vivait.
De la Rencontre
C'est par une matinée brumeuse de printemps que Sœur Agatha le découvrit, effondré près du puits de la place des Tisserands. Hank n'avait plus mangé depuis quatre jours et la fièvre commençait à le prendre. La religieuse, une femme aux traits sévères mais aux yeux doux, s'agenouilla près de lui sans craindre de salir sa robe.
Mon enfant, murmura-t-elle en posant une main fraîche sur son front brûlant, combien de temps as-tu erré ainsi ?
Hank tenta de répondre, mais seul un râle sortit de sa gorge desséchée. Sœur Agatha le souleva avec une force surprenante pour sa stature menue et l'emmena vers le couvent des Siostrys.
Les premiers jours au couvent furent un mélange de méfiance et d'émerveillement. On le nourrit, on le lava, on soigna ses plaies. Mais Hank gardait ses maigres possessions serrées contre lui, prêt à fuir au moindre signe de menace. Il avait trop appris à se méfier de la bonté apparente.
Sœur Agatha ne le brusqua jamais. Elle lui apportait ses repas en silence, changeait ses vêtements déchirés, lui lisait parfois des passages du Pomocnik d'une voix apaisante. Lentement, l'enfant sauvage commença à baisser sa garde.
De l'Apprentissage d'une Nouvelle Vie
Lorsque la Siostry Vespasia vint le voir pour la première fois, Hank crut d'abord avoir affaire à une apparition divine. Cette femme à la beauté austère, au regard perçant mais bienveillant, dégageait une autorité naturelle qui n'avait rien de commun avec la brutalité des puissants qu'il avait connus.
Hank, dit-elle simplement en s'asseyant près de lui, aimerais-tu apprendre à lire ?
Cette question bouleversa l'enfant. Dans son monde de la rue, les lettres étaient un mystère réservé aux nobles et aux clercs. L'idée qu'il puisse, lui, déchiffrer ces signes cabalistiques lui semblait aussi impossible que de voler.
L'apprentissage fut laborieux. Ses doigts, habitués à fouiller et à dérober, peinaient à tenir une plume. Son esprit, formé à la survie immédiate, devait apprendre la patience de l'étude. Mais Frère Thomas, son précepteur, ne se découragea jamais. Jour après jour, il reprenait les mêmes leçons, traçait les mêmes lettres, répétait les mêmes syllabes.
Le jour où Hank parvint à lire sa première phrase complète - Podeszwa éclaire les cœurs purs - fut pour lui une révélation plus profonde que toutes les prédications. Il comprenait enfin que les mots pouvaient capturer les pensées, les préserver, les transmettre. Cette découverte ouvrait devant lui un monde infini.
De la Compréhension du Service
Au fil des mois, Hank découvrit le fonctionnement de la congrégation. Il observait les Siostrys distribuer la nourriture aux nécessiteux, soigner les malades, enseigner aux enfants des familles pauvres. Mais contrairement aux nobles qu'il avait vus jeter quelques pièces par condescendance, les religieuses s'agenouillaient auprès des plus humbles, lavaient leurs plaies, partageaient leurs repas.
Un jour, alors qu'il accompagnait Sœur Agatha dans ses tournées aux faubourgs, ils trouvèrent une famille entière ravagée par la dysenterie. Les parents étaient trop faibles pour s'occuper de leurs trois enfants en bas âge. Sans hésiter, Sœur Agatha retroussa ses manches et passa la journée à nettoyer, nourrir, soigner. Hank l'aida de son mieux, surmontant sa répugnance devant la maladie.
Pourquoi faites-vous cela ? demanda-t-il alors qu'ils rentraient au couvent, leurs vêtements souillés.
Parce que c'est en servant les plus petits que nous servons l'Unique, répondit-elle simplement. Et parce que j'ai été, moi aussi, cette enfant malade que personne ne voulait approcher.
Cette révélation marqua profondément Hank. Il comprit que beaucoup des Siostrys avaient connu l'épreuve avant de trouver leur vocation. Elles n'aidaient pas par obligation morale, mais par reconnaissance envers ceux qui les avaient sauvées.
De l'Élévation Progressive
Ses aptitudes à la lecture s'améliorant, Hank fut progressivement intégré aux services administratifs de la congrégation. Il apprit à tenir les comptes des distributions, à rédiger les inventaires des réserves, à copier les missives importantes. Cette confiance nouvelle le grandissait, mais elle lui fit aussi mesurer l'ampleur des responsabilités qui pesaient sur la Siostry Vespasia.
Il découvrait dans les correspondances les tensions qui agitaient Okord, les menaces qui pesaient sur leur communauté, les décisions difficiles que devait prendre leur dirigeante. La paix qu'il avait trouvée au couvent n'était pas un acquis, mais un équilibre fragile maintenu par la vigilance constante et la sagesse de la Siostry.
Un épisode particulier lui ouvrit les yeux sur la complexité du monde. Un groupe de villageois vint réclamer justice après qu'un noble local eût fait pendre l'un des leurs pour vol de gibier. Ils exigeaient que la Siostry use de son influence pour obtenir réparation. Hank s'attendait à la voir prendre immédiatement leur défense, mais Vespasia les écouta longuement, posa de nombreuses questions, consulta ses conseillers.
Finalement, elle obtint une compensation pour la famille du pendu et fit modifier les règles de chasse sur ses terres. Mais elle expliqua aussi aux villageois pourquoi elle ne pouvait défier ouvertement l'ordre établi sans risquer de détruire tout ce qu'elle avait construit pour eux.
La justice absolue peut parfois nuire à ceux qu'elle prétend protéger, lui confia-t-elle plus tard. Notre devoir est de faire le plus de bien possible dans les limites de ce qui est réalisable.
Du Départ d'Hebron
Lorsque la décision fut prise de quitter Hebron pour s'établir en Osterlich, Hank vécut cette transition avec un mélange d'appréhension et d'excitation. Cette terre qui l'avait vu grandir dans la misère puis trouver sa place dans la communauté allait être abandonnée. Mais il avait aussi compris que sa vraie famille n'était pas liée à un lieu, mais aux personnes qui l'entouraient.
Il participa activement aux préparatifs, inventoriant les biens à emporter, aidant au démontage des structures importantes. Voir la ville se vider progressivement lui rappelait sa propre errance passée, mais cette fois, il était entouré, protégé, utile.
Le voyage vers Krakow fut pour lui une révélation. Découvrir de nouveaux paysages, rencontrer d'autres populations, voir sa communauté s'adapter avec flexibilité aux circonstances changeantes renforça sa conviction d'appartenir à quelque chose de plus grand que lui.
Des Responsabilités Croissantes
À Krakow, Hank devint l'un des messagers de confiance de la Siostry. Sa connaissance des deux langues - l'okordien et les rudiments d'osterlichois qu'il apprenait rapidement - en faisait un intermédiaire précieux. Il parcourait les routes entre les différents établissements de la congrégation, portait les ordres, rapportait les nouvelles.
Ces missions lui permirent de mesurer l'impact concret de l'œuvre des Siostrys. Dans chaque village où elles s'établissaient, il voyait l'amélioration progressive des conditions de vie. Les écoles se multipliaient, les dispensaires soignaient efficacement, les greniers communautaires évitaient les famines locales.
Mais il constatait aussi les résistances. Certains nobles locaux voyaient d'un mauvais œil cette influence grandissante. Des marchands se plaignaient de la concurrence des ateliers de la congrégation. Quelques prêtres traditionnels critiquaient l'interprétation trop libérale que les Siostrys donnaient des textes sacrés.
De la Montée des Tensions
Les nouvelles qui arrivaient d'Okord devenaient de plus en plus préoccupantes. Les guerres de religion s'intensifiaient, les mouvements populaires se radicalisaient. Hank assistait aux conseils où la Siostry recevait ces informations, voyait son visage se crisper devant les récits de massacres et de destructions.
Un jour, elle lui confia une réflexion qui le marqua profondément : Hank, tu as connu la misère du peuple et tu comprends maintenant les contraintes du pouvoir. Dis-moi, crois-tu que donner soudainement l'autorité à ceux qui n'ont jamais appris à la manier puisse résoudre leurs souffrances ?
Cette question le força à réfléchir à sa propre expérience. Il se souvenait de la violence dont étaient capables les enfants des rues quand ils étaient désespérés. Il avait vu des affamés se battre entre eux plutôt que de s'unir contre leurs oppresseurs. L'ignorance et la peur pouvaient transformer les victimes en bourreaux.
Il faut d'abord éduquer, répondit-il après un long silence. Donner les moyens de comprendre avant de donner les moyens d'agir.
Vespasia acquiesça avec un sourire triste. C'est exactement ce que pensait mon ancêtre Ser Roddrick. Et c'est pourquoi notre œuvre prendra des générations à porter ses fruits.
De la Menace des Moissonneurs
Quand les premiers rapports sur les Moissonneurs arrivèrent, Hank comprit immédiatement le danger qu'ils représentaient. Ces révolutionnaires sincères dans leurs intentions mais aveugles dans leurs méthodes risquaient de détruire les fragiles avancées obtenues par la patience et la diplomatie.
Il vit la tristesse de la Siostry face à ces nouvelles. Elle qui partageait les aspirations de justice des Moissonneurs ne pouvait accepter leurs moyens violents. Elle qui œuvrait depuis des années à améliorer concrètement la vie du peuple voyait ses efforts menacés par ceux-là mêmes qu'elle cherchait à aider.
L'attaque de la Vigie de l'Anse-aux-Bateaux fut vécue comme un déchirement. Hank connaissait personnellement plusieurs des gardes tombés. C'étaient des hommes simples qui avaient choisi de servir la congrégation par conviction, pas par intérêt. Leur mort lui rappelait douloureusement que dans ce monde, les bonnes intentions ne suffisent pas toujours à éviter la tragédie.
De la Mission Périlleuse
Quand la Siostry lui demanda de porter sa missive au capitaine des Moissonneurs, Hank accepta sans hésiter malgré le danger évident. Il avait trop de reconnaissance envers celle qui l'avait sauvé pour refuser de la servir, même au péril de sa vie.
Cependant, avant son départ, un autre page de la congrégation, Marcus, lui proposa de lui lire la lettre. Pour que tu saches ce que tu portes, expliqua-t-il. Au cas où il t'arriverait quelque chose en route.
Marcus déroula soigneusement le parchemin et commença sa lecture d'une voix claire :
De la main de Vespasia, Siostry de la Sainte Congrégation de Podeszwa, Dame de Krakow, jadis Hebron, sur la côte méridionale du Grand Canal, Au Capitaine des Moissonneurs, présentement à la Vigie de l'Anse-aux-Bateaux.
In Podeszwa Veritas
Capitaine,
Que cette missive vous trouve en pleine possession de vos facultés, bien que votre main soit présentement armée contre ce qui est sacré.
J'ai appris avec une affliction profonde l'assaut mené contre notre modeste forteresse, dernier rempart des fidèles en ces terres incertaines. Si cette lettre vous parvient, c'est que les âmes que j'avais chargées de défendre notre sanctuaire ont rejoint le sein de l'Unique sans l'onction des derniers sacrements. Chacune d'elles avait librement choisi de revêtir l'étoffe pourpre de notre congrégation, non par servitude mais par dévotion. En ce sens, vous n'avez point abattu de simples gardes, mais avez désuni les liens d'une communauté que je considère comme mon propre sang.
Votre courroux contre les puissants, je le comprends en sa substance. Les écrits du Pomocnik nous enseignent que « Le Royaume de l'Unique est au dedans de l'homme », non concentré en un seul ou en quelques privilégiés, mais disséminé en chaque créature. Cependant, votre glaive s'égare en se tournant contre notre congrégation, qui œuvre précisément à l'élévation des humbles.
Sachez que mon illustre aïeul, Ser Roddrick Mayer, Légat d'Estibril, contempla en son temps la vision d'une gouvernance partagée. Sa plume façonna une constitution qui aurait pu transmuter l'ordre établi. Mais, tel un semeur avisé, il reconnut que le sol n'était point encore préparé pour une telle semence. Le temps n'est toujours pas advenu où chaque fils et fille d'Okord saurait déchiffrer les édits qui régiraient leur existence.
Notre congrégation ne s'élève point au-dessus du peuple – elle est son humble servante. Nos greniers s'ouvrent aux affamés, nos scriptoriums répandent la connaissance, nos infirmeries accueillent les souffrants. Chaque pierre de notre édifice spirituel vise à l'exaltation de ceux que nous servons.
Je vous offre de converser avec le porteur de ce message, Hank de son nom. Jadis, cet enfant errait dans les venelles de notre cité, orphelin de père et mère, emportés par la pestilence voilà une décennie. Notre congrégation l'a recueilli non comme un serviteur, mais comme un fils. Son parcours illustre notre vocation. Je lui accorde pleine liberté de partager ses pensées sincères avec vous, car en notre demeure, nulle parole n'est interdite.
Si l'âme des Moissonneurs aspire véritablement à l'amélioration de la condition humaine, alors notre combat est le même, bien que nos méthodes divergent. La révolution véritable commence dans les esprits, s'épanouit dans les cœurs, et seulement ensuite se manifeste dans les institutions.
Je vous exhorte à épargner le jeune Hank, qui a déjà enduré plus d'épreuves que beaucoup en une vie entière. Sa présence devant vous n'est point celle d'un bouclier, mais d'un messager de concorde.
Sous le regard de l'Unique qui illumine nos consciences,
Siostry Vespasia
La lecture de la missive troubla profondément Hank. Lorsque Marcus arriva au passage où la Siostry exhortait le capitaine à épargner le jeune Hank, une sueur froide l'envahit. Cette phrase, bien qu'empreinte de bienveillance, sonnait comme un aveu de faiblesse de sa part. Comme si la Siostry elle-même doutait de sa capacité à se défendre ou à convaincre.
Pourquoi écrit-elle cela ? demanda-t-il à Marcus. Cela me fait passer pour un enfant sans défense.
Marcus, plus âgé et plus expérimenté, posa une main réconfortante sur son épaule. Parce qu'elle tient à toi comme à un fils, Hank. Et parce qu'elle sait que les hommes en colère ne font pas toujours la différence entre le messager et le message.
Cette explication rassura partiellement Hank, mais une inquiétude demeurait. Et si le capitaine interprétait cette demande comme de la condescendance ? Et si cela compromettait le message de paix que la Siostry tentait de faire passer ?
De la Confrontation
Le trajet vers la Vigie fut un calvaire d'anxiété. Hank imaginait toutes les réactions possibles du capitaine. Il répétait mentalement les arguments qu'il pourrait avancer si l'occasion se présentait de compléter la missive de la Siostry. Il voulait témoigner de sa propre expérience, raconter comment la congrégation l'avait non seulement sauvé physiquement, mais élevé intellectuellement et moralement.
Arrivé aux abords de la forteresse assiégée, il vit les ravages du combat. Les murs noircis par les flammes, les corps des défenseurs abandonnés dans la cour, l'étendard pourpre des Siostrys souillé et déchiré. Cette vision lui serra le cœur et raviva sa colère contre ces hommes qui prétendaient défendre la justice en détruisant ceux qui la servaient véritablement.
Il fut intercepté par deux Moissonneurs en armes avant même d'atteindre la porte principale. Leur aspect rude et leurs regards méfiants lui rappelèrent douloureusement les brigands qu'il avait parfois croisés dans sa jeunesse misérable. Mais il se ressaisit et déclina son identité avec toute la dignité que lui avait enseignée son éducation chez les Siostrys.
Je porte une missive de la Siostry Vespasia pour votre capitaine, annonça-t-il d'une voix qu'il espérait ferme. Elle souhaite parlementer.
Les hommes échangèrent un regard surpris. Manifestement, ils ne s'attendaient pas à ce qu'une négociation soit proposée après leur victoire militaire.
De la Rencontre avec Korr Varnok
Le capitaine des Moissonneurs, qui se présenta sous le nom de Korr Varnok, reçut la missive avec un respect surprenant. Il la lut attentivement sans manifester d'impatience. Hank observait ses expressions, guettant les signes de colère ou de mépris, mais ne décela qu'une attention sérieuse et une réflexion profonde.
Quand Korr Varnok eut terminé sa lecture, il releva les yeux vers Hank et hocha la tête avec ce qui semblait être une forme de reconnaissance.
Merci pour avoir apporté ceci, dit-il simplement en repliant soigneusement la lettre. Tu peux repartir maintenant.
Hank attendit un moment, espérant que le capitaine l'inviterait à s'exprimer comme le suggérait la missive. Il se racla discrètement la gorge, mais Korr Varnok avait déjà détourné son attention vers ses hommes, signifiant clairement que l'entretien était terminé.
Sans un mot de plus, sans une question sur son histoire ou sur l'œuvre de la congrégation, le capitaine des Moissonneurs l'avait remercié et congédié. Comme on remercie un porteur d'eau pour avoir accompli sa tâche.
De l'Amertume du Retour
Cette indifférence totale blessa profondément Hank. Il s'attendait à un véritable échange, à des questions sur les méthodes de la congrégation, à une curiosité sur les résultats obtenus. Au lieu de cela, il n'avait récolté qu'un remerciement poli, comme s'il n'était qu'un simple coursier sans opinion ni expérience propre.
Sur le chemin du retour, Hank ruminait cette attitude. Il comprenait maintenant la naïveté de la Siostry qui avait espéré toucher la conscience du révolutionnaire par le témoignage d'un ancien enfant des rues. Korr Varnok n'avait manifestement aucun intérêt pour les nuances qui pourraient remettre en question ses certitudes.
Il pensait à tous ces détails concrets que le capitaine avait refusé d'entendre par son silence. Les enfants qui savaient maintenant lire grâce aux écoles des Siostrys. Les familles qui ne mouraient plus de dysenterie grâce aux dispensaires. Les artisans qui avaient appris de nouveaux métiers dans les ateliers de la congrégation. Tout cela ne méritait même pas une question de la part de cet homme qui prétendait se battre pour le peuple.
Il se souvenait de sa propre transformation. De l'animal sauvage qu'il était devenu l'homme cultivé qu'il était aujourd'hui. Cette métamorphose n'avait été possible que grâce à la patience, à l'éducation progressive, à l'exemple quotidien de comportements plus nobles. Mais pour Korr Varnok, cette réussite concrète ne valait manifestement pas la peine d'être examinée.
De la Désillusion
Ce qui troublait le plus Hank, c'était l'attitude même de Korr Varnok. Cet homme qui se proclamait défenseur des opprimés avait traité le jeune messager avec la même indifférence condescendante qu'il reprochait sans doute aux nobles. Il ne l'avait même pas considéré comme un interlocuteur digne d'attention, préférant l'ignorer plutôt que de risquer d'entendre des vérités dérangeantes.
Le simple merci du capitaine résonnait encore dans sa mémoire comme une gifle. Merci pour le service rendu, maintenant va-t'en et laisse les adultes réfléchir aux vraies questions. Cette attitude révélait une fermeture d'esprit que Hank n'avait même pas soupçonnée.
Cette révélation était amère pour le jeune homme. Il avait cru naïvement pouvoir faire entendre la voix de la modération, témoigner de la possibilité d'un changement progressif mais réel. Au lieu de cela, il avait découvert que les extrêmes se rejoignent souvent dans leur aveuglement. Que les révolutionnaires peuvent être aussi sourds aux arguments que les conservateurs les plus entêtés.
En approchant de Krakow, Hank se demandait comment rapporter cette rencontre à la Siostry Vespasia. Comment lui expliquer que son message de paix avait été reçu avec la même considération qu'on accorde à n'importe quelle correspondance administrative ? Que l'homme qu'elle espérait toucher par la raison l'avait simplement remercié et renvoyé comme un domestique ?
Il décida finalement de rapporter fidèlement les faits, sans enjoliver ni noircir. La Siostry méritait la vérité, même si elle était décevante. Et peut-être saurait-elle, avec sa sagesse habituelle, tirer de cet échec apparent des enseignements pour l'avenir.
Une certitude demeurait cependant dans l'esprit du jeune homme : quels que soient les défauts du système actuel, quelles que soient les lenteurs du changement progressif, il était infiniment préférable à l'alternative révolutionnaire. Car lui, Hank, était la preuve vivante qu'on pouvait s'élever dans cette société, qu'on pouvait passer de la misère absolue à une vie digne et utile. Et cette possibilité, si fragile soit-elle, valait mieux qu'un idéal révolutionnaire qui refusait même d'examiner ses propres contradictions.
Le remerciement distant de Korr Varnok résonnait encore dans sa mémoire comme un symbole de cette fermeture d'esprit. Un homme qui prétendait libérer le peuple mais qui n'avait même pas la curiosité d'écouter l'un de ses représentants les plus authentiques.
Dernière modification par HernfeltMayer (2025-05-29 21:37:26)
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
Hors ligne
Un message t'a précédé, Hank. Aurais tu trainé en chemin ?
La Siostry lacha un billet sur la table qui les séparait.
de: Comte Dren Varnok (PNJ)
À la Comtesse Siostry Vespasia,
Vous invoquez l’Unique, et je vous répondrai par une vérité d’homme : nul sanctuaire ne saurait prétendre à l’immunité quand ses murs abritent l’opposition armée. Vous parlez de foi, mais c’est la guerre que vos gens ont choisie — et ce sont les vôtres qui, en violation de la trêve que nous avions consentie, ont brandi la lame. La Moisson n’a pas frappé sans avertir, ni sans trêve. La main que nous avons tendue fut mordue, et cela, même les saints le jugeraient coupable.
Je ne doute pas de l’œuvre pieuse accomplie par vos sœurs. Mais je regrette que vous n’ayez pas su empêcher que cette piété soit convertie en bastion militaire. Car alors que vos infirmeries pansent, vos garnisons tuent. L’incohérence a un prix. Vous l’avez payé.
Cela dit, votre missive porte la noblesse des causes sincères, et je n’ai nul plaisir à voir saccagé ce qui soigne ou éclaire. J’entends votre appel, et je distingue en vous non une ennemie irréductible, mais une voix qu’il faut écouter malgré l’écho du fer.
Aussi, j’accepte le dialogue. Le jeune Hank m’a été présenté ; il m’a parlé avec candeur, et je crois en sa sincérité. Je le renvoie sain et sauf, porteur de ma réponse, et avec lui une offre : si votre congrégation renonce à toute prise d’armes et proclame sa neutralité dans ce conflit, nous nous engageons à ne pas revenir troubler vos murs. Mieux : nous pourrions même envisager un soutien discret à vos œuvres de bienfaisance, si celles-ci refusent le joug des trônes autant que le glaive.
Mais prenez garde, Comtesse : la neutralité se prouve, elle ne se proclame pas. Si d’autres troupes viennent s’abriter sous vos toits ou si vos scriptoriums se changent en imprimeries de rébellion monarchique, vous serez à nouveau traitée en place forte.
Vous avez plaidé avec grâce. J’attends maintenant que les actes répondent aux mots. Le peuple vous regarde. Et moi, je veille.
Capitaine Varnok
Maître de Guerre de la Moisson Libre
Le jeune messager lu la lettre avant de répondre, surpris, Ils négocient... Comme de vulgaires...
Comme de vulgaires mercenaires oui, car c'est ce qu'ils sont. Voilà que les 'sauveurs du peuple' font tomber leur masque.
Les belles paroles, Hank, cachent souvent de beaux menteurs, ou de grands fous !
Varnok parle de "main tendu" alors qu'il vient de tuer un très grand nombre d'Okordiens de part le royaume. N'est ce pas là un humour sadique ou un signe de folie ?!
Hank eu un petit rictus du coin des lèvres... Une réponse, Siostry ?
Elle lui tendit un pli...
In Podeszwa Veritas
Capitaine,
Votre prose, si élégamment tournée soit-elle, ne saurait masquer la vérité crasse qui vous définit : vous n'êtes qu'un mercenaire étranger, un opportuniste venu d'ailleurs qui prétend parler au nom d'un peuple dont vous ne connaissez ni les aspirations ni l'âme.
Discourez tant qu'il vous plaira, arrangez la réalité selon votre convenance, pissez sur parchemin toutes les idioties que votre esprit mercantile peut concevoir - cela ne changera rien au fait que vous ne représentez RIEN du peuple okordien. Ce peuple, je le connais. J'ai grandi parmi lui, j'ai partagé son pain, essuyé ses larmes, éduqué ses enfants. Vous, vous n'en faites pas partie et n'en ferez jamais partie.
Quel libérateur véritable proposerait des "marchés de soutien" et des "neutralités négociées" ? Un marchand, voilà ce que vous êtes ! Un homme qui ne comprend le monde qu'en termes de profit et de transaction. Le vrai peuple d'Okord n'a que faire de vos calculs sordides.
Vous venez de nulle part, capitaine, et c'est là que vous retournerez - rapidement si Podeszwa le veut. Car le Royaume d'Okord est SOUVERAIN. Sa noblesse et le peuple qui la soutient sont SOUVERAINS. Nous ne négocions pas notre légitimité avec des aventuriers de passage.Un bienfaiteur du peuple doté d'intelligence aurait pris la peine de se renseigner sur le Crédo des Siostrys d'Ohm avant de lever la main contre nous. Il aurait compris que l'unité et la prospérité du royaume où nous servons passent avant tous les bavardages de mercenaires sans racines.
Mais vous préférez la facilité du pillage à la complexité de la compréhension. Vous préférez détruire ce qui fut bâti en décennies plutôt que d'apprendre pourquoi cela fut bâti.
Sachez-le donc, étranger : nous reprendrons ce qui nous appartient. Car contrairement à vous, nous ne partons pas. Cette terre est la nôtre, ce peuple est le nôtre, et nous défendrons l'un et l'autre contre les prédateurs de votre espèce.
Que l'Unique juge entre nous. Mais moi, je n'attends plus rien de vos paroles creuses.
Par la grâce de Podeszwa et la légitimité du sang okordien,
--
Siostry Vespasia de la congrégation des Siostry d'Okord
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
Hors ligne
de: Comte Vaedran Morghal (PNJ)
À la Comtesse Siostry Vespasia,
Vous déchaînez l’encre comme d’autres la hache — avec une vigueur certaine, mais peu de discernement. Votre lettre ne manque ni d’emphase, ni d’insultes. Elle manque simplement d’intelligence.
Car enfin, Comtesse, qui a rompu la trêve ? Qui a choisi de substituer à la parole signée la charge brutale ? Vous. Et par cet acte, vous ne nous avez pas affaiblis — vous avez affaibli le Royaume d’Okord tout entier. Ce royaume dont vous vous réclamez, que vous prétendez défendre, et que vous venez pourtant de souiller aux yeux de toutes les chancelleries d’Ohm.
Croyez-vous que Déomul oubliera vite ce manquement à la parole donnée ? Que les cours étrangères se presseront à votre table après ce parjure manifeste ? Car nul n’a confiance en un peuple qui rompt un accord avant que l’encre ne sèche.
Vous me traitez d’étranger — soit. Je viens d’ailleurs, et c’est peut-être pour cela que je peux entendre les cris que vous, vous n’écoutez plus.
Quant à votre rhétorique enfiévrée, elle m’évoque ces prédicateurs qu’on trouve sur les places : véhéments, bruyants, et toujours persuadés d’avoir raison… juste avant de finir piétinés sous les sabots de l’Histoire.
Je vous laisse vos titres, vos prêches, et vos certitudes. Pour ma part, je n’ai qu’un fait à rappeler : c’est vous qui avez trahi votre parole. Et le monde entier l’a vu.
Capitaine Varnok
Au nom de la Moisson Libre
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
Hors ligne
In Podeszwa Veritas
Capitaine,
Ainsi donc, après avoir joué au négociateur, vous voici qui mendiez l'appui de puissances étrangères ?! Quelle déchéance pour celui qui se prétendait "libérateur du peuple" ! Mais où est donc passé le petit enfant qui jouait à sauver les opprimés avec ses petits bateaux, en pillant et rasant le labeur des pauvres gens ?
Déomul, dites-vous ? Déomul est un empire ANCESTRAL qui dominait ces terres bien avant que le père du père du père de votre grand-père ne vienne au monde ! C'est une grande nation dotée d'un code de noblesse bien arrêté et puissant, forgé par des siècles de gloire et de conquêtes.
Croyez-vous sincèrement à votre histoire de trêve bafouée qui les blesserait ?! Sincèrement ?! Ne pensez-vous donc pas plutôt qu'ils se rient de vous voir secouer les bras en criant à la "libération du peuple" ?! Ne croyez vous pas que cette noblesse ancestrale s'esclaffe de vos gesticulations de parvenu ?
Vous imaginez-vous vraiment que l'Empereur de Déomul, héritier de mille ans d'histoire, va se préoccuper des jérémiades d'un mercenaire de passage qui pleure parce qu'une Dame d'Okord a repris ce qui lui appartenait ? Vous croyez-vous si important que les cours étrangères vont modifier leur diplomatie pour vos états d'âme ?
Pauvre sot ! Ces empires vous regardent comme on regarde un saltimbanque sur une place de marché - avec amusement, puis avec lassitude quand le spectacle s'éternise. Ils ne vous soutiennent que tant que vous servez leurs intérêts, et vous abandonnent dès que vous cessez d'être utile.
Votre "Moisson Libre" n'est qu'une plaisanterie aux yeux de ces puissances que vous invoquez maintenant. Une bande de brigands qui se donne des airs, voilà tout ce que vous êtes pour eux.
Continuez donc à quémander leur protection, capitaine.
Cela sied bien à votre nature véritable.
Quant à moi, je n'ai nul besoin de leur reconnaissance pour savoir qui je suis et d'où je viens.
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Siostry Vespasia de la congrégation des Siostry d'Okord
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
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De la Colère de la Siostry
Les dernières lueurs du crépuscule filtraient à travers les hautes fenêtres de la salle du conseil de Krakow lorsque la missive du capitaine Varnok parvint entre les mains de la Siostry Vespasia. Le parchemin crissa sous ses doigts tandis qu'elle en parcourait les lignes, son visage d'ordinaire maîtrisé se durcissant à chaque phrase.
Quand elle releva les yeux, une flamme froide y dansait, plus dangereuse que la colère la plus éclatante.
Ce... mercenaire ose remettre en question ma parole, articula-t-elle d'une voix blanche, chaque mot pesé comme une sentence. Il ose prétendre que c'est moi qui ai souillé l'honneur d'Okord.
Amaury de Gavere, qui se tenait près de la cheminée de pierre, s'avança prudemment. Les années passées au service de la Siostry lui avaient appris à reconnaître les signes avant-coureurs de ses rares mais terribles emportements.
Siostry, cet homme cherche manifestement à vous provoquer. Ne tombez pas dans son piège. Il sait que la colère nuit au jugement, et...
La colère ? l'interrompit Vespasia en froissant violemment le parchemin. Amaury, vous ne comprenez pas. Ce n'est pas de la colère, c'est de l'indignation ! Cet aventurier remet en cause toute l'œuvre de ma vie, tout ce pour quoi j'ai renoncé aux plaisirs de ce monde ! Il ose suggérer que moi, moi qui ai consacré chaque jour de mon existence au service du peuple d'Okord, je serais celle qui déshonore ce royaume !
Sa voix s'était élevée progressivement, et pour la première fois depuis des années, les serviteurs qui passaient dans les couloirs s'arrêtaient, troublés par ces éclats inhabituels.
Dans l'embrasure de la porte, une silhouette imposante se dessina. Wacław Kowalczyk, le Corbeau de l'Est, entra sans bruit, sa prestance naturelle emplissant immédiatement l'espace. Ses yeux gris acier jaugèrent la situation en un instant.
Siostry, dit-il de sa voix grave marquée par l'accent osterlichois, j'ai entendu vos paroles depuis les escaliers. Permettez à un vieux soldat de vous dire que votre indignation est parfaitement justifiée.
Amaury lui lança un regard d'avertissement, mais le Strolatz poursuivit, imperturbable.
Nie ma złej sprawy, której nie można poprawić mieczem — il n'y a pas de mauvaise cause qu'on ne puisse redresser par l'épée. Ce Varnok vous insulte parce qu'il sait que vous avez raison. Un chien qui mord la main qui le nourrit ne mérite qu'une correction.
Les paroles du Corbeau de l'Est eurent l'effet d'un soufflet attisant les braises. Vespasia se redressa de toute sa hauteur, et dans ses yeux brillait maintenant une détermination implacable.
Vous avez raison, Strolatz. J'ai tenté la voie de la diplomatie, j'ai offert ma main à ce mercenaire, et il l'a mordue. Soit. Qu'il apprenne donc ce qu'il en coûte de défier une fille d'Okord sur ses propres terres.
Des Préparatifs de Guerre
L'aube suivante vit Krakow se transformer en une ruche militaire. Dans les cours intérieures du château, les maîtres d'armes hurlaient leurs ordres tandis que les hommes vérifiaient leurs équipements. Le martèlement des forgerons résonnait depuis les premières lueurs du jour, ajustant les armures, aiguisant les lames.
Il faut frapper vite et fort, déclara Wacław lors du conseil de guerre qui se tint dans la grande salle. Chaque jour qui passe permet aux Moissonneurs de recevoir des renforts ou de mieux organiser leurs défenses. Notre seul avantage réside dans la surprise et le nombre.
Amaury, bien que toujours réticent à cette offensive, acquiesça à cette analyse.
Si nous leur laissons le temps de se préparer, nos pertes seront décuplées. Il faut les prendre au dépourvu, avant qu'ils ne puissent appeler à l'aide.
Wacław Kowalczyk inspectait ses recrues avec l'œil critique de l'ancien maître d'armes des Strolatz d'Osterlich. Ces quatre mille hommes, pour la plupart des volontaires issus des communautés de la congrégation, avaient reçu un entraînement intensif mais restaient des novices face aux vétérans aguerris des Moissonneurs.
Ils ont du cœur, confia-t-il à Amaury en regardant un groupe de jeunes gens manier maladroitement leurs épées, mais le cœur ne remplace pas l'expérience. Ces garçons vont payer cher leur apprentissage.
Amaury, qui supervisait l'armement de ses propres troupes - des soldiers plus expérimentés recrutés parmi les anciens gardes d'Hebron - acquiesça sombrement.
C'est exactement ce que je redoute, Strolatz. Cette attaque est une erreur. Nous devrions attendre, négocier encore, trouver une solution qui évite un bain de sang.
Le Corbeau de l'Est se tourna vers lui, et dans son regard perçait une sagesse teintée de mélancolie.
Mon ami, il y a des moments où la négociation devient impossible. Quand l'honneur est bafoué, quand la légitimité est remise en cause, il ne reste que l'épée pour trancher le différend. La Siostry l'a compris.
Cependant, Amaury obtint une concession : il enverrait ses cavaliers les plus expérimentés en éclaireurs, pour s'assurer que l'ennemi ne préparait pas d'embuscade et pour évaluer leurs défenses.
De la Marche vers la Vigie
La colonne qui quitta Krakow à l'aube du troisième jour présentait un spectacle impressionnant. En tête, les cavaliers d'Amaury, montés sur des destriers caparaçonnés aux couleurs pourpres de la congrégation, ouvraient la voie. Leurs armures scintillaient sous le soleil matinal, et leurs bannières claquaient dans le vent marin.
Suivaient les fantassins du Strolatz, marchant au pas cadencé que leur avait enseigné leur instructeur. Leurs boucliers portaient l'emblème des Siostrys, mais leurs visages trahissaient à la fois la détermination et l'appréhension de ceux qui vont au combat pour la première fois.
Enfin venaient les troupes d'élite d'Amaury, vétérans éprouvés dont la simple présence rassurait les recrues. Ces hommes avaient suivi leur capitaine depuis les terres glacées du nord, et leur loyauté envers lui n'avait d'égale que leur dévotion à la Siostry.
La route vers la Vigie de l'Anse-aux-Bateaux serpentait le long de la côte, offrant par moments des vues saisissantes sur les falaises battues par les vagues. Mais nul n'avait le cœur à admirer le paysage. Chacun savait que cette marche les menait vers une épreuve dont tous ne reviendraient pas.
Les éclaireurs d'Amaury revenaient régulièrement faire leur rapport. La forteresse semblait bien défendue, mais pas renforcée. Les Moissonneurs paraissaient confiants, peut-être trop. C'était encourageant, mais aussi inquiétant : des soldats expérimentés ne se montrent généralement si sereins que lorsqu'ils ont préparé quelque surprise.
Du Premier Assaut
Au matin du quatrième jour, les forces de Krakow établirent leur camp dans un vallon herbeux à une lieue de la Vigie. De leur position, ils pouvaient voir la forteresse se dresser sur son éperon rocheux, ses murs de pierre noire se détachant contre le ciel plombé. Des fumées s'élevaient de ses cheminées, et parfois on distinguait la silhouette d'un garde sur les remparts.
Amaury et Wacław se réunirent dans la tente de commandement pour finaliser leur stratégie. Une carte grossièrement dessinée par les éclaireurs était étalée sur une table de bois brut.
Leurs défenses sont concentrées sur la porte principale, expliqua Amaury en pointant la carte. Murs épais, herse, tour de garde. Un assaut frontal sera coûteux.
Mais c'est notre seule option, répondit le Strolatz. Mes hommes ne sont pas des spécialistes du siège. Il faut prendre cette place d'assaut ou pas du tout.
Il traça du doigt un arc de cercle sur la carte.
Nous les encerclerons. Mes recrues attaqueront de front pour fixer leur attention. Vos vétérans prendront les flancs. Si nous parvenons à les déborder...
Si nous y parvenons, nous aurons une chance, compléta Amaury. Mais ces Moissonneurs ont prouvé leur valeur. Ce ne sera pas facile.
L'attaque fut lancée au coucher du soleil, lorsque la lumière rasante pourrait gêner les défenseurs. Le cor de guerre résonna dans le vallon, et soudain, quatre mille hommes se levèrent comme un seul, poussant le cri de bataille des Siostrys.
De la Première Bataille
L'assaut initial fut d'une violence inouïe. Les recrues du Strolatz, galvanisées par l'entraînement et la ferveur religieuse, se jetèrent contre les murailles avec un élan qui surprit même leurs ennemis. Des échelles se dressèrent contre les remparts, des grappins s'accrochèrent aux merlons, et bientôt le fracas des armes résonna dans l'air du soir.
Mais les Moissonneurs étaient des combattants aguerris. Depuis les créneaux, ils déversaient une pluie de carreaux d'arbalète et de flèches qui fauchait les assaillants par dizaines. L'huile bouillante coulait des mâchicoulis, et les cris d'agonie se mêlaient aux ordres hurlés.
Wacław, combattant au premier rang comme à son habitude, vit ses hommes tomber les uns après les autres. Un jeune cordonnier de Krakow, qui lui avait confié la veille sa peur de mourir loin de sa famille, s'effondra à ses côtés, une flèche dans la gorge. Un fermier qui avait rejoint la congrégation après que les Siostrys eurent sauvé sa récolte d'un incendie fut écrasé par une pierre lancée du haut des remparts.
Naprzód ! En avant ! rugit le Strolatz en brandissant son épée, mais déjà il savait que cet assaut échouerait.
De son côté, Amaury menait ses vétérans dans une tentative d'escalade sur le flanc est de la forteresse. Ses hommes, plus expérimentés, progressaient méthodiquement, utilisant leurs boucliers pour se protéger des projectiles. Mais là aussi, la résistance était féroce.
Quand la nuit tomba, il fallut sonner la retraite. Le bilan était lourd : plus de trois cents morts et autant de blessés, principalement parmi les recrues du Strolatz. Les Moissonneurs, retranchés derrière leurs murailles, avaient perdu peut-être une vingtaine d'hommes.
Du Siège Implacable
Mais ni Amaury ni Wacław n'étaient disposés à abandonner. Durant la nuit, ils réorganisèrent leurs forces, soignèrent les blessés, et préparèrent une nouvelle stratégie. L'élément de surprise étant perdu, il faudrait compter sur l'acharnement et le nombre.
Le deuxième jour vit une série d'assauts répétés. Les forces de Krakow attaquaient par vagues successives, ne laissant aucun répit aux défenseurs. Chaque assaut était repoussé, mais à chaque fois, les attaquants gagnaient quelques pouces, s'accrochaient un peu plus longtemps aux remparts.
Les pertes continuaient de s'accumuler côté okordien. Les recrues du Strolatz, malgré leur courage, payaient cher leur inexpérience. Mais peu à peu, la lassitude gagnait aussi les défenseurs. On voyait moins de têtes aux créneaux, les volées de flèches se faisaient plus espacées.
Le troisième jour, l'acharnement redoubla. Amaury avait fait construire des mantelets - des abris mobiles en bois - qui permettaient à ses hommes d'approcher plus près des murailles. Le Strolatz, de son côté, avait organisé ses recrues en équipes de relève, maintenant une pression constante sur la porte principale.
C'est vers midi, alors que le soleil dardait ses rayons impitoyables sur les combattants épuisés, qu'un cri de victoire retentit du côté est. Les hommes d'Amaury avaient réussi à prendre pied sur un segment du rempart. Bientôt, d'autres cordes furent lancées, d'autres échelles dressées.
Les Moissonneurs, pris entre deux feux, commencèrent à céder du terrain. Leur résistance, héroïque depuis trois jours, s'effritait face à un ennemi qui semblait inépuisable.
De la Victoire Amère
À l'aube du quatrième jour, un silence étrange régnait sur la Vigie de l'Anse-aux-Bateaux. Plus de cris, plus de fracas d'armes, plus de sifflement de flèches. Seul le murmure éternel des vagues contre les falaises troublait le calme matinal.
Amaury, méfiant, envoya d'abord quelques éclaireurs. Ils revinrent avec une nouvelle stupéfiante : la forteresse était vide. Pas un Moissonneur en vue, pas un corps sur les remparts qu'ils avaient si farouchement défendus.
L'explication ne tarda pas à être découverte. Dans les souterrains de la forteresse, une galerie naturelle avait été aménagée en passage secret. Elle menait à une barbacane dissimulée dans la falaise, invisible depuis les positions des assiégeants. C'est par là que les derniers défenseurs s'étaient échappés, probablement au cœur de la nuit.
Wacław examina le passage avec l'œil expert du vétéran.
Ils ont bien joué, admit-il avec une grimace d'admiration forcée. Nous tenir en respect trois jours, puis disparaître comme des fantômes. Ces Moissonneurs savent se battre.
Mais la victoire, si elle pouvait être appelée ainsi, avait un goût amer. Le Strolatz dénombra ses pertes : près de mille hommes morts ou hors de combat, soit un quart de ses effectifs. Parmi eux, beaucoup de ces jeunes volontaires qui avaient rejoint la congrégation par foi, et qui maintenant gisaient dans la terre d'Okord qu'ils avaient voulu défendre.
Amaury, moins touché mais néanmoins affaibli, contemplait sombrement les corps étendus dans la cour de la forteresse reconquise.
À ce prix-là, murmura-t-il, chaque victoire nous rapproche de la défaite.
De la Découverte Macabre
C'est alors qu'ils consolidaient leur position dans la forteresse qu'un cavalier d'Amaury arriva au galop, le visage livide et les vêtements souillés de sable et de sang.
Capitaine ! cria-t-il en sautant de sa monture. Il faut que vous veniez voir ! Sur la plage de l'Anse-du-Moulin, à trois lieues au nord... C'est un carnage !
Amaury et une escorte de vingt hommes suivirent le messager le long du sentier côtier qui serpentait entre les ajoncs et les genêts. L'odeur âcre portée par le vent marin leur donna un avant-goût de ce qui les attendait.
La plage de l'Anse-du-Moulin était ordinairement un croissant de sable blanc où venaient s'échouer les algues et les coquillages. Ce jour-là, elle offrait un spectacle d'épouvante qui hanterait longtemps la mémoire de ceux qui le virent.
Des corps par centaines jonchaient le sable, dans des positions qui témoignaient d'une lutte désespérée. Hommes, armes, débris de barques et lambeaux de voiles s'entremêlaient dans un chaos sanglant que les mouettes, déjà, commençaient à visiter.
Amaury reconnut immédiatement les vêtements et les armes : c'étaient des Moissonneurs, mais pas ceux qui avaient défendu la Vigie. Ces hommes portaient les marques d'un long voyage en mer, et leurs équipements différaient légèrement de ceux de leurs confrères.
Des renforts, murmura-t-il en examinant les corps. Ils venaient soutenir la garnison de la Vigie.
Un gémissement faible attira son attention. Dans un amas de cordages et de bois brisé, un homme respirait encore. Son surcoat déchiré portait les galons d'un sergent, et une large plaie à la tête l'avait laissé à demi conscient.
Amaury s'agenouilla près de lui et lui donna à boire de sa gourde. L'homme ouvrit des yeux injectés de sang et tenta de parler.
Qui... qui êtes-vous ? murmura-t-il d'une voix rauque.
Peu importe. Que s'est-il passé ici ?
Le mourant porta une main tremblante à sa poitrine, où le sang avait formé une tache sombre.
Nous... nous venions du... de loin... une dizaine de navires... quatre mille hommes... pour secourir nos frères de la Vigie...
Il toussa, et un filet de sang coula de sa bouche.
Les coordonnées... qu'on nous avait données... elles étaient fausses... Ce n'était pas le bon endroit pour débarquer...
Amaury fronça les sourcils.
Fausses ? Qui vous les avait données ?
Un... un contact à nous... quelqu'un de sûr, nous avait-on dit... Mais quand nous avons tenté de débarquer... ils nous attendaient...
Le sergent agrippa le bras d'Amaury avec une force surprenante.
Ils nous attendaient ! Cachés dans les dunes, derrière les rochers... Un millier d'hommes au moins... Ils nous sont tombés dessus avant même qu'on touche le sable...
Qui étaient-ils ? D'autres forces de la Siostry ?
L'homme secoua faiblement la tête.
Non... non, pas des Okordiens... Leur équipement, leurs cris de guerre... Je n'ai pas reconnu... Pas reconnu leurs couleurs...
Sa voix faiblissait, et Amaury dut se pencher pour l'entendre.
Des étrangers... quelqu'un nous a vendus... quelqu'un savait qu'on venait...
Ce furent ses dernières paroles. Sa main retomba sur le sable ensanglanté, et ses yeux se figèrent dans un dernier regard d'incompréhension.
Du Mystère Grandissant
Amaury se releva lentement, l'esprit en ébullition. Cette découverte changeait tout. Les Moissonneurs n'étaient pas seulement en conflit avec les forces de la Siostry - ils étaient également la cible d'un ennemi mystérieux, suffisamment bien informé pour connaître leurs plans et suffisamment organisé pour leur tendre un piège mortel.
Il fit fouiller minutieusement la plage par ses hommes. Ils trouvèrent quelques indices troublants : des traces de pas dans le sable qui ne correspondaient pas aux bottes des Moissonneurs, des fragments d'armes d'un type inconnu, mais rien qui put identifier clairement les auteurs de ce massacre.
Quand la nouvelle parvint à Krakow, elle plongea la Siostry dans une profonde perplexité. Son triomphe sur la Vigie perdait soudain de sa saveur. Un acteur inconnu jouait dans l'ombre, manipulant les événements selon ses propres desseins.
Dans sa chambre, face à la fenêtre qui donnait sur la mer, Vespasia contemplait l'horizon avec une inquiétude grandissante. Elle avait reconquis sa forteresse, certes, mais à quel prix ? Et surtout, contre qui luttait-elle vraiment ?
Après une longue méditation, elle prit une décision qui surprit son entourage.
Cette forteresse a vu couler trop de sang, déclara-t-elle à Amaury et Wacław. Okordien, Moissonneur, étranger... peu importe leur nationalité. Tous étaient des hommes, tous avaient une famille, tous méritaient mieux que de mourir pour satisfaire les ambitions des puissants.
Elle se tourna vers eux, et dans ses yeux brillait une détermination nouvelle.
Faites raser cette forteresse. Qu'il n'en reste pas pierre sur pierre. Nous dresserons à sa place un sanctuaire dédié à tous ceux qui ont péri ici, et nous prierons pour que leur sacrifice ne soit pas vain.
Mais Siostry, protesta Amaury, cette position est stratégique. L'abandonner, c'est...
C'est reconnaître que certaines victoires coûtent plus cher que les défaites, l'interrompit Vespasia. Et que parfois, la sagesse consiste à savoir renoncer.
Ainsi fut fait. Dans les semaines qui suivirent, la Vigie de l'Anse-aux-Bateaux fut méthodiquement démantelée, et sur ses ruines s'éleva un simple autel de pierre blanche, où brûlait en permanence une flamme en mémoire des morts.
Dernière modification par HernfeltMayer (2025-05-30 00:10:23)
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
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