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Tout ceci a commencé suite à des inquiétudes de son vassal, ce brave Guilhem, exprimées à voix haute en salle du trône. Inquiétudes concernant le versant caché de la proposition du légat Osterlichois, Heindrich von Stuffen, au nom du prêtre-roi Baldir XXXIV, de contreparties cachées, ou de mauvaises surprises à attendre. Inquiétudes qu’a certes du mal à partager Donatien, lui qui a été élevé assez loin en Osterlich, mais qu’il peut comprendre du point de vue d’un okordien, nation guerrière entre toutes, à qui l’on offre subitement de s’installer sur des terres arables et riches sans coup férir. Inquiétudes qui finalement semblent partagées par une partie des nobles seigneurs de la cour royale, finalement, puisque le baron de Chantecourge a été investi par le Chancelier du royaume, le Duc de Sinople, pour aller explorer les terres mises à disposition et s’assurer de l’absence de potentielles problématiques à long terme, ou à défaut les identifier. Ceci avec l’assentiment royal, ce qui rend la mission on ne peut plus officielle.
Pour autant, se préparer au périple n’a pas été une mince affaire. Si rassembler un petit groupe d’hommes et des vivres est resté à sa portée, il a fallu organiser la gestion du domaine en son absence, qu’il a déléguée à sa tendre et fière épouse Eliane d’Ornecime, fille d’un petit seigneur local et okordienne de pure souche depuis des générations. Cette direction se ferait avec le conseil du Gorny Radovitz et du vieux Dromos d’Ataxie, afin de l’éclairer dans ses décisions. Mais avant de partir, le jeune baron a eu la présence d’esprit de solliciter à nouveau le Chancelier du Royaume afin de lui demander un sauf-conduit émanant du conseil royal, afin de faciliter leurs pérégrinations sur les terres okordiennes en premier lieu, et peut-être en partie en territoire osterlichois dans un second temps. Un pli était bien arrivé peu de temps après, accompagné dudit sauf-conduit, signé et scellé de la main du seigneur de Sinople. Par acquis de conscience, le jeune seigneur a finalement sollicité le Roy également, subodorant un poids plus important une fois la frontière passée s’ils pouvaient se présenter comme ambassadeurs ou émissaires royaux. Réponse qui a été prestement délivrée en Maucastel :
Sujet de la Couronne, Par la présente, vous êtes mandaté par l'autorité royale d'une mission diplomatique en territoires d'Osterlich. Vos missions seront les suivantes :
- Dresser un état global de la situation économique, politique et sociologique locale.
- Evaluer l'état d'esprit des populations civiles d'Osterlich présentes sur place et le niveau d'acceptation de la colonisation okordienne.
- Formuler, à l'attention du Gouvernement d'Okord, toute préconisation visant à garantir l'effectivité de la colonisation des terres d'Osterlich.
- D'une manière générale, fournir au Gouvernement d'Okord toute information, étude et/ou analyse de nature à assurer une bonne compréhension des moeurs d'Osterlich et de ses institutions.Représentez avec dignité, honneur et respect notre grand Royaume d'Okord.
-- Ferdinand, Roi d'Okord, Archiduc d’Autriche
Les premières discussions avec Guilhem pour établir le plan de voyage ont été un peu tendues. La logique implacable de la proposition simple de Guilhem, d’embarquer au plus tôt et faire la route par voie fluviale, n’a guère emporté l’intérêt de son suzerain, qui n’a cependant pas pu se résoudre initialement à lui expliquer la raison de son refus, un peu trop fier pour avouer un mal des transports marqué sur l’eau. La participation de la dame de Falkenberg a cette expédition a été l’argument impérial pour couper court à la conversation : il était important de se rejoindre au plus tôt, et donc de commencer par le Sudord. A partir de là, la majorité du trajet se ferait en chevauchant. Pour la dernière partie du trajet jusqu’en Osterlich, Donatien a décidé de solliciter le seigneur Mordread afin d’affréter une caravelle en son port le plus méridional. Vaisseau qui ferait escale en la province d’Aurora afin de permettre à la Dame de Falkenberg d’embarquer avec sa suite, puis se dirigerait vers le Sudord. En espérant que le temps soit le plus clément possible lors de la traversée.
Le jour dit, le sire de Chantecourge rejoint donc Maucastel en compagnie d’une petite troupe, et les deux seigneurs prennent la route avec leur suite. Si l’ensemble ne peut être considéré comme une force armée négligeable, elle est suffisante pour repousser les brigands de grand chemin. Pour ce qui est des nobliaux ou péagers récalcitrants, le sauf-conduit du Chancelier Royal permet de les éconduire aisément. Donatien préfère conserver l’ordre de mission royal pour l’Osterlich, afin de ne pas éveiller les convoitises en Okord. Ne reste plus qu’à embarquer sur la caravelle une fois arrivé à Pornic, et c’est sans doute la partie du voyage que redoute le plus le jeune seigneur des Maleterres…
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Nous partions tous avec la bénédiction et l’autorisation du Roy d’Okord.
Sujet de la Couronne,
Par la présente, vous êtes mandaté par l'autorité royale d'une mission diplomatique en territoires d'Osterlich.
Vos missions seront les suivantes ;
- Dresser un état global de la situation économique, politique et sociologique locale.
- Evaluer l'état d'esprit des populations civiles d'Osterlich présentes sur place et le niveau d'acceptation de la colonisation okordienne.
- Formuler, à l'attention du Gouvernement d'Okord, toute préconisation visant à garantir l'effectivité de la colonisation des terres d'Osterlich.
- D'une manière générale, fournir au Gouvernement d'Okord toute information, étude et/ou analyse de nature à assurer une bonne compréhension des mœurs d'Osterlich et de ses institutions.Représentez avec dignité, honneur et respect notre grand Royaume d'Okord.
--
Ferdinand,
Roi d'Okord, Archiduc d’Autriche.
Afin de rejoindre notre territoire alloué par le Roy Baldir, nous devions rejoindre l’un des Ports de Valdor, dans la province du Marquis Karl où nous avions affrété quarante caraques de transports légèrement armées. Nous reçûmes très vite, l’autorisation de Justine d’Erlevald, Intendante des Ports de Valdor.
À la Très Noble Baronne Judith de Falkenberg,
Moi, Justine d'Erlevald, intendante des ports de Valdor, vous fais savoir, par la présente, que vous êtes autorisée à disposer pleinement de l’ensemble des infrastructures portuaires mises à disposition des marchands et seigneurs accostant en nos havres.
Que ce soit pour le commerce, le ravitaillement ou l’accueil de vaisseaux, vous trouverez en ces lieux le soutien nécessaire au bon développement de vos affaires et de vos ambitions. Nos quais, entrepôts et relais sont à votre service, sous réserve du respect des ordonnances du Conseil de Valdor et des usages en vigueur.
Que Père veille sur vos entreprises et leur assure prospérité.
Fait à Verdelaine, sous mon sceau,
Justine d’Erlevald
Intendante des Ports de Valdor
Notre voyage devait commencer dans la légalité. Nous pouvions donc partir l’esprit et le coeur en paix.
Nous débutâmes notre expédition en une longue traversée des landes entrecoupée de collines vallonnées. Nous avions évités la chaîne de montagne où les défilés étaient de vrais coupe-gorges et nous arrivâmes au port 12 jours plus tard.
Comme promis par l’armateur, quinze grosses caraques nous attendaient pour partir et cela avant le transport des civils.
Par caraque, l’on comptait 200 marins plus environ 250 soldats dans chacune d’elle.
Dix autres emportaient le matériel nécessaire à l’installation de plusieurs milliers de personnes. Et nous comptions mettre en plan une tête de pont entre Okord et l’endroit où nous étions.
Quinze autres caraques suivirent afin de transporter les serfs hommes, femmes et enfants. Et les familles des soldats et nobles qui avaient postulé pour une nouvelle vie en Osterlich.
J’en eu des maux de tête terrible ! Heureusement, je n’étais pas seule, mon ami Julius et Gwani, qui étaient aussi ceux de mon défunt grand-père Aurélius, m’aidèrent énormément. Il fallut aussi compter sur l’intelligence et l’esprit de décisions des capitaines d’équipages et des nobles qui furent pour tous d’une très grande aide.
Le voyage dura 5 jours. Un fort vent du nord gonfla nos voiles du départ à l’arrivée. Tiruer, le dieu des mers nous aida très certainement.
En arrivant, les militaires étaient déjà bien avancés dans le débroussaillage des lieux et les constructions nécessaires à notre installation. Tous les maistres des guildes présentes se mirent également au travail et les mines de pierres furent fortement sollicitées. Des plantations tardives furent commencées, la chasse, la pêche et l’élevage des animaux emmenés pour cet effet furent des appoints bien venu pour nourrir cette multitude.
Déjà, la population débarquée créait déjà différents villages selon leurs lieux de départs.
Nous trouvâmes des indigènes mais ils étaient peu nombreux, ils nous apprirent que le lieux où nous nous trouvions était en fait la « capitale » d’une grande cité ayant été bâtie voilà trois cents ans orterlichois par les descendants des premiers âges d'Ohm.
Les fondations et les murs étaient constitués de pierres taillées si habilement qu'aucun mortier n'avait été utilisé dans leurs élévations.
Selon nos éclaireurs, ils trouvèrent de petits hameaux de pauvres hères cultivant leurs parcelles de terre mais nulle ville grandes ou petites construite à des lieux à la ronde.
Puis c’était des montagnes et encore des montagnes. Les indigènes les appellent "Der gefrorene Wald" qui en langue commune donnerait « La forêt figée » et ils précisaient que l’on était en présence d’une frontière fictive entre le Déomul et l’osterlich de l’ouest.
Sur le pont du navire qui les amène en Osterlich, Guilhèm pense à Mahaut. La reverra-t-il un jour ? Il regretterait presque d'avoir manifesté à plusieurs reprises son inquiétude devant les nobles Okordiens, prises de paroles qui lui ont valu cette mission. Pourtant, on lui a tant conté de récits de massacres des okordiens par des strolatz impitoyables, qu'il a eut bien du mal à accepter de croire que Von Stuffen ait pu accepter que des okordiens puissent s'installer en Osterlich sans nouveau tribut de sang. Sans convertion forcée à Podeszwa. Sans devoir se soumettre aux lois d'Osterlich. Sans... rien ?
Et si Baldir revient sur sa décision ? Si son offre n'est qu'un piège pour se débarrasser de quelques jeunes ou anciennes maisons okordiennes et affaiblir ainsi le royaume ? Trop de fois Guilhèm a reçu des cadeaux, une famille, un refuge, des espoirs, cadeaux qui lui ont été retirés ensuite, ne lui laissant qu'amertume et indignation. S'il pense que la vie a pu finalement lui offrir le meilleur, il est persuadé qu'il lui faudra se battre pour le conserver. Pourquoi en serait-il autrement ailleurs, sur d'autres terres ? Pourquoi les populations osterlichoises accepteraient que des okordiens s'installent sur leurs terres et y imposent leurs coutumes et leurs lois ? En Okord, on se bat pour quelques friches où les serfs doivent peiner du chant du coq à la tombée de la nuit pour faire pousser à peine de quoi tenir jusqu'au printemps prochain. On dit qu'en Osterlich, la terre est si généreuse et fertile qu'il suffit de jeter les grains de blés au vent pour récolter en été de pleines brassées d'épis lourds et dorés. Si on se bat sans relâche pour une terre ingrate, comment ailleurs pourrait-on abandonner une terre d'abondance ? Comment réagiront les populations osterlichoises devant des étrangers prenant les terres de leurs ancêtres ?
À ces questions, Guilhèm espère une réponse. Mais à dire vrai, la question qu'il se pose dans l'immédiat, c'est comment les populations osterlichoises vont l'accueillir lui, un adorateur des anciens dieux d'Okord, un étranger ignorant de leurs coutumes, ignorant jusqu'à leur langue. Maintenant qu'enfin ils approchent de leur destination, Guilhèm se prend à espérer que le voyage soit encore long, pour retarder l'échéance où il mettra le pied sur cette terre étrangère.
Et pourtant, quelques jours auparavent, combien il a pu pester sur l'absurde durée du voyage ! Par les dieux, c'était pourtant tout simple ! Il suffisait d'embarquer dans ses terres au Port des Passiflores, où on avait mis à sa disposition un excellent navire, la Fleur de Lussuria. Simplement traverser le canal, et on arrivait directement en Esterord. Mais non, Donatien a d'abord fait mine de ne pas entendre la proposition. Sous l'insistance de Guilhèm, il a finalement décrété que comme la dame de Falkenberg participait à l'expédition il fallait en premier lieu se rendre sur ses terres. La courtoisie a obligé Guilhèm à acquiescer, même s'il est d'abord persuadé que le nom du navire y est pour quelque chose. Si son suzerain podeszwite montre une grande tolérance aux autres croyances que la sienne, cela ne va peut-être pas jusqu'à embarquer sur un navire nommé en l'honneur de la reine des vices et mère des vertus.
C'est en voyant la couleur du visage de Donatien, alors qu'ils viennent à peine d'embarquer après une interminable traversée jusqu'au sud-ouest d'Okord, que Guilhèm comprend enfin la véritable raison des réticences de son suzerain à voyager par bateau. Blanc comme un linge, Donatien passe ses journées à psalmodier des prières à Podeszwa qu'il interromp brusquement pour rendre tripes et boyaux par dessus le bastingage. Compatissant, Guilhèm se rend à la coquerie récupérer un bol d'eau bouillante, dans lequel il met à infuser quelques herbes efficaces contre les nausées et les maux d'estomac, qu'il avait prévues en cas de gros temps. Ses efforts rencontrent malgré tout un refus, Donatien prétextant un jeûne pour rendre grâce à Podeszwa.
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Arrivés à Aurora, Guilhèm et Donatien découvrent que ce qui aurait dû être une cité a été abandonnée avant même d’avoir été achevée. La Dame de Falkenberg a finalement décidé de retourner au coeur du royaume d'Osterlich dont elle est originaire.
Ils décident donc d'entamer leur périple par le Sudord, juste de l'autre côté du Grand Canal. Les eaux calmes et le ciel bleu promettent une traversée tranquille, du moins pour qui n'est pas sujet au mal de mer. L'autre rive semble cependant peu accessible. A leur connaissance aucun port n'a été aménagé à proximité pour accueillir leur navire. L'horizon ne laisse voir que des montagnes et des reliefs escarpés finissant en falaises où se fracassent les vagues du Canal. Guilhèm envisage de proposer à un Donatien livide de descendre le Canal jusqu'à ce que les falaises laissent place à un relief plus clément, mais observant la carte, il remarque un bras de mer qui permettrait de rejoindre plus rapidement une plage où il serait possible d'accoster. Donatien accepte cette proposition, non sans appréhension pour la suite du voyage : parcourir tout le Sudord par voie de terre serait bien trop long, il faudra donc reprendre le bateau plus tard.
Arrivés sans encombre à destination, Donatien laisse échapper un soupir de soulagement en posant enfin le pied sur la terre ferme. Guilhèm, quant à lui, sent renaître sa crainte : à quoi s’attendre en ces terres inconnues ?
Accompagnés d’une petite escorte, ils débarquent sur une plage étroite où les galets laissent peu à peu la place à une végétation éparse : des petits arbres rabougris, des herbes sèches mêlées à des arbrisseaux dégageant une agréable odeur aromatique. Alors que la matinée est à peine avancée, le soleil tape déjà fort pour Guilhèm, habitué à la douceur des terres okordiennes, et un vent sec venant du sud n’apporte aucune fraîcheur, bien au contraire. Le silence n’est brisé que par le cri d’oiseaux en direction du Canal, ou le chant d’insectes inconnus en Okord.
On distingue un hameau à peine plus loin. Alors que le petit groupe s'en approche, la joie laisse peu à peu place à la déception : personne n’arpente les ruelles, aucun son d’outils ou de voix. Seuls se font entendre les trilles des grillons, et le grincement au gré du vent d’une porte mal fermée. Jetant un œil à l’intérieur, on distingue dans l’obscurité une pièce nue de tout mobilier. Guilhèm observe çà et là des fissures sur les murs des maisons, des tuiles ou du chaume manquant sur les toitures. Les maisons sont manifestement à l’abandon.
- Allons voir à l’intérieur des maisons, peut-être reste-t-il quelques habitants, propose Donatien. Ou au moins peut-être trouverons nous des signes qui nous permettront de comprendre pourquoi ce village a été abandonné.
Peu rassuré, Guilhèm répugne à entrer à l’intérieur, ces maisons désertées ne lui disent rien qui vaille :
- Mon suzerain, je vous en conjure, soyons prudents. Qui sait quel mal a pu pousser ces gens à abandonner leurs demeures ? Gardons-nous d’attraper quelque maladie inconnue !
Après une exploration prudente, ils se rendent vite à l’évidence : plus personne ne vit ici depuis bien longtemps.
- Cherchons des traces de passage, un chemin qui nous mènerait à un autre village voire une ville de plus grande importance, propose Donatien, nullement démoralisé.
Guilhèm observe le soleil, déjà bien haut dans le ciel, et regrette la fraîcheur apportée par le Canal. Ne vaudrait-il pas mieux retourner au navire et tenter d’accoster ailleurs ? Il acquisse cependant de mauvaise grâce :
- Oui il nous faut trouver le chemin le plus praticable en espérant trouver d'autres habitations plus loin.
Tandis que Donatien part vers l’Est, Guilhèm explore les alentours du village sur son flanc Ouest. Aucun chemin, pas même la trace de pas récents. Rien ne semble avoir perturbé la végétation, si ce n’est quelques traces dans les herbes, témoins probables du passage de petit gibier.
- Au moins si on reste par ici, on aura de quoi chasser si Arduina nous sourit, pense-t-il.
Revenant vers le hameau, il aperçoit Donatien qui marche vers lui le sourire aux lèvres.
- Messire Donatien, il n'y a rien de mon côté, je n’ai trouvé que quelques herbes couchées et des crottes de lièvres ! Aucune trace d'activité humaine.
- Pour ma part, j'ai eu plus de succès, venez voir. Des ornières de roues, des chariots ont l'air d'être passés il y a encore peu.
- Ah, voilà qui est intéressant ! Vers quelles directions vont-ils ?
D’un geste enthousiaste, Donatien fait signe de le suivre :
- Par ici, regardez. Nous allons pouvoir les suivre.
Après une rapide collation, le groupe se remet en route, suivant les traces de chariots qui s'éloignent vers le Sud-Est. A une époque, une véritable route passait peut-être par ici mais des branches cassées montrent que des chariots ont dû se frayer un passage qui n’existait pas vraiment. S’il y a eu une route, elle a bien manqué d’entretien.
Ils dépassent un autre hameau plus loin, puis encore un autre, dans le même état que le premier. Guilhèm se demande s’il ne serait pas raisonnable de faire demi-tour et retourner au bateau. La chaleur de l’après-midi est étouffante et la fatigue commence à se faire sentir. Un troisième hameau apparaît à l’horizon cependant, juste avant une forêt dont les essences d’arbres semblent bien différentes des forêts okordiennes.
Même Donatien commence à envisager la perspective de retourner au vaisseau et au mal de mer :
- Hum, c’est très étrange de trouver des villages fantômes ainsi. Peut-être aurons-nous plus de chance avec celui-ci ? Je propose de pousser plus avant, mais s’il est vide à son tour, peut-être, hum... Peut-être retournerons-nous au vaisseau pour remonter un peu plus le long de la côte.
En s’approchant des premières masures, Donatien aperçoit un homme occupé à charger une charrette. Il le hèle en osterlichois :
- Ola mon brave, c’est l’Unique qui vous a mis sur notre chemin! Auriez-vous quelques minutes pour vous entretenir avec nous?
L’homme s’écarte de sa charrette pour observer le groupe. A ses vêtements, simples et pratiques quoique en bon état, on devine un homme du peuple, paysan relativement aisé ou artisan. Il les regarde d’un air surpris :
- Héin ? Qu’est que c’est ? Qui que vous êtes ? On n’y croise point d’âme par là non mais !
Guilhèm regarde Donatien d’un air interrogateur. Ce dernier lui traduit puis enchaîne, levant les mains en signe de paix :
- Nous venons d’accoster il y a peu, mais avons eu la surprise de ne croiser que des bourgades abandonnées. Pourriez-vous nous éclairer quant à ce phénomène étrange
- Par là ? Ben c’est normal pardi, ça fait belle lurette qu’il n’y a plus personne dans ce coin-là. Entre la guerre avec Okord, puis Osterlich déjà y’a du monde à être parti. Pis avec les Salahin qui viennent piller les côtes vous trouverez plus rien par là.
D’une main calleuse, il désigne la forêt :
- Pis avec les vents du sud plus forts et plus chauds ben maintenant y’a bien plus que Karlsrehue dans la forêt qui est restée vivante.
Guilhèm sursaute au mot Salahin, il a entendu tant d’histoires à vous glacer le sang sur ce peuple de pillards du sud. Sans attendre la traduction de Donatien, Guilhèm lui demande en okordien :
- Il a parlé des Salahin ? S'ils viennent jusqu'ici, il faudrait s'assurer qu'ils ne trouvent pas notre navire !
L’homme regarde Guilhèm et se tourne à nouveau vers Donatien pour lui demander en Osterlichois :
- Qu’est ce qui dit ? Vous êtes d’Okord vous hein ?
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De nombreuses questions brûlent les lèvres de Donatien, mais il prend d'abord le temps de traduire les paroles de l'homme à Guilhèm, avant de reprendre en osterlichois :
- Mon camarade est okordien, et moi-même qui n’y suis établi récemment viens au départ d’Osterlich. Mais vous parliez des Salahin, ils croisent beaucoup dans cette partie du canal en ce moment? Karlsrehue c’est une bourgade du coin donc? C’est de la que vous venez, peut-être ?
- C’est de là que je retourne. Il n’y a plus que cette cité par ici, les vents du sud ont asséché les plaines, les récoltes ne sont plus ce qu’elles étaient.
L'homme fait un geste en direction de la forêt et des montagnes que l'on devine au delà.
- A Karlsrehue la forêt et les montagnes permettent les cultures pour tous les habitants. Les Salahins viennent par vague. Ce sont des pillards sur les côtes. Ils viennent pas jusque là par contre. Qu’est ce que vous cherchez par ici ?
Son ton ne montre ni hostilité ni méfiance, simplement la curiosité. Donatien prend encore une fois le temps de traduire à Guilhèm avant d'en venir à l'objet de leur mission :
- Et bien, puisque sa majesté Baldir XXXIV a autorisé des colons okordiens à s’installer dans la région, nous venions faire un peu de reconnaissance. S’assurer que la population locale ait été mise au courant et soit compliante, et évaluer de potentiels problèmes à gérer avant que plus de nos compatriotes ne viennent s’y établir. Vous nous indiquez déjà l’existence de raids pirates et d’un problème de fertilité des sols, je pense qu’il sera important de le transmettre chez nous.
L'homme secoue la tête :
- Les raids, c’est sur les côtes. Et le problème ici c’est pas le sol, c’est le vent sec du sud. Avant ici on plantait ce qu’on voulait, tout poussait bien. Mais depuis quelques années l’eau manque. Les gens se sont donc déplacés au nord ou plus près des côtes.
Guilhèm essuie du revers de sa main la transpiration qui menace de lui couler dans les yeux. Il n'a vraiment pas l'habitude de cet air sec, et écoutant Donatien qui lui répète en okordien les paroles qu'il vient d'entendre, il se demande comment quoi que ce soit peut bien pousser ici avec ce vent qui dessèche tout.
- est-ce qu’on va visiter cette Karlsrehue, ou on retourne au bateau? lui demande Donatien
Il serait tentant de quitter cette fournaise et retourner à la relative fraîcheur apportée par les eaux, mais leur mission exige qu'ils se renseignent davantage
- Je pense qu'il serait intéressant d'aller à Karlsrehue. Si une partie des terres n'est pas cultivable à cause de la sécheresse, nous devrions nous assurer qu'il n'y ait pas de concurrence entre les colons okordiens et les populations locales pour l'accès aux terres cultivables.
L'homme accepte de leur montrer Karlsrehue, et leur fait signe de le suivre. En chemin, il leur explique que son nom est Karl Sberg. Il cultive et transforme des céréales pour en faire une boisson fermentée légère en alcool, fort apprécie en Osterlich où elle a été inventée. Il explique fièrement être l'un des premiers à avoir commence à produire cette boisson, appelée Mousse, dans la région.
Le petit groupe suit le chemin, qui s'élargit peu à peu, montrant de plus en plus de signes de passage. Ils aperçoivent quelques maisons isolées ou regroupées en hameau à proximité du bras de mer, qui semblent être des maisons de pêcheurs. Plus loin, la route longe des jardins, fort différents des jardins qu'ils connaissent en Okord. Dans certaines parcelles, des buissons gris aux fleurs violettes et parfumées entourent des arbres aux troncs très noueux produisant une multitude de petits fruits. Karl leur explique que ces fruits servent à faire de l'huile, et que l'arbre qui les porte résiste bien à la sécheresse. Ce n'est malheureusement pas le cas de beaucoup de plantes qui étaient autrefois cultivées dans la région, mais qui dépérissent aujourd'hui par manque d'eau.
- Autrefois, tout était vert. Tout poussait. Maintenant, c'est plus pareil. Sacré boulot maintenant.
Les okordiens échangent longuement sur les méthodes de cultures. Quasiment absentes dans la région autrefois du fait de la douceur du climat, permettant des récoltes abondantes quasiment toute l'année, la sécheresse impose maintenant de nouvelles techniques. Il faut protéger les sols pour limiter l'évaporation, sélectionner des variétés moins gourmandes en eau, protéger les arbres. Ces contraintes sont relativement nouvelles pour les habitants.
- Et nous v'là à Karlsrehue
Une petite ville s'étend devant le groupe. Un château entouré de jardins se dresse en son centre, d'où partent un grand nombre de rues rectilignes dans toutes les directions. La cité abrite de nombreux grands marchés où s'affairent une multitude de marchands.
- Les colons okordiens qui s'installent en Sudord risquent de se heurteur aux mêmes problèmes de sécheresse, fait remarquer Guilhèm à son suzerain en okordien. Il pourrait être profitable d'échanger sur les techniques agricoles avec les populations locales. Peut-être pourraient-ils vendre aux okordiens installés en Sudord des semences adaptées climat local, tandis que nous pourrions leur vendre des produits d'Okord.
Encore une fois, Donatien traduit cette suggestion à Karl :
- Grand merci de nous avoir guidé par ici et toutes ces explications, je serais preneur si vous aviez quelques semis typiques du coin pour en emporter un peu en Okord, afin de voir comment il se comporte et le montrer à de potentiels intéressés par une installation en Sudord.
- Ha bah ça pour sûr qu'on est preneur de denrées bien de chez vous ! J'ai souvenir qu'une fois j'ai pu me procurer de la saucisse du grand nord d'Okord avec un peu de chou fermenté, c'était excellent !
Il se gratte la tête, cherchant dans ses souvenirs :
- Il me semble que vous aviez un okordien qui avait déjà utilisé nos semences lorsqu'il était au sudord. Mordicus, Mordrus, Mordid... Quelque chose comme cela, il adorait notre maïs et le faisait souffler. Nous ne faisons pas de commerce spécialement de semences, mais vous en trouverez surement dans les petits marchés locaux ou auprès des paysans directement.
La journée s'achève par quelques transactions dans les marchés de Karlsrehue. Donatien note soignement le nom des marchands qui pourraient leur vendre des semences, et ceux intéressés par des produits okordiens. Assurément, cela sera d'une grande utilité pour Okord.
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Le trajet tout le long de la partie Sud du Grand Canal se révèle houleuse alors que le vent se lève, et qu’une tempête terrible s’abat rapidement sur le vaisseau qui croise plus à distance des côtes que ce que ne l’aurait souhaité Donatien, partisan d’un cabotage prudent. Pour autant, c’est clairement le fait de s’être éloigné, couplé à l’expérience du capitaine, qui leur permet de survivre, alors que le cabotage aurait à coup sûr terminé en naufrage sur les récifs. Et La Nouë retiendra nettement l’impressionnante assurance du capitaine alors qu’il prendra la décision de prendre de face une gigantesque vague afin de tenter de la fendre, seule véritable chance de ne pas sombrer alors que les lames d’eau s’accumulent, certaines s’écrasant lourdement sur le pont tandis qu’une partie de l’équipage tente d’écoper rapidement.
Une fois le calme revenu, le navire va commencer à croiser dans des eaux plus paisibles, et à la couleur admirablement turquoise, alors que le climat se fait plutôt clément. Alors qu’ils croisent à distance des archipels épars, de nombreuses embarcations exotiques sont visibles, petites et effilées, parfois dotées d’un singulier contrepoids, mais presque toutes mues à la rame. Le premier contact est méfiant, les habitants craignant manifestement une lutte pour les ressources, mais l’expédition les rassure rapidement en leur indiquant ne pas chercher à pêcher, mais au contraire à acheter des vivres et de l’eau potable afin de reconstituer leurs provisions. Après un conciliabule, les locaux escortent le navire jusqu’à un île au rivage de sable blanc, et les guident une fois débarqués vers un petit village fait de cahutes en pailles.
De nombreux étals sont disponibles, où est principalement disposé le fruit de la pêche. Guilhem s’émerveille des poissons disposés sur les étals, de formes diverses et aux couleurs chatoyantes.
- Je n'ai jamais vu autant de poissons différents ! Voyons si nous pouvons trouver des poissons séchés, ou salés, pour poursuivre notre voyage. Les poissons frais ne se conserveront pas, surtout avec cette chaleur.
- Je suis d’accord, à l’exception du repas du jour. Il serait dommage de ne pas profiter de poisson frais pour reconstituer nos forces avant de repartir. Et peut-être ont-ils d’autres méthodes de conservation moins usuelles pour nous qu’il serait intéressant de découvrir.
Donatien sollicite alors les locaux pour des mets à longue conservation, mettant un peu de temps à trouver le marchand adéquat, beaucoup vendant simplement leur pêche du jour. Le plein des cales est fait avec des vivres fait pour bien se conserver, et Guilhem évoque d’éventuels commerces vers Okord, que les marchands prennent initialement avec méfiance, craignant que des seigneurs okordiens n’utilisent leurs gens pour venir directement se servir. Une fois rassurés, cependant, les autochtones s’ouvrent plus, et propose aux explorateurs de tester un fruit typique. L’aspect est surprenant, orangé avec une peau fort rugueuse, mais l’intérieur est très sucré et acide à la fois, empli de jus, ce qui emplit d’extase les deux seigneurs.
Oh, c’est sucré et acide à la fois, comme c’est déroutant de prime abord! Mais fort intéressant. Goûtez donc, Guilhem!
- Délicieux. Absolument délicieux. Si ce fruit se conserve bien, nous devrions en acheter pour le voyage !
Donatien cherche à sonder la populace locale sur leur connaissance des accords passés entre les royaumes, tempéré par un Guilhem qui tient à ne pas les alarmer.
- J’en profite pour changer de sujet, avez-vous été mis au courant que les terres des environs d’Osterlich vont être ouvertes à l’installation d’Okordiens? Nous avons été étonné que le Roi Baldir propose un tel accord, et nous posions la question du relais de la nouvelle auprès des principaux concernés.
- Donatien, vous devriez rassurer ce sympathique marchand en lui précisant que notre mission est de nous renseigner pour que cette cohabitation se passe de la façon la plus harmonieuse possible. Ces gens semblent s'inquiéter que nous pillions leur poisson. Il nous faut veiller à ne pas les alarmer.
- Oui, vous avez raison Il va sans dire que cela n’interfèrera en rien sur vos activités directes, et que cela ne pourrait que vous faire des clients supplémentaires.
Cela semble pour autant éveiller la méfiance du marchand avec qui ils discutent.
-- Les Okordiens… ils pensent que tout leur appartient. C’est bien là votre problème principal si vous voulez que les choses se passent bien. Laissez-nous gérer notre pêche, laissez-nous gérer nos forêts. Et surtout ne prenez pas tout pour vous, la terre appartient à toutes les formes de vie.
- De fort sages paroles, que nous saurons transmettre aux seigneurs et dames d’Okord. Nous allons vous prendre une cargaison de ces fruits, en tout cas, et si vous en aviez quelques plants je serais curieux de voir si nous arrivons à en faire pousser chez nous.
Cette demande étonne fort l’homme, qui explique ne pas faire ce genre d’usage, les graines poussant facilement, parfois même à partir de fruits pourris oubliés. Les terres semblent donc particulièrement fertiles sur ces petits ilots, ce qui est fort intéressant à retenir. Leurs forêts regorgent de ressources et sont littéralement des vergers, et ne tombent pas sous le coup du principe de propriété. Concernant l’organisation locale, une fois interrogés, les marchands expliquent à Guilhem et Donatien que chaque village est relativement autonome, dirigé par un chef de village, qui gère au quotidien, aidé de conseillers ou non. En cas de différend entre deux villages, le chef d’un troisième est généralement mandaté pour juger la situation et trancher. Il n’y a pas de dirigeant régional, chaque village étant sous l’autorité directe du Roi Baldir XXXIV.
Les ambassadeurs, riches de nombre d’enseignement sur les us et ressources locales, décident alors d’embarquer à nouveau pour une dernière destination, les landes d’Esterord, qui ont à de nombreuses reprises changé de dominance.
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