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#1 2025-02-11 00:03:14

Siostry Vespasia
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Le corbeau du grand est

Le jour déclinait sur le Grand Katadra de la Lumière Éternelle d'Hebron. Dans la vaste bibliothèque de l'édifice religieux, Frère Mateusz observait avec une fascination mêlée d'inquiétude les rayons du soleil couchant qui embrasaient les vitraux. Le jeune copiste n'avait que vingt printemps, et sa robe de bure, encore raide de nouveauté, trahissait son récent engagement au service de la Siostry Vespasia. Ses doigts, tachés d'encre, tremblaient légèrement tandis qu'il manipulait les précieux volumes que sa maîtresse sélectionnait pour être acheminé à la bibliothèque de Shalima-Ilitu.

Les Chroniques de la Première Révélation, énonça la Siostry en effleurant du doigt la tranche d'un volume relié de cuir pourpre aux fermoirs d'argent terni. Les Alfas doivent comprendre comment l'Unique s'est manifesté à nos ancêtres. Cette connaissance est le fondement même de notre foi.

Mateusz acquiesça en silence, admirant la calligraphie soignée qui ornait les pages. Son regard fut attiré par une enluminure représentant les premiers Strolatz, ces légendaires guerriers-moines dont on disait qu'ils ne quittaient jamais leurs rangs. Une goutte de sueur perla sur son front - l'idée même de ces guerriers fanatiques suffisait à le faire frémir.

Les Visions du Grand Pèlerin, poursuivit la Siostry, s'arrêtant devant un imposant manuscrit aux dorures étincelantes. Ces témoignages des premiers voyages mystiques sont fondamentaux pour comprendre notre quête spirituelle. Elle marqua une pause, contemplant les hautes étagères qui les entouraient. La Collection des Préceptes Essentiels viendra compléter cet envoi. Sans la compréhension de nos rites et de nos traditions, comment pourraient-ils...

Le grincement des lourdes portes sculptées trancha le silence comme une lame. La lueur du couchant parut hésiter dans sa course, projetant une ombre démesurée sur le sol de marbre. Dans l'encadrement se tenait une silhouette dont la seule présence semblait absorber la lumière environnante.

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Frère Mateusz laissa échapper un hoquet de surprise. Son encrier vacilla dangereusement, menaçant de répandre son contenu sur les précieux documents. Ses yeux s'écarquillèrent à la vue de l'armure noire, et plus encore en reconnaissant l'insigne à demi effacé qui y était gravé - le symbole des Strolatz. Des histoires terrifiantes sur cet ordre militaire avaient bercé son enfance. On disait que leurs membres étaient liés par des serments de sang, que quitter leurs rangs signifiait une mort certaine, que leurs techniques de combat étaient aussi redoutables que leurs pratiques mystiques étaient obscures.

La Siostry perçut le trouble de son jeune assistant. Nous reprendrons cet inventaire plus tard, Frère Mateusz, dit-elle d'une voix douce mais ferme. Vous pouvez nous laisser.

Le jeune homme ne se fit pas prier. Rassemblant ses affaires d'une main tremblante, il se dirigea vers la sortie, longeant les murs comme pour se fondre dans les ombres. En passant près du visiteur, il sentit une aura de puissance contenue qui le fit frissonner. Son habit de bure frôla le manteau sombre de l'étranger dans un bruissement qui lui parut assourdissant.

Niech będzie pochwalony Podeszwa, prononça l'homme en s'inclinant avec une grâce inattendue qui contrastait avec sa stature imposante. La Siostry Vespasia l'observa attentivement, son regard s'attardant sur les détails révélateurs : l'insigne des Strolatz usé mais encore visible, le médaillon Podeszwite qui luisait faiblement à son cou, et surtout cette posture si particulière - trop souple pour un Strolatz en service, trop martiale pour un simple prêtre itinérant.

Siostry Vespasia, commença-t-il de sa voix aux inflexions osterlichoises marquées, Przychodzę w pokoju. Il laissa les mots résonner un instant dans l'air avant d'ajouter dans la langue commune : Je viens en paix, offrir mon épée et ma foi à votre académie de strolatz... ou de paladins.

La Siostry sentit un frisson parcourir son échine. Elle avait passé des années à étudier les différents ordres religieux Podeszwites, et les Strolatz occupaient une place à part dans ses recherches. Leur dévotion absolue était légendaire, tout comme leur refus catégorique de laisser partir leurs membres. La simple idée qu'un Strolatz puisse quitter l'ordre volontairement relevait de l'hérésie.

Comment avez-vous eu vent de notre projet d'académie ? demanda-t-elle, masquant sa méfiance derrière un ton courtois. Ces informations n'étaient pas destinées à voyager au-delà de nos frontières.

Un sourire énigmatique éclaira le visage buriné de l'homme. Les grandes idées, Siostry, sont comme le vent des steppes - nulle frontière ne saurait les retenir. Il fit quelques pas mesurés vers une haute fenêtre, son armure aussi sombre que la nuit naissante. D'Osterlicht à Okord, en passant par tous les royaumes que j'ai traversés, les informations circulent aussi sûrement que les rivières coulent vers la mer. Il suffit de savoir où les chercher. dit il en portant son regard au loin.

Je suis Wacław Kowalczyk, annonça-t-il en faisant glisser sa main vers la sacoche de cuir qui pendait à sa ceinture. Ancien maître d'armes de la forteresse Strolatz de Czarna Wieża.

D'un geste mesuré, il en tira un parchemin soigneusement roulé, scellé de cire noire veinée d'argent. Le sceau portait les marques distinctives d'un Gorny Osterlichois. Voici les témoignages du Gorny de Czarna Wieża qui a guidé ma formation spirituelle, poursuivit-il en tendant un document d'une main ferme.

La Siostry déroula le premier parchemin avec précaution. L'écriture, fine et anguleuse, caractéristique des scribes osterlichois, couvrait la page de son tracé précis. Elle jeta un oeil au document qui attestait de trois années d'étude et de contemplation auprès du vénérable maître.

Cette lettre, murmura la Siostry en effleurant du doigt le sceau du document, elle est authentique, sans nul doute. Mais elle soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Comment un maître d'armes Strolatz a-t-il pu étudier aussi librement auprès d'un Gorny ? N'étiez vous pas censé faire vos simples offices et rentrer dans le rang ?

Le regard de Wacław se perdit un instant dans les vitraux embrasés par le couchant. Drogi Jedynego są niezbadane - Les voies de l'Unique sont impénétrables, Siostry. Parfois, le chemin le plus improbable est celui qui mène à la vérité.

Se retournant vers elle, il reprit d'une voix où perçait une conviction tranquille : Mettez-moi à l'épreuve, Siostry. Par l'épée et par la foi. Laissez-moi vous montrer que mes actes valent mes paroles.

La Siostry Vespasia demeura silencieuse un long moment, soupesant les implications de cette requête. Un ancien Strolatz au sein de l'académie pourrait être soit une bénédiction, soit une malédiction. Sa présence attirerait inévitablement l'attention - et peut-être la colère - de cet ordre puissant. Pourtant, son expérience serait inestimable pour former la prochaine génération de paladins Okordiens.

Dernière modification par HernfeltMayer (2025-02-12 21:49:33)


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#2 2025-02-12 21:49:21

Siostry Vespasia
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Re : Le corbeau du grand est

La nuit étendait son voile sur Hébron, tandis que dans l'auberge "Le Repos du Pèlerin", les chandelles projetaient leurs ombres mouvantes sur les murs de pierre centenaire. L'odeur du pain frais se mêlait aux effluves de viande rôtie et de calvok épicé, créant cette atmosphère caractéristique des tavernes où se croisent voyageurs et locaux. Les clients allaient et venaient, le plancher gémissant sous leurs pas, certains pour un repas tardif, d'autres pour noyer leur solitude dans un verre d'alcool aux arômes de fruits mûrs. L'atmosphère était celle des soirées ordinaires, à ceci près que les conversations semblaient plus feutrées, les regards plus furtifs, tous invariablement attirés vers le même point de la salle.

Dans le recoin le plus paisible de l'établissement, là où les ombres dansaient avec plus d'intensité, une silhouette sombre attirait l'attention malgré elle. Un vieux marchand, installé près de la cheminée, se signait discrètement chaque fois que son regard croisait la silhouette noire. À une table voisine, une serveuse ralentissait intentionnellement son service, tendant l'oreille pour capter la moindre parole. Les murmures couraient d'une table à l'autre, aussi ténus que la brise d'automne : Le Corbeau du Grand Est... Il est là... Le Strolatz noir...

L'homme qui suscitait tant de chuchotements ne semblait pas s'en soucier, concentré sur son repas qu'il savourait avec une lenteur méthodique. Le tintement régulier de ses couverts contre l'assiette créait un rythme presque hypnotique dans le brouhaha ambiant.

C'est alors que la porte massive de chêne s'ouvrit brutalement, le grincement de ses gonds millénaires couvrant momentanément les conversations. Une bourrasque d'air froid s'engouffra dans la salle, faisant vaciller les flammes des chandelles et soulevant les jupons des serveuses. Un groupe de jeunes gens fit irruption, leurs bottes crottées laissant des traces sur le sol fraîchement balayé. Ils étaient cinq, les joues déjà rougies par le calvok, leurs rires trop bruyants résonnant contre les poutres apparentes du plafond.

Le tenancier, un homme robuste aux manches retroussées sur des avant-bras noueux, cessa d'essuyer ses verres. Son regard inquiet allait du groupe turbulent à la silhouette sombre, comme s'il pressentait l'orage qui se préparait. Quelques habitués, reconnaissant les jeunes fauteurs de troubles, se rapprochèrent discrètement de la sortie.

Wacław découpait toujours sa viande avec la même précision mécanique, son couteau effilé luisant doucement dans la pénombre. La lame, remarquablement aiguisée, tranchait la chair sans effort, révélant un acier de qualité inhabituelle pour un simple couvert d'auberge. Devant lui, un verre de lait de chèvre reflétait la lueur des flammes, îlot de pureté dans la semi-obscurité ambiante. Sa présence, bien que discrète, semblait absorber la lumière environnante, comme si son manteau noir créait un puits d'ombre autour de lui.

Leur meneur, un gaillard aux épaules larges sous une chemise de lin grossier et au regard déjà trouble, laissa tomber bruyamment une pièce sur le comptoir. Ton calvok le plus fort, tavernier ! beugla-t-il, avant de se tourner vers le coin où dînait le Strolatz. La lueur des chandelles révéla un visage jeune mais déjà marqué par une vie de petites brutalités, le genre de traits qu'on trouve chez ceux qui compensent leurs insécurités par la violence.

Alors c'est lui, le fameux corbeau ? lança-t-il d'une voix forte qui fit sursauter une vieille femme à proximité. On dirait plutôt un vieux moine qui a peur du calvok ! Ses compagnons ricanèrent, mais leurs rires sonnaient faux, teintés d'une nervosité qu'ils tentaient de noyer dans leur courage liquide.

Wacław continua de manger, son couteau tranchant la viande avec une précision qui semblait soudain plus menaçante. Le jeune homme, piqué par cette indifférence et porté par les regards de ses compagnons, s'approcha d'un pas mal assuré. Les planches du sol grincèrent sous ses pieds, marquant chaque pas comme un compte à rebours. Les autres clients s'écartèrent subtilement, créant un espace vide autour de la scène qui allait se jouer.

D'un geste théâtral, il renversa délibérément le verre de lait de chèvre. Le liquide blanc s'étala sur la table comme une lune brisée, ses éclaboussures dessinant d'étranges motifs sur le bois sombre. Le silence qui suivit fut assourdissant.

Młody człowieku, dit doucement Wacław, levant pour la première fois ses yeux d'acier vers le provocateur. Sa voix, grave et posée, portait cet accent osterlichois qui donnait à ses mots le tranchant d'une lame. Par la grâce de Podeszwa, sais-tu pourquoi les Strolatz boivent du lait de chèvre ?

Le jeune homme, décontenancé par cette réaction inattendue, jeta un regard incertain vers ses compagnons. Dans la salle, les respirations semblaient suspendues. Même le feu dans l'âtre parut crépiter plus doucement.

La clarté de l'esprit est comme ce lait de chèvre - pure, simple, bénie par le Tout-Puissant. Wacław fit un signe au tenancier qui s'empressa d'apporter un nouveau verre et d'éponger le désordre, son tablier tremblant légèrement tandis qu'il s'affairait. Le calvok trouble la vue, mais l'orgueil aveugle complètement.

Les compagnons du provocateur, regroupés près du comptoir comme des loups hésitants, échangèrent des regards mal à l'aise. L'un d'eux, enhardi par le calvok qui coulait dans ses veines, lança d'une voix qui se voulait assurée : Des paroles de vieillard ! Les vrais guerriers boivent du calvok !

Le vieux marchand près de la cheminée secoua doucement la tête, comme s'il assistait à une tragédie dont il connaissait déjà la fin. Une serveuse laissa tomber son plateau vide, le bruit métallique résonnant comme un glas dans l'atmosphère tendue.

Wacław coupa méthodiquement un nouveau morceau de viande. Dans les montagnes de Carpaty, poursuivit-il de sa voix profonde, j'ai vu des aigles planer au-dessus des précipices. Ils ne crient pas pour prouver leur force. Ils planent, simplement. Son couteau luisait dans la lumière des chandelles, la lame captant et renvoyant les reflets des flammes avec une netteté inquiétante.

On raconte que tu étais un Strolatz, persifla le meneur, sa voix trahissant une pointe d'hésitation malgré son arrogance affichée. Prouve-le ! Montre-nous ce que sait faire un guerrier de l'Est !

Un vieil habitué toussa nerveusement, sa chope de calvok serrée entre ses mains calleuses. Dans l'âtre, une bûche éclata, projetant une gerbe d'étincelles qui illumina brièvement la scène.

Prawda - la vérité, répondit calmement Wacław en essuyant délicatement son couteau avec sa serviette, est comme cette lame. Elle ne brille que pour ceux qui savent regarder.

Le jeune meneur, frustré par ces réponses énigmatiques et sentant son autorité lui échapper devant ses compagnons, fit un pas en avant. La sueur perlait sur son front malgré la fraîcheur de la salle. Assez de devinettes, vieillard ! Sa main s'avança vers le nouveau verre de lait de chèvre, dans un geste aussi prévisible qu'irréfléchi.

Le mouvement qui suivit fut si rapide que même les témoins les plus attentifs eurent du mal à le percevoir. Le couteau de Wacław traversa l'air dans un éclair argenté, se plantant avec une précision chirurgicale dans la main du jeune homme, entre le pouce et l'index, clouant ses doigts à la table de chêne massif.

Le cri qui suivit fit trembler les flammes des chandelles. Des gouttes de sang commencèrent à perler autour de la lame, formant un motif écarlate qui contrastait violemment avec les traces de lait de chèvre encore visibles sur le bois. Les compagnons du blessé reculèrent précipitamment, renversant leurs chaises dans leur hâte. Une femme étouffa un cri dans son tablier, tandis que le tenancier s'agrippait à son comptoir, les jointures de ses doigts blanchies par la tension.

D'un geste délibérément lent, Wacław plongea la main dans sa bourse et en sortit une généreuse poignée de pièces d'argent qu'il déposa soigneusement sur la table, certaines se teintant légèrement du sang qui s'écoulait toujours. Pour le dérangement, les verres brisés, et la leçon donnée, dit-il au tenancier d'une voix posée.

Il saisit ensuite le manche de son couteau et, dans un mouvement aussi précis que celui qui l'avait planté, le retira de la main du jeune homme. Ce dernier s'effondra à genoux, des larmes de douleur et d'humiliation coulant sur ses joues, serrant contre sa poitrine sa main blessée.

Avec une méticulosité presque cérémonielle, Wacław essuya la lame sur sa serviette jusqu'à ce qu'elle retrouve tout son éclat, avant de la reposer délicatement le long de son assiette. Il se leva ensuite, sa haute silhouette semblant soudain emplir toute la pièce. Les clients s'écartèrent sur son passage comme une mer devant un navire noir, créant un chemin jusqu'à la porte.

Sur le seuil, il s'arrêta et se retourna. Va voir un guérisseur, lança-t-il au jeune homme toujours prostré. J'ai évité les tendons et les os. La blessure n'est que chair, elle guérira vite si tu la soignes bien. Puis, son regard balayant l'assemblée : Niech Podeszwa ma nas w swojej opiece - Que Podeszwa nous garde tous. La jeunesse sans sagesse est comme une épée sans fourreau : un danger pour elle-même et pour les autres. Le Tout-Puissant nous a donné l'ordre pour une raison. Méditez là-dessus.

La porte se referma derrière lui dans un grincement qui résonna comme un jugement final.

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Dernière modification par HernfeltMayer (2025-02-13 22:33:08)


Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.

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#3 2025-02-13 22:47:27

Siostry Vespasia
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Re : Le corbeau du grand est

Le frère Bogdan traversa en toute hâte les couloirs du Grand Katadra de la Lumière Éternelle, ses sandales effleurant à peine les dalles de pierre polies par les siècles. Sa robe de bure ondulait autour de ses formes rondes tandis qu'il pressait le pas vers la sacristie. Les vitraux projetaient sur son passage des nappes de lumière colorée, créant l'illusion fugace d'une procession d'ombres l'accompagnant dans sa course.

La sacristie, vaste pièce voûtée aux murs habillés d'imposantes armoires de chêne sombre, baignait dans une lumière tamisée. Des volutes d'encens s'attardaient encore dans l'air, vestige des préparatifs du matin. Le frère Tadeusz, grand ecclésiastique à la barbe poivre et sel soigneusement taillée, était penché sur un antique registre, tandis que le frère Kazimierz, aussi sec qu'une branche d'hiver, époussetait méticuleusement une rangée de calices d'argent.

Vous ne devinerez jamais ce qu'il fait ! s'exclama le père Bogdan en refermant la lourde porte derrière lui, ses joues roses témoignant de sa précipitation.

Les deux frères levèrent la tête, échangeant un regard entendu. Le Strolatz ? demanda simplement le frère Tadeusz, marquant sa page d'un signet de soie.

Il répare les stalles ! annonça le père Bogdan, s'éventant avec le pan de sa manche. Les magnifiques stalles du chœur, vous vous rendez compte ?

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Ces stalles étaient en effet la fierté du Katadra. Alignées de part et d'autre du chœur comme une armée de saints endormis, elles représentaient un chef-d'œuvre de menuiserie sacrée vieux de trois siècles. Chaque siège, taillé dans un chêne aussi ancien que la foi elle-même, se repliait grâce à un mécanisme ingénieux. Les miséricordes, ces petites consoles qui permettaient aux prêtres de s'appuyer lors des longs offices, étaient ornées de sculptures fantastiques où s'entremêlaient créatures mythiques et scènes de la vie de Podeszwa.

Dans le chœur, Wacław s'affairait sur l'une des stalles qui montrait des signes de faiblesse. Sa haute silhouette noire contrastait étrangement avec la délicatesse de ses gestes. Son marteau frappait le bois avec une précision qui témoignait d'une longue expérience, chaque coup calculé pour ne pas ébranler les sculptures délicates. De temps à autre, il s'arrêtait, testait le mécanisme de pliage, ajustait un ressort de bronze terni par les années.

Des groupes de novices, passant à distance respectueuse, ralentissaient pour observer ce spectacle inhabituel. Le Corbeau du Grand Est, dont on murmurait tant de choses, était là, agenouillé devant les stalles comme en prière, mais ses mains calleuses maniaient les outils avec une dextérité surprenante.

Il dit que chez les Strolatz, poursuivit le père Bogdan en baissant la voix, on apprend autant à manier le marteau que l'épée. Quelque chose à propos de l'humilité du travail manuel...

Le père Kazimierz reposa délicatement son calice. Les voies du Tout-Puissant sont impénétrables, murmura-t-il, tout comme les raisons qui amènent un guerrier à devenir menuisier.

Dans le chœur, le bruit régulier du marteau continuait de résonner sous les voûtes centenaires, son écho se mêlant aux chuchotements des curieux. Wacław, indifférent aux regards, poursuivait sa tâche, accordant autant d'attention à chaque clou qu'un scribe à ses enluminures. Le mécanisme d'une stalle grinça, puis glissa avec une douceur retrouvée. Le bois poli par des générations de prières brillait doucement dans la lumière des vitraux.

Son labeur achevé, Wacław rangea ses outils avec une minutie cérémonielle, les alignant le long du mur comme des reliques précieuses. Puis, dans un mouvement empreint de solennité, il se dirigea vers l'autel. Ses pas résonnaient doucement sur les dalles de pierre tandis qu'il s'avançait dans la lumière colorée des vitraux. Il s'agenouilla d'abord, son corps massif s'inclinant avec une grâce inattendue, puis s'étendit de tout son long, face contre le sol froid, ses lèvres murmurant des prières dans un souffle à peine audible.

Le frère Kazimierz, qui observait discrètement par la porte entrebâillée de la sacristie, se tourna vers ses compagnons. Le voilà qui se prosterne devant l'autel, chuchota-t-il. Penitenzia agite ? Pokuta ?

Le frère Tadeusz, toujours penché sur son registre, leva un sourcil intrigué. Les Strolatz font pénitence pour un rien, murmura-t-il avec un mélange de respect et d'émerveillement dans la voix. Ce brave en appelle sans doute à la clémence de Podeszwa pour le bruit qu'il vient de faire.

La lumière des vitraux baignait la scène d'une aura mystique, tandis que le silence du Katadra n'était troublé que par les murmures à peine audibles des prières du Strolatz.

Soudain, le frère Kazimierz referma la porte dans un mouvement précipité, son visage habituellement placide trahissant une inhabituelle nervosité. Il vient ! Il vient ! souffla-t-il, ses mains encore crispées sur la poignée de bronze.

Les trois frères se figèrent dans une immobilité parfaite, comme surpris en pleine contemplation d'un mystère qui ne leur était pas destiné. Le temps sembla suspendre son vol dans la pénombre de la sacristie.

La porte s'ouvrit avec une lenteur calculée. La haute silhouette de Wacław se découpa dans l'encadrement, sa présence emplissant soudain tout l'espace. Il inclina légèrement la tête, un geste empreint d'une courtoisie militaire.

Vénérables frères, sa voix grave résonna doucement contre les voûtes anciennes, je tenais à vous informer que la réfection des stalles est achevée. Chaque siège a retrouvé sa voix d'origine, comme les fidèles retrouvent leur chemin vers le Tout-Puissant.

Il fit une pause, son regard d'acier balayant la pièce avant de poursuivre : Wiecie, bracia - savez-vous, mes frères - Podeszwa nous enseigne que la beauté du sanctuaire reflète la pureté de notre dévotion. Ces stalles centenaires ne sont pas que du bois et du métal, elles sont les témoins silencieux de milliers de prières.

Les trois religieux demeuraient immobiles, partagés entre la crainte respectueuse qu'inspirait cet ancien Strolatz et la profonde sagesse qui émanait de ses paroles. Le frère Bogdan, ses joues habituellement roses maintenant pâles comme l'aube, serrait inconsciemment son chapelet entre ses doigts potelés.

Niech Podeszwa będzie z wami - Que Podeszwa soit avec vous, conclut Wacław en s'inclinant une dernière fois. Et souvenez-vous : comme ces stalles qui se plient et se déplient, notre foi doit être à la fois solide et flexible, ancrée dans la tradition mais capable de s'adapter au mouvement de la vie.

La porte se referma sur sa silhouette avec un claquement feutré. Dans le silence qui suivit, le frère Tadeusz s'avança lentement vers le prie-Dieu qui occupait un coin de la sacristie. S'agenouillant avec raideur, il commença à réciter les premières lignes d'une prière ancienne, sa voix tremblant légèrement : O Podeszwa, Ty który oświetlasz nasze drogi...

Les deux autres frères restèrent un long moment immobiles, comme si l'ombre du Corbeau du Grand Est planait encore dans la pièce, laissant derrière elle un mélange indéfinissable de crainte sacrée et d'émerveillement.

[A suivre...]


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#4 2025-02-18 14:46:49

Siostry Vespasia
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Re : Le corbeau du grand est

La place du marché bourdonnait de l'activité matinale habituelle. Les étals multicolores des marchands s'alignaient sous leurs auvents de toile, où s'entassaient épices odorantes, fruits frais et pièces d'étoffes chatoyantes. L'air était empli des cris des vendeurs vantant leurs marchandises, du marchandage incessant des clients, et des rires des enfants courant entre les stands.

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Près du puits central, à l'abri d'une tonnelle couverte de vigne grimpante, trois gentilshommes conversaient à voix basse. Leurs habits de velours et leurs chaînes d'argent trahissaient leur appartenance à la guilde des marchands. Le plus âgé, un homme corpulent au pourpoint brodé de fils d'or, se pencha vers ses compagnons.

Cette histoire avec la Siostry Vespasia est un désastre, murmura-t-il en lissant sa barbe grisonnante. Quitter ainsi le conseil royal et son poste de chancelier, sur un coup de colère ! C'est une grande perte pour nous autres marchands.

Le deuxième homme, plus mince et au visage marqué par les voyages, secoua la tête avec incrédulité. Les terres de la Siostry sont notre seul avantage. Nous sommes à la frontière de Déomul, leurs caravanes devraient naturellement passer par chez nous. Mais depuis que le roi permet aux seigneurs d'intercepter les caravanes étrangères à leur guise, seules les terres de la Siostry leur offrent encore un refuge sûr. Et les Déomuliens, messieurs, ajouta-t-il en baissant la voix, c'est la soie la plus fine et les épices les plus rares d'Orient.

J'ai entendu dire, ajouta le troisième, un jeune homme aux habits plus sobres mais finement coupés, que sa dernière colère au conseil a fait trembler les murs de la salle du trône. Si nous perdons le commerce déomulien à cause de cela, toute la région frontalière en pâtira.

Les passants qui circulaient autour d'eux ralentissaient parfois leur pas, tendant l'oreille vers ces conversations politiques. Parmi eux, une haute silhouette en noir attirait les regards - à la fois attirés et craintifs. Les mères serraient leurs enfants contre elles, les marchands s'inclinaient respectueusement, et les mendiants se signaient sur son passage.

La politique est comme le marché, résonna soudain une voix grave aux accents Osterlichois. On ne voit que les étals, rarement les mains qui les arrangent.

Les trois hommes sursautèrent. Wacław se tenait près de leur tonnelle, sa présence aussi sombre qu'imposante. Son manteau noir, impeccablement brossé malgré la poussière du marché, portait l'emblème à moitié effacé des Strolatz. À sa ceinture, une épée dont le pommeau usé trahissait des années de service.

Wybaczcie - pardonnez mon interruption, poursuivit-il, mais vos inquiétudes concernant la Siostry Vespasia sont peut-être prématurées.

Les marchands échangèrent des regards incertains. Autour d'eux, le cercle des curieux s'élargissait, chacun tentant de saisir les paroles du mystérieux Corbeau du Grand Est.

La congrégation des Siostry est comme la main du Tout-Puissant, expliqua Wacław. Elle guide sans être vue. Vespasia s'est peut-être retirée du conseil, mais parfois il faut savoir faire un pas en arrière pour mieux servir l'Unique. Ce n'est pas dans les salles du pouvoir que réside la vraie force des Siostry.

Vous parlez comme quelqu'un qui connaît bien les Siostry, hasarda le plus âgé des marchands. Êtes-vous vraiment osterlichois ?

Un léger sourire éclaira le visage buriné de Wacław. W Osterlicht - En Osterlicht, répondit-il, les apparitions publiques de Baldir lui-même se font rarement sans qu'une Siostry ne soit dans l'ombre. Pourtant, vous ne trouverez leur nom dans aucun document officiel, aucun décret royal.

Le soleil de midi perçait à travers les feuilles de vigne, projetant des motifs mouvants sur le visage du Strolatz. Un vendeur de fruits passa près d'eux, son chariot grinçant sous le poids des pommes fraîches. Une volée de pigeons s'envola soudain du clocher du Grand Katadra, leurs ailes brillant dans la lumière.

Mais alors, demanda le plus jeune marchand, que va-t-il advenir de nos commerces, de nos routes ?

Niech Podeszwa prowadzi nas - Que Podeszwa nous guide, répondit Wacław en levant les yeux vers les pigeons. Parfois, il faut s'effacer pour mieux accomplir Sa volonté. Comme l'ombre qui protège la pousse du soleil brûlant, les Siostry continueront leur œuvre, loin des regards.

Sur ces mots, il s'inclina légèrement et se fondit dans la foule du marché. Les trois marchands le regardèrent partir, méditant ses paroles, tandis qu'autour d'eux la vie du marché reprenait son cours - marchands criant leurs prix, femmes marchandant des légumes, enfants poursuivant les pigeons, et au loin, les cloches du Grand Katadra sonnant midi.


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#5 2025-02-21 14:36:45

Siostry Vespasia
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Re : Le corbeau du grand est

Les premiers rayons de soleil de l'année se jetaient sur les champs qui s'étendaient au-delà de la muraille sud d'Hebron. La terre, encore lourde des dernières pluies d'hiver, commençait à exhaler ses promesses printanières. Près d'une grange aux poutres patinées par les ans, un groupe de paysans s'affairait à préparer les semailles d'avoine, leurs silhouettes courbées se découpant sur le ciel pâle du matin.

Parmi eux, la haute stature de Wacław attirait immanquablement le regard. Torse nu malgré la fraîcheur matinale, le Strolatz maniait la houe avec la même précision qu'il aurait manié une épée. Son corps, marqué de cicatrices anciennes, luisait de sueur sous l'effort. Les paysans l'avaient accueilli sans questions lorsqu'il s'était proposé de les aider à défricher la parcelle envahie de mauvaises herbes tenaces après l'hiver.

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Tak jak ziemia - comme la terre, expliquait-il au jeune Théophile qui peinait avec ses racines, il faut savoir être patient et constant. Ses mains calleuses arrachaient méthodiquement les herbes récalcitrantes, préparant le sol pour les futures semences.

Le bruit des sabots sur le chemin boueux fit lever quelques têtes. Un cavalier approchait, sa monture piaffant d'impatience. Son haubert étincelait sous sa cape aux couleurs de la ville, et son visage affichait ce mélange particulier de dédain et d'irritation propre aux nobles contrariés.

Enfin ! lança Gauthier de Saint Gobain, capitaine de la garde d'Hebron, en tirant sur ses rênes. J'ai parcouru tout le canton pour vous trouver, Strolatz. Et je vous découvre... à gratter la terre comme un serf !

Wacław se redressa lentement, essuyant son front d'un revers de main. Les paysans s'étaient instinctivement écartés, mais le regard tranquille de l'Osterlichois les maintint à leur tâche.

La Siostry Vespasia vous attend, poursuivit le capitaine avec impatience. Plusieurs dignitaires podeszwites d'Okord vont arriver en ville. Ils souhaitent vous rencontrer. Son regard s'attarda avec dégoût sur la boue qui maculait les bottes du Strolatz. Je vous conseille de vous... rendre présentable avant de paraître devant eux.

Wacław planta sa houe dans le sol et s'approcha du cheval, qui recula nerveusement. Szlachetny kapitanie - noble capitaine, dit-il de sa voix grave aux accents de l'Est, savez-vous ce que m'a enseigné le Gorny Franciszek, à la frontière des steppes ?

Le capitaine haussa un sourcil agacé. Je n'ai que faire des leçons d'un moine des confins...

Il disait : 'Pour voir la lumière du Tout-Puissant, commence par voir celle qui brille dans les yeux de ton prochain.' Wacław désigna les paysans qui continuaient leur labeur. Ces hommes préparent la terre qui nourrira la cité. Comment un chevalier errant pourrait-il craindre de partager leur tâche sacrée ?

Le soleil s'était élevé au-dessus des remparts, baignant la scène d'une clarté nouvelle. Świętość - la sainteté, poursuivit doucement le Strolatz, n'est pas dans la hauteur où l'on se tient, mais dans la profondeur avec laquelle on aime la création de l'Unique.

Gauthier de Saint Gobain s'agita sur sa selle, visiblement mal à l'aise. Soit. Mais la Siostry attend.

Prawda - c'est vrai, acquiesça Wacław en ramassant sa chemise. Se tournant vers les paysans, il s'inclina légèrement : Niech Podeszwa błogosławi waszą pracę - Que Podeszwa bénisse votre travail.

Alors qu'il s'éloignait aux côtés du capitaine, le vieil André, doyen des paysans, murmura à son fils : Vois-tu, même les corbeaux savent s'abaisser pour trouver leur nourriture. Mais celui-ci s'abaisse pour nourrir les autres.

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Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.

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#6 2025-03-02 21:57:51

Siostry Vespasia
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Re : Le corbeau du grand est

L'entrevue avec les podeszwites okordiens s'était terminée sur une note amère pour Wacław. Il avait exposé son passé de Strolatz, partagé sa vision d'un ordre de paladins véritablement dévoués à Podeszwa, et offert ses services comme instructeur. Certains, comme le Premier Gorny Mordread, avaient semblé favorables à sa proposition. D'autres, notamment le jeune baron de La Nouë et le seigneur d'Attignat, l'avaient accueilli avec une méfiance à peine voilée, questionnant ses motivations et son passé. La Siostry Vespasia, maîtresse d'Hébron, après avoir d'abord semblé le soutenir, avait finalement demandé son départ pour que l'assemblée puisse délibérer librement. Pour un homme qui avait traversé des steppes, bravé des coutumes ancestrales et offert son épée à une cause qu'il croyait juste, cet accueil mitigé résonnait comme un camouflet.

Il se leva avec une lenteur délibérée, ses articulations émettant un léger craquement que seuls ses voisins immédiats purent entendre. Son armure noire aux gravures complexes refléta un instant la lumière des chandelles alors qu'il se dressait de toute sa stature. Sans un mot, il parcourut l'assemblée du regard, s'attardant brièvement sur chaque visage. Une inclinaison de tête presque imperceptible fut son seul adieu.

Sa main calleuse se posa sur la garde de son épée, non pas comme une menace, mais comme un geste instinctif, celui d'un homme cherchant un point d'ancrage familier. La légère claudication qui marquait sa démarche semblait plus prononcée alors qu'il se dirigeait vers la sortie, ses éperons marquant rythmiquement le sol de pierre.

En passant la porte, il croisa le capitaine Gauthier de Saint Gobain. Leurs regards se rencontrèrent pendant une fraction de seconde – celui du capitaine, interrogateur ; celui de Wacław, impénétrable. Le Strolatz passa sans ralentir, sans un mot, comme si le capitaine n'était qu'une autre ombre dans ce corridor faiblement éclairé.

Une fois hors de la salle du conseil, son pas s'accéléra. La tension qui l'habitait se manifestait maintenant dans ses mouvements plus saccadés, dans la raideur de sa nuque, dans la crispation de sa mâchoire sous sa barbe taillée en pointe. Les couloirs du palais défilaient autour de lui tandis qu'une sourde colère montait dans sa poitrine comme une vague, menaçant de briser le barrage de son contrôle.

"Me faire sortir comme un valet fautif," pensait-il, descendant les marches du grand escalier avec une hâte qui faisait résonner lourdement ses pas. "Mettre en doute ma parole, mon honneur, ma dévotion à l'Unique."

Les gardes à l'entrée principale lui jetèrent des regards curieux mais s'écartèrent prudemment devant l'expression qui assombrissait son visage balafré.

L'air frais du soir frappa Wacław au visage lorsqu'il émergea sur le parvis, mais ne fit rien pour apaiser le feu qui brûlait maintenant dans ses veines. Il s'engagea dans les rues d'Hébron d'un pas rapide, presque martial, se fondant dans la foule qui animait encore la ville haute malgré l'heure tardive.

Les passants s'écartaient instinctivement de cet homme en armure noire dont l'aura semblait plus sombre que le ciel nocturne au-dessus d'eux. Wacław ne les voyait pas, perdu dans le maelström de ses pensées.

Nieufni głupcy! Jak śmią kwestionować moje intencje? - Imbéciles méfiants! Comment osent-ils remettre en question mes intentions? - gronda-t-il en osterlichois, attirant quelques regards surpris des badauds les plus proches.

Son pas s'accélérait encore, sa claudication presque oubliée dans la fureur qui l'habitait. Des fragments de la réunion tournoyaient dans son esprit, chaque mot de méfiance ou de doute s'enfonçant comme une dague.

"...peut-être un criminel d'état osterlichois..."
"...hérétique en fuite..."
"...pourchassé par ses anciens frères..."
"Au parjure seul le fou donne sa confiance..."

Ses poings se serraient et se desserraient au rythme des battements furieux de son cœur.

"Vingt-trois années de service. Des cicatrices sur chaque partie de mon corps. Et voilà leur accueil ?" Sa respiration se faisait plus lourde, plus rauque, à mesure qu'il s'enfonçait dans les rues de la ville, indifférent à la direction qu'il prenait.

Przekleństwo! Niech ich wszystkich pochłonie ciemność ! - Malédiction! Que les ténèbres les engloutissent tous! - cracha-t-il entre ses dents serrées, heurtant l'épaule d'un passant sans même s'en apercevoir.

Il atteignit l'avenue principale qui menait vers les portes de la ville haute, marchant désormais d'un pas si rapide que son armure émettait un cliquetis continu. La rage embrumait ses sens, transformant les visages autour de lui en masques flous, les voix en un bourdonnement indistinct.

C'est alors qu'au détour d'un croisement, un mouvement dans une ruelle étroite sur sa gauche attira son attention. Son instinct de guerrier perça momentanément le voile de sa colère. Il s'arrêta net, la main déjà sur la garde de son épée.

Dans la pénombre de la ruelle, deux silhouettes menaçantes encerclaient une femme acculée contre un mur. L'un des hommes brandissait une dague, l'autre avait déjà la main sur sa poitrine. Des bribes de menaces parvenaient jusqu'à Wacław.

...personne pour t'entendre crier ici...
...laisse toi faire...

Quelque chose se rompit en Wacław. La colère contenue devint furie libérée. Il fit volte-face et s'engagea dans la ruelle d'un pas lourd, délibéré, qui résonna sur les pavés humides.

Lâches! gronda-t-il, sa voix aussi tranchante que l'acier de son épée qu'il dégainait déjà. Vous vous attaquez à plus faible que vous ?

Les deux hommes se retournèrent, surpris par cette intrusion. L'un d'eux eut la stupidité de brandir sa dague.

Mêle-toi de tes affaires, l'estropié, t'es jaloux de la garce ?!

Ces mots firent écho aux insultes encore fraîches dans l'esprit de Wacław. La femme profita de la distraction pour s'enfuir, se glissant le long du mur avant de détaler vers l'avenue principale. Mais Wacław ne la vit même pas partir.

Croyez-vous que je vais laisser passer votre insolence, comme je viens de subir celle d'autres ? rugit-il en osterlichois, avançant vers eux avec une détermination terrifiante. Ten człowiek jest złowrogim, poszukiwanym heretykiem ! - répéta-t-il, mimant les mots du baron de La Nouë qui l'avaient tant blessé.

Le premier brigand se jeta sur lui, dague en avant. Un geste inutile, presque pathétique aux yeux du Strolatz expérimenté. D'un mouvement fluide qui contrastait avec sa claudication habituelle, Wacław esquiva l'attaque maladroite et, dans le même élan, plongea son épée profondément dans le ventre de l'homme.

L'acier pénétra la chair avec une facilité écœurante. Le visage de l'agresseur se figea dans une expression de surprise stupéfaite tandis que la lame le traversait de part en part. Wacław tordit l'épée d'un mouvement sec du poignet, déchirant les organes internes, avant de la retirer dans un bruit de succion humide.

Le corps s'affaissa sur les pavés dans un gargouillis pitoyable, mais Wacław avait déjà pivoté vers le second homme qui tentait de s'enfuir. Trois enjambées puissantes suffirent au guerrier pour rattraper le fuyard, qu'il saisit par le col avant de le projeter violemment contre le mur.

Qui pourrait les raisonner? Personne. Ils croiront les leurs, et ils auront bien raison, récita-t-il, les mots du seigneur d'Attignat se mêlant à sa propre rage. Son visage n'était plus qu'à quelques centimètres de celui du brigand terrorisé.

D'un mouvement vif, Wacław lâcha son épée qui cliqueta sur les pavés et plaqua ses deux mains gantées sur le visage de l'homme, ses pouces trouvant avec une précision chirurgicale les orbites des yeux.

Mettre en doute ma présence ici serait mettre en doute Sa volonté, gronda-t-il, appuyant progressivement ses pouces vers l'intérieur, sentant la résistance puis la cédure des globes oculaires qui s'enfonçaient dans leur orbite.

Les hurlements du brigand résonnèrent dans la ruelle étroite, mais Wacław ne semblait pas les entendre. Il continuait d'appuyer, son regard aussi dur que l'acier, regardant sans émotion apparente les filets de sang qui commençaient à couler le long des joues de sa victime. Les cris s'étranglèrent en gargouillements pathétiques puis en silence lorsque le brigand perdit connaissance, son corps s'affaissant comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

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Wacław le laissa tomber comme un sac, sans même un regard pour l'œuvre de destruction qu'il venait d'accomplir. Il ramassa son épée, s'agenouilla près du premier corps et essuya méthodiquement la lame sur les vêtements du mort, puis nettoya ses gants ensanglantés avec la même application froide.

La rage qui l'avait animé s'était dissipée comme un orage d'été, laissant place à un calme inquiétant. Ses mouvements étaient de nouveau mesurés, presque rituels, tandis qu'il rengainait son épée et rajustait son armure.

Il quitta la ruelle d'un pas régulier, sa claudication de nouveau perceptible, et reprit sa route sur l'avenue principale comme si rien ne s'était passé. Son visage avait retrouvé cette impassibilité qui masquait ses pensées aux yeux du monde alors qu'il marmonna Que le tout puissant ait pitié de vos âmes damnés !

Seul un observateur particulièrement attentif aurait pu remarquer le léger tremblement qui agitait encore sa main droite, ou l'éclat étrange qui brillait dans ses yeux gris acier – l'éclat d'un homme qui vient de céder, ne serait-ce qu'un instant, aux démons qu'il s'efforçait de tenir en laisse depuis des années.

Dernière modification par HernfeltMayer (2025-03-02 22:00:25)


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