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#1 2015-07-08 18:50:18

Zyakan

La chute de Baldir, le Téméraire

Le soleil était haut. La sueur des dizaines de milliers de soldats sous leurs gambisons et cottes de maille emplissait l'atmosphère de la moiteur caractéristique d'avant les grandes batailles. Chacun ici sentait que l'affrontement serait violent. Et chacun savait qu'il allait sans doute y rester. Certains des rudes gaillards du Sud-Ouest tremblaient légèrement, l'incertitude se lisait dans leurs regards et dans leurs gestes. Pour ne pas trop penser à ce qui les attendait, la plupart vérifiaient leurs armes plus ou moins fébrilement. Le vicomte Zyakan de Guarida, quand à lui, arpentait les rangs de ses troupes, ses yeux noirs braqués vers la masse informe et gigantesque du camp du roi Baldir.

« Je crois qu'il est plus que temps, lui intima le capitaine Gonzales, à la peau tannée comme le cuir de sa selle, Les autres sont déjà en train de haranguer leurs troupes, tu devrais t'y mettre aussi.

Depuis vingt ans qu'il l'accompagnait, Cristobal Gonzales avait rarement vu son seigneur et compagnon d'armes aussi déterminé. Il n'avait desserré la mâchoire qu'une seule fois depuis le moment où il avait appris la mort de ses renforts dans une embuscade d'Osterlich, et ça avait été pour demander au Roy la faveur d'être en première ligne. En première ligne, ils y étaient maintenant, avec une superbe vue sur la prairie où tout allait se jouer. Et ce n'était plus qu'une question de minute avant que les bottes et les sabots ne se mettent à marteler la terre jusqu'à la creuser.

Le vicomte eut un dernier regard pour les grandes perches des trébuchets qui attendaient sagement de se joindre au carnage, la moitié seulement du nombre qu'ils auraient dû être. Puis il se retourna et alla enfourcher son cheval, tenu par un écuyer qui les suivait. Le capitaine fit de même, et Zyakan piqua des deux pour se mettre face à ses troupes.

-Soldats ! Gens des plaines du Sud, des Lacs Verts et des Coteaux ! Gens des contreforts de l'Épée brisée ! Si vous avez marché sous ma bannière jusqu'à cet endroit, c'est parce que vous savez pourquoi nous nous battons ! Vous savez ce que commettent ces barbares chez nos voisins, chez nos amis ! Et vous savez de quelle façon ils font la guerre, par la traîtrise et la terreur !

Le vicomte laissa un petit temps son discours en suspens, savourant le silence qui s'était installé, différent du silence anxieux qui l'avait précédé. Ses hommes l'écoutaient.

-Soldats ! J'ai juré de faire rouler la tête du roi barbare sous les sabots de mon cheval, et de passer ma lame au travers de tous ceux qui le servent ! Mais je suis certain que je n'arriverai pas à les avoir tous... Car vous allez vous-mêmes en tuer dix pour chacun de vos frères qui sont morts sous leurs coups !

Ses hommes l'approuvèrent par des cris de guerre unanimes ; tous n'étaient pas hurlés dans le même patois, mais tous disaient la détermination à sa battre. À peine audible sous le concert de gueulantes, Cristobal lui signifia que le Roy venait de donner la charge. Zyakan de Guarida abaissa la visière de son casque, fit faire volte-face à son destrier, levant son épée vers le ciel. Le son des cuivres emplit l'espace et les sabots des chevaliers du Sud-Ouest, comme ceux de tout le royaume, s'élancèrent vers le carnage.

* * *

L'armure cabossée et lardée d'estafilades, l'écu plus rouge que noir plié en deux, l'épaule défoncée par un coup de masse, le chevalier au Guépard se tenait debout, sans cheval, entouré d'une dernière poignée d'hommes, exsangue mais vivant. Et surtout victorieux. Victorieux. Tout le royaume l'était en ce moment. Les derniers soldats d'Osterlich refluaient en désordre, déjà pris en chasse par les cavaliers possédant encore un cheval. Celui qu'on pouvait maintenant appeler Baldir le Téméraire était mort, passé de roi à simple corps parmi les innombrables autres qui tapissaient la prairie. Beaucoup de gens étaient morts, de manière générale. Les armées des grands seigneurs comme celles des petits emplissaient cette mer anonyme de chair et d'acier sanglant : tout ce qui restait de la plus grande bataille ayant jamais eu lieu en terre d'Okord. L'unique regret qui subsistait pour le vicomte Zyakan était ne pas avoir eu lui-même la peau de ce roi.

-Hé bien, grimaça-t-il en souriant à ses soldats alors qu'il commençait à ôter sa spallière pour constater en quel état sa bouillie d'épaule droite se trouvait, j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je lève mon verre du bras gauche ce soir... Vu le nombre que nous sommes, j'annonce : je paie un tonneau de rouge à chacun de vous !

Dernière modification par Zyakan (2016-09-09 17:58:25)

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