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Merkor, 14e phase de l'été de l'an VIII de l'ère 24
Un souffle aérien caressait les feuilles qui ployaient face à l’instoppable force céleste, douce mais ferme qui se présentait au royaume d’Okord. Mais sous un bosquet, brillant de l’armure solide de vingt chevaliers, la bise semblait rencontrer un mur de fer, de volonté et de grandeur.
Ici, un homme avait empoigné sa lance, pour ne jamais perdre un combat. Déjà on évoquait son nom dans certains bourgs, et on le clamait dans les villages alentour. On fabriquait pigments rouge et or, au détriment de l’indigo. Voilà quelques mois seulement que cet homme avait été adoubé, puis s’était vu confier une terre par son suzerain le marquis Peyrus.
Mais en ce cours laps de temps, son ambition s’était vue concrétisée par le développement de trois villages fortifiés. N’eût été leur incroyable ténacité ou stupidité délusoire, la région aurait été rapidement débarrassée des campements bandits, félons et autres rebuts de l’humanité. Mais ceux qui revenaient sur les ruines fumantes du campement précédent connaissaient, craignaient et haïssaient le nom de Randar de Larnillis.
Déjà deux-mille âmes avaient confié leur vie entre les mains de cet homme. On vivait dans la paix et la quiétude, et chaque nuit, dans la béate certitude d’une journée nouvelle sans drame, à l’ombre des maladies, de la famine ou de la guerre. Car celle-ci, on ne la proscrivait pas. Ô non, pas tant que cet homme posséderait un souffle de vie. On la pratiquait, on la glorifiait, mais surtout, on en triomphait, sans jamais qu’elle n’atteigne les portes de Fedenrir, Iluriel ou Irènir. Les gueux s’enrôlaient d’eux-même dans l’armée naissante aux couleurs rouge et or. Ils se savaient voués à s’enrichir, peut-être gagner l’anoblissement, mais surtout à conquérir. Alors on scandait son nom. A lui, mais également à celui d’Yggnir. On priait les Sept – notamment Sassinaï le Sanglant – et on méprisait les lointaines cités, adorant de pâles divinités, toutes mises à genoux par le Dieu du Chaos et de la Guerre.
Alors, masqués par les buissons et à l’ombre des saules de l’île de Massoala, vingt cavaliers patientaient, le regard plissé, et la main calme posée sur la crinière des montures alertes. Lui-même présent, cet homme ne quittait pas le champ de bataille des yeux.
– Seigneur de Larnillis, comme prévu, les troupes montées n’ont pas tenu face à nos archers. Leurs fantassins se retrouvent penauds, exposés et à porté de tir. Nous n’aurons point à intervenir et souiller nos épées.
Le chevalier se tourna, le regard interloqué, vers l’homme en armure qui venait de lui rapporter les mêmes informations que ses propres yeux un instant plus tôt. D’un naturel grand et imposant, il se démarquait par son épaisse chevelure brune qui descendait en cascade jusqu’à hauteur de ses omoplates. Il plongea alors ses yeux gris dans ceux de l’officier.
– Capitaine Terren, je ne saurais espérer combien la situation vous répugne alors, de ne pas brandir votre épée et de vous jeter dans la mêlée.
– Bien sûr, mon seigneur… répondit-t-il en détournant le regard, ostensiblement embarrassé par la puissance martiale qui se dégageait de cet homme. Je crains néanmoins que ce garçon… Bayers… n’ait pas la tactique adéquate pour s’occuper de leurs archers sans casse.
– Il va sans dire que les prochains événements donneront réponse à votre analyse. Voilà pourquoi vous avez demandé à Bayers de ne pas engager les archers directement, et de se tenir éloigné du campement. Ce rôle-ci est le vôtre, capitaine.
– C’est que… mon seigneur, nous n’avons pas bénéficié de temps pour accorder nos actions.
Le chevalier eut un léger sourire, et empoigna la hampe de sa lance fichée au sol.
– J’étais venu pour observer seulement, mais Yggnir me préserve d’une telle folie. Capitaine Terren, à combien de temps estimez-vous le temps pour atteindre les archers postés devant les palissades ?
– Seigneur… Je dirais trois minutes, peut-être quelques secondes de moins.
– Exactement. C’est tout juste le délais qu’il faut au lieutenant Bayers pour rapprocher ses hommes à portée de tir. L’heure est venu de rendre hommage à Yggnir. Capitaine Terren. Ce ne sont pas des batailles entre archers qui attireront son attention. Si nous voulons que le Dieu parmi les guerriers arpente de nouveau les champs de bataille, si nous souhaitons la renaissance d’une ère où les hommes estiment la gloire supérieure à leur misérable vie, alors nous devrons maculer nos lames d’un rouge vermeil. Cela commence certes aujourd’hui avec vingt chevaliers, mais gardez à l’esprit, capitaine Terren, que dans un avenir proche, nous serons vingt-mille à charger de la même manière.
Le chevalier, cet homme dont la soif de sang et de gloire n’avait d’égal l’épaisseur de sa chevelure, se tourna vers les autres soldats, tous en selle, épée brandie, et ne leur dit que ceci :
– Que le Chêne écarlate s’élève dans les cieux. Ainsi, Yggnir le verra.
Famille de Larnillis, maîtres de la marche de Fedenrir, fidèles d'Yggnir au nom de Sassinaï, suivants de la tokva Léonore Xlatinir et vassaux du seigneur Denryl Altéria.
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