Forum d'Okord

Bedwyr

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Histoire de Bedwyr

La petite troupe s'arrêta à l'entrée du hameau. Bedwyr mit pied à terre, imité en cela par la demi-douzaine d'hommes d'arme, l'écuyer et le page qui l'accompagnaient.
A sa droite, sur un petit tertre se dressait une modeste tour forte de deux étages, flanquées de quelques bâtiments de bois.
A sa gauche, en léger contrebas, s'alignaient quelques masures en bois et torchis autour desquelles s'agitaient quelques enfants sales et déguenillés. Au-delà, s'étendaient des acres de blé mûr que les adultes du hameau fauchaient, ramassaient, fagotaient puis entassaient dans des charrettes.

Bedwyr se tourna vers son écuyer :

" - Et bien, Odon, j'ai connu des lieux plus raffinés, mais au moins nous ne mourrons pas de faim cet hiver !"

Avisant la dense forêt qui bordait le nord du hameau, le jeune écuyer renchérit :

" - Nous ne mourrons pas de froid non plus, messire.
- Je ne vois pas ce que nous pourrions demander de plus ! Un pichet d'altevin peut-être..."

Tandis que Bedwyr et sa suite se dirigeait en direction de la tour forte, un homme en sortit et vint à sa rencontre. Arrivé à sa hauteur, il le salua avant de se présenter :

" - Jehan, pour vous servir, messire. Intendant de cette seigneurie.
- Jehan, notre périple jusqu'à ces terres fut fourbuvant, je vais commencer par prendre un peu de repos et une petite collation. Fais donc griller trois porcelets."

Puis, désignant ses hommes du regard :

" - Fais également préparer un petit quelque chose pour eux."

Dernière modification par Bedwyr (2023-11-21 19:05:57)

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

L'intendant ouvrit la porte.

" - Vous m'avez fait mander, messire ?
- En effet, Jehan, il est temps de nous mettre au travail et que tu m'entretiennes de l'état de mon nouveau domaine. Mais avant toute chose, peux-tu me dire ce qu'est cette chose ?"

Bedwyr désigna du doigt l'ensemble des tentures alternant violet criard et vert vif qui recouvraient les murs.

" - Ces tentures ont été commandées par le seigneur Valérien D'Amidot, qui avait été fieffé de ce domaine par votre suzerain.
- Que lui est-il arrivé ?
- Malheureusement il est tombé sur le champ de bataille...
- Pourquoi 'malheureusement' ? Existe-t-il une autre façon honorable de mourir pour un chevalier ?
- Comme beaucoup de nobles, il a succombé durant les combats qui ont opposé le royaume aux envahisseurs osterlichois. Il est mort sans laisser d'héritier."

Bedwyr regarda à nouveau les tentures en plissant les yeux :

" - Il est courageux de se battre en étant aveugle, mais cela se termine rarement bien ! Tu seras gentil de me cramer tout ça, je ne voudrais pas connaître le même sort !"

Il s'approcha d'une table sur laquelle se trouvait un pichet, l'inclina légèrement pour vérifier son contenu et continua avec une pointe d'agacement :

" - Et pourquoi n'ai-je toujours pas mon altevin ?
- Nous n'en avons pas en réserve. Votre prédécesseur était adepte de Podeszwa et...
- Décidément, cet homme cumulait les fautes de goût ! répliqua Bedwyr avant de continuer d'un air résigné. A présent, dis-moi quelles sont les priorités de mon domaine, à part d'y approvisionner quelques muids d'altevin?
- De nombreux paysans affluent, messire, chassé par la guerre ou se retrouvant sans seigneur pour assurer leur protection.
- Très bien, qu'ils établissent deux nouveaux hameaux sur la côte, les terres y seront fertiles. Notre domaine ne nous permet guère d'entretenir que quelques dizaines d'hommes d'arme pour le moment, il nous faut bien plus de champs cultivés si nous voulons pouvoir nourrir une armée digne de mon suzerain.
- Nous pourrions également construire des ports dans ces nouveaux hameaux, les eaux sont poissoneuses par ici.
- De telles infrastructures requerrons de grandes quantités de pierre, il nous faudra commencer par aménager une carrière."

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

Jehan pénétra dans la pièce où Bedwyr était attablé :

" - Messire, une missive de la plus haute importance ! Ça vient du Roi !
- Et bien, fais-moi la lecture, je n'ai pas encore fini de manger !
- Le Roi convie les seigneurs d'Okord a un grand tournoi. Voulez-vous participer ? s'enquit Jehan avec inquiétude ?
- Question sotte, pourquoi ne le voudrais-je pas ?
- C'est un exercice dangereux, messire ! Plus d'un chevalier ont fini estropié, voire... pire.
- Paysan ?
- Mort !
- C'est un moindre mal ! Je ne vais pas passer mes journées à faire de la broderie ou écrire des sonnets ! Il n'est que deux loisirs qui seyent à un chevalier : la chasse et les tournois. Et je ne supporte pas les gémissements d'agonie d'une biche souffrant ses derniers instants... alors que le craquement d'une cage thoracique écrasée par une masse d'arme possède une musicalité qui ne me laisse pas insensible
! Faites savoir que le baron Bedwyr affrontera tout seigneur qui osera se présenter."

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

Bedwyr pénétra dans la salle de garde. Robert était assis derrière une petite table, son visage joufflu affichant un large sourire. Debout devant lui, Jehan comptait des pièces et les plaçait sur la table ; sa mine sombre contrastait avec la jovialité de son vis-à-vis. Le baron s'approcha et commenta d'un air soupçonneux :

" - Quel est donc ce manège ? Il ne me semble pas que je t'aie accordé une solde aussi élevée, Robert !
- Que nenni, monseigneur ! Il ne s'agit pas de ma solde - au demeurant bien maigre, comme vous le notâtes fort justement - mais du fruit de mes paris !
- Vos paris ? interrogea Bedwyr en dévisageant Jehan qui se décomposait.
- En effet, répondit Robert, j'avais parié que vous gagneriez votre duel contre les troupes du Duc Rainier de Bellebourse et... comment dire sans froisser votre susceptibilité... peu de gens ont fait de même et me voici à la tête d'une petite fortune !
- Et combien de personnes as-tu ainsi dépouillé ?
- Êtes-vous sûr de vouloir le savoir ?"

Bedwyr porta à nouveau ses yeux sur Jehan, puis vers le coin de la salle de garde où trois soldats regardaient le sol.

"- Non."

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

Le seigneur, assis sur un muret de pierre, commentait l'entraînement des deux jeunes frères, encore adolescents. Odon, l'aîné, était écuyer depuis peu ; Rollon, son cadet de deux ou trois ans, était encore page mais ne tarderait pas à avoir l'âge d'être écuyer. Les deux frères avaient été au service de la maison Trof depuis de nombreuses années, avant que le général Doré ne les confiât à Bedwyr lorsque celui-ci prêta serment à son suzerain.
S'ils avaient encore grand besoin d'exercice, ils faisaient néanmoins montre d'une certaine prédisposition au maniement des armes.
Pourtant quelque chose - que Bedwyr n'aurait su expliquer - le mettait mal à l'aise, dans leur attitude, leurs expressions, leur regard - leur regard... Il chassa ces pensées de son esprit.

" - Rollon, avance sur ton frère, force-le à défendre !
- Messire, une missive du Roi ! interrompit Jehan en tendant un parchemin à son seigneur.
- Et bien, répondit Bedwyr en jetant un regard noir à son intendant, vous ne voyez pas que... je suis occupé ? Dites-moi donc plutôt ce qu'il contient !"

Jehan déscella le parchemin et le lut à voix basse avant d'en faire le résumé :

" - Le Roi déplore le dépeuplement du nord du royaume ; le manque de main-d'œuvre prive Okord des abondantes ressources indispensables à sa bonne marche. Il vous demande en conséquence d'y établir un fief.
- Odon, Rollon, vous connaissez le Nord n'est-ce pas ? demanda Bedwyr."

Les deux jeunes gens interrompirent leur entraînement et le cadet récita :

" - Bien sûr, des plaines enneigées encerclées de montagnes, avec pour voisins Perdiglas et le Gundor au nord, et des provinces ressyniennes au sud. Elles ne sont accessibles que depuis la province d'Herydral. Ses paysages sont rudes, hostiles et incultes.
- Et ses habitants ?
- Comme ses paysages ! S'esclaffa Rollon !
- Je vois que vous avez une parfaite connaissance de la région ! Jehan, y es-tu déjà allé ?
- Non, messire, j'ai passé toute ma vie ici.
- Et bien, voici la parfaite occasion ! Je te confie la responsabilité d'établir ce fief !
- Mais, messire, comment je... trembla Jehan.
- Félicitation ! Plaisanta Odon.
- Tu pourras en profiter pour apprendre à parler leur dialecte, ajouta Bedwyr.
- Vous pourriez en profiter pour apprendre à lire l'okordien, marmonna Jehan pour lui-même.
- Comment ?!"

Le baron, hors de lui, agrippa l'intendant et le souleva d'une coudée.

" - Répète un peu !
- J'ai dit que je pourrai en profiter pour leur apprendre à lire l'okordien... balbutia Jehan."

Bedwyr le reposa sans ménagement. Les deux frères échangèrent un discret sourire entendu.

"- Je ne voudrais pas te retarder, tu as une malle à préparer. N'oublie pas que les hivers sont rudes..."

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

Odon se releva, haletant et transpirant. Bedwyr resta allongé quelques instants, reprenant son souffle. S'il était un homme expérimenté, son écuyer avait pour lui la fougue et l'endurance de la jeunesse.

Il se leva finalement et boîta quelques pas pour s'emparer d'une outre dont il se désaltéra, tout en jaugeant son partenaire :

" - Tu ne te défends pas trop mal, prétendit Bedwyr, tout en ramassant son épée d'entraînement.
- La bonne éducation que j'ai reçue en la Maison Trof m'interdit de prendre l'ascendant sur mon seigneur, répondit Odon avec un sourire malicieux.
- Cette bonne éducation aurait également dû t'apprendre que l'impertinence doit rester mon apanage !"

Bedwyr but une nouvelle gorgée avant de reprendre :

" - Combien de temps as-tu servi la Maison Trof ?
- Une dizaine d'années environ, mon frère et moi sommes entrés à leur service en tant que pages alors que nous étions très jeunes. Notre cousin et tuteur nous avait placés auprès de Dame Limie pour que nous y reçussions la meilleure éducation possible.
- C'est un tuteur prévenant que tu as là !
- Que j'avais... il est mort peu de temps après, laissant mon frère et moi sans aucune autre famille.
- Dans quelles... circonstances ?
- Durant la période troublée qui précéda l'accession au trône de Dame Limie...
- En effet, beaucoup de braves y ont perdu la vie ! Comment s'appelait votre cousin ?
- Guillaume de Neac.
- Guillaume de Neac ? interrogea Bedwyr en regardant son écuyer dans les yeux.
- Oui messire, répondit Odon sans hésitation. Avez-vous repris votre souffle ? enchaîna-t-il en ramassant son épée."

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

" - Il m'a menti, j'en suis sûr."

Tout en écoutant son seigneur, Robert s'empara du pichet d'altevin et en emplit les deux timbales posées sur la table. Une bougie projetait une faible lueur sur le visage soucieux du baron.

" - Comment pouvez-vous en être aussi certain ?
- Il me cache quelque chose, je le sens. Et je m'y connais en cela !"

Bedwyr marqua une pause, observant le liquide dans son godet, avant de reprendre :

"- Connais-tu la maison de Néac ?
- Certes non, mais je n'ai pas la prétention de connaître toutes les maisons d'Okord !
- Crois-tu que Dame Limie aurait accordé tant de soin à l'éducation des cousins du premier chevalier bachelier venu ?
- Probablement pas ; j'imagine plus aisément qu'il s'agisse des familiers d'un important seigneur, vassal ou allié de longue date de notre regrettée reine.
- Et je doute qu'il n'existe moindre bannerêt dont on ne retrouve trace dans quelque chronique du royaume ! Il nous faut interroger les chancelleries des seigneurs susceptibles d'avoir connu Guillaume de Néac, ceux qui étaient alliés de la Maison Trof à l'époque des faits présumés. Sauf que j'ai envoyé mon intendant à une lunaison d'ici...
- C'est fâcheux, d'autant que vous ne pouvez même pas lui envoyer une missive...
- En effet, répondit le baron en soulevant un sourcil dédaigneux, il va me falloir confier cette mission à une personne de confiance...
- Non... oh, non messire... vous n'y pensez pas sérieusement ?"

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

Robert, accompagné d'un page, franchit la palissade de bois - défense plus symbolique que réelle - marquant l'entrée dans le fortin. En cette fin de printemps, le dégel transformait chaque sente quelque peu fréquentée en une rivière boueuse, et le capotis de dizaines de paires de pieds couvrait le brouhaha des travailleurs.

Arrivé au pied d'un frêle donjon, il mit pied à terre et pesta en s'enfonçant jusqu'au mollet dans la terre détrempée. Confiant son cheval au page pour qu'il le menât aux écuries, il pénétra dans le donjon et en gravit les marches pour accéder au premier étage.

" - Robert, quelle bonne surprise, je suis fort aise de vous voir ! S'exclama Jehan.
- Je ne peux malheureusement en dire autant : le voyage pour venir en ces contrées est particulièrement long et l'arrivée n'est pas davantage agréable !
- Je ne peux hélas pas vous donner tort. La gestion de ce fief n'est pas une sinécure ! Les terres ne sont labourables qu'entre la fin de l'été et le début de l'automne, et aucune rivière ne permet d'accéder à des ressources piscicoles.
- En effet, peu de poissons vivent dans les rivières de boue qui agrémentent le paysage !
- S'il n'y avait que ça ! Mais les prétendument inépuisables ressources du sous-sol sont déjà taries ! Plus un bloc de pierre, plus une once d'or à extraire !
- Comment est-ce possible ?
- Je l'ignore ! Ces richesses auront été pur légendes sans doute. En revanche, ce qui n'est pas une légende, c'est le caractère des autochtones ! J'ai tenté d'établir des relations avec la marquise Aheltessia qui gourverne ces provinces mais sans succès. Et, boulette de fiente sur le tas de fumier, voici qu'un jeune baron entreprend de fonder une foire concurrente à quelques lieux de la nôtre qui constituait jusqu'à présent la seule activité lucrative de ces terres !
- Hum, lui avez-vous fait part de ce désagrément ?
- Une missive vient de lui parvenir à ce sujet.
- Bien, si elle reste sans effet, je me chargerai de lui en écrire une à ma façon, avec ma propre plume, dit Robert en posant la main sur le pommeau de son épée. En attendant, le seigneur Bedwyr souhaite que vous vous acquittiez d'une mission..."

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Re : Histoire de Bedwyr

A l'attention de la chancellerie du seigneur Marcomir de Chatenay.

Salutations,

Je me permets humblement de solliciter votre éminente assistance. En effet, alors que nous travaillions à la compilation de différentes sources, un de nos copistes a cru lire dans une de celles-ci le nom de Guillaume de Néac.

Or, nous ne retrouvons dans nulle autre chronique mention de ce seigneur, qui aurait vraisemblablement été vassal ou tout le moins allié de feue Dame Limie Trof.

Sur la foi de l'ancienneté de votre maison et de sa proximité avec notre regrettée Reine, nous nous permettons de vous écrire la présente missive pour vous demander si vos annales contiendraient quelque information sur ce seigneur ?

Selon notre source, il aurait trouvé la mort lors de combats précédents l'accession au trône de Dame Limie ; sa maison, ne comptant alors plus que deux cousins en bas âge, aurait ainsi périclité.

Nous vous remercions pour l'assistance que vous pourrez nous apporter.

Chancelier Jehan

Jehan termina sa lecture du parchemin et s'adressa à Robert :

" - Voilà, et je vais faire porter la même pour la chancellerie du seigneur Mordread. Quelle subtilité dans l'écriture ! Qu'en pensez-vous ?
- J'en dis que vous n'êtes pas davantage chancelier que je suis marquis.
- Votre manque d'imagination est ennuyeux, Robert. Pensez-vous que ma missive reçoive quelque égard si j'indique être le responsable du stock de pain et du linge de maison ?
- Peu m'importe, pourvu que nous soldions cette affaire et que nous retrouvions au plus tôt la clémence du climat méridional..."

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Re : Histoire de Bedwyr

" - Rien, aucune trace nulle part de ce Guillaume de Néac... ni dans les chroniques du royaume, ni dans les annales des maisons de Chatenay ou du seigneur Mordread...
- Scronch... voilà qui est fâcheux."

Robert, assis devant le feu crépitant et emmitouflé dans une ample fourrure, ne prit pas la peine de se retourner pour répondre à l'intendant qui se tenait debout derrière lui.

" - Comment est-il possible qu'un seigneur disparaissent ainsi sans laisser de trace ?
- Vous savez... scronch... comment font les dahuts pour ne pas laisser de traces dans la neige ?
- Cessez donc avec ce mythe, les dahuts n'existent pas !
- Scrontch... parfaitement...
- Je peux savoir ce que vous faites au juste, Robert ?"

Celui-ci pivota à moitié sur son tabouret et tendit une jatte à Jehan :

" - Du maïs soufflé, vous en voulez ?"

Jehan haussa les épaules, hésita puis en prit une poignée avant de continuer :

" - A présent, crunch... crunch... nous pouvons enfin rentrer et rendre compte au baron...
- A vrai dire, scrontch... je me demande si je préfère affronter la rudesse du climat local ou la réaction du seigneur Bedwyr quand il apprendra ce que nous avons à lui dire !"

Bedwyr

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Re : Histoire de Bedwyr

" - La garnison ne tiendra pas très longtemps, la forteresse n'est gardée que par 200 hommes de trait. Kay, fais rassembler toute la cavalerie présente à moins de dix lieues de distance ; l'infanterie retarderait trop notre marche jusqu'au port, et il nous faut absolument profiter des vents favorables du matin.
- Bien, messire, il sera fait selon votre volonté."

Kay fit demi-tour et se dirigea en hâte vers la porte. A peine eut-il disparu dans les escaliers que Robert et Jehan pénètrent dans la pièce.

" - Ah, vous voilà enfin ! J'espère que vous m'apportez de bonnes nouvelles ! La dernière personne à avoir franchi cette porte venait m'apprendre le siège de la forteresse de Porte de Sarras par une bande de pirates !"

Jehan s'avança timidement :

" - Et bien... les ressources minières ne sont pas aussi importantes qu'escomptées mais nous avons pu établir un comptoir commercial qui...
- Tout ceci n'est qu'intendance ! Passons au sujet principal !
- C'est-à-dire que..."

Robert, voyant monter l'agacement du baron, écarta Jehan et résuma d'une traite :

" - Rien, messire, aucune mention nulle part de ce Guillaume de Néac.
- RRROOOLLOOON ! OOODDDON ! Vociféra Bedwyr en se ruant vers l'escalier."

Il descendit les marches trois par trois avec une agilité inattendue pour un homme de sa corpulence, Robert tentant de le suivre :

" - Messire, attendez, n'allez pas...
- RRROOOLLOOON ! OOODDDON ! vils menteurs !"

Bedwyr atteignit le bas de l'escalier et se précipita dans la salle de garde. Les hommes présents s'écartèrent, laissant les deux frères seuls au milieu de la pièce. Rollon repoussa son cadet en arrière et se plaça devant lui. Le baron l'agrippa de sa main gauche par le col, le menaçant de son poing libre :

" - Quel est ton nom ? Aboya-t-il.
- Rollon de Néac, articula avec peine l'écuyer.
- Il n'y a jamais eu de seigneur de Néac ! Je te laisse une dernière chance !"

Bedwyr saisit sa dague et la place contre le cou de Rollon. Un murmure parcourut l'assistance mais nul n'osa intervenir.

" - QUI. ES. TU ?
- Vous savez qui je suis, messire... Vous me connaissez et connaissez ma propre famille mieux que moi-même, et l'épée que vous ceignez en atteste."

Le baron relâcha subitement son étreinte, recula de trois pas, comme sonné, en murmurant pour lui-même : "Celui qui porte le feu !"

Dernière modification par Bedwyr (2023-12-19 17:01:56)

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Re : Histoire de Bedwyr

Le baron balaya la salle du regard :

" - Sortez ! Sortez tous ! Hurla-t-il à grand renfort de moulinets."

Il ferma la porte après que le dernier soldat fut sorti et revint se planter devant les deux frères, les dévisageant longuement avant de rompre le silence :

" - Comment... ai-je pu ne pas vous reconnaître ?
- Nous avons beaucoup changé depuis la dernière fois que vous nous vîtes. Mon frère marchait à peine et je n'étais guère plus vieux. Moi-même vous aurais difficilement reconnu si ce n'était pour cette épée que je retrouverais parmi mille.
- Pourquoi dissimuler ainsi votre identité ?
- Notre cousin et Dame Limie en avaient convenu ainsi ; pour nous protéger contre les - nombreux - ennemis de notre famille, et ce d'autant plus après la mort de notre cousin.
- Peut-être aussi pour vous cacher de votre mère dont il réprouvait l'influence ?
- Ou pour nous maintenir éloigné de toute prétention future au trône... quelles qu'en fussent les raisons profondes, sa décision de nous confier à Dame Limie nous sauva probablement la vie. Mais nul ne doit savoir qui nous sommes, pas plus j'imagine que vous ne souhaitez que l'on fasse le lien entre notre famille et vous, "capitaine Bed'wyr"...
- En effet, il serait préférable de faire comme si rien ne s'était passé... Odon ?
- Oui, messire ?
- Mon cheval a-t-il des bras ?
- Il ne me semble pas, messire.
- J'en déduis qu'il ne va pas se seller tout seul ! Rollon, mon armure ! Des pirates m'attendent et je ne voudrais pas être grossier en faisant patienter mes invités !"

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Re : Histoire de Bedwyr

" - Et bien, Robert, voici une bien belle bataille ! affirma Bedwyr tout en rengainant son épée.
- En effet, je pense que ces pirates ne reviendront pas de sitôt !"

Autour d'eux, gisait ce qui avait été une compagnie d'arbalétriers de pirates, tandis que quelques chevaux erraient sans cavalier. Une petite troupe de chevaliers les rejoignit.

" - Sergent, que fais-tu ici ? Qui assure la garde de la forteresse ? demanda le baron.
- Messire, nous venons renforcer votre bataillon ; nos guetteurs nous avaient signalé la présence de quinze cavaliers derrière nos lignes, mais le sergent de la compagnie d'archers de la barbacane nord m'a indiqué en avoir abattu sept tandis que celui de la barbacane sud m'a confirmé que les trois restants étaient morts."

Bedwyr fronça les sourcils tout en comptant sur ses doigts et adressa un regard à son écuyer.

" - En effet, le compte n'y est pas, commenta Rollon."

Le baron se retourna vers le sergent en hurlant :

" - Toi et tes hommes retournez immédiatement prendre votre poste, vil incapable !
- Messire, l'interrompit Robert, regardez..."

Tous les yeux se tournèrent vers la forteresse, en haut de laquelle flottait désormais l'étendard à trois pois, puis revinrent se poser sur Bedwyr.

" - Là, c'est le conseil de guerre... commenta Robert avec une moue dubitative.
- Attendez, viendrais-je de me faire ravir ma victoire par cinq cavaliers en baguenaude parce qu'un IMBECILE de SERGENT est incapable de garder une porte ou de compter jusqu'à quinze ?
- Ecarte-toi, petit, conseilla Robert à Rollon.
- Messire, je pense que le moment est propice pour une petite Salutation au Soleil... tenta le sergent avec un sourire crispé."

Bedwyr avança vers le sergent, dégaina son épée et le transperça de part en part :

" - Après en avoir délibéré, le conseil de guerre vous a déclaré coupable."

Dernière modification par Bedwyr (2023-12-21 17:46:39)

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Re : Histoire de Bedwyr

Parmi les milliers d'hommes qui refluaient en bon ordre, un cavalier semblait en remonter le flot, bousculant sans ménagement ceux qui le gênaient dans sa course. Allant tantôt à droite, tantôt à gauche, son regard scrutait chaque arpent de ce qui fut un champ de bataille. Il eût été vain de tenter d'appeler, dans ce vacarme fait de métal, de hennissements et de vociférations de sergents.

Il avait désormais dépassé l'essentiel des troupes, ne rencontrant plus que quelques blessés à la traîne. A sa gauche, au loin, il lui sembla distinguer un étendard, planté dans le sol. Tandis qu'il s'approchait, il sentit son cœur se serrer : aucun doute possible, il aurait reconnu cette flamme entre cent ; elle semblait gardée par un monstre fait de fer et de crin, chevaliers et montures gisant par centaines.

Alors que quelques râles accueillaient son arrivée, il mit pied à terre pour inspecter l'endroit lorsque quelque chose attira son œil, une vingtaine de toises devant lui.

Un homme était assis contre un arbre. Il se hâta de parcourir la distance qui l'en séparait. Il constata alors que l'homme avait sa cuisse traversée de part en part par un carreau d'arbalète.

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Re : Histoire de Bedwyr

" - Bien vilaine blessure, messire.
- Désolé, ça ne vous écœure pas trop j'espère...
- Disons que je n'avais pas vu autant de sang depuis la dernière foire au boudin des Hérolles !
- Épargnez-moi vos sarcasmes je vous prie, nous savons tous deux que cela vous demandera un effort très limité dans le temps."

L'homme s'agenouilla à côté du blessé.

" - Laissez-moi regarder... je pourrais tenter d'extraire ce carreau...
- Pourquoi ? Me ramener en quelque lieu lugubre où j'agoniserais pendant une lune au gré de l'expansion de la gangrène ? L'offre est tentante, mais non merci !
- Je vous ai connu plus combatif !
- Quand bien même je survivrais, j'ai tout perdu. Quelle perspective me reste-t-il hors celle de passer ma vie à peler les châtaignes au coin du feu ou comme cestui-là qui s'étouffa dans son lit avec un noyau de cerise ? J'ai échoué, capitaine...
- Vous avez fait tout votre possible...
- Circonstance aggravante ! Si encore je pouvais me rassurer en me disant que j'aurais pu faire mieux..."

Le blessé ferma les yeux quelques instants puis les rouvrit et fit un signe de tête en direction de l'épée ensanglantée à sa droite :

" - Emmenez avec vous celle qui fut témoin, que dis-je, actrice de la gloire passée de ma Maison. Qu'elle ne tombe pas entre les mains de mes ennemis. Et maintenant partez."

L'homme ramassa l'épée et se leva. Il fit quelques pas en direction de son cheval puis se retourna :

" - Ce fut un honneur de vous servir, mon Roy !
- Vous m'avez servi mieux que quiconque, capitaine.
- J'ai fait mon possible...
- Non, vous auriez pu faire mieux."

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Re : Histoire de Bedwyr

Bedwyr se réveilla en sursaut, se redressant brusquement. De la sueur perlait sur ses tempes. Il prit quelques instants pour calmer sa respiration puis pivota sur la droite pour s'asseoir sur le rebord de son lit. L'astre nocturne baignait sa chambre d'une lueur blafarde.

Le comte saisit le fourreau posé à ses pieds et le plaça sur ses genoux. De sa main droite, il empoigna la garde de l'épée et en dégagea la lame sur une demi-coudée, observant le fort de la lame finement ouvragée.

" - Notre heure arrive... ton heure arrive, l'heure de la vengeance... bientôt ton nom résonnera à nouveau dans le fracas des batailles, alors tes ennemis tressaillerons, car à te voir luire, ils sauront que tu es revenue..."

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Re : Histoire de Bedwyr

" - Comment ça disparu ?"

La voix tonitruante du marquis Bedwyr fit trembler les murs de la pièce.

" - Du jour au lendemain. La rumeur dit qu'il est mort... répondit calmement Robert, habitué  au tempérament du seigneur.
- Ce ne peut pas ! Il n'a pas le droit de mourir autrement que par elle ! tonna Bedwyr en portant la main sur son épée.
- Hélas les sources concordent...
- Et notre vengeance ? S'emporta le marquis en abattant son poing sur une table."

Jehan pénétra dans la pièce alors que Bedwyr, fulminant, tournait dans la pièce tel un fauve en cage.

" - Que se passe-t-il ? s'enquit le nouvel arrivant auprès de Robert.
- Le seigneur Le Bon Samarien a disparu.
- En quoi est-ce si dramatique ? demanda l'intendant, feignant l'incompréhension.
- Une vieille histoire entre eux deux...
- J'avais une missive à lui apporter mais je n'ai pas l'impression d'arriver au moment opportun...
- Tu n'arrives jamais au moment opportun, le coupa sèchement Bedwyr qui s'était rapproché. J'espère que tu ne nous déranges pas encore pour rien !
- C'est une missive... un peu spéciale... il serait préférable que Robert sortît...
- Ce que tu peux lire, Robert peut l'entendre !
- 'Les poussins sont en danger, vous devez les protéger pour qu'un jour, le chant du Coq réveille à nouveau le royaume ! Méfiez-vous du bouc comme du renard !' "

Bedwyr et Robert échangèrent un bref regard.

" - Et bien oui, tu nous a encore dérangé pour rien ! fit mine de s'emporter le marquis. C'est ça ton message hautement confidentiel ? Je ne suis pas gardien de poules que je sache !
- Mais ce message doit forcément avoir une signification cachée, c'est certainement un code...
- Écoute petit, je ne suis pas d'humeur à faire des charades, laisse-les adultes travailler, nous avons un sujet sérieux à traiter !"

Jehan recula de quelques pas puis sortit de la pièce. Bedwyr reprit alors, en haussant délibérément la voix :

" - Il faut rassembler davantage d'éléments sur la disparition du Bon Samarien, je veux des certitudes pas des rumeurs.
- Que devons-nous faire... demanda Robert en interrogeant son seigneur du regard. Il semble évident que d'autres que nous sont au courant.
- Fais mander Odon, qu'il prépare mon cheval et une monture pour lui ; que dix hommes de confiance nous attendent dans la cour.
- Et moi ?
- Tu commanderas la garde en mon absence. Et tu veilleras personnellement sur la sécurité de Rollon, ajouta Bedwyr à voix basse.
- Vous ne voulez pas mettre tous vos œufs dans le même panier en somme...
- Ni tous les poussins sous la même poule ; un renard se cache peut-être dans le poulailler..."