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#1 2023-10-14 12:25:52

Christian de Milleguin

L'exorcisme du chevalier de la Chancla

Les portes d'Issouville étaient tombées sans résistance.

Tourelles délaissées, muraille en ruine avec hersse levée, les fortifications ne faisaient pas bonne mine et même les douves étaient à sec. Au fond, quelques carcasses qui n'étaient pas que des poissons avaient depuis longtemps dépassé le stade de la puanteur. Et à l'intérieur de la ville, une atmopshere de lent pourrissement frappa de stupeur la troupe légère qui penetra le bastion. De pauvres hères éparses et fragiles déambulaient sans conviction entre les bâtiments abandonnés, hagards et le regard absent, semblant encore moins animés que les animaux d'élevage négligés dérivant alentour dans les cultures en friche.

De ce fief autrefois riche, tous les oiseaux étaient partis. Hormis des groupes de corbeaux qui se délectaient des corps sans sépulture jonchant déjà les rues avant l'assaut, et qui s'envolaient en croassant à mesure que les cavaliers progressaient dans le bourg. Leurs montures avançaient en rechignant, henissant pour signifier le malaise que chacun pouvait ressentir, et les soldats avaient bien du mal à ne pas les laisser repartir à rebours tant eux aussi voulaient quitter les lieux.

L'escouade arriva devant le manoir du mestre, assorti au reste du hameau, dont la façade grisâtre supportait à peine un lierre malade et jaunissant qui obstruait les fenêtres. La porte grinça bruyamment en s'ouvrant sur une salle obscure, laissant pénétrer un trait de jour qui n'entrait plus dans cette maison que par les tuiles déplacées de la toiture. L'odeur poussiéreuse et rance prit à la gorge ces garçons aguerris aux sens pourtant peu délicats, tandis qu'ils investissaient la bâtisse à la recherche des habitants.

Ils découvrirent le chevalier de la Chancla dans un salon aux volets clos, assis sur un fauteuil, ou plutôt tassé, prostré, le teint livide et la bave aux lèvres, l'œil perdu dans les cendres froides d'un feu de cheminée depuis longtemps éteint.

Ils tentèrent en vain de le réanimer, et décidèrent finalement de le transporter tel quel, avec sa chaise, jusqu'au fief de Christian.

- L'bon seigneur Christian l'y trouvera un docteur pour l'réveiller, dit l'un d'eux.

- Pour un tel malheureux, mieux vaudrait un désenvouteur ! répliqua le sergent.

Dernière modification par Christian (2023-10-14 16:32:08)

#2 2023-10-25 10:10:02

Christian de Milleguin

Re : L'exorcisme du chevalier de la Chancla

Dans un château d'Avenoel,  on avait installé le chevalier de la Chancla sur le grand lit d'une chambre spécialement aménagée, un peu à l'écart des autres appartements.

Il n'avait pas bougé depuis des jours, et n'avait pas prononcé grand chose d'autres que des murmures inaudibles plus proche du grognement que du discours. À peine reprenait-il, en remuant les levres presque mécaniquement, les prières et incantations que le prêtre récitait en agitant parfois un talisman ou une pierre sacrée dans l'espoir de faire disparaître les mauvais esprits.

Assis sur un banc de l'autre côté de la pièce, Christian et Yannick observait l'office, perplexes. De Milleguin, qui avait d'abord attribué ces rumeurs de malédiction à la tendance superstitieuse de la populace, avait finalement du envisager la chose plus sérieusement après que tous les efforts de la médecine se furent avérés vains, et devant l'état pour le moins intriguant du chevalier et le tein inhabituel de sa face.


"Ne vaudrait-il pas mieux simplement le laisser mourir dans son coin ?" Avait suggéré Yannick en chuchotant.

- Nous marchons sur des œufs ici, mon bon Yannick. La Chancla avait fait venir tout un contingent de religieux podeszwites depuis l'étranger, avec toutes les suspicions que cela provoque chez les populations locales.  Si en plus on apprenait que certains d'entre eux sont des adeptes ciemnotites qui jouent double jeu et lancent des maudissements de cette ampleur, ravageant les cultures et affligeant les seigneurs, nous irions vers des troubles dangereux. Imagines-tu les chasses aux sorcières dans toute la province ? 

D'autant qu'il ne manque pas de paysans qui n'attendent que la première occasion pour régler quelques griefs récurrents sur le placement des barrières, ou de vieux différents avec les amis de leurs femmes. On aurait tôt fait d'accuser le concurrent de pratiquer la magie noire ou bien d'empoisonner les puits pour s'en débarrasser sans jugement. Et dans la panique, les gens influençables sombreraient rapidement dans la sauvagerie.

Il ne faudrait pourtant pas negliger la menace potentielle d'ensorceleurs malveillants dans le pays. Mais vois-tu, il se trouve souvent parmis les gens de douteuse extraction quelques incultes dont la prétention n'a d'égale que leur défaut d'intelligence, et qui, pensant pouvoir tirer parti d'un désordre général, l'attisent donc opportunément sans en concevoir toutes les conséquences.

Non non, il nous faut prendre les devants, régler cette affaire sans laisser libre court aux rumeurs populaires, et rassurer les braves gens de la région sur la bonne garde des gouvernants.


Christian ne précisa pas que la perspective d'être lui-même la cible d'un sortilège du même acabit l'inquiétait aussi dans une certaine mesure, mais Yannick le compris à demi-mot.

Une sempiternelle bulle de bave débuta sa formation au coin des lèvres du comateux, crût en silence avant d'éclater avec un petit claquement sourd, pendant que le prêtre continuait le rituel.


-Par la Sainte Lumière de Podeszwa, je te l'ordonne ! Avoue ton nom, esprit possesseur, révèle toi et sors de ce corps !

Le muet grimaça un peu, entrouvrant la bouche comme pour dire quelque chose...

-aaa...

Devant cette réaction, bien que modeste, Milleguin se leva pour se rapprocher du lit.

-aaa...aaAAA...

- Parles, démon, QUEL EST TON NOM ? Eructa l'exorciste.

-AAA....TSHOUMMEM !

Une giclée de morve éclaboussa l'homme d'église qui, face à cette contre-offensive démoniaque, estima être sur la bonne voie et repris donc ses incantations en hausssant le ton.

-"Stuffen" dites-vous ? demanda Christian en se penchant vers la couche. Von Stuffen ?

L'alité leva le bras lentement en begayant des onomatopées, comme si cet effort mobilisait toutes les forces qui lui restaient. Il sembla pointer du doigt quelque-chose à l'autre bout de la chambre.

Seulement, de ce côté là il n'y avait rien, hormis le tableau ancien d'une bataille épique accroché au mur. De Milleguin s'approcha pour observer la peinture en fonçant les sourcils, alors que Yannick le rejoint en portant un chandelier pour l'éclairage, tout en l'interrogeant discrètement:


- Je n'y comprends rien, qu'est ce que Von Stuffen vient faire là dedans ? Et pourquoi envouter ce pauvre La Chancla qui est justement un fervent podeszwite ? C'est insensé !

-Oh, ce ne me semble pas inexplicable à moi. Mettons que l'osterlichois s'en prend de manière détourné aux seigneurs qu'il ne voudrait pas attaquer trop ouvertement, pour des raisons politiques. Il serait indécent de s'entretuer entre podeszwites tout en briguant les plus hautes responsabilités. Il n'empêche, quel scandale si le futur Baldir trempait dans ce genre d'hérésie, utilisant de sombres magies pour assurer ses conquêtes... répondit Christian en gardant les yeux sur le tableau à la recherche d'un quelconque indice.

- Mais enfin, il ne m'a pas semblé jusque là qu'il convoitait aussi les provinces du continent !

- En es tu sûr, mon bon Yannick ? En vérité nous ne savons pas où s'arrête son appétit.


Sur son lit, La Chancla s'effondra dans un dernier souffle râleux et les deux chevaliers encore vivants se retournèrent. Le prêtre l'osculta un instant avant de lui fermer les yeux en confirmant d'un signe de tête que le patient était trépassé.

Et c'est alors que, devant les trois témoins ébahis, la dépouille disparue en une fraction de seconde, ne laissant qu'une trace poussiéreuse qui marquait sa silhouette, comme s'il s'était évaporé en abandonnant son ombre sur la couche.

Ils echangèrent des regards intrigués pendant les quelques instants où chacun essayait de comprendre ce qu'il venait de voir. Et puis le prêtre repris de plus belle ses invocations, appelant la protection de toutes les forces ésotériques qu'il pouvait concevoir, et d'autres encore.

Christian et Yannick restèrent un moment cois, avant que le chevalier ne demande à son maître :

-Doit-on prévenir les Siostrys ?

-Surtout pas ! Cette histoire prend des proportions aussi inquiétantes qu'inattendues, il va falloir d'abord approfondir les investigations et tâcher de savoir si ce vilain sorcier de Von Stuffen n'aurait pas quelques complices en nos contrées. Comprends qu'il serait mal venu d'ébruiter tout cela avant d'avoir obtenu des preuves plus... solides... Dit-il en regardant le tas de poussière étalé sur le lit... A fortiori auprès des institutions. Pas un mot aux siostry ni à l'inquisition. Nous mènerons d'abord notre propre enquête.

J'ai d'ailleurs en tête quelques seigneurs qu'il nous faudrait appréhender...

Dernière modification par Christian (2023-10-28 10:54:30)

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