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#1 2023-08-20 17:05:53

Charles

L'Orphelin de Haugueroux

Il s'appelait Albéric. Une vingtaine d'années, des cheveux bruns flottant au vent, une silhouette svelte, des yeux bleus. C'était un jeune manant de Haugueroux, et il commençait aujourd'hui une carrière de soldat au service du baron Charles de Marigny, troisième du nom, le seigneur local.
Albéric était né ici, à Haugueroux. C'était un orphelin, un enfant des rues. Sa mère était une tisserande, décédée alors qu'il n'avait pas cinq ans, pendant une épidémie de choléra. De son père, personne ne savait rien.
A quinze ans, Albéric avait été pris comme apprenti chez un forgeron. En voyant les belles épées, les lances, les haches, les boucliers, les armures, les heaumes, il rêvait de batailles. Les chevaliers avaient toujours été ses héros, les histoires de leurs exploits avaient bercé son enfance.
Comme beaucoup de fils de Haugueroux, Albéric connaissait bien les chevaux. La ville était connue pour ses élevages et surtout pour ses courses. On disait qu'elle avait les meilleures bêtes de la province. Chaque été, au début des moissons, des jeunes gens montés sur ces splendides destriers s'affrontaient sur une piste tracée pour l'occasion. Chaque année, il y avait des blessés. La plupart de ces jeunes cavaliers étaient des fils de nobles, mais il y avait aussi quelques roturiers, garçons de Haugueroux à la recherche de gloire. Albéric avait toujours regardé ces courses de chevaux avec beaucoup de fascination.
Dès ses dix-huit ans, l'âge légal pour entrer dans l'armée, Albéric s'était enrôlé. Et le voilà aujourd'hui, revêtu du gambison et du casque des soldats (la cotte de mailles et l'armure étant réservées aux plus riches), et armé d'une pique. Il n'appartenait pour le moment qu'à la piétaille, mais cela n'importait pas. Il faisait son premier pas vers son désir de se battre, et son rêve, secret, de devenir un jour chevalier. En outre, il allait avoir une solde, ce qui lui permettrait de vivre sans voler ni mendier. La seule chose qu'il demandait aux dieux, c'était de ne pas mourir trop vite.

Dernière modification par Icn23 (2023-08-28 15:35:27)

#2 2023-08-23 22:24:15

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

Sur les routes de Valenrac...

Un soleil de plomb tapait sur la plaine. Sous son casque et son gambison, Albéric sentait couler les gouttes de sueur. Son pas était lourd, mais déterminé. Avec les troupes du baron Charles, il se déplaçait vers le nord de la province. Ils allaient combattre des barbares installés un peu plus haut.

Malgré la chaleur et la fatigue, Albéric sentait l'excitation monter en lui. Il allait vivre son premier combat ! Depuis six jours qu'il s'était enrôlé, il était resté à Haugueroux et ne s'était pas encore battu. On l'avait rapidement formé, puis il avait fait des rondes dans la cité pour maintenir l'ordre. Avec la garde, ils avaient un jour attrapé un voleur, un autre, ils avaient mis fin à des rixes près d'une taverne. Mais aucune vraie bataille.
Néanmoins, Albéric ne regrettait pas d'être devenu soldat. Il appréciait la camaraderie qui régnait dans la troupe, et cette vie bien réglée et bien ordonnée. Ses frères d'armes l'appelaient Albéric l'Orphelin.

La veille, enfin, le capitaine avait annoncé qu'ils partiraient le lendemain pour batailler contre des tribus barbares des montagnes descendues dans la plaine. La région grouillait de ces camps hostiles qui attaquaient les villages, pillant, incendiant et massacrant en toute impunité.

Après encore plusieurs heures de marche, l'armée à la bannière de Marigny arriva enfin. Albéric et ses compagnons reçurent l'ordre de commencer à monter le camp. Puis, le baron décida d'aller attaquer des barbares qui avaient été repérés par les éclaireurs non loin. Mais il n'emmena que les cavaliers. Ils revinrent une heure après, victorieux.

Le soir, à la lueur des feux, Albéric et les nouvelles recrues écoutèrent les anciens raconter des histoires de guerre. C'était fascinant.
"La plupart d'entre vous vont crever, déclara alors Galtever, nous, la piétaille, on n'a pas d'armure, pas de bouclier, pas de cheval... On meurt facilement."
Albéric médita cette parole, les yeux fixés sur les flammes vacillantes qui dansaient sur son visage. Il n'avait pas vraiment peur de mourir. Les dieux le protégeraient. Du moins, il l'espérait.
Ysengrin répondit à Galtever : "Mais toi, tu es toujours là."
"Moi, j'ai eu de la chance." Expliqua le vieux soldat 

Le lendemain matin, Albéric fut réveillé à l'aube. De nouveau, des barbares avaient été repérés ; mais cette fois, ils étaient nombreux. Le baron Charles ordonna que la piétaille participe à la bataille.
Tout heureux, Albéric mit son casque et prit sa lance, se dépêchant autant qu'il le pouvait. Bientôt, l'armée fut en route.

Ils ne marchèrent pas très longtemps. Au bout d'une heure, ils tombèrent sur le camp barbare, grouillant déjà d'activité. Cent ou peut-être deux cents hommes à la mine sauvage, avec des peaux d'animal sur le dos, leurs couteaux et leurs haches, circulant entre les tentes et les feux en train d'être rallumés. Il y avait même quelques femmes.
L'ordre  d'attaque fut lancé. Sans hésiter, suivant ses camarades, Albéric se mit à courir, lance en avant, en criant pour se donner du courage :
"Aaaahhhh !"
Le choc fut brutal. Lances et haches s'entrechoquèrent. Albéric empoigna sa pique à deux mains et la planta devant lui, dans le corps d'un barbare. Le sang gicla et lui éclaboussa le visage. Il resta figé une seconde, frappé. Il avait tué un homme. Soudain, une douleur vive lui transperça le côté. Le jeune soldat venait de recevoir un coup de poignard. Mais un autre soldat tua le porteur du couteau avant qu'il n'ait pu tuer Albéric. Ce dernier, plein de stupeur, se sentit vaciller, et s'effondra dans l'herbe boueuse.

Albéric se réveilla, étendu sur le champ de bataille, désormais silencieux et jonché de cadavres. Un homme était penché sur lui, pansant sa plaie - c'était le guérisseur.
"La bataille est terminée ?" Demanda Albéric
"Ma foi, oui, et on l'a gagnée !"
L'armée du baron était trois fois plus nombreuse que celle des barbares.
"Est-ce que je vais mourir ?" S'inquiéta Albéric
"Non, mon garçon. Pas aujourd'hui."
Le jeune homme leva les yeux au ciel et remercia les dieux.
Il venait de vivre son baptême du sang.

Dernière modification par Icn23 (2023-08-28 15:42:11)

#3 2023-08-29 16:42:58

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

Les batailles qui suivirent furent semblables à la première. Armé de sa pique, Albéric la plantait dans le ventre, le côté, le dos ou la jambe des barbares autour de lui, récoltant au passage de bien mauvaises blessures. Parfois, il devait lutter au corps à corps, roulant dans le sol boueux et se débattant avec un ennemi qui voulait le tuer. Heureusement, les dieux semblaient le protéger car il s'en sortait toujours vivant. Beaucoup d'hommes mourraient, car les barbares étaient de redoutables guerriers. Mais la piétaille du Baron Charles était trop nombreuse pour eux.

Ce soir-là, l'armée de Marigny campait à quelques dizaines de lieues du campement d'une tribu barbare dirigée par un certain Doat. Ils l'avaient déjà combattu une fois, un mois plus tôt. Ce chef barbare venait de s'allier, disait-on, avec une ou deux autres tribus barbares. Mais cela n'était que rumeurs. Personne ne savait si c'était vrai. Le Baron voulut s'en assurer. Il fit quérir les espions, mais il s'avéra qu'il n'en restait plus un seul. Les derniers avaient été pris par Doat et décapités.

Albéric l'Orphelin était en train de manger autour d'un feu avec ses camarades, le vieux Galtever, Ysengrin, Rabel et Hardouin. Ils parlaient justement de Doat, comme tout le camp. Ils se demandaient quand aurait lieu la prochaine bataille. Bientôt, assurément.
C'est à ce moment-là qu'arriva l'aide de camp du Baron, un jeune homme aux cheveux bouclés, destiné à devenir un jour chevalier. Albéric l'observait de loin. Il parlait à Bréval, le capitaine. Lorsqu'il eut terminé, il s'éloigna, et Bréval s'approcha de ses hommes.
"Les gars, commença-t-il, ils ont besoin de trois hommes pour aller espionner le camp de Doat."
Un silence lui répondit.
Tout le monde savait que c’était une mission très risquée, et que les têtes des derniers espions avait été plantées sur des piques.
"Ils seront payés dix pièces d'or." Poursuivit Bréval
C'était une somme conséquente, pour un soldat de la piétaille.
"Est-ce qu'il y a des volontaires ?" Demanda le capitaine
"Moi."
Tout le monde se tourna vers Albéric, qui avait prononcé cette parole. Il est fou, pensa Ysengrin.
"Bien, déclara Bréval, il m'en faut deux autres."
Deux autres soldats finirent par se proposer, attirés par les dix pièces d'or.
Albéric, lui, n'avait pas accepté pour l'or. Il voulait à tout prix sortir de la piétaille, s'élever dans l'armée. Son rêve était d'entrer dans la cavalerie. N'ayant pas l'argent pour cela, il ne lui restait qu'un moyen : s'illustrer par des exploits. Et il voyait dans cette mission-suicide un exploit à accomplir. Il réussirait, ou il mourrait.
Bréval ordonna aux trois volontaires d'aller à la tente du commandement. Alors que ses camarades le regardaient encore, stupéfaits, Albéric partit avec ses deux nouveaux compagnons.

Dernière modification par Icn23 (2023-08-31 16:02:12)

#4 2023-08-31 15:24:40

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

Albéric chevauchait silencieusement dans la nuit. On lui avait donné un cheval pour qu'il soit plus rapide. Il se dirigeait vers le campement de Doat le Barbare.
Ses deux compagnons de voyage, les deux autres espions, s'appelaient Argius et Colomban. C'était tout ce qu'Albéric savait d'eux. Ils ne devaient pas parler, pour être discrets.
On leur avait fait revêtir une tunique brune, à la place du gambison des soldats, et on leur avait donné à chacun une dague, qu'ils portaient au côté. A l'approche du camp de Doat, ils devaient descendre de cheval et finir à pied, en se séparant tous les trois. Si l'un était pris, il resterait les deux autres.
Albéric était heureux. Sur son cheval, galopant dans la nuit, il se sentait libre. Le vent lui soufflait dans les cheveux. Il retrouvait les sensations qu'il éprouvait lorsqu'il montait à cheval, à seize ans, en pleine nuit, sur l'une des bêtes d'un éleveur de Haugueroux.

Il ne fallut pas plus de quatre heures aux trois cavaliers pour atteindre le campement de Doat. Il était situé en bas des montagnes, dans une plaine vallonnée. Comme on le leur avait ordonné, les trois espions descendirent de cheval, attachèrent leurs montures, et partirent à pied, chacun d'un côté différent.
Albéric s'engagea dans un petit bois et se mit à avancer en silence, attentif au moindre bruit. Par chance, la nuit était sombre. Il serait plus aisé de se cacher. Le jeune soldat sentit la peur lui serrer l'estomac. S'il se faisait prendre par les barbares… ils le tueraient, après l'avoir torturé. Aucun espion n'était revenu vivant du camp de Doat. L'idée de s'enfuir traversa l'esprit du jeune homme. L'armée de Marigny était loin, il pouvait facilement déserter… Il chassa cette idée. Il ne voulait pas d'une vie de déserteur en fuite, se cachant de taverne en taverne… Et finissant au bout d'une corde.
Albéric arriva à l'orée du bois. En-dessous de lui, dans le creux des collines, il voyait le camp barbare. Ou plutôt, il en distinguait les formes dans la nuit. Le camp lui parut immense. Les tentes se dressaient, innombrables. Au milieu d'elles, des feux de camp, des silhouettes, des bruits, des rires. Albéric se demanda si Argius et Colomban étaient déjà à l'intérieur.
Il fallait maintenant descendre. Évaluer le nombre de barbares, leurs armes, leurs provisions, découvrir s'il s'agissait seulement de la tribu de Doat ou s'il y en avait d'autres. Puis repartir, et rapporter tout cela au Baron Charles.
Albéric rassembla tout son courage, et descendit sans bruit la pente herbeuse. Il arriva à l'entrée du campement, se glissa à l'intérieur et se faufila entre les tentes.
Les hommes étaient rassemblés autour des feux. Ils bavardaient, riaient, aiguisaient leurs armes, chantaient des chansons dans une langue inconnue. Albéric se déplaçait comme une ombre, d'une tente à une autre, calculant mentalement le nombre de barbares qu'il voyait. Il les estimait à plusieurs centaines. Mais ce chiffre était très approximatif.
Le jeune homme se fit la réflexion qu'il n'avait jamais vu autant de barbares réunis ensemble. Sans doute la rumeur était-elle vraie. Doat s'était allié avec d'autres tribus, afin de former une armée nombreuse qui pourrait faire face à celle de Marigny.
Albéric continuait d'avancer, lentement mais sûrement, vers le centre du camp. Quelque part par là devait se trouver la tente de Doat. Albéric était plus attentif que jamais. Il était en plein milieu du campement. L'endroit le plus dangereux. Soudain, il se figea ; à une vingtaine de mètres de lui résonnaient des cris et des bruits de lutte. L'espion se plaqua à terre. Il resta immobile. Il se sentit trembler. Ce n'était pas le froid. Le tumulte cessa rapidement. Albéric se demanda ce qu'il s'était passé : une bagarre entre deux barbares ? Argius ou Colomban qui s'était fait prendre ?
Le silence retomba sur le campement. Après cinq bonnes minutes, Albéric se releva, et reprit sa marche de renard. A mesure qu'il s'approchait, il entendait des discussions plus animées. C'est alors qu'il les vit : Doat, parlant avec d'autres barbares, sans doute ses lieutenants ou d'autres chefs de tribus. Albéric reconnut Albald et Yselda, deux chefs connus. Il y avait donc bien une alliance barbare. L'espion aperçut une forme étrange aux pieds de Doat. Une forme humaine, allongée par terre. Il grimaça d'horreur : c'était le corps de Colomban. Mort.
Albéric estima qu'il en avait assez vu, et qu'il était dangereux de rester plus longtemps. Alors qu'il décidait de s'éloigner, surgit derrière lui une voix qui cria quelque chose qu'il ne comprit pas. Albéric fit volte-face ; deux barbares fondaient sur lui. Saisi de panique, l'espion se mit à courir, aussi vite qu'il le pouvait. Il filait entre les tentes, et entendait les deux barbares crier derrière lui et le poursuivre.
"Ça y est, je suis perdu !" pensa-t-il
Il courait à corps perdu et sa respiration devenait haletante. D'autres barbares, alertés par les cris, arrivèrent par les côtés. Albéric trébucha sur une pierre et s'étala de tout son long. Avant même qu'il n'aie le temps de se relever, une dizaine de barbares l'encerclaient, pointant des poignards vers lui.

Dernière modification par Icn23 (2023-09-02 17:08:26)

#5 2023-09-01 19:58:48

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

"Avance, valthyar !"

Le barbare accompagna cet ordre d'un coup du manche de sa hache dans l'épaule d'Albéric. Le prisonnier ne broncha pas et continua d'avancer.
''Valthyar'' était un mot barbare signifiant ''sanguinaire'' ou ''brigand'', qui désignait les Okordiens. Les barbares parlaient un mélange de leur dialecte et de la langue du royaume. Albéric était capable de comprendre les phrases les plus simples.

Les guerriers qui l'avaient capturé étaient en train de l'amener aux chefs. Albéric réfléchissait rapidement à une façon de leur fausser compagnie, mais il n'en trouva aucune qui fût réalisable. Bientôt, il se retrouva poussé aux pieds de Doat, Albald, Yselda et deux autres qu'il ne connaissait pas. L'un des barbares dit à Doat qu'ils l'avaient trouvé rôdant dans le camp et que c'était sans doute un espion.
Doat l'attrapa par le col et scruta son visage. Albéric vit les petits yeux noirs à l'air farouche, le teint bruni par le soleil, le turban rouge entourant le front, les traits enfoncés, les rides naissantes, la moustache brune et la large mâchoire du chef barbare le plus redouté de Valar. Doat le lâcha et ordonna qu'on l'emmène à la tente des prisonniers.
Les deux guerriers reprirent Albéric et firent ce que leur chef leur avait ordonné. La "tente des prisonniers" était vide. Les barbares attachèrent Albéric au poteau central, lui liant les mains avec une corde solide, puis ils sortirent.

Une demi-heure plus tard, une main poussa la toile de la tente et deux barbares apparurent. Le premier s'approcha d'Albéric et déclara :

"Je suis Dungal, le second de Doat, de la tribu des Ierkovals."

Il s'arrêta devant le prisonnier et se campa devant lui, puis demanda :

"Et toi, quel est ton nom ?"

Albéric remarqua l'imposante stature de cet homme. Il était plus jeune que Doat, plus grand aussi sans doute, mais il avait le même regard sauvage et dur. Ses cheveux étaient longs et il avait une moustache drue. Il portait une fourrure de renard sur les épaules, par-dessus sa tunique, et une ceinture de cuir à la taille, dans laquelle étaient glissés un poignard d'un côté et une hache de l'autre.

"Je m'appelle Albéric." Répondit-il

"Tu es dans l'armée des valthyars ?"

Albéric hésita.

"Non." Dit-il

Dungal lui décocha un violent coup de poing, si rapide qu'il ne le vit même pas venir. Albéric cligna des yeux, un peu sonné. Il avait l'impression d'avoir la mâchoire brisée.

"Tu me prends pour un idiot ? S'emporta Dungal, tu crois qu'on ne sait pas que tu es un espion des valthyars ?"

Sans attendre de réponse du prisonnier, Dungal dit quelque chose à son acolyte, qu'Albéric ne comprit pas.
Puis il se tourna vers l'Okordien.

"Combien d'hommes dans l'armée des valthyars ?"

"Je l'ignore." Répondit Albéric très sincèrement

Il n'avait aucune idée de combien d'hommes étaient sous le commandement de Charles de Marigny. Il n'était qu'un soldat de la piétaille.
Mais Dungal ne le crut pas, et lui envoya un autre coup de poing. Puis un deuxième, et un troisième. Dungal avait une force  impressionnante. Il redemanda :

"Combien d'hommes ?"

"Je ne sais, répéta Albéric, je ne suis qu'un soldat, je ne connais pas les chiffres."

Dungal fronça les sourcils. Il réfléchit une minute, puis il prit le poignard qu'il portait au côté, regarda Albéric, et le lui enfonça dans la cuisse. Albéric hurla de douleur. Le barbare répéta sa question.

"Je l'ignore…" Bégaya Albéric encore une fois

Dungal se tourna vers l'autre barbare.

"Marared, l'appela-t-il, styrkun ekar iyr valthyar kruthra !"

"Attendez ! S'écria Albéric, tandis que Marared amorçait un mouvement, je ne suis pas un espion des valthyars ! Je veux parler à votre chef. Je veux parler à Doat !"



Doat entra dans la tente des prisonniers. Dungal avait consenti à aller le chercher. Si l'espion lui faisait perdre son temps, le chef lui couperait la langue pour lui apprendre.
Albéric attendait en silence, un peu tendu.

"Je suis Doat, chef des Ierkovals, déclara le chef. Que veux-tu me dire, valthyar ?"

"Grand Chef des Ierkovals, je ne suis pas un valthyar, répondit Albéric. Je suis ton allié..."

"Mon allié ?" Répéta Doat en explosant de rire

"J'ai quitté l'armée des valthyars… Je suis un déserteur, un krathor. Le Baron veut me tuer. Je ne suis pas venu vous espionner pour lui. Je suis venu car je veux me battre avec vous. Je n'aime pas les valthyars. Ils sont mes ennemis. Je ne peux pas vous dire combien de soldats ils sont, je n'étais pas un chef… Mais je peux vous donner d'autres informations, et je sais me battre, je peux rejoindre votre armée."

Doat paraissait méfiant. Il se demandait si le prisonnier était sincère ou s'il mentait. Il paraissait plus probable qu'il soit en train d'essayer de sauver sa peau. Mais s'il disait la vérité – ce qui était possible – Doat avait un urgent besoin d'hommes pour son armée.

"Toi, tu veux nous rejoindre ? Pourquoi ? Tu n'es pas un draugul..."

"Non, mais les valthyars sont mes ennemis…"

"Ne cherches-tu pas simplement à échapper à la mort que le peuple des montagnes destine aux espions valthyars ?"

"Seigneur, laisse-moi te prouver que je suis avec toi. Et si je t'ai menti, tu pourras m'exécuter."

Doat réfléchit quelques instants.

"Je ne peux pas savoir si tu mens ou si tu dis la vérité, dit-il. Il n'y a qu'une seule façon de le savoir ; il faut le demander aux dieux. Tu feras un Okvamar."

Albéric ne savait pas ce qu'était un Okvamar.

"Tu vas affronter en duel un guerrier de la tribu, expliqua Doat. Si tu es honnête, les dieux donneront à ton épée la victoire, mais si tu as menti, ils te feront mourir."

Dernière modification par Icn23 (2023-09-02 17:23:17)

#6 2023-09-04 15:11:04

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

Albéric était nerveux. Bientôt, on viendrait le chercher pour l'Okvamar, le duel des dieux. Il redoutait ce moment-là. Même si sa plaie à la jambe avait été soignée, avec un garrot et l'application d'un onguent médicinal connu seulement des barbares, le jeune homme n'était pas confiant. Il avait conscience de n'être pas réellement un guerrier. Il avait encore très peu d'expérience du combat. Cela ne faisait même pas un an qu'il était soldat. Il n'avait jamais appris à manier l'épée, encore moins la hache ou le couteau. Quant aux dieux… favoriseraient-ils un menteur ?

Ce n'est qu'au soir qu'on vint le chercher. Le soleil se couchait lentement sur la plaine, baignant le paysage d'une lueur orangée. Des dizaines d'hommes s'étaient réunis autour de l'arène improvisée qui servirait à l'Okvamar.
Albéric vit son adversaire, au milieu d'eux ; c'était Marared. Il se réjouit intérieurement de savoir que ce n'était pas Dungal. Moins impressionnant, plus petit, Marared possédait tout de même la silhouette carrée de tous les Ierkovals. Son torse nu laissait apparaître ses muscles saillants. Son regard était fier ; il était sûr de gagner.

Doat était présent aussi, entouré des autres chefs. Il fit taire l'assemblée, et dit :

"Mes frères, rholdar ekar Okvamar, byn Marared Thyrn ek Albéric Valthyar ! Rholdar la victoire krundor ilaranek celui qui est dans la vérité ! Nous implorons la justice des dieux !"

Ensuite, il s'adressa à Albéric :

"Quelle arme veux-tu ?"

C'était, en effet, à l'initiateur de l'Okvamar de choisir l'arme.
Albéric réfléchit.

"Je veux une lance." Dit-il

"Tu l'auras."

Doat fit quérir deux lances. Elles furent données aux deux combattants.
Le chef redit quelques mots. Albéric l'écoutait ; ses yeux trahissait sa peur et ses mains tremblaient légèrement en serrant le bois de sa lance. Sa blessure à la jambe gauche le rendait un peu raide. Mais il voulait à tout prix survivre, et la seule façon était de gagner ce duel. Alors, il y était déterminé.

Sur un mot du chef, l'Okvamar commença.

La foule se mit à crier.

Marared chargea le premier ; sa lance fendit l'air avec une force meurtrière. Albéric, malgré sa raideur, réussit à esquiver le coup de justesse en reculant précipitamment sur sa gauche.

Marared chargea encore, attaquant son adversaire avec une agressive férocité. Les acclamations de la foule redoublèrent. Albéric se contentait d'esquiver. Parfois la lame acérée de la lance ennemie le frôlait. Il parvint à esquiver chaque coup mortel, se jetant d'un côté ou de l'autre, reculant ou se baissant. Sa jambe blessée le faisait souffrir, mais il puisait dans sa détermination pour surmonter la douleur.
Son avantage résidait dans le fait que Marared n'était pas habitué à manier la lance, préférant la hache, le sabre ou le poignard. Tandis que lui, Albéric, s'entraînait et se battait à la lance depuis des mois. Cela les mettait à peu près sur un pied d'égalité, bien que Marared soit beaucoup plus fort physiquement et entraîné au combat.

A plusieurs reprises, le barbare tenta de percer la défense de son adversaire, mais le jeune soldat utilisait à présent assez adroitement sa lance pour maintenir une distance sûre. Il n'osait toujours pas attaquer, mais parvenait à anticiper les mouvements du guerrier, et à les parer avec une agilité de plus en plus assurée. La foule, en délire, rugissait à chaque attaque.

Les minutes s'écoulèrent. Marared redoubla d'efforts. Une avalanche d'attaques pleuvait sur Albéric. Il fallait qu'il attaque, lui aussi. Mais pour le moment, il se concentrait pour éviter la lame mortelle qui passait sans cesse près de lui. Un faux mouvement, et il s'empalait dedans…

Tchac ! La lance de Marared se planta dans l'épaule droite d'Albéric, qui laissa échapper un cri, et recula d'un pas. Marared hurla un cri de guerre.
Albéric se redressa courageusement, ignorant la douleur, et riposta. Marared esquiva.
Heureusement, la lance ne s'était pas enfoncée trop profondément dans la chair d'Albéric, la blessure n'était que superficielle.

Le duel se poursuivit. Marared continuait d'attaquer avec la même vigueur, mais il commençait à montrer des signes de fatigue. Ses mouvements étaient moins précis, plus désordonnés. Albéric, au contraire, avait retrouvé sa confiance au fil du combat.

La foule criait moins et était de plus en plus attentive, étonnée par la tournure que prenait l'Okvamar. Les barbares avaient imaginé que Marared planterait sa lance dans le coeur de ce valthyar en moins d'une minute. Force était de constater qu'ils avaient sous-estimé le jeune Okordien. Albéric savait faire durer le combat pour retarder sa mort. Le spectacle n'en devenait que plus prenant.

Marared fit une erreur cruciale. La fatigue le rendait moins rapide. Il garda le bras levé un tout petit peu trop longtemps. Une demi-seconde de trop. Mais cela suffit à Albéric. Il profita de l'ouverture et s'élança, sa lance pointée devant lui, visant le coeur. Marared tenta d'esquiver, et la lance s'enfonça dans son côté. Il hurla, tandis qu'Albéric reculait, pour éviter la riposte.
Cette contre-attaque surprit tout le monde. Marared n'était pas mort, mais la plaie était profonde et il était clair qu'elle l'avait affaibli.

Les spectateurs, à présent, retenaient leur souffle. Peut-être, finalement, que Marared ne gagnerait pas. Le valthyar avait une chance.
Les deux combattants commençaient à fatiguer. Albéric sentait ses deux blessures – celle à la jambe et celle à l'épaule – l'élancer douloureusement. Mais il n'y prêtait pas attention, pris par l'envie furieuse de vivre, la nécessité de vaincre. Marared, qui était le plus âgé, et s'était beaucoup dépensé en attaques, était encore plus fatigué. Mais ce duel était un duel à mort. Personne ne se rendrait. Vaincre ou mourir, telle était la loi de l'Okvamar.

Albéric faillit toucher son adversaire, mais celui-ci l'évita. La lance de Marared érafla la joue d'Albéric, laissant une belle entaille.

Le soleil avait presque disparu derrière l'horizon lorsque le moment fatidique arriva. Les deux combattants étaient épuisés, couverts de poussière et de sueur. Le vieux guerrier barbare tenta un ultime assaut. Sa lance s'abattit lourdement en direction d'Albéric ; celui-ci se protégea, d'un mouvement désespéré, avec sa propre lance, qui glissa contre celle de son adversaire.
Le résultat fut tragique et inattendu. Marared, déséquilibré par la manœuvre, se précipita en avant. Avant qu'Albéric n'ait le temps de réagir, il vint s'empaler sur sa lance. Sa propre lance tomba avec un bruit sourd.

La foule resta silencieuse, frappée de stupeur.
Albéric se tenait debout, interloqué, tenant à deux mains sa lance qui s'était enfoncée dans le corps de Marared, et le traversait comme une motte de beurre, ressortant de l'autre côté. Une flaque de sang grossissait à ses pieds. Marared agonisait, la vie s'échappant rapidement de lui.
Albéric retira sa lance du corps inerte de son adversaire.
Les spectateurs n'osaient y croire. Est-ce que leur frère Marared venait de mourir ? Est-ce que le petit valthyar avait gagné ?

Cette fois-ci, la patience et l'agilité avaient triomphé de la force brute.

Doat, qui partageait la stupeur de ses hommes, dit une seule phrase :

"Les dieux ont parlé."

Dernière modification par Icn23 (2023-09-04 16:15:55)

#7 2023-09-05 12:47:56

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

"Ce sale petit espion valthyar a tué notre frère, et toi, tu le libères !"

Ce reproche sortait de la bouche de Dungal, et s'adressait à Doat.
Toute la tribu partageait son opinion.

"Les dieux ont parlé, répondit Doat. C'était un Okvamar. Si Marared est mort, c'est que ce garçon disait la vérité."

"Je ne le crois pas un instant ! Répliqua Dungal, c'est un serpent perfide, comme tous les valthyars ! Il aurait fallu lui couper la tête ! D'ailleurs, tous les guerriers sont d'accord avec moi."

"Les guerriers connaissent pourtant les règles de l'Okvamar..."

"Le valthyar n'a même pas tué Marared ! C'est Marared qui s'est empalé sur sa lance. Il a eu l'air aussi surpris que nous. Et puis il n'a lancé quasiment aucune attaque pendant le duel. Il ne faisait qu'esquiver les coups. C'est une grande victoire, ça ?"

"Les dieux ont décidé, Dungal, répéta le chef. C'est ainsi."



Contre toute attente, Albéric était vivant. Il avait gagné son Okvamar, à la surprise générale de tout le monde, lui inclus. Doat était maintenant convaincu qu'il avait dit la vérité, qu'il était un déserteur de l'armée de Marigny et qu'il voulait rejoindre le "peuple des montagnes". Albéric était officiellement incorporé à l'armée des barbares et pouvait aller librement à travers le camp. On lui avait même soigné ses blessures. Cependant, il lui était impossible de quitter le campement.
Doat le sollicitait parfois pour lui poser des questions sur les valthyars. Il était difficile à Albéric de lui mentir sans éveiller les soupçons, alors il prétendait qu'il ne savait pas et ne donnait que quelques informations sans importance.

Albéric sentait l'hostilité des guerriers barbares à son égard, en particulier Dungal. A l'exception de Doat, tous le considéraient comme l'assassin de leur frère, Marared, qui était un homme aimé dans la tribu. Ils appelaient encore Albéric "le valthyar" avec un mépris haineux. Même si Doat avait confiance en lui, et avait déclaré qu'il punirait sévèrement quiconque s'en prendrait à lui, l'Okordien se demandait souvent s'il n'allait pas finir égorgé dans son lit, une nuit, par Dungal ou quelque autre guerrier désobéissant au chef.

Pendant tout ce temps où il ne pouvait quitter la vallée, Albéric eut tout le temps et le loisir d'observer les barbares dans leur vie quotidienne. Il apprit ainsi les noms des différentes tribus : les Ierkovals, dirigés par Doat le Sage, surnommé ainsi à cause de sa piété ; les Vorkhans, dirigés par Albald dit le Cruel ; les Mazonols, dirigés par Yselda, une femme farouche. Il y avait aussi des Drakarniens.
Les Ierkovals étaient les plus nombreux. Comme les Vorkhans et les Mazonols, ils venaient des montagnes. Ils parlaient des dialectes différents, avaient une culture et des traditions différentes, mais ils avaient la même religion, un culte polythéiste rassemblant des divinités des Anciens Dieux okordiens et des dieux barbares. Leurs mœurs également se ressemblaient, primitifs, brutaux et violents comme l'étaient tous les barbares, croyant à la loi de la force plus qu'à la loi du sang. Les chefs n'étaient pas héréditaires, et il n'y avait pas d'aristocratie. Tous les guerriers étaient égaux.
Les Drakarniens ressemblaient aux barbares des montagnes valariennes, on les aurait aisément confondus avec eux, mais ils venaient du Nord. C'était des disciples d'Yggnir. Ils n'étaient pas nombreux, à peine une quinzaine, mais c'était des fameux cavaliers, redoutables à la guerre et infatigables. Un proverbe barbare disait qu'un Drakarnien valait dix hommes. Leur chef était un certain Ramulf.
Enfin, Albéric fut surpris de découvrir des Okordiens dans l'armée des barbares, une bande de bandits de grands chemin dirigés par un certain Sigefroi, autoproclamé chevalier, ainsi que des voleurs, des assassins, des criminels, des déserteurs, toute la canaille de la province. Doat avait ramassé tout ce qu'il pouvait pour former son armée.

Le grand problème de l'armée barbare est qu'elle était désorganisée et indisciplinée. Ses soldats avaient diverses origines, différentes façons de se battre, ils obéissaient à des chefs différents. Ils se bagarraient fréquemment entre eux pour des broutilles. Les Drakarniens en particulier étaient extrêmement susceptibles. Si Doat avait réussi à s'allier avec Albald, Yselda, Ramulf et Sigefroi, il n'était pas le général-en-chef et ne commandait qu'aux Ierkovals, sa propre tribu. Il était impossible d'établir une véritable stratégie militaire car les chefs n'étaient jamais d'accord entre eux.

Dernière modification par Icn23 (2023-09-30 12:07:01)

#8 2023-09-07 14:15:15

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

"Valthyar ! Doat veut te voir à la tente des chefs." Dit Dungal à Albéric

"J'y vais." Répondit Albéric en ierkoval

Dungal avait toujours le même mépris pour le soldat okordien. Il était persuadé que c'était un être indigne de confiance et dangereux. Le fait que Doat le consulte comme l'un de ses conseillers ne faisait qu'augmenter sa colère. Ne voyait-il pas la fourberie dans les yeux de ce jeune homme ?

Albéric traversa deux rangées de tentes et entra dans celle des chefs. Il y avait Doat, Albald, Yselda, Ramulf et Sigefroi.

"Assieds-toi, dit Doat. J'ai besoin de ton avis sur un sujet primordial."
Albéric prit place.

"Nous envisageons d'attaquer une ville du chef des valthyars." Déclara le chef ierkoval

Une ville ? Jamais encore les barbares ne s'étaient attaqués à une ville. Il ne prenaient habituellement pour cibles que les villages, les hameaux et les fermes isolées.

"Ainsi, poursuivit Doat, les valthyars verront notre puissance. Ils auront du mal à nous déloger. Ça ne sera plus des combats de plaine. Nous aurons une véritable position de force."

Doat marqua une pause, puis reprit :

"Nous voulons attaquer la cité de Valenrac. Tu connais cette ville. Peux-tu m'en parler ?"

Valenrac, la capitale de Valar ! Albéric était effaré. Il fallait convaincre Doat de renoncer à ce terrifiant projet.

"Grand Chef, répondit Albéric, c'est une grosse ville. La plus grande, la plus peuplée et la mieux défendue de la province. Les troupes en garnison sont souvent là-bas. Il y a de grands remparts et des tours qui la protègent. Il faudrait un long siège pour la prendre. Et beaucoup d'hommes. Le chef valthyar aurait le temps de revenir avec son armée et d'attaquer les vôtres par derrière."

"Parle-moi des remparts, répondit Doat, quelle est leur épaisseur ? Où sont les portes ? Laquelle serait la plus aisée à forcer ?"

"Les remparts sont très épais, impossibles à percer sans des engins de siège. La porte nord est plus fragile que les autres, vous devriez vous concentrer dessus."
Ce n'était pas vrai. La porte nord était tout aussi solide que les autres. C'était la porte sud qui était plus vulnérable.

"Grand Chef, continua Albéric, me permets-tu de te poser une question ?"

"Va-s'y."

"Comment comptes-tu prendre Valenrac avec seulement quelques centaines d'hommes ? Ne crains-tu pas l'armée des valthyars, qui est plus nombreuse que la vôtre ?"

"Nous aurons assez d'hommes pour le repousser. Bientôt, Odard, Arn et Edric vont nous rejoindre avec leurs guerriers. J'ai également envoyé des émissaires vers toutes les tribus drauguls de la région et tous les ennemis des valthyars. Je pense que la majorité répondra favorablement. Nous allons former une grande alliance draugul contre les valthyars, et prendre leurs villes, brûler leurs châteaux, et les exterminer. Nous serons vainqueurs, et Valar sera à nous."

Albéric était horrifié. Doat ne voulait pas seulement s'allier avec quelques chefs barbares, mais avec l'intégralité des camps hostiles de la région. Tous ensemble, ils seraient plus nombreux que l'armée de Marigny. Ils prendraient Valenrac avant que le Baron Charles n'aie le temps d'appeler ses suzerains à l'aide. Et une fois qu'ils tiendraient la solide cité remparée, il serait extrêmement difficile de le leur reprendre. Une guerre longue et coûteuse en vies humaines se profilait à l'horizon. Il ne fallait surtout pas qu'ils prennent Valenrac. Il fallait absolument prévenir le baron.

La discussion continua, Albald puis Sigefroi prirent la parole. Albéric écoutait attentivement, et son inquiétude grandissait. Le plan d'attaque de Valenrac semblait brillant, les chefs étaient décidés à enfin coopérer. Albéric réfléchissait à un moyen de prévenir Monseigneur Charles. Mais il avait beau se creuser la tête, il n'en trouvait aucun. Il ne pouvait quitter le campement ; les cavaliers barbares auraient tôt fait de le rattraper et de le mettre à mort. Dungal le soupçonnait et le surveillait constamment. Le jeune homme dut se rendre à l'évidence ; il était impuissant.

Dernière modification par Icn23 (2023-09-30 12:13:17)

#9 2023-09-30 15:44:58

Charles

Re : L'Orphelin de Haugueroux

Lors d'un autre conseil, les chefs avaient décidé d'attaquer le village de Borsart.

L'armée des barbares s'était mise en route, depuis cinq jours, en direction de Valenrac. Albéric n'avait rien pu faire pour empêcher son départ et sa progression lente mais inexorable à travers la campagne valarienne.
Borsart était un petit village d'une centaine d'âmes, en bas des montagnes. Il n'y avait aucune garnison là-bas, seulement quelques paysans. Albéric s'inquiétait ; il connaissait les méthodes des barbares. Massacrer tout le monde, ne faire aucun prisonnier. Mais le pire fut que Doat lui demanda de participer à la petite expédition chargée d'attaquer le village.

Ils partirent le lendemain matin à l'aube, à cheval. Ils étaient seize, de la tribu des Ierkovals. Dungal en faisait partie. Dans la brume légère et matinale, chargée de rosée, ils galopaient, rapides, discrets, entre champs et forêts. Albéric avait reçu un sabre et un poignard. Il tenait fermement l'encolure de son cheval, se demandant encore s'il y avait un moyen de fuir et d'éviter de participer à cette tuerie. Si Dungal le soupçonneux n'avait pas été là...

Ils arrivèrent une heure plus tard. Borsart s'éveillait. Les hommes étaient déjà dans les champs, les femmes dans les cours de maisons. Une dizaine de petites chaumières, serrées les unes contre les autres, se dressaient dans l'horizon, autour d'un clocher. Le paysage était plutôt joli et paisible.

"Allons-y !" Dit Dungal en ierkoval

Aussitôt, les cavaliers fondirent sur le village, au grand galop, en hurlant. Chez les villageois, ce fut la surprise, puis la panique, et enfin l'épouvante. Ils se dispersèrent en criant de terreur, les femmes appelant leurs enfants avec désespoir, les hommes prenant leur faucille ou leur serpette pour s'interposer ou fuyant vers le bois, selon leur courage. Les barbares massacraient, transperçaient, embrochaient, éventraient, avec des cris sauvages. Le sang giclait et se répandait par terre. Des hurlements retentissaient. Albéric, au milieu de ce carnage, fonça droit sur une femme à côté de lui ; arrivé à sa hauteur, il s'immobilisa. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas tuer cette innocente, qui aurait pu être sa sœur. Elle avait l'air pétrifiée d'horreur. Elle le prenait pour l'un d'eux. Il jeta son sabre à ses pieds, tourna bride, et lança son cheval au galop, dans la direction du bois.
Les barbares allaient le tuer.

"Thyrfakar !" Cria Dungal

Ce mot signifiait "traître". Le guerrier, déjà, abandonnait les villageois pour s'élancer derrière Albéric. Ses yeux flambaient de colère et de rage. Albéric éperonna son cheval, priant pour que Dungal ne le rattrape pas.

"Reviens, traître ! Criait Dungal, sale valthyar ! Je vais t'égorger !"

Le cheval d'Albéric soufflait bruyamment, ses sabots frappaient le sol comme un battement de tambour, projetant des gerbes de terre dans leur sillage. Le paysage défilait comme un tourbillon fou autour de lui, champs, arbres, rivière, montagne, tout se fondait dans sa course effrénée. Mais il était plus rapide, et Dungal ne parvenait pas à le rattraper ; il se faisait distancer. Le barbare stoppa net sa monture, prit l'arc de Kaldrik, qu'il portait sur lui, encocha une flèche et visa la silhouette du cavalier qui filait devant lui. La flèche partit avec rapidité et frôla Albéric. Une autre partit juste après, et se planta dans son côté droit, mais il continua à galoper, agrippé à l'encolure de son cheval comme s'il s'agrippait à la vie. Une troisième flèche se planta dans sa cuisse. Puis il disparut dans l'horizon.

Dungal poussa un cri de rage. Il jura dans sa langue maternelle :

"Je n'aurai de répit que ce traître soit mort ! Je jure de le traquer sans relâche et, le jour où je l'aurai trouvé, de le tuer de mes propres mains !"

Dernière modification par Icn23 (2023-09-30 15:50:11)

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