Vous n'êtes pas identifié(e).

#1 2021-08-10 17:04:58

Sköll
Inscription : 2019-10-29
Messages : 90

Retour au pays

Riches à millions !

Les navires du clan Campe-Belle débordaient de butin. Les grands knorrs ventrus étaient pleins jusqu'à la gueule et même au-delà. À peine les échouait-on sur la plage, qu'ils dégueulaient de la cale un ruisseau d'or et de trophées, ou tout un cheptel de grandes chèvres à longues cornes zébrées.
Les guerriers avaient fort à faire pour transborder tous ces objets précieux et ce bétail. Le sable était creusé par toutes les allées et venues. Ces années de razzia avaient été juteuses.

Les frères Toff -ceux qu'à juste titre, on appelait désormais les Riches Toff- surveillaient la manœuvre, chacun à leur manière : Vieux Toff était allongé sur le sable, les bras derrière la tête, il, euh... méditait. Petit Toff crissait entre ses dents à chaque fois qu'un abruti faisait tomber un candélabre ou un calice.

« Attention, le sable ! Szsa les abîme ! »

Cette manie, associée à un petit défaut d'élocution, lui valait le surnom de Crisse-Toff.

« ABWÄR ! »

Petit Toff et Vieux Toff relevèrent la tête de leur besogne. Tout le monde se suspendait, glacé par l'alerte. C'était le cri de guerre de leur chef, Sköll.
Ça venait de derrière la plage, vers le village.

« ABUÄÄRR ! ABBWÄÄÄR ! »

Oh misère. On étranglait le chef.
Les frères Toff se précipitèrent dans les dunes, suivis par un tas de guerriers. Pendant leur absence, ce trou perdu avait pu être envahi par des bandits, ou par des clans rivaux. Et le chef qui était parti tout seul là-bas ! Quelle aubaine !

« À BOUARE, MERDE ! »

Petit Toff crissa entre ses dents. Il venait d'atteindre le sommet de la dune. En contrebas, entre les bicoques en chaume moisi, son énorme chef brassait du vent avec une hargne de tous les diables, face à une poule et un petit chien, qui étaient très impressionnés.
Crisse-Toff fit signe à son frère qui ahanait dans la montée.

« Te presse pas, frangin. Il voulait szeulement à boire. »

L'aîné Toff soupira bruyamment. Il acheva de grimper la dune en reprenant bruyamment son souffle.

« C'est pas... la première fois... qu'il nous fait courir comme ça... ce con...
-C'est à cause de ss'ffoutu cri de guerre. »

En plus de cracher ses poumons, Vieux Toff ruminait on ne sait quelles vitupérations où son frère ne distinguait que des bribes de « tiré de ma sieste par un gros ivrogne ». Petit Toff n'avait pas envie que les guerriers autour d'eux l'entendent. 

« T'en ffais pas, frangin. On trouvera un cri de guerre moins équivoque, un jour.
-Faudra surtout trouver un chef moins con. »

Dans le village, Sköll hurlait toujours. Crisse-Toff approuva en silence.

Dernière modification par Skoll (2021-08-12 12:59:24)


Sköll, fils de Kåtgram, petit-fils de Mūrj

Hors ligne

#2 2021-08-12 12:57:58

Sköll
Inscription : 2019-10-29
Messages : 90

Re : Retour au pays

« Trouvez-moi un fût à mettre en perce, ou j'offrirai vos entrailles à Ralgh ! »

Sköll, fils de Kåtgram, petit-fils de Mūrj, n'avait pas bu d'alcool depuis deux jours. C'était du jamais vu de mémoire d'homme.

« Trouvez moi de la bière, de l'hydromel, du calvok ou de la pisse de chèvre ! N'importe quoi pourvu que ça ait du goût, j'ai le gosier à sec ! »

Ejamenn Eüreünay était un petit village de pêcheurs, sur l'embouchure du détroit du Vornet. Une demie douzaine de maisons désertes en torchis, quelques greniers. Sköll en retournait minutieusement chaque pouce carré, avec la minutie d'un bœuf poursuivi par un essaim de frelons.

Sköll sauta lourdement du grenier qu'il venait de ravager. Il venait de gober un navet pourri, blanc de moisissures. Des morceaux lui glissaient le long de la joue et moussaient dans sa moustache rousse. Dans tout ce village abandonné, c'était la seule source d'alcool sur laquelle il avait pu mettre les dents.

« Que Sassinaï fasse crever dans leur pisse tous les cul-terreux qui ont vidé les caves pendant que j'avais le dos tourné ! J'ai la gorge qui brûle ! ABWÄR ! »

Sköll brisa un pichet contre son crâne en hurlant. Le récipient l'avait provoqué : il était vide.

Les rares natifs du coin se roulaient en boule dans le sable et faisaient des signes de conjuration, quand ils n'avaient pas simplement fui. Les guerriers du clan étaient sagement restés sur la plage, loin du danger. Les quelques présents, les courageux, se tassaient près de la sortie du village. Parmi eux, les frères Toff qui ruminaient.

« Il resterait peut-être de l'alcool dans les navires s'il n'avait pas fini rond comme une barrique tous les soirs depuis qu'on est remontés d'Olva...  murmurait Vieux Toff.
- Si ssa n'avait été que les soirs...  chuinta Petit Toff.
- On aurait vraiment dû en profiter pour le jeter à l'eau.
- Dommage qu'il ssoit ssi lourd... »

« Oh, le duo de chiottes, je vous cause ! Qu'est-ce que vous avez à rester plantés là au lieu de me chercher à boire ? »

Épinglés en plein conciliabule, les deux frères déglutirent en même temps et cherchèrent une excuse en roulant des yeux de merlan. Les Toff ne faisaient pas les héros.

« Puissant seigneur Sköll, intervint fort à propos une voix douce et posée,  ta Soif légitime est sur le point d'être comblée. »

La colère de Sköll chuta d'un coup. L'auteur de ce charme impérieux, qui se tenait sur le seuil de la grange, était le gardien des arcanes Skölliennes, le grand champion de l'ébriété royale : Akov le Poli, le maître de cérémonies. 

Sköll en tomba presque à genoux.

« Poli Akov ! Mon sauveur ! Tu as trouvé quelque chose ? »

Sköll était métamorphosé. Le géant rougeâtre avait pris l'allure d'un podeswite attendant le miracle. Face à lui, le maniéré Akov ne manqua pas de se faire mousser.

« Oui, glorieux Sköll ! Notre généreux voisin, le seigneur Bürlocks, a bien voulu procéder au commerce avec nous. Il nous envoie deux barriques de son meilleur vin depuis Rezhevag, juste à côté ! Mes modestes talents de diplomate l'ont, je l'espère, convaincu du bien fondé de...
-DEUX barriques ? »

Sköll était en train de repasser au cramoisi. Akov ravala son enthousiasme avec sa salive.

« Deux barriques ? Tu me promets deux barriques alors que je devrais faire couler la bière et le calvok à flots ? Pour qui tu me prends, Akov ? Je suis Sköll, fil de Kåtgram, petit-fils de Mūrj ! Je rentre de raid avec mes navires pleins ! Il faut que mes hommes soient ivres pendant une semaine ! Je veux que la mer elle-même boive jusqu'à plus soif ! Que le détroit du Vornet déborde de mousse comme une chope ! Tu crois qu'elles vont suffire, tes DEUX BARRIQUES ? »


Sköll, fils de Kåtgram, petit-fils de Mūrj

Hors ligne

#3 2021-08-16 01:52:01

Sköll
Inscription : 2019-10-29
Messages : 90

Re : Retour au pays

« Ce soir, faute de boisson,
Le grand Sköll était d'une humeur d'ancre.
S'il était tombé à l'eau,
Il aurait amarré la flotte entière ! »

Un silence spectral s'abattit dans le cercle des guerriers. Certains s'étaient arrêtés de manger, le morceau de viande à mi-chemin de la bouche. La plupart devaient se demander qui était ce guignol. Le manque d'alcool ne les aidait pas à se dérider. Les frères Toff, eux, avaient manqué s'étouffer. Ils s'étaient regardés avec des yeux ronds, avant de reporter leur hargne sur le poète assis au milieu du cercle. Ils avaient l'air de vouloir lui arracher la langue.

Le poli Akov était gêné. Il avait cru bien faire en piochant ce scalde parmi les captifs pour égayer la soirée. Il murmura « Je crois avoir compris, puissant Sköll. Il a tenté un jeu de mots, très subtil. »

Mais Sköll gardait le nez dans sa pintade, daignant seulement répondre « Gn'est d'la mergne. »

Une goutte de sueur roula sur le front du poète, et quelques autres sous ses aisselles. Le commentaire du chef avait été parfaitement audible. Ça n'augurait pas bon pour sa survie. Un brouhaha maussade commençait à sourdre. Avant que la situation ne dégénère, le conteur pinça deux cordes de sa citole. Il lança d'une voix blanche :

« Les dieux veillent sur Sköll, fils de Kåtgram ! Bien sûr, il n'est pas tombé à l'eau. Mais tout le monde n'a pas sa chance. Je vais vous conter l'histoire tragique de l'illustre empereur d'Ohm à la Barbe Rousse, …
-On s'en fout !
-qui chuta dans le fleuve...
-On veut des femmes !
-et disparut à jamais.
-Ta gueule ! »

Le public n'était pas enthousiaste. Le conteur faisait de son mieux pour paraître à l'aise, mais ce n'était pas très convaincant. Il prit son plectre dans les doigts et titilla une corde. Du regard, il interrogeait l'énorme Sköll.

Sköll ne relevait pas la tête de son plat. Akov était embarrassé. Le conteur l'était tout autant.

« Aimable conteur, s'enquit Akov qui, en bon maître des réjouissances, essayait de rattraper le coup, quand nos vaillants guerriers t'ont capturé près de Sartatmedzefgornou, tu m'as dit que tu étais okordien ? »

Le conteur acquiesça.

« Sans doute alors serait-il adéquat que tu nous entretiennes à propos d'Okord et de ses coutumes. Notre illustre clan les connaît mal encore. »

Sköll leva un sourcil. Quelques guerriers approuvèrent :

« Ouais, parle-nous d'Okord. On s'en fout, d'Ohm, c'est mort depuis des lustres.
-On veut des femmes !
-Ouais, parle nous des femmes d'Okord ! »

Le conteur parut soulagé pour sa vie. Il y avait moyen d'intéresser ces barbares. Tout ragaillardi, il lança un accord et se prit à improviser.

« Ah, les femmes d'Okord !Il y en a beaucoup
dont je pourrais parler, comme la fière Eugénie !
La grand-reine du Nord et son mari jaloux...
Hélas, elle fut brûlée, un vassal l'a trahie.

Je pourrais vous parler d'Eleanor la pieuse
Ou d'Helyanor la sage, mais je préfère, ici,
Vous faire partager une histoire plus heureuse...
Car ces jolis rivages, quand le soir y fraîchit

Font remonter l'odeur de fêtes endiablées,
De rires et de fleurs, et de belles années.
Sur ces jolis rivages dansaient des jeunes femmes

Jusqu'à finir en nage, pour plaire à une Dame
Qui sirotait, tranquille, les doigts en éventail...  Ah...
Sur ces rivages, ces filles... dansaient pour la reine Ayla. »

Un ange passa.

Le silence qui régnait sur le cercle n'était plus le même. Les guerriers ouvraient des grands yeux. Sur ces hommes rudes à la poésie rare, ces vers à la va-vite avaient eu un effet puissant. Ou alors c'était simplement l'évocation des femmes. En tout cas, ils attendaient la suite.

Le conteur, trop heureux de se trouver face à des néophytes, enchaîna en prose avant que le sort ne se dissipe.


*

« C'était quoi cette allusion ?
-Hein ? Que... Pardon ? »

Vieux Toff avait posé une main sur l'épaule du conteur, au moment où il sortait.

« Tu nous esspionnais, c'est ssa ? »

Crisse-Toff avait la main sur son surin. Le conteur était encore tout enivré de son succès. Il ne comprit pas tout de suite ce qui lui arrivait comme les frères Toff l'entraînaient dans un recoin entre deux baraques. La nuit n'était pas noire. La fête ne tarderait pas à s'éteindre faute d'alcool, mais les guerriers y braillaient encore.

« Je ne comprends pas de quoi vous parlez...
-Tu ssais très bien de quoi on parle ! Tu nous as écoutés ce midi. Tu nous espionnais quand on parlait de le foutre à l'eau, le gros sac à vinasssse !
-Mais pas du tout, je- OUMFF ! »

Le poing de Petit Toff était parti dans le ventre.

Son frère lui fit signe que ce n'était pas la peine. Il prit le conteur par le col.

« Écoute moi bien, l'okordien... »

Le conteur dut détourner la tête. Vieux Toff avait une haleine affreuse.

« Si tu comptes jouer la balance dans l'oreille du chef, tu es libre de le faire... Mais si tu le fais sur notre dos, on te fait la peau... C'est compris ? »

Le conteur acquiesça nerveusement, sans respirer. Il aurait avoué n'importe quoi pour que Vieux Toff arrête de lui souffler dans la figure.

« Cherche pas à faire le petit malin. Ici, t'es rien du tout. »

Comme pour confirmer, Petit Toff lui allongea un nouveau crochet dans le ventre, avec un sourire vicieux.

« Allez, on te laisse... » exhala une dernière fois Vieux Toff.
- Ton insstrument, qu'est-sse que c'est ?
-Une citole, grimaça le conteur plié en deux.
-Ah. Connaisssais pas. C'est pas mal, j'aime bien le son. »


Sköll, fils de Kåtgram, petit-fils de Mūrj

Hors ligne

#4 2021-11-22 19:05:41

Sköll
Inscription : 2019-10-29
Messages : 90

Re : Retour au pays

« Alors papa, finalement on est esclaves ou pas ? »

Eudoxie levait des grands yeux. Elle avait posé la question doucement, pour ne réveiller personne dans la grange, mais ça n'avait pas empêché le conteur de sursauter.

« Je ne sais pas encore, ma puce. », souffla-t-il.

Le conteur ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une bouffée de fierté à chaque fois que cette gamine intelligente comme pas deux l'appelait papa. Même si, dans cette situation, il ne pouvait rien faire pour la protéger, ni sa mère, ni son frère et sa sœur, et il ne pouvait rien leur offrir d'autre que ce que leurs maîtres leur laissaient... Même si cette impuissance le flétrissait d'une honte tenace, au moins, avant que les choses tournent mal, il avait su gagner sa confiance. 

Il s'allongea sur la paille en s'efforçant de ne surtout pas grogner. Il gardait une main collée sur le ventre, et il espérait que personne ne le remarque ni ne lui pose de question. Petit Toff avait eu la main lourde en le frappant. Au moins aussi lourde que l'haleine de son frère. Le conteur était bien content d'avoir gardé un peu de sa bedaine des jours de faste, malgré les privations. Le gras, ça protège.

« J'ai eu du succès ce soir. » chuchota-t-il à la petite, une fois inséré entre elle et sa mère.

On les faisait dormir serrés comme des sardines dans cette grange. Les conditions de vie qu'ils subissaient étaient à cent lieues de ce qu'avait connu la gamine jusqu'ici dans sa vie. Mais c'était cent fois mieux que la cale du knorr qui les avait ramenés d'Olva : ça ne bougeait pas. Et comme ils venaient d'arriver, la paille était fraîche. C'était le grand luxe.

« J'espère que leur chef a apprécié. S'il me garde à son service, on pourra avoir des traitements de faveur.
-Et s'il n'a pas apprécié, maman finira putain ?
-Ne dis pas des choses pareilles, Eudoxie. Ça n'arrivera pas. »

Eudoxie marmonna un « J'espère » désarmant de candeur. Le conteur espérait qu'elle ne se figurait pas vraiment ce que tout ça voulait dire. Mais il savait bien au fond de lui qu'il se leurrait. Cette gamine n'était pas idiote. Pendant le raid -hélas-, et aussi pendant le voyage, elle avait vu des choses qu'une enfant ne devrait jamais voir. Même si elle ne savait pas tout, elle pouvait deviner l'essentiel : la douleur et la honte. Pour l'instant, parce qu'elle allaitait, sa mère avait été préservée du sort déplorable des femmes captives. Mais qui savait combien de temps durerait ce sursis...

En voulant chasser ces présages, le conteur se colla tout contre le corps chaud de la mère d'Eudoxie. Nue sous le drap, elle dormait, lui tournant le dos, tenant sa fille de quelques mois contre elle. Le conteur embrassa la masse de ses cheveux. Aiysha ne broncha pas. Il passa son bras contre son flanc, enveloppant son ventre. Mais Aiysha le chassa d'un revers de main.

« Tout va bien, lumière de ma vie. J'ai eu du succès, ce soir...
-J'ai entendu, Luis. »

Elle ne l'appelait par son prénom que quand la situation était grave. Le conteur imagina tout de suite le pire.   

« Ils ne t'ont pas fait danser, au moins ? 
-Non. »

Même chuchotée, sa voix portait les accents d'une fureur sourde. L'annonce arriva quelques secondes plus tard, ce qui la rendit encore plus dramatique.

« Il m'ont fait servir à table. »

Aiysha était outragée.

« Moi. Servir. »

Pour une femme de son rang, être contrainte à un travail de domestique était impensable. Mais sa colère n'était pas qu'une question de statut, il y avait pire. Le conteur le sentait bien. Il demanda :

« Ils en ont profité ?
-Évidemment.
-Les salauds. Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? »

Aiysha ne répondit pas tout de suite. Comme Luis restait en alerte, elle marmonna quelque chose, comme
« rien d'important ».

« Ils t'ont touchée ? Qui ? Décris-les moi.
-Pourquoi ? Qu'est-ce que tu vas leur faire, Luis ?
-Ben... »

Rien, évidemment. Il n'était pas en mesure de leur faire quoi que ce soit. S'il bougeait le petit doigt, il était mort, et sa petite famille subirait le sort des esclaves anonymes. Ils ne se contenteraient pas de toucher.

Aiysha avait espéré autre chose. Un regain, une fierté, un éclair de panache et de vengeance. Elle était déçue, une fois de plus.

« Voilà ce qu'il est devenu, le grand guerrier okordien. Quand je pense que je te croyais, quand tu me racontais tes salades... Quand tu jurais de me protéger, moi et mes enfants... Je ne sais pas ce qui m'a pris de te faire confiance. Dire que je t'ai fait entrer dans ma maison, que je me suis offerte à toi... 
-Tu étais veuve...
-Je n'étais pas veuve avant de te connaître ! »

Quelqu'un, sur la paillasse d'à côté, chuchota au couple de se taire. 

Ils se turent.

...Jusqu'à ce que Luis, piqué dans ce qui lui restait d'orgueil, réplique :

« Ose dire que tu étais contre. »

Aiysha s'était endormie. Ou bien elle faisait semblant, pour ne pas répondre. Le conteur insista, posant ses lèvres à quelques pouces de l'oreille de son amante.

« Ose dire que tu le regrettes, ton vieux croulant. »

Aiysha prit quelques instants avant de murmurer, acerbe :

« Lui au moins, il m'aurait défendue. Et il aurait défendu mes enfants, puisque c'étaient les siens.
-Défendue ? Mais je vous ai défendus !
-La belle défense, le beau résultat.
-Qu'est-ce que tu aurais voulu que je fasse ? Que je nous fasse tous tuer et violer ?
-Et bien peut-être  que ça aurait mieux valu...
-OH ! Vos gueules, y en a qui dorment ! »

Contraints par la promiscuité, les deux amants se turent de nouveau. Pour de bon, cette fois. Sans doute auraient-ils apprécié pouvoir changer de position, pour ne pas ruminer leur ressentiment couchés l'un contre l'autre, mais Luis le conteur ne pouvait pas changer de position sans rouler sur Eudoxie, aussi resta-t-il contre le dos d'Aiysha. Et dans un silence maussade, au milieu des ronflements du dortoir, ils cherchèrent le sommeil.

Eudoxie, elle, avait tout entendu, évidemment.
Et son frère aussi, couché sur le flanc à une coudée de sa mère. L'adolescent bouillonnait de rage. Ce mou qui lui servait de père adoptif n'était qu'un sous-homme, indigne même de s'approcher de sa mère. Il ne fallait pas attendre d'un lâche comme lui qu'il les protège ou qu'il les sorte de là. Il allait devoir prendre les choses en main lui-même.

Dernière modification par Skoll (2021-11-22 19:10:02)


Sköll, fils de Kåtgram, petit-fils de Mūrj

Hors ligne

Pied de page des forums

Propulsé par FluxBB