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« L’invasion païenne était en marche. Le vicomte d’Illyrie emmena ses troupes à la cité sainte de Damas, autour duquel s’était mis en place un siège dont les proportions s’avéreraient plus tard gargantuesques. Mais tandis que les illyriens tombaient pour Damas, leurs propres terres n’étaient pas épargnées. Des raids venant de l’intérieur des terres et du Massif Cordé au nord pillaient et brûlaient sans répit les hameaux des colonies illyriennes sur les côtes du Vieil-Okord. Profitant du départ de l’armée du vicomte, nombreux furent les barbares d’Yggnir à saisir l’occasion, attaquant sans crainte de représailles les villages alentours. Face à l’impuissance des pouvoirs en place, les attaques se firent de plus en plus massives et audacieuses.
Acculé, le gouverneur de Novaterra appela au secours les Cinq Sœurs, dont il était séparé par le Grand Canal. Gesualdo di Strazaforte, légat d’Esilinato, fut envoyé rétablir l’ordre dans les colonies avec le peu de troupes dont le Régent était prêt à se séparer.
Hélas pour eux, les pillages ne s’arrêtèrent pas aux villages… »
Sigmund Lavar, « Histoire brève et succincte d’Illyrie »
Comme tous les jours depuis un mois, Hudibert faisait sa ronde dans le hameau de Tomecho. Hudibert était un mi-solde, une sorte de milicien de la vicomté, mobilisable en urgence pour étoffer les garnisons des villes. Et prêt à être balloté d’un bout à l’autre d’Illyrie si besoin.
C’était un jour moche, tout gris et pluvieux. Du petit crachin léger, agaçant, mais assez fin pour se faufiler dans vos vêtements. Un jour où « Podeszwa doit chialer devant toutes nos conneries », comme disait son cher père.
- « Eh, z’avez entendu à propos de Lodeso ? » fit une petite vieille pliée sur sa canne, devant l’embrasure de son taudis.
- « Oui, frau.
- Y z’ont pas retrouvé un survivant.
- En effet, frau.
- C’est le troisième cette semaine. Vous allez faire quoi contre eux ?
- Aucune idée, frau. »
La vieille agita son petit poing fripé devant elle, courroucée.
- « Vous savez parler ‘vec des phrases complètes, dites ?
- Faut demander à mon centenier pour ça, frau. »
La vieille paysanne s’éloigna avec sa canne en maugréant.
- « Foutus Osterlichois… »
Elle s’arrêta soudainement en observant l’horizon. Un panache de fumée noire s’élevait au loin.
- « C’pas vrai, v’là-t’y pas qu’ils recommencent ! »
Hudibert suivit son regard.
- « Schgóno ! C’est le bourg d’Albrone ! ».
Un autre panache apparut un peu plus à l’ouest. Puis un autre. Et encore un autre. Quelques secondes plus tard, ils observaient une demi-douzaine de colonnes de fumée.
- « Allez à Novaterra ! J’vais prévenir mon chef ! » ordonna Hudibert.
La veille paysanne ne se fit pas prier. Des cris commencèrent à jaillir dans Tomecho. Le cœur battant, Hudibert se mit en quête de son centenier.
***
Dans le palais du gouverneur de Novaterra, le légat Gesualdo di Strazaforte épluchait les rapports de la semaine passée.
Et ruminait. Le vicomte menait ses troupes à Damas. Pendant que ces hommes, ses hommes mourraient pour une ville sainte, à des lieux de leur pays, lui écumait la paperasse. Il aurait au moins aimé accompagner ses soldats qui se trouvait si loin de chez eux…
Toujours aucune nouvelle des éclaireurs chargés de localiser les auteurs du dernier massacre, au village de Lodeso. C’était à se demander si…
- « Légat, on a un problème, » dit le centenier Severo, l'interrompant dans sa réflexion comme il entrait en trombe dans le bureau.
Severo s’était déjà équipé de son armure en cuir à renforcement métallique. Gesualdo posa immédiatement ses rapports et quitta son dossier, ordonnant à Severo de continuer d’un hochement de tête.
- « Une offensive majeure, depuis le nord. Ils ont dû traverser le Cordé, ou venir du Grand Canal.
- Rassemble tous les hommes que tu peux. Tu as dix minutes. »
Severo quitta immédiatement la pièce. Gesualdo hurla dans le couloir.
- « Firen ! »
L’écuyer déboula à l’intérieur.
- « Prépare mon armure, et ordonne aux palefreniers de seller nos chevaux ! »
Firen opina et partit en courant. Seul, Gesualdo s’accorda un bref instant de désespoir avant de se ressaisir. Il le savait, ce serait une boucherie. Le vicomte avait pris tous les hommes valides d’Illyrie. Ne restait plus que les mi-soldes chargés du maintien de l’ordre, et des trop vieux ou trop jeunes pour être mobilisé. Quelques centaines d’hommes, au mieux.
Visibles depuis la fenêtre du bureau, les colonnes de fumée noire se multipliaient dans le ciel grisâtre. Encore. Et encore…
Dernière modification par Alunzio Dizrutore (2020-03-13 22:19:23)
Gesualdo di Strazaforte quitta le palais du gouverneur de Novaterra à cheval, son écuyer Firen sur les talons. Une lumière blafarde et matinale de fin d’automne réfléchissait sur son armure. De fin d’automne ? De fin d’ère, de fin du monde, plutôt, songea Gesualdo.
À l’entrée de l’enceinte palatial l’attendait son escorte et le centenier Severo.
- « Les hommes valides sont sur la place de ville, légat.
- Combien ? »
Le centenier haussa les épaules. Lui et le reste de l’escorte enfourchèrent leurs chevaux et accompagnèrent les deux hommes.
- « Cinq cents à six cents. Je n’ai pas vraiment eu le temps de compter, » ironisa Severo.
- « Moral des troupes ?
- Bas. Les officiers compétents et entraînés se comptent sur les doigts de la main, et le gros de la troupe n’est guère plus… » Le centenier soupira. « Reluisant. Au moins, nous avons un petit détachement de Strolatzs qui n’est pas arrivé à temps pour partir avec le reste de l’armée à Damas. On peut compter sur eux. »
Ils continuèrent au trot, jusqu’à arriver à la place pavée de Novaterra. Elle faisait d’ordinaire office de place au marché, mais l’alerte avait vidée le lieu de ses marchands et badauds. Les étals étaient encore remplis de produits agricoles ou artisanaux.
Les mobilisés illyriens se tenaient là, par petits groupes au milieu du marché. Les Strolatzs naviguaient entre les groupes avec des prototypes de fléau-encensoir, alternant prières et cantiques d’un ton grave derrière leur casque caractéristique.
Le temps que Gesualdo longe la place, les soldats valésians terminèrent de chanter Au mont des oliviers, devenu l’hymne des exilés podeszwites valésians, puis enchaînèrent par le plus connu Loin, par-delà les collines, auquel se joignirent esterordiens et osterlichois. Les voix étranglées et chevrotantes donnaient davantage à ce chant des airs de supplique que celui de marche militaire.
Les hommes avaient peur, tout simplement.
Gesualdo descendit de son cheval. Il leur fallait un bon discours pour une décision qu’ils savaient suicidaire.
Il pointa une charrette du doigt.
- « Renversez-moi ça. »
Severo, Firen et quelques autres soldats de l’escorte legatio optèrent sans broncher, et firent basculer la charrette à l’envers avec moults grognements. L’agitation et le bruit attirèrent le regard interrogateur des miliciens proches.
Le légat grimpa sur la charrette, croisa le regard de Severo, puis balaya la foule du regard.
À la fois si nombreux devant lui, et si peu devant l’ennemi. Quel discours pouvait-il bien leur faire ? C’était à l’évidence la foi qui les empêchait de prendre leurs jambes à leur cou. Mais Gesualdo n’avait jamais été particulièrement dogmatique dans sa foi en Podeszwa.
Le légat se flattait de posséder une voix de stentor, et une certaine aisance à l'oral. Il allait improviser, comme d’habitude.
- « Guerriers d’Illyrie ! »
Les chants s’éteignirent et les regards convergèrent progressivement vers lui, à l’équilibre sur sa charrette renversée. Les hommes encore assis se levèrent.
- « Vous avez peur, je le sais. Et vous avez raison d’avoir peur ! »
Severo lui jeta un regard alarmé. Gesualdo l’ignora.
- « Mais vous ignorez que les païens derrière moi, eux, ont encore plus peur ! Savez-vous pourquoi ? »
Les hommes face à lui le regardèrent avec perplexité.
- « Ils viennent en nombre ! En nombre écrasant, oui ! Car ils savent qu’un illyrien seul vaut dix d’entre eux ! Ils savent que seul le poids de leur nombre peut leur apporter la victoire. Comme la vermine ! »
Quelques-uns levèrent un sourcil cynique, mais Gesualdo vit chez d’autres ce qu’il espérait : de la fierté.
- « La mort est devant nous, guerriers ! Mais nous n’avons qu’une seule crainte à avoir aujourd’hui, celle de faillir en ce moment critique, où Podeszwa nous observe ! À fuir alors que nous devons protéger nos familles ! »
Gesualdo dégaina sa lame, et la brandit en évidence devant les mobilisés.
- « Allons ! Chaque âme d’Illyrie qui rejoint Podeszwa en défendant Son sol est assuré d’une place de choix à Ses côtés ! Le sang illyrien est un nectar pour la terre sur laquelle il est versé ! Et les païens se rendront vite compte que ce sol est bien trop cher pour eux ! La gloire de Podeszwa ! Gloire !
- GLOIRE ! »
Il nota avec satisfaction que le cri unanime de ses troupes.
- « Gloire !
- GLOIRE ! »
Le légat abattit son épée tel un couperet.
- « En formation ! »
Les illyriens se ruèrent hors de la place dans une pagaille indescriptible, les officiers tentant désespérément de former des colonnes ordonnées dans ce pandémonium.
Gesualdo quitta son piédestal improvisé.
- « Pas très orthodoxe, comme discours, » fit remarquer Severo.
- « Aucune importance, Severo. D’ici demain, nous serons tous morts. »
Son centenier lui renvoya un sourire triste.
Gesualdo le sentait. Cette bataille allait être la pire et la plus belle de sa carrière.
Et accessoirement, sa dernière.
Dernière modification par Alunzio Dizrutore (2020-03-13 22:18:46)
Compte-rendu de la bataille du Grand Canal, la 18e phase de l'automne de l'an XII, ère 19, à l’attention de Son Excellence Edard Hoverafen, Régent d’Illyrie au nom de Sa Seigneurie le Vicomte Alunzio Dizrutore.
Sont présents :
Les officiers Alceo Faro et Ugoli Petanini (respectivement capitaine et second du Benvenuto, à quai pour réparation), chargés d’analyser le déroulement de la bataille navale.
Les clercs Litonio Gamera, Sitoni Paderr et Egmond Storner, chargés de la rédaction du rapport.
Les observateurs sont postés sur le phare de Port-Preux, avec une vue privilégiée du Grand Canal. Un télescope a été en outre emprunté à l’Observatoire de Camporiago pour une observation en détail.
Mission : décrire la bataille et comprendre les stratégies maritimes païennes pour les conflits futurs.
Forces en présence :
Vicomté d’Illyrie :
De Lotada :
- Escadre Cordane. Une cogue (le Rosamare), deux dromons (le Sotarne et le Serafine) et sept galères. Entre 150 et 300 membres d’équipage par vaisseau.
- Flottille de sécurité fluviale. Une galère (le Milandro) et onze sloops de tailles diverses. 150 membres d’équipage pour le Milandro, entre 20 et 50 pour les sloops
De Port-Preux :
- Escadre Furenza. Une cogue (le Pontarso), un dromon (le Sei Mezzane), et huit galères. 150 à 300 membres d’équipage
- Deux flottilles de sécurité fluviale. Un dromon (le Consiglia), une galère (le Madre dei Mari) et vingt-trois sloops. 20 à 150 membres d’équipage.
De Camporiago :
- Escadre Visconte. Deux cogues (le Podeszwa Potere et le Santo Acario), deux dromons (le Isvere et le Silmenone) et cinq galères. 150 à 300 membres d’équipage.
D’Esilinato :
- Escadre Legatio. Une cogue (le Gloria di Fozca), cinq dromons (le Buenporto, le Sirena da Forno, le Campanula, le Santa Iuliva et le Verita di Podeszwa). 200 à 350 membres d’équipage.
- Escadre Spietato. Une cogue (l’Indomabile) un dromon (le Maafane) et sept galères. 150 à 300 membres d’équipage.
Nota bene : Les membres d’équipage n’inclut pas les soldats et artilleurs à bord. Les escadres de Velatio et Boccaglio ne sont pas indiqués, en raison de leur trop grande distance par rapport à la bataille, malgré leur départ constaté.
Pillards païens :
Selon les rapports visuels des observateurs susnommés.
Entre 150 et 175 navires non-identifiés, semblables à des galères à fond plat. Le capitaine Faro les suppose pouvoir contenir entre 100 et 200 individus chacun.
Rapport :
Mesure temporelle d’après la Grande Horloge du palais du gouverneur de Port-Preux, visible depuis le phare.
10h17 : Premiers vaisseaux païens identifiés le long du Massif Cordé, longeant la côte okordienne. Branle-le-bas de combat observé dans les ports illyriens.
10h36 : Départ coordonné de la flotte de Lotada et Port-Preux, puis de Camporiago et d’Esilinato.
Note du second Petanini : le courant du Grand Canal descend du nord au sud, et le vent souffle vers le sud-est, favorisant les envahisseurs. Il est à craindre que les deux flottes ne puissent faire jonction à temps.
10h43: Séparation d’une partie de la flotte païenne (environ 50 navires), qui continue à longer la côte okordienne, l’autre partie mettant le cap vers les Cités-Sœurs.
11h02 : La flotte païenne longeant la côte okordienne subit des tirs provenant des forts côtiers de Castel Pinato, mais continue son chemin.
Hypothèse : Jonction avec les attaquants de Novaterra (fumée visible du point d’observation).
11h21 : La flotte illyrienne s’aligne, pose l’ancre et s’amarre les uns aux autres pour former un rempart flottant le long du Canal, bloquant l’accès aux Cités-Sœurs.
11h46 : Les premiers échanges de tir ont lieu entre pièces d’artillerie montée sur les navires (balistes et onagres).
Un premier navire ennemi est coulé (note du capitaine Faro : le fond du navire a probablement été transpercé par un boulet d’onagre du Serafine ou du Sei Mezzane).
11h49 : Les païens ripostent à leur tour, tout en avançant. Les échanges de tir s’intensifient (les païens semblent disposer de moins d’onagres, et leurs balistes ont une moindre portée).
Quatre navires envahisseurs coulent, l’un d’eux se brisant même proprement en deux. Leurs hommes coulent, certains sont recueillis par les navires environnants.
Note : les païens sont tous en armure légère, en cuir (ce qui leur permet de flotter plus longtemps), indiquant qu’ils sont des habitués des attaques maritimes.
La flotte conjointe de Lotada et Port-Preux perd trois sloops, et une galère de l’escadre Furenza lors d’un tir incendiaire. L’incendie se propage sur le navire, et saute sur une autre galère de l’escadre qui ne s’est pas séparée à temps. Celle-ci se sépare du rempart et se met en arrière pour lutter contre l’incendie.
11h54 : La galère en feu retourne à Port-Preux, toujours en prise avec l’incendie. Elle est suivie par un sloop amoché par des tirs de baliste et en voie de submersion.
12h05 : Un sloop est broyé entre le Sei Mezzane et une galère Furenza.
Note du capitaine Faro : le Sei Mezzane semble ne plus avoir de gouvernail. Il n’est tenu que par son ancre et son amarrage. Lui et ses navires voisins portent d’ailleurs des traces d’impacts aux coques.
12h06 : Les navires entre à portée des archer à leur bord. Chaque camp est équipé de flèches incendiaires.
12h11 : Les païens longeant la côte du Vieil-Okord attendent à Novaterra. Des piétons indéterminés embarquent à bord.
12h20 : Enflammé, le Sei Mezzane voit ses voisins enlever leurs amarrages. Le dromon lui-même relève l’ancre et part à la dérive vers le sud.
Une galère de l’escadre Cordane coule, le Sotarne voisin séparant ses amarrages de justesse pour ne pas chavirer. Trois autres galères sont en feu et se séparent du rempart.
12h27 : Les premiers navires païens entre en contact avec le rempart flottant. Abordage systématique pour le contrôle des navire adverses. Combats les plus vifs sur le flanc gauche du rempart.
12h46 : La flotte de Camporiago-Esilinato joint celle de Lotada et Port-Preux. Une partie vient fortifier le rempart flottant, l’autre entame une manœuvre de contournement pour prendre la flotte païenne à revers.
12h50 : La flotte païenne à Novaterra lève l’ancre en direction de la bataille
13h28 : La flotte de secours illyrienne ayant effectuée une manœuvre de flanc s’enfonce dans le dispositif païen. Lourds combats d’abordage en cours.
Multiples pertes sur le rempart flottant. Les combats d’abordage sont toujours féroces, mais les païens sont nombreux et expérimentés, prenant pied en de multiples points sur le rempart.
Sont coulés : deux galère Cordane, une galère Furenza, une galère Spietato, onze sloops, le Milandro, le Serafine (volontairement coulé par son équipage assailli)
Sont capturés par les païens : deux galère Furenza, trois galères Cordane, le Consiglia, neuf sloops, le Santa Iuliva, deux galères Visconte
Pertes païennes estimées : 20 à 25 navires
Pertes d’équipage inconnues
13h41 : Les escadre Visconte et Legatio, s’étant enfoncées par un contournement, sont massacrées encerclées et abordées.
Sont perdus les deux escadres au complet.
Pertes estimées chez l’ennemi : seulement environ 15 navires.
13h46 : Rempart flottant percé, escadres en fuite.
Sont perdus : le Rosamare, deux galères Cordane, le Pontarso, une galère Furenza, quatre sloops, l’Indomadible et trois galères Spietato
Pertes païennes : 10 à 15 navires
Pertes d’équipages dévasta massives inconnues
13h53 : Lambeaux de flotte illyrienne poursuivies
Flotte païenne se dirige vers Lotada Fort Grials
Éléments de la flotte restants :
Vicomté d’Illyrie :
De Lotada :
- Escadre Cordane. Un dromon (le Sotarne) et deux galères (une retraite, en feu).
- Flottille de sécurité fluviale. Deux sloops de tailles diverses.
De Port-Preux :
- Escadre Furenza. Un dromon (le Sei Mezzane, retraite, en feu), et trois galères (trois retraite, en feu)
- Deux flottilles de sécurité fluviale. Une galère (le Madre dei Mari) et cinq sloops (une retraite, submersion).
D’Esilinato :
- Escadre Spietato. Un dromon (le Maafane) et trois galères
Flotte païenne :
Environ 100 navires
Bilan : Défaite majeure de la flotte illyrienne, pertes navales majeures
Flotte païenne se dirige vers Fort Grials pour raid / siège du fort et peut-être des Cités-Sœurs
Dernière modification par Alunzio Dizrutore (2020-04-09 23:59:09)
« Il y a une chose qu’on ne peut pas enlever à ces illyriens, c’est leur pugnacité.
Sérieusement, vous en connaissez beaucoup, des peuples qui repartent à la guerre pour se faire systématiquement charcuter dans les règles ? Je ne sais pas si c’est une forme de folie collective, du courage ou du masochisme…
Ce sont des agneaux qui se prennent pour des lions. Et qui continuent à se comporter comme tels malgré toutes les évidences. »
Attribué à un commandant okordien inconnu
C’était une belle journée. Le ciel était bleu, le fleuve calme, le paysage avait des airs d’image d’Épinal. On n’entendait que le bruissement du vent sur les feuilles, les pépiements des oiseaux et le clapotis de l’eau sur la pierre.
Des tours en ruine dépassaient de la muraille, comme autant de chicots branlants sur une bouche édentée.
Fort Grials était là, posée sur la berge comme si elle avait toujours été là. Rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude des vestiges de la forteresse, qui paraissait endormie et abandonnée depuis des siècles.
Difficile de croire que la forteresse n’était dans cet état que depuis deux semaines, après un assaut brutal et des atrocités ayant fait des milliers de victimes.
Un son grinçant vint se distinguer du concert naturel Ô combien apaisant.
***
Alunzio suivit Edard, marchant sur les portes effondrées, mais toujours aussi massives de l’entrée de la forteresse. Le feu avait entièrement noirci son bois, sans tout à fait parvenir à leur faire prendre feu.
Derrière eux les suivait prudemment quatre gardes. La solennité des lieux semblait les empêcher de faire autre chose qu’observer les décombres en silence.
Alunzio, se contentait lui aussi d’observer les gravats avec de grands yeux tristes.
- « Alors c’est ici, » dit-il calmement, comme pour lui-même.
- « Oui Sire. Depuis le départ des païens, des groupes se relaient pour apporter les corps aux familles, ou les envoyer dans leur ville d’origine. Les autres sont enterrés dans les fosses communes, plus loin, » répondit Edard avec de grands gestes.
- « Combien ? » murmura le seigneur d’Illyrie.
- « Combien de ?
- De morts.
- Ah. Difficile d’estimer… » Le Lippe se gratta la barbe avant de répondre. « Entre 4 000 et 5 000 morts. Retrouvés, en tout cas. »
Alunzio Dizrutore s’étrangla en marmonnant une réponse.
- « Sire ? » demanda le régent d’une voix inquiète.
- « Tant de morts, Edard, tant de morts… Pour moi. C’est trop. Je n’en peux plus. »
Le jeune homme s’était assis sur un gros bloc de pierre tombé d’une muraille intérieure, et semblait au bord des larmes. Les quatre soldats se tenaient autour de lui, se dandinant d’un pied à l’autre dans leur gêne.
Le régent les renvoya vingt mètres en arrière d’un vigoureux mouvement du bras.
- « Alunzio, » fit Edard en s’agenouillant à côté de son suzerain, « ces hommes sont autant morts pour vous que pour protéger leurs familles. Le raid ne dépendait pas de votre volonté, mais uniquement de Podeszwa.
- Fort Grials ne se tient pas avec 5 000 hommes ! J’ai dégarni nos défenses en partant pour Damas, et les païens ont en profité… Quel genre d’épreuve spirituelle est-ce là ? Je pars défendre Sa cité sainte, et il permet aux païens de nous poignarder dans le dos.
- Cessez de ruminer, Alunzio. Vos sujets ont be…
- C’est que Damas n’est pas sainte en Okord, » le coupa le jeune homme.
Edard se félicita d’avoir éloigné les gardes.
- « Ne dîtes ceci devant personne d’autre que moi, Alunzio. Vos ennemis pourraient vous accuser d’hérésie.
- Oh, ils peuvent ! » ricana le vicomte. « Vous voyez une autre solution, Edard ? »
Le maréchal ne répondit pas.
- « De toute manière, c’est fini.
- Certainement pas, Sire, nous reconstruirons. »
Un silence pesant s’installa, durant une minute peut-être.
- « Vous croyez vraiment à ce que vous dîtes, Edard ? » prononça finalement Alunzio.
- « Bien sûr. »
- « Vous êtes pourtant maréchal et régent. Vous savez que l’Illyrie n’a pas les moyens d’entretenir une telle forteresse. Alors la reconstruire… »
Il se leva et engloba les murailles en ruine autour de lui.
- « Ces gigantesques murailles sont des reliques du passé. Voilà tout. Mais ça n’a pas d’importance. Je parlai de moi, pas de la forteresse. »
Edard se figea.
- « Ne faîtes rien de stupide, Alunzio.
- Quoi ? Oh, non ! » répondit le jeune en riant doucement. « Non, rien de tout cela. J’abdique, Edard. Je rejoindrai un monastère dans l’Orhykan, près de Bhevnaguer. Je renonce à mes titres. Je suis usé. Les histoires de chevalerie et les récits historiques ne disent jamais le contrecoup de la guerre sur les commandants. Est-ce moi qui suis trop soucieux de mes sujets, ou tous les Grands de ce monde sont-ils des psychopathes ?
- Ce sont les réalités du pouvoir, Alunzio. Le pouvoir use, mais la volonté nous permet de tenir.
- Alors c’est que je n’ai plus la volonté. Écoutez, Edard. Je ne suis peut-être pas brisé à l’extérieur, mais là-dedans… » fit-il en tapotant sa tempe, « Je le suis. Je n’ai plus la force. J’ai trop vu. J’irai rejoindre une vie plus simple. Peut-être pardonnerai-je à Podeszwa. Peut-être… Que je retrouverai la foi. » Alunzio grimaça. « Retrouver la foi ! C’est bien moi qui dis ça ? »
Les deux hommes gardèrent le silence un long moment, l’un plongé dans ses réflexions, l’autre dans la contemplation des ruines.
- « Sire, » dit finalement Edard. « Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais moi si. L’Illyrie ne tient que par votre personne. Ce n’est encore qu’un amalgame d’immigrés et de peuples. Ils n’ont pas encore assez vu et subi pour être cimenté en un peuple uni. »
- « Malgré…
- Oui, malgré ça. Les motifs de division sont nombreux et difficiles à résoudre. Annoncer votre abdication et ce sera la guerre civile.
- Restez au pouvoir et ce sera la folie, » compléta Alunzio en marmonnant.
- « Non, le monde ne se réduit pas à ces deux solutions, Sire. »
Alunzio releva les yeux vers Edard, avec une pointe d’espoir.
- « L’émotion de l’instant vous fait croire brisé. Je crois que vous êtes juste fatigué. Par le pouvoir, par les batailles. Un ermitage dans un monastère vous fera certainement le plus grand bien. Mais ne parlons pas d’abdication ! Le Conseil de Régence est encore en place, nous pourrons le prolonger le temps pour vous de vous remettre. » Il posa sa main sur l’épaule d’Alunzio. « Reposez-vous, je prends le reste en charge. »
- « Edard… Merci. »
Ils se firent une accolade.
Le Gamin faisait une tête de moins que lui. En serrant Alunzio dans ses bras, Edard se rappela brusquement un autre jeune homme, du même âge qu’Alunzio. Il y avait déjà des années, sur le port de Valésia. Un jeune garçon du nom d’Hoverafen serrant une dernière fois son père avant de trouver la mort face aux pirates ressyniens, sur la Mer des Fournaises.
Edard refoula péniblement ses larmes face à ce souvenir, qui, malgré ses efforts pour l’enfouir au plus profond de son cœur, s’étant brusquement rappelé à lui. Lorsqu’Alunzio se sépara de lui, il lui paraissait avoir pris vingt ans de plus. Il s’efforça de composer un visage encourageant pour le jeune homme.
- « Vous êtes un trop bon suzerain pour que je vous laisse filer comme ça, Alunzio. »
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