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-J'ai froid.
-On est presque au printemps. Il ne gèle même plus...
-J'ai quand même froid.
Liétald de Karan jeta un regard mauvais à son épouse. Regard que soutint Aliénor tout en vidant son hanap rempli de vin, avant de le tendre dans le vide. Un serviteur armé d'une cruche en étain se précipita pour la remplir.
En vérité, il ne faisait pas vraiment froid. Le temps restait certes frais, mais les Karan se trouvaient dans la tribune royale. Ils étaient derrière d'épaisses toiles de cuir graissées et entourée de trois petits foyers en fonte régulièrement ravitaillés en buchettes par des serviteurs qui, eux, claquaient effectivement des dents.
Le Maître du Palais ne faisait pas souvent monter les siens à la capitale. D'abord parce que la présence récurrente de jeunes maîtresses dans ses appartements s'accommodait mal avec celle de son épouse. Ensuite parce que -il devait bien le reconnaître- les siens l'agaçaient prodigieusement. Sa femme était aigrie par ses infidélités répétées, ses fils (de caractères radicalement opposés) se battaient sans cesse, sa fille était aussi terne que complexée et son frère prenait un malin plaisir à raconter leurs souvenirs d'enfance ; souvent les plus honteux.
Un malheur n'arrivant jamais seul, la villégiature annuelle des Karan à Château Ygör coïncidait avec le défi lancé par Aposs de la Maison Trof. Oncle Ansbert étant naturellement tout désigné pour le relever, toute la famille avait tenu à assister au duel et profiter de l'occasion pour déjeuner à l'extérieur.
Fort heureusement ce jour là, le repas s'était déroulé dans une relative d'allégresse. Isolde de la Pétaudière, nouvellement promise de Leufroy, se trouva conviée au repas. Les deux jeunes gens passèrent principalement leur temps à minauder et à pouffer aux plaisanteries d'Ansbert. Valère quant à lui, s'occupa de sa sœur Avoye et parvint à la faire rire trois fois -ce qui était un exploit. Quant à Aliénor, ayant suffisamment de vin, elle tint le nombre de ses remarques acides au minimum.
Liétald était accoudé à la rambarde donnant sur la lice lorsque son frère le rejoignit.
-Tu ne vas pas combattre. Annonça brutalement Liétald.
Ansbert fronça les sourcils.
-Je ne vais pas... Quoi... Tu te venges pour ce que j'ai raconté tout à l'heure ?
-Tu te trompes. Ma décision était déjà prise au moment où j'ai lu la provocation de ce petit importun.
-Je suis le guerrier de cette famille ! S'enflamma Ansbert, tout en prenant garde à ce que ses mots ne soit pas entendu par le reste de la famille. C'est à moi qu'il revient de tirer l'épée, tout le monde le sait.
-Précisément. Je suis même persuadé que le petit Aposs vient ici assuré de combattre avec un Karan manchot.
Ansbert serra les mâchoires.
-C'est pour ça. Tu es un véritable...
-Tu t'es ramolli, le coupa Liétald. Certaines de tes dernières décisions m'ont fait perdre du crédit. Par ailleurs, je crois que tes sentiments pour le fils du Roi Trof pourrait jouer contre toi.
-Mes sentiments... Et qui comptes-tu faire combattre à ma place ? Liétald n'eut pas besoin de répondre : Krein Vadir gravissait au même moment l'escalier en bois menant aux tribunes. Il était déjà arnaché dans son armure, son épée à sa ceinture et ses deux percemailles en bandoulière. Tu es devenu fou ? C'est un enfant.
-C'est un seigneur qui menace notre maison.
-Et le Batteur est un foutu abattoir ambulant. C'est ça que tu veux ? Tuer le fils de Taas Trof ?
-Ne sois pas stupide. Rétorqua Liétald en avalant une gorgée d'altevin. Vadir a eu des instructions. Il s'agit simplement de faire passer un message. Et il sera entendu, crois-moi.
Le colosse arriva à pas pesant vers les deux Karan. Il posa sa main sur le pommeau de son épée et salua Liétald de son heaume. Ansbert déglutit difficilement.
-De toutes les choses léguée par notre Père, c'est sans doute la pire...
Des pas crissants sur le gravier attirèrent l'attention des deux frères. Il s'agissait des visiteurs d'Oseberg, le jeune Aposs en tête de cortège. Liétald vida sa coupe et, resserrant les pans de son manteau en fourrure, descendit l'estrade pour accueillir ses invités. Ansbert et Vadir le suivirent.
Autour de la table, le reste de la famille Karan abandonna les assiettes pour mieux épier les nouveaux venus. Même la timide Avoye s'était levée, s'arrachant le cou pour apercevoir le jeune héritier de la Maison Troff et la belle Limie.
-Seigneur Troff, Damoiselle Limie, s'exclama Liétald en tendant une main gantée orné d'un énorme rubis. J'espère que vous avez fait bon voyage. Dame Enté, toujours aussi belle qu'elle nous fait tous souffrir... Le Maître du Palais s'inclina brièvement. Puis il en revint à Aposs. Je crois que vous vous souvenez de mon frère, Ansbert, Seigneur de Port Karan. Ansbert adressa un sourire compatissant. Et voici le champion de la Maison de Karan : Krein Vadir. Le colosse ne bougea pas d'un pouce. Liétald darda sur Aposs un œil curieux. Il va sans dire que vous pouvez toujours désigner un champion pour se battre sous vos couleurs ou renoncer au duel.
Dernière modification par De Karan (2020-02-28 14:13:33)
Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux
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Krein Vadir !? Le Krein Vadir !? Haaaannnnn...
Telle une furie, Limie couru jusqu'au colosse et se posta devant lui. Malgré sa grande taille, elle dût se mettre sur la pointe des pieds et relever la tête pour observer son visage.
Holala je suis toute émue !
Limie reposa ses talons et secoua sa main pour apporter un peu plus d'air sur son visage alors que le grand batteur émis un grondement sourd.
Ho ça va hein, c'est pas une fillette comme moi qui vais vous faire grand mal.
- Limie... Kalie appela doucement la jumelle qui fit semblant de ne pas entendre et faisait le tour du grand colosse, admirant sa corpulence et son armure.
- Limie !
- Oui oui, rhooo... j'arrive. Limie ne put s'empêcher d'adresser un petit salut et un grand sourire au toujours impassible Krein Vadir.
Kalie regarda sévèrement Limie qui retournait vers le carosse puis se tourna vers Liétald.
- Il me semblait que votre molosse était chargé de plus sombre mission que la lumière des duels mon cher Marquis ?
Est ce Ansbert ou vous qui n'avez pas apprécié que le jeune Trof provoque votre maison ?
- Kalie ! Je ne provoque personne ! Aposs, toujours en selle, coupa sèchement Kalie.
Marquis Liétald de Karan, les Dieux m'envoient me mesurer à vous.
J'en ignore encore la raison mais ce n'est sûrement pas pour me faire broyer sans broncher...
Aposs adressa un rapide coup d'oeil à Krein Vadir puis à Kalie avant de reprendre
... aussi nous avons notre champion, soyez en rassuré nous ne renoncerons pas au duel.
Lignée des Trofs, et autres successeurs
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-Arrête.
Un grognement venait de s'échapper du heaume. Vadir avait horreur qu'on le dévisage. Il gardait d'une des premières batailles qu'il avait livré pour les Karan une gigantesque brûlure, qui lui dévorait la moitié du visage. Un incendiaire avait explosé contre une muraille qu'il assiégeait avec d'autres soldats, soufflant le mur et aspergeant les hommes de poix brûlante. Consumé par les flammes, Krein Vadir choisit pourtant d'investir la cour intérieure, abattant son épée sur la garde ennemie qui se précipitait sur lui. Finalement, il atteignit le puis du château et s'y plongea tout entier. Sa folle manœuvre attira l'attention d'Aldegrin de Karan qui lui octroya le rang de capitaine. Une route pavée de cadavres.
-Les druides doivent vous tenir en grande estime pour être un envoyé des dieux. Quel prodige... Krein Vadir n'est certes pas un chevalier. Repris Liétald à l'attention de Kalie Enté. Mais il a quelque fois représenté la Maison de Karan lors de joutes ou de duels. Il n'y a jamais trouvé un grand intérêt. Le Maître du Palais se tourna vers le Batteur. Commençons.
Vadir s'éloigna, longeant la lice. Il avisa un palefrenier qui traversait la cour, une pelle à la main.
-Va chercher mon cheval, fouille merde.
Le jeune garçon ne se fit pas prier et lâcha son outil avant de disparaitre à toutes jambes.
-Et si nous nous installions ? Demanda Liétald aux Trof, un sourire faux plaqué sur le visage. Je vous invite à terminer le repas avec nous. Nous allions commencer le dessert ; les cuisines nous ont promis des tartes aux châtaignes. Mais je suis certain qu'il reste du cochon de lait.
Plusieurs minutes plus tard, le palefrenier réapparut. Il tirait par la bride -tant bien que mal- un lourd destrier samarien, à la robe noire et aux fanons abondants. Krein Vadir tenait à peu de choses sur cette terre, Tourment en faisait partie. L'étalon avait été sauvé de la saignée par le bourreau des Karan en personne. Doté d'une monture, il aurait eu droit de demander l'adoubement. Il n'en fit pourtant rien. Sa passion pour la guerre, il l'a transmis à sa bête. Nombreux furent les pauvres hères massacrés par ses sabots.
Le palefrenier se mit à quatre pattes. Le Batteur appuya allégrement son soleret sur son dos pour se hisser sur la selle.
-La lance et le bouclier, bordel !
Un second palefrenier accourut. Il tenait une lance dans une main et un écu en bois dans l'autre.
-Maintenant foutez le camp. Acheva le Batteur en s'emparant de son équipement.
Tourment piaffait déjà d'impatience.
Derrière la visière du heaume, les pupilles noires balayèrent la lice. Deux pistes en terre battue seulement séparée par une toile tendue sur une corde. Au bout de la piste gauche un cavalier venait de prendre place, juché sur un formidable pur sang brun. Une cavalière à en juger par la forme de son plastron de cuir et les long cheveux noirs qui sortaient de son casque. Krein Vadir avait déjà entendu parler de Kara Té, petite main redoutable du feu Roi Trof.
-Lorsque je claquerais dans mes mains, comme ceci... Annonça le héraut au bas des tribunes.
Krein Vadir pressa violemment les flans de Tourment, lui arrachant un hérissement de douleur. La gigantesque masse de muscles s'arracha au sable de la piste. Kara Té ne resta pas en reste, elle s'élança dans l'instant, sans doute pressée de faire payer le mauvais joueur. Sa monture gagna rapidement en vitesse, plus légère que celle de Vadir.
Les deux cavaliers étaient au tiers la piste lorsque leurs lances se croisèrent enfin.
Loin d'être aussi lourd qu'il le laissait croire, le Batteur pencha sa tête sur la droite et leva son écu ; la lance de Kara fut soulevée. Celle de Vadir frappa sa spalière gauche, explosant à son contact en une impressionnante gerbe de copeaux de bois. La championne du Seigneur Trof bascula de sa monture, arrachant une inspiration paniquée au public. Son gantelet coincée dans les rênes, elle réussit l'exploit de ne pas rouler au sol tandis que ses pieds trainaient dans le sable gris.
Krein Vadir, avec une souplesse étonnante, descendit de Tourment qui terminait sa course au petit trot. L'homme de main des Karan défit la ceinture qui retenait son fourreau et dégaina l'épée bâtarde qui lui avait valut son surnom. Il remonta la piste en direction de Kara Té. Elle s'était finalement arrêtée, peinant à défaire les rênes qui bloquaient son bras gauche.
-Maître Vadir... Tenta vainement le héraut.
-Quoi ? Aboya la voix derrière le heaume. La joute est faite. On en est à la passe d'arme.
Il trancha sans ménagement la corde qui séparait la lice, les toiles tombèrent lourdement. Krein Vadir poursuivit sa marche implacable vers Kara. Celle-ci le remarqua enfin. A en juger par les aller-retour que faisait désormais son casque, sur Vadir et sur la selle de son cheval, une certaine appréhension semblait poindre. Appréhension sans doute nourrie par les cris lancés depuis les tribunes. Les Karan étaient les plus bruyants, chaque enfant avait choisi son camp et y allait de son conseil. La discrète Avoye se signa même deux fois, priant à demi-mot pour la victoire de Kara.
-C'est vraiment pas ton jour, soupira Krein Vadir.
Rapide et précise, Kara Té tira une petite dague de sa main droite et trancha le lien de cuir qui l'entravait. Un écuyer des Trof lui envoya son arme. Elle termina son mouvement en pivotant avec grâce, opposant la douille de sa lance avec la lame du Batteur. Si son heaume avait été vivant, il aurait levé sa visière d'étonnement.
Dans les tribunes ce fut une explosion.
D'un habile coup de tête, Kara fit valser le heaume du Batteur dans les airs. Celui-ci recula de trois pas en titubant. Un ruisseau écarlate se forma dans la forêt de ses cheveux noirs et sales. Vadir y trempa son doigt pour vérifier si la coupure était réelle.
Le boucher des Karan. Le Batteur de Falcastre. Krein Vadir le terrible. A la surprise de tous, il recula encore, abaissant son épée, laissant sa pointe trainer nonchalamment dans le sable. Vadir commença à marcher, formant un étrange arc de cercle. Kara Té suivit son rythme. Bientôt, les combattants en vinrent à graviter autour d'un point invisible.
-Si la tâche est trop ardue, vous pouvez toujours renoncer au combat, déclara une voix moqueuse derrière la visière de Kara Té.
Krein Vadir conserva le silence. Les pupilles sombres balayaient la championne de la Maison Trof de la tête au pied. Seuls les oiseaux pressés de voir l'hiver s'achever lui répondirent. Dansla tribune royale, mêmes les jeunes Karan s'étaient tus, captivés par ce moment de grâce.
Le Batteur fit le premier pas, d'une fausse lenteur menant au bond. La pointe brillante comme l'argent caressa son plastron et l'intérieur de son arrière bras droit. Vadir venait de coincer la lance entre sa lame et son corps. Kara Té sembla tirer sur son arme, jusqu'à en faire dangereusement ployer le manche. Arrivant sur elle, Krein Vadir tira un percemaille de sa main gauche. La dague triangulaire plongea dans le plastron de Kara, au niveau du sternum ; la côte de maille cliqueta sous le choc. La lance avait perdu toute résistance. Vadir tourna sur lui-même, arrachant l'arme de la main de sa propriétaire.
Kara Té marcha deux pas, palpant son torse de ses mains paniquées avant de tomber à genou. Une gerbe écarlate jaillit de sa visière. Son casque se releva, sans doute cherchait-elle à apercevoir son jeune maître.
Le Batteur, debout derrière elle, fit tomber son couperet. Le casque débordant de cheveux bruns roula sur le sable.
Il arracha son percemaille du corps sans tête et le rengaina à sa ceinture. Comme s'il venait de terminer de faucher un champ de blé par une chaude après-midi d'été, Vadir marcha d'un pas déterminé vers le jeune serf qui l'attendait en bas des tribunes, une outre à la main. Il la porta immédiatement à ses lèvres... avant de tout recracher.
-Du vin, raclure.
Dernière modification par De Karan (2020-03-04 23:59:51)
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Aposs observait là son premier duel.
Le premier véritable duel autre que les joutes d'entrainement d'Oseberg et les enfantillages entre bonnes familles.
La tension était palpable de ce côté de la piste, sur l'estrade réservée aux nobles Okordiens.
A droite d'Aposs siégeait Liétald de Karan, silencieux et enfoncé dans son fauteuil, sûr de son batteur.
A sa gauche, Aposs pouvait sentir la tension de Kalie Ent'é. Elle s'était avancé petit à petit sur son fauteuil, jusqu'à se lever d'un bond sans retenir un cri d'épouvante au coup fatal.
La tribune opposée, acquise presque intégralement à la cause du colosse, était en liesse, riant et hurlant à la gloire de la réputé batteur.
Kalie se rassit tremblotante et sans un mot puis s'agrippait fermement aux accoudoirs.
Aposs ignorait les liens que Kalie et Kara avaient pu lier depuis les années où elles avaient servi son père.
Kalie l'avait conseillée à Aposs. - C'est la seule qui saurait à la fois tenir tête à Ansbert, Liétald ou Vadir.
Finalement, sa tête n'avait pas tenu longtemps.
- Bien. Ce fût court mais intense.
Aposs se leva de son fauteuil et se dirigea vers la rambarde devant lui.
Il retira délicatement ses gants, les déposa sur la rambarde et commença à applaudir lentement.
Lorsque les acclamations s'estompèrent pour observer le jeune Trof, celui-ci continua d'applaudir tout en s'adressant à Krein Vadir.
Batteur, je vous félicite.
Vous n'avez pas failli à votre réputation, si tous les Okordiens étaient de votre trempe, nous serions sans cesse en train d'élargir nos frontières.
Aposs arrêta d'applaudir et salua Krein Vadir d'un hochement tête.
A l'avenir, essayez tout de même d'être un peu plus long avec les femmes...
Aposs se retourna vers Liétald et posa sa main sur le manche de son épée.
Trois gardes s'avancèrent mais Liétald les stoppa en levant la main.
Le jeune Trof les observa reculer avant de sortir son épée.
Cette épée a été spécialement créée pour moi, parce que, m'a-t-on dit, on ne fait pas d'épée pour les enfants.
Je n'ai encore jamais tranché personne avec.
Aposs tendit la pointe de son épée vers Liétald, des exclamations de surprise s'élevèrent. Pourtant Liétald et Aposs restèrent ainsi, face à face plusieurs secondes. Enfin Aposs reprit.
Je n'ai encore jamais tranché personne avec, pourtant les Dieux m'ont amené jusqu'ici, il est désormais évident que c'était pour vous soumettre cette épée et son commandement.
Aposs attrapa le plat de l'épée avec son autre main, il mit un genou à terre et inclina la tête.
Moi, Aposs Trof, fils héritier de l'Empereur Taas Trof d'Okord, vous soumet épée et armée durant une année à compter de ce jour.
Dernière modification par K-lean (2020-03-05 19:28:56)
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-A l'avenir, envoyez-en qui savent tenir le rythme.
L'outrecuidant Vadir arracha l'outre des mains du palefrenier qui revenait. Il balança sa tête en arrière, le vin s'écoula dans sa bouche grande ouverte. Une douleur cuisante le saisit au côté droit ; portant sa main gantée sur sa cuirasse il s’aperçut que cette dernière était bien enfoncée, la douille de la lance avait laissé sa marque. C'était passé près.
-Mais elle s'est quand même bien battue, reconnut le Batteur à demi-mot.
Plusieurs choses traversèrent l'esprit de Liétald tandis que le jeune Aposs lui tendait son épée. Quelques jours auparavant l'héritier de la Maison de Trof avait soumis Guillaume de la Mark par les armes. L'information n'était pas passée inaperçue pour le Maître du Palais qui avait fait mener à lui un des soldats rescapés. A seulement seize ans le Seigneur d'Oseberg était déjà capable de véritables prouesses tactiques. Qu'en serait-il dans une Ère ?
Liétald se souvenait de son père. Katass n'exigeait que trois choses : un trône où s'asseoir, une table débordante de victuailles et un champ de bataille. Il avait volontiers abandonné la gouvernance à son conseil et signait de son sceau lorsqu'on le lui demandait. Le Maître du Palais avait toujours apprécié cela ; d'abord pour d'évidentes raisons personnelles : il aimait avoir les mains libres ; ensuite parce que c'était pour lui dans l'ordre des choses. Mais Aposs lui, était différent...
Un fanatique.
En son temps Bélial de Karan avait été l'un des plus proches conseillers du Roi Zedicus le Fou. Le vieux serpent avait suffisamment nourri l'esprit malade du souverain pour l'avoir sous sa coupe. En ce funeste temps, Château Ygör était devenu un véritable mouroir pour les émissaires des maisons nobles. Liétald se rappelait de ces vieilles histoires, il ne savait ce qu'il aurait fait à la place de son aïeul. Bélial de Karan fut un génie de la politique et de la manipulation, mais également un être dément, sans considération pour son blason ; qui pensait dur comme fer qu'après lui viendrait le Déluge.
La Guivre de Sombre-Pierre garda ses yeux verts, étrangement fixes, rivés sur le visage d'Aposs Trof. Un okor imaginaire avait été jeté en l'air.
-L'émissaire du vizir est arrivé plus tôt que prévu. Il patiente dans vos appartements...
Ugo, intendant de toujours, s'était glissé derrière le Maître du Palais pour lui transmettre l'information qu'il attendait depuis une saison. Liétald sourit de toutes ses dents.
-Seigneur Trof, déclara enfin le Maître du Palais. Je me souviens d'un garçon qui s'émerveillait à la vue des poissons et des crabes dans les criques turquoises de Ténare. Ce garçon a bien changé. C'est avec honneur que j'accepte votre service. Liétald tendit sa chevalière pour que le jeune homme l'embrasse. Vous êtes un seigneur prometteur, je suivrais vos progrès avec attention.
Liétald salua Aposs et Kalie d'un signe de tête, puis les pria de l'excuser de son départ : des affaires importantes l'attendaient. Aliénor de Karan jeta à son mari un regard noir : il lui avait pourtant promis un repas en famille, encore un pieux mensonge. Boudeuse, elle demanda du vin. Leufroy et Valère se disputaient sur le meilleur mouvement du duel. Quant à Avoye et Isolde, elles pouffaient, le rouge aux joues, en lançant quelques œillades à Aposs Trof.
Descendant les marches, le Maître du Palais accorda un dernier regard à Aposs, qui dériva sur Limie.
*Oui... On peut construire là dessus.*
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