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Maintenant il faut boire… Alceste méditait une chope à la main, un flacon dans l’autre.
Un fantassin l’accompagnait depuis deux bonnes heures. Les lèvres violacées du soldat ponctuaient de quelques « hon » le soliloque du druide vigneron tandis que tout traduisait dans son attitude son ivresse et sa furieuse envie de se délester la vessie.
« Ainsi l’histoire bégaie encore.
D’un côté, des hommes qui consacrent toute leur peine à sarcler la terre, ne détenant pour or et pour nourriture que le fruit de leur travail ou le pillage de quelques camps hostiles.
De l’autre, des fauteurs de guerre, se plaisant à bâtir des murs et forger des armes. Ils invoquent les dieux pour légitimer leurs actes. Ils ont plus d’or que leurs marchés ne peuvent en produire. Pas suffisamment d’honneur pour l’avoir conquis lors de pillages. Sans doute tiennent-ils leur puissance de quelque Néron jouant de la lyre du haut de son donjon attendant de voir bientôt mes vignes brûler. »
Comme Alceste marquait une pause, le soldat se saisit de l’occasion et se redressa, son poing gantelé de métal fiché dans la table.
« Attends un peu, grogna Alceste. Nos ennemis savent que nous sommes bien plus habiles à tailler la vigne qu’à les débiter sur le champ de bataille. Puisque c’est une gigantesque farce, nous allons signifier à l’ennemi toute la bouffonnerie de cette mascarade. Voici mes ordres- Alceste gloussait doucement - maintenant que leurs troupes sont déployées, tu vas prendre dix hommes avec toi, vous sortez du fief en beuglant une prière à Lussuria, après quoi vous contournez le château et, bien à l’abri, vous vous soulagez en chœur. »
Alceste riait de bon cœur: « Ce sera notre premier mouvement dans ce combat. »
Bien que peu convaincu de la stratégie, le soldat se hâta d’obtempérer aux ordres impérieux... de la nature.
Information commerciale :
En raison de conflits en cours sur nos domaines, nous ne sommes plus en mesure d’assurer nos livraisons. Nous vous prions de bien vouloir nous en excuser et vous prions de vous adresser au Baron Miquita pour toute réclamation.
Alceste terminait d'adresser aux Royaumes cette information qui marquerait sans doute la fin de son négoce pour plusieurs lunes. Le Baron Miquita avait pris la peine de lui écrire mais ils ne partageaient pas la même soif...
Le vigneron prit le temps de lui répondre, sans trop d'espoir.
"Baron Miquita,
Vous semblez attaché à la vérité. La seule que je connaisse est celle que vos troupes m’assiègent et que je n’ai porté agression sur personne. Vous usez de l’argument le plus fréquemment employé par ceux qui se plaisent à en découdre : le fameux « c’est pas moi, c’est lui ».
Gervais de Marillac vous a provoqué et vous n’avez pas la capacité de vous mesurer à lui malgré votre développement entièrement voué à la bataille, j’en suis bien désolé mais voyez cela avec votre suzerain et non avec les vassaux de votre ennemi.
Vous invoquez les yeux du monde pour légitimer votre action, c’est un classique des fauteurs de guerre. Ce que l’histoire en retiendra ce n’est pas le ridicule supposé d’un vigneron soucieux de ses terres mais la destruction de centaines de mesures de grand cru par le Baron Miquita, ce qui en Okord comme en Baswen relève de la barbarie et de l’infamie.
Je porte ce billet en place publique là où vous m’estimez si risible, espérant que vous ramèneront à la raison tous ceux qui croient encore qu’un vrai banquet ne pourrait se tenir en Okord sans quelques rasades de mon vin prodigieux.
Pour toute commande passée dans les deux heures, vos troupes bénéficieront d'une remise exceptionnelle.
Alceste, druide-vigneron"
Le parchemin est maculé de quelques tâches. On ignore s'il s'agit de vin ou du sang d'Alceste maladroitement occupé à aiguiser sa dague dont le manche est un cep noueux.
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