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#1 2018-08-19 21:40:16

Waltz

Waltz of the Flowers

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https://www.youtube.com/watch?v=QxHkLdQy5f0

Ce n’était pas seulement l’ancêtre commun aux principales populations qui se dispersèrent par la suite dans un empire d’Ohm qui n’existerait de toute façon pas avant des dizaines de milliers d’années. C’était en fait, en quelque sorte, à la fois la racine unique du grand arbre généalogique chaotique des Okordiens, bien avant l’arrivée de la tribu Auklamienord, et le dernier ancêtre que ces Okordiens auraient avant longtemps avec le reste des hommes d’un monde hostile. Un monde qui se peuple peu à peu d’une jeune espèce humaine.

L’homme en question ne le savait pas, évidement. Il ne savait pas qu’en fuyant de la sorte, l’enjeu dépassait la conservation de son existence. Il ne réaliserait jamais l’ampleur des répercussions de sa survie. Il court, terrifié. Grand, maigre et velu, la peau noire et lestée de peaux d’animaux tannées : il court et les choix qu’il fera détermineront l’existence des lignées qu’il engendrera.

Que fuit-il ?

Des voix supérieures, comme une frénésie d’applaudissements cyniques.
Il se retourne, haletant. Et c’est alors que ses yeux grandissent de terreur ; leurs larmes se remplissent d’un reflet noirâtre immonde, incompréhensible.
Il hurla :

- KHEMOT !

***

Un insecte.
Un truc noir, peut-être un cafard. Il venait d’atterrir dans la main de Waltz. Après l’avoir regardé un instant, l’homme l’écrasa avec son pouce sans hésitation, puis il évalua la situation. La poix bouillante tapissait les murailles de panaches noires : telle une pâte enflammée par endroit, elle rendait granuleuses et coulantes d’une couverture molle les armures des soldats hurlants de douleur. Waltz se protégea le visage des éclats brulants projetés dans sa direction et se redressa hors de la boue. Dans la fumée grise du ciel mordu par les créneaux d’un fort assiégé, se dessinait sans doute, en lettres capitales acides et lugubres :

QUELQUE PART AU NORD D'OKORD – VINGT-DEUX MILLE ANS PLUS TARD

Waltz saisi son bouclier, sur lequel était gravée une épée rouge en forme de serpentin. Il se tourne vers son second, petit homme en armure qui jaillit de la cohue et du bruit ambiant, et lui hurle :

- Putain mais qui s’occupe du bélier ?

- C’est - Une flèche rapide en travers des deux yeux qui arrache au second un grognement.

L’homme vacille avant que son corps ne plonge dans l’indifférenciation de la merde et des cadavres hérissés de lances. Waltz, écœuré, ne sut pas s’il devait prendre le dernier craquement d’os crânien de son second pour une réponse. Alors il irait trouver lui-même le responsable du bélier. La porte du fort mène en effet un bras de fer acharné avec un énorme marteau horizontal.
Toc toc toc.
Sur sa route, Waltz tombe sur un flux de cavaliers débarrassant de leur tête des fantassins en fuite. Le Gundorien pose un genou puissant dans la boue, et s’accroupissant avec patience contre un cheval éventré, il fait piquer le ciel de son épée longue qu’il tient à deux mains : le verdict en est la prise en plein galop d’un de ces cavaleurs adverses, lesquels étaient d’ailleurs poursuivis à leur tour par la chevalerie de Waltz. Le cavalier et son cheval harponné par l’épée longue s’écrasent plus loin. Emmenant avec lui un quartier de cheval en travers de sa lame, Waltz arrive finalement en face du responsable du bélier.
Ce dernier a pas l’air frais. Le responsable, qui respirait difficilement, était allongé sur le dos et investi dans une besogne minutieuse. Suffoquant, il se serait retourné vers Waltz et lui aurait demandé avec un grand sourire « tu connais le jeu « remet tes propres entrailles à leur place » ? » s’il avait eu un humour absolu et adapté à chaque situation. Waltz songea qu’entre son second qui venait de se faire embrocher les deux yeux sans finir sa phrase, et son responsable de bélier qu’a les boyaux déversés par terre, ses lieutenants rivalisaient d’irresponsabilité.

- Qu’est-ce que tu fous, lamentable abruti ? Lâche ça et dis-moi tout de suite si les hommes sont en place pour défoncer cette porte !, cracha Waltz sur le mourant.

Le crissement violent du bois qui se fend en projetant un nuage de fibres, indiqua à tous les attaquants que la porte venait d’être éventrée par le bélier.

- J-j’ai accompli m-ma mission, bredouilla le responsable. Dites…D-dites m-moi que ma mort ne sera pas vaine… Ses yeux se remplirent de larmes.

- Incapable ! ,tonna Waltz. Mon armée entière est détruite avec le temps que ça t’as pris ! Je ne retiendrai pas même ton nom…

- J’veux pas crever ! Maman ! hurla le second, les larmes inondant son visage.

Waltz entra avec ses troupes dans le fort incendié tandis que son second terrifié appelait sa mère en crevant.

***

- Tout ça pour venir te libérer.

Waltz avait parlé distinctement. Il ouvrit avec méfiance la porte de la cellule enfoncée sous le fort. Et il vit cette ombre. Découpée par les barreaux, immobile. Pas un bruit.

- Citrün ?, demanda Waltz.

Le prisonnier était un îlot noirâtre où l’océan d’insectes frémissant qui tapissait la cellule ne se posait pas. Comme si l’homme était sacré, ou autre chose. Cette cellule puait la mort. Là où les insectes ne grouillaient pas, l’air épais laissait deviner des inscriptions étranges.
« KXMNXT ».

- Citrün ?

L’ombre se retourna. Un boiteux debout, aux deux cuisses entaillées il y a longtemps par le combat. Une voix douce retentit hors de la barbe.

- Je l’ai vu. Il existe. Les premiers…

Citrün, puisque c’était son nom, balaya du regard la pièce. C’était comme s’il voyait dans le vide, comme s’il les voyait, tous ces visages distincts qui le regardaient.

- Les premiers, reprit-il, l’appelaient Khemot. C’est comme des applaudissements.

- Ramenez le gosse, ordonna Waltz à ses hommes restés en retraits. On déposa entre Citrün et Waltz un enfant de huit ans apeuré. Waltz posa paternellement ses articulations de fer dégoulinantes de sang sur le cou fragile du gamin.

- Il s’appelle Gotthoacre. Tu connais cet enfant, n’est-ce pas Citrün ? Waltz sourit, carnassier, caressant avec avidité les cheveux bouclés et noirs charbon du petit figé d’effroi. Il ne te rappelle personne ?

Citrün quitta sa douceur énigmatique pour quelque chose d’autre. Un cauchemar traversa ses yeux soudain agrandis par le frisson. Il venait de reconnaître une connaissance. La même mâchoire, le même nez et les mêmes cheveux lui criaient la douloureuse ressemblance. Alors l’ombre se recroquevilla en se cachant les yeux, tremblante. Il implora :

- J’veux pas. J’veux pu.

- Allez. On l’embarque, lâcha Waltz froidement.

Il faudrait tout reconstruire : plus d’armée ni d’or. S’installer quelque part en Okord et accomplir son ambition. La troupe de survivants ensanglantée menée par Waltz traîna Citrün dans un char et quitta le fort détruit sous une nuit lourde.

Ils étaient suivis par un ruisseau noir d’insectes.

Peut-être des cafards.

Dernière modification par Waltz (2018-08-19 21:43:24)

#2 2018-09-16 20:55:19

Waltz

Re : Waltz of the Flowers

Clarifications concernant les personnages

Waltz est le fils d’Eva. C’est un noble belliqueux qui a libéré des geôles d’Eva le vieux Citrün et a enlevé le petit Gotthold à ceux qui veillaient sur lui dans le but d’en faire… une sorte d’arme ? Ses desseins ne sont pas clairs, mais ce qui transparaît, c’est sa volonté farouche, inébranlable et vitale, de ne pas tomber dans la folie. Son dernier recours : l’adoration de la guerre et d’Yggnir.

Eva est la mère de Waltz. Fille d’une famille qui a vu son héritage déchiré disparaître, elle a toujours aimé avec une puissance protectrice son fils Waltz… Jusqu’à ce qu’il lui échappe. Eva, Waltz, leur famille… Toute la lignée est maudite, pourtant chacun est déterminé à lutter contre cette fatalité. Eva a décidé de retrouver son fils. Waltz a décidé de ne plus être le méchant qui meurt à la fin.

Citrün en a assez. Qu’a-t-il de plus qu’un autre ? C’est un vieux soldat boiteux dont chaque cuisse a été entaillée par une épée un jour, sous le service du mystérieux père de Gotthold. Citrün, parce qu'il sait comment faire, parce qu'il a vu les horreurs qui mènent à le faire, est trimballé partout, par ceux qui espèrent maîtriser le pouvoir. Quel pouvoir ? Celui de faire regarder par qui l’on veut KXMNXT droit dans les yeux.

Gotthold est un petit garçon qui veut bien faire, mais qui ne comprend pas tout. Quand il sera grand, il sera un grand chevalier, et puis même un Polémarque comme le seigneur K-lean, et il achètera les plus beaux chevaux à Waltz pour qu’il ne soit plus triste. Il l’aime bien Waltz, c’est comme un second père. Mais Waltz l’a enlevé à ceux qui le protégeaient en faisant le siège du château de sa mère. Et puis il a tué sa mère.
Cela, le gosse a du mal à l’oublier.


Suite chronologique :

Eva découvre l’enlèvement de Citrün par son fils – renouveau du culte secret
https://www.okord.com/forum.html#viewtopic.php?id=3311


La capture du Baron Anaki Kanda vaut le titre de Fort d’Yggnir à Waltz

Waltz se retrouva dans le sanctuaire des Forts, une grotte dont seuls les braseros découpaient les dents distinctes hors de cette pénombre chaude où se repose le guerrier : une gueule de puissance et de monstruosité symbolique qui imposait le respect aux huskarls. Ces derniers scrutaient silencieusement le Sanctifié Aäkran Peau-de-Serpent égorger un guerrier atrocement musclé et couvert de cicactrices d’un geste sec de sa dague sacrificielle. Une ambiance solennelle se mêlait à l’impression de rêve que l’air épais et les muscles au repos donnaient au Sanctuaire des Forts.

Waltz croqua le cœur du Fort et but le sang pour assimiler l’essence guerrière. Y croyait-il ? Toute cette cérémonie, l’investissement émotionnel et l’énergie de milliers de dociles mais belliqueux croyants avait-elle le moindre effet sur lui ?

- Oui, murmura-t-il. C’est même mon dernier espoir de tenir entre mes mains un pouvoir immense.

Parce qu’Yggnir le Dieu du chaos et de la guerre, ainsi que ses sept compagnons, formulaient un absolu, un ultime et puissant concept absolu dans le crâne de Waltz qui tiendrait sans doute face au vide pour ne pas que Waltz sombre dans un abyme sans nom…

KXMNXT.

#3 2018-10-29 21:04:19

Waltz

Re : Waltz of the Flowers

L’homme sombre, la racine des lignées Okordiennes, oui, le pionnier acharné et déterminé, court et fend les buissons sauvages que cette ère pré-Okordienne érige sur un sol poussiéreux. Vingt millénaires avant que ses lointains enfants ne mesurent le millième des répercussions de ses choix. KXMNXT le poursuit. Derrière lui, le fuyard imprime dans le sol le mot « HUMAIN » de son pied puissant qui a foulé la terre meuble et vierge d’Okord. Terrifié mais résigné dans cette terreur, le Premier court, et derrière lui la voix du Rien,
Khemot, efface les arbres

et les

lettres


Le petit Waltz observait.
Pas d’écœurement, mais cette curiosité enfantine, donc innocente. Il la regardait flotter, cette tortue au bord de la rivière. Rongée. Par les interstices que sa carapace laissait aux plis des peaux de ses membres pour nager, s’écoulait en frémissant une sorte de sable noirâtre : des insectes par centaines ou milliers qui rentraient ou sortaient de « l’intérieur ». Waltz, 12 ans, était littéralement en train de regarder une tortue se faire vider par un essaim de saloperies minuscules et frétillantes qui découpaient le corps encore remuant.

- Waltz ! Mais qu’est-ce que tu fous, nom d’un chien ?

Elle, c’était Eva, sa mère.
Une femme forte et volontaire qui avait tout perdu à cause de son père, un noble cinglé, fanatique. Elle s’était promise de récupérer l’héritage familial et d’éduquer en sécurité son petit Waltz, mais les choses avaient dérapé. La Maison avait été reprise par un usurpateur, puis par le petit frère d’Eva. Il était clairement pas mieux que le père. Maintenant ils fuyaient, pour toujours peut-être.


Il a beau courir, le Premier trébuche et s’écrase dans le sable.

Il comprend tout de suite qu’il pourrait courir à jamais, ou jusqu’à ce que les os de ses jambes s’effondrent, Ses voix le rattraperont toujours. C’est évident maintenant. Les voix supérieures approchent, se faisant de plus en plus fortes. Des applaudissements raisonnent. Oui, désormais c’était clair pour le Premier. Les voix, c’était lui face au Rien. Depuis le début. S’il pouvait ne serait-ce que courir et fuir, c’était sensiblement parce qu’il créait lui-même conceptuellement l’air sec qu’il respirait, les arbres frais qui défilaient dans sa course, la terre chaude qu’étreignaient ses orteils, la douleur qui griffait ses muscles. Depuis le début, il dépendait de Khemot et il avait voulu, non, même imaginé pouvoir fuir ? L’Homme sourit. Les voix sont presque sur lui au moment où il rit de sa propre bêtise et de son erreur, éclairé qu’il est par la révélation qui s’impose dans son esprit. Il se relève et ne fuit plus. Il ne se fourvoiera plus. Non. Terminé. Il fera face.
Il affrontera KHXMNXT.

Alors, avec courage,

Sèchement,

il se retourne.

Et là

L’œil.


Eva entoure le jeune garçon de sa douceur, maternellement. Ils regardèrent longtemps la carcasse de tortue secouée par les insectes, ensemble. La mère comprit que les insectes, tels des charognards, finissaient juste le travail qu’un prédateur plus gros, probablement un oiseau, avait commencé.

- Sa carapace n’a pas tenu. On pourrait s’autoriser une métaphore dont j’ai le soin. Si Eva semblait plaisanter, elle parla d’une voix froide. Ta carapace doit être solide. Mais pas trop lourde, ou tu couleras, ou tu seras trop lent et visible. Tu comprends ce que je veux dire ? Elle brisa la contemplation macabre et plongea dans ses yeux d’enfant. Tu ne peux pas vouer ta vie à l’isolement par peur du monde puisque tu dépends de toutes ses interactions, tu ne peux pas non plus agir à la lumière contre les intérêts de personnes trop puissantes, mais tu ne peux pas non plus laisser le monde te dévorer et te faire disparaître.

Le petit garçon ne parla pas. Il n’était pas d’accord avec sa mère. Waltz ne serait pas dévoré par un million d’insecte, hors de question ! Il détruirait la moindre menace, et contrôlerai ce qui pourrait l’être. Il aurait la meilleure carapace.


« TORTUE AUDACIEUSE »

Ses neurones l’écrivirent par impulsions frénétiques dans des rêves délirants. Ce surnom, « tortue audacieuse », c’était son premier adversaire qui lui avait trouvé. Un « totem », ou qu’importe ce que ces guerriers sauvages inventaient, pour, eux aussi, ne pas tomber dans le Rien, pour ne pas regarder Khemot dans les yeux. Mais le type qui les dirigeaient, un guerrier malin et valeureux, très pointilleux sur les questions d’honneur, semblait avoir déjà réussi à tourner son regard vers l’abysse, pour avoir si fidèlement saisi toute la personne de Waltz dans deux mots d’une telle clarté, d’une telle simplicité. Ceux qui parlent aux esprits n’étaient finalement peut-être pas si sauvages, en plus d’être d’excellents combattants.

Waltz émergea de tous ces souvenirs. Ils avaient refait surface comme le corps que l’étang recrache une fois pourri.

Le Fort d’Yggnir chassa ces pensées d’un revers de sa main gantée. A la tête d’une troupe de cavaliers qu’une brume inquiétante enrobait, on aurait dit qu’il représentait par son commandement à la tête de ces hommes, son ascension belliqueuse jusqu’au titre de vicomte. Il était même devenu Archonte délégué aux armées d’Estybril. C’était ce qui l’avait mis ce jour-là sur les routes d’Estybril. Du moins ce serait le prétexte habituel qui lui permettrait de cacher ses « expérimentations » sur Citrün et Gotthold aux yeux de la confrérie des Marchands, et bien-sûr à la curiosité du Polémarque d'Estybril K-lean, son suzerain.

- C’est bon, on y est. Débarquez tout, ordonna Waltz quand ils entrèrent dans une forêt sombre.

- Tonton Waltz, qu’est-ce qu’on fait ici ? demanda Gotthold craintivement.

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Waltz l’ignora, et fit un signe à ses hommes.

Ses soldats le laissèrent, lui, Citrün entravé par des chaînes, et le petit Gotthold qui avait désormais onze ans. Le garçon se frottait maladivement les avant-bras avec ses mains. La peur lui nouait les tripes. Il observa autour de lui la masse végétale sombre qui recouvrait tous ces troncs noirs d’un couvercle opaque. C’est en frémissant qu’il se tourna vers Citrün. Il avait peur de ce vieux bonhomme barbu et couvert de bleus, mais le cauchemar que représentaient la forêt close et le mutisme de Waltz, qui commençait à débarquer du matériel et à s’armer comme avant une bataille, étaient plus puissant et insupportables que sa timidité.

- J’ai peur, qu’est-ce qui se passe m’sieur Citrün ?

Citrün ne croisa surtout pas le regard du gamin. Il ne faudrait pas qu’il y voit les yeux de son père. Tout pourrait revenir, tous les souvenirs, ça non. Il ne fallait pas regarder le gamin.

Citrün, lentement, ouvre la bouche, et tandis que Waltz s’approche, une épée à la main, le vieux boiteux murmure :

- Il se passe que si je m’y prends bien, je vais nous libérer tous les deux.

Dernière modification par Waltz (2018-10-29 21:05:24)

#4 2018-10-29 23:26:35

Waltz

Re : Waltz of the Flowers

- Citrün, tu sais ce que tu as à faire.

Waltz fit un nouveau pas en avant. Sa botte s’enfonça dans la boue, et ses traits prirent la forme d’un sourire qui se voulut confiant. Gotthold porta ses mains à sa bouche, stupéfait que sa vie ait abouti à une scène aussi terrifiante. Qu’allait-il faire de lui ?

- Là où le père du gamin a échoué, nous allons réussir. C’est simple Citrün.

Un nouveau pas en avant.

- Ho oui je n’en doute pas, articula Citrün d’une voix claire, ce qui préfigurait quelque chose de mauvais.

- Tu lui prends la main, vous entrez en méditation, décréta Waltz. Tu lui faire lire les lignes, entendre les voix.

Nouveau pas.

- Entendre les applaudissements.

Pas. Yeux écarquillés de Waltz se reflétant dans la lame de son épée.

- Regarder l’abysse.

Citrün avait compris depuis longtemps que ce serait lors des « expérimentations » de Waltz qu’il aurait une chance de fuir avec le gosse. Le pire, c’était qu’en plus d’être seul, Waltz se mettait à la merci des pouvoirs horribles qu’il avait l’orgueil de prétendre contrôler en développant le potentiel non quantifiable de Gotthold grâce à Citrün, l’intermédiaire qui avait côtoyé le père. Car tout venait de là. Une fente noirâtre d’où s’écoulent des cendres sur le reste de l’arbre généalogique. Le père.

- Tonton Waltz, c’était qui exactement mon père ? Gotthold pressentit que la réponse deviendrait déterminante dans son avenir.

Waltz ignora la question en soupirant tristement. Il leva son épée, ce qui était le signe pour Citrün de commencer. Ce dernier avait tout planifié pour pouvoir fuir avec Gotthold. Toujours enchaîné, Citrün saisit les poignets du jeune garçon avec une chaleur qu’il n’aurait pas voulu si intense. Le petit, qui recevait pour la première fois depuis longtemps une once d’affection, leva vers lui des yeux humides. Mobilisant toutes ses forces pour ne pas se jeter dans ce regard, Citrün, appliquant l’ordre de Waltz…

… Projette les trois personnages dans les lignes….

lm3x.jpg

Le paysage de la forêt devint négatif, et se couvrit de symboles frémissants comme des milliers d’insectes qui frottent les entrailles d’une tortue.

Gotthold leva les yeux pour les regarder.

- Tous ces visages… A l’aide…. bredouilla l’enfant. Ses yeux furent inondés de larmes et le garçon tomba à genoux sur les symboles « boue » et « feuilles mortes ». A l’aide ! Papa ! Il se rongea les doigts. Son entendement était mis à si rude épreuve qu’il pourrait devenir fou d’un instant à l’autre.

Ce que cette petite expérience ne prévoyait pas, c’était que Waltz lui aussi fût projeté face aux voix. Citrün avait tout calculé :
Le vieux boiteux dévia l’épée de Waltz distrait par les plaintes de Gotthold en frappant son plat, et toucha la main du Fort d’Yggnir. Aussitôt, Waltz plongea lui aussi dans un décor de papier en négatif, parodie grotesque du paysage de la forêt sombre précédente.

Mais il y était déjà allé.

Quand Waltz, surpris, dépassa l’étonnement et fit volte-face, il vit que Citrün avait saisi une épée dans le matériel préalablement déposé dans ce coin de forêt. Ils étaient tous les trois en négatif, dans un monde conceptuel terrifiant fait d’ondes instables. On entendait au loin l’écho d’applaudissements.

- On va se battre, cracha Waltz en serrant la poignée de son arme avec haine.

- Qu’il en soit ainsi, concéda calmement Citrün.

Les premiers coups furent comme des éclairs qui fragmentaient ce monde onirique, rêves ou cauchemar de thanes drogués le soir d’un banquet. Waltz et Citrün étaient de très bons bretteurs, mais le second détenait l’expérience et l’agilité.
C’est Waltz qui attaque. Coup d’estoc, parade de Citrün. Waltz engage tout son corps, feinte un revers de sa lame mais termine son mouvement circulaire en tentant le coup de pommeau dans les dents. Cette danse impressionnante soulève de la poussière qui grésille sur le sol noir, et Citrün se contente d’un décalage agile pour esquiver et contre attaquer. Mais sa lame rencontre à nouveau celle de Waltz. Ils se regardent. Le regard déterminé de Waltz, brulant de haine et contracté par l’effort, s'échoue contre la froideur résignée de Citrün. Les deux comprennent qu’ils pourraient continuer longtemps comme ça, mais qu’ils ne veulent pas s’avoir à l’usure, non.
Les applaudissements retentissent dans une gradation inquiétante.
Alors lequel des deux aura le courage de …

Citrün quitte le contact et fuit en courant, épée à la main, vers les profondeurs chaotiques de la forêt de symboles. Waltz a compris, il le suit en jurant avec hargne vers les limites du décor.

Et tous deux, avec un courage immense,

passent la douloureuse frontière du Rien.

Ils quittent le décor conceptuel.

Cette scène ne peut plus être décrite puisque la sphère de compréhension qu’offrait le décor a été dépassée par les entités personnages. Nous allons donc faire appel à des antagonismes de substitution pour couvrir leur évolution et empêcher leur non-existence dans ce paradigme !

Forêt tropicale. Deux hommes à la peau dorée.
Waltz, nu et cousu d’os taillés, rate Citrün d’un tir de javelot en bambou. Citrün, tatoué et les cheveux longs, se jette sur Waltz, une hache primitive armée par son bras plié, prête à fracasser le crâne.
Immense place d’asphalte encerclée d’immeubles gris. Manifestants abonnant banderoles et drapeaux face à des tanks, sous la pluie et le lacrymogène.
La matraque du policier anti-émeute Citrün ne fracasse pas le crâne de Waltz comme espéré, ce dernier s’étant jeté au sol au moment du coup afin de frapper le tibia renforcé de l’agent. Déséquilibré, le policier Citrün recule, ce dont profite le jeune manifestant pour se redresser et charger contre le bouclier de l’agent.
Savane, crépuscule. Deux paranthropes poilus armés de cailloux.
La charge du primate Waltz et évitée par Citrün, qui ne perd par un seul instant pour jeter une pierre dans le dos de son congénère hominidé emporté par son élan. La pierre rate de peu Waltz qui pousse un grognement simiesque avant de ramasser un beau bâton sur le sol et de le tenir à deux mains en fonçant sur le velus Citrün.
Terre grêlée de trous d’obus dans lesquels flottent des nappes de gaz silencieuses. Deux silhouettes émergeant des cadavres.
La baïonnette de Waltz arrache le manteau bleu du soldat Citrün. Pas découragé, Waltz dégaine de sa ceinture où brille un gothique « Gott mit uns » un revolver que Citrün désarme d’un coup de pelle. Citrün profite de cette déstabilisation pour faire prendre de l’élan à sa pelle de combat, visant le casque à pointe de Waltz, quand une pluie d’obus s’abat sur eux pour les mêler à une terre déjà gorgée de shrapnels.
Forêt sombre, deux hommes tenant une épée, et un petit garçon.
Revenus dans la sphère de compréhension d’Okord, ils ne reconnurent pas la forêt en négatif dans laquelle tout avait commencé, car pour eux, rien n’avait changé. Seul le combat importait. Voilà ce qu’était leur seule constante, à eux, quel que soit la forme, le sexe, l’âge ou le millénaire. Tant qu’ils pourraient s’incarner dans deux consciences antagonistes à travers tous les paradigmes possibles, ils se battraient. Ils se tueraient.

Ils se redressèrent hors des symboles "boue" et se jetèrent l’un sur l’autre. Fut-ce la position de chacun avant la confrontation, détail aléatoire, qui détermina cette issue ? Avec rapidité, Waltz glissa dans une esquive parfaite du coup d’estoc de Citrün, et abattit lourdement, avec un succès critique qu’un bruit d’os brisé confirma immédiatement, la garde de son épée sur le nez de Citrün. Le vieux boiteux tombe sur le cul, la gueule ensanglantée.

Les applaudissements devenaient assourdissants et leur semblaient frapper directement sur les tympans.

- T’iras nulle part avec le gamin ! Allez, sors-nous de là maintenant, avant qu’il ne soit trop tard ! hurla Waltz.

Revenus dans le monde réel avec une sorte de nausée, ils se regardèrent tous les trois, gelés par un vertige.

Dans un silence, un calme apaisant.
Un vent agréable caressa la forêt.

Gotthold ne voulait plus jamais vivre ça. Waltz prit le garçon dans ses bras, paternellement mais avec autorité. Si. Il devrait le revivre, jusqu’à contrôler ce monde dangereux. Il caressait les cheveux du garçon. Doucement, il lui susurra :

- Il faut te protéger de ce qu’est devenu ton père… Un jour tu comprendras pourquoi…

Citrün, ahuri, désolé d’avoir échoué à ravir sa liberté et celle de l’innocent gamin à la folie du fort d’Yggnir, baissa ses yeux. La gueule ensanglantée, et une boule dans la gorge, le désespoir lui fit bredouiller :
- J’suis désolé p’tit. J’peux pas faire plus.
J’veux pas. J’veux pu.

Dernière modification par Waltz (2018-10-30 00:26:16)

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