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#1 2018-10-25 22:36:57

Brezekiel

Le Cygne d'Azur

Texte écrit conjointement par Brezekiel et Carmen, afin d'annoncer
deux heureux évènements, bonne lecture à vous

-"Cesse donc de taper dans ces cailloux, Bara... tu vas user tes chausses, c'est moi qui paye je te rappelle, puisque tu ne travailles pas... Le grand homme, trop mince pour être musclé, trop carré pour être un gringalet lui lança un regard noir. Il portait autour du cou un étrange collier de boules grosses comme un poing d'enfant, sûrement un symbole religieux, mais lequel ? Il n'était pas vraiment chauve mais la fine couche de cheveux noirs sur son crâne indiquait qu'il aimait se raser de prêt. A contrario, il portait une énorme barbe noire clairsemée de poils blancs.

Son interlocuteur quant à lui était plus contrasté. Le noble portait avec rigueur un curieux vêtement, une redingote bleu et or cousue comme une tunique une pièce, sous laquelle -dépourvu de plis- jaillissait un pantalon blanc-écru. Il y avait là un savant mélange de vêtements civils, légèrement amples, avec un côté strict et militaire, qui impliquait de les porter serrés par endroit. Ils semblaient tant fait pour la monte que pour l'escrime, avec une certaine finesse des détails et des dorures qui en faisaient des vêtements parfaits pour être en société... ou pour s'en aller précipitamment à cheval.

-"Et puis ça caille... foutrecuisse de... bonsoir mon seigneur..." il laissa s'éloigner un artisan qui sortait sans se presser de la taverne devant laquelle ils se trouvaient. "L'hiver est arrivé vite cette année... aussi vite que la nuit est tombée ce soir... Tu crois qu'elle viendra ?". L'autre haussa un sourcil qui semblait dire "ptet bin que oui... ptet bin que non" mais tapota amicalement l'épaule de son ami et maître. Les deux hommes étaient adossés à l'abri sous lequel les voyageurs pouvaient temporairement attacher leurs montures, le temps de se restaurer dans la taverne, seul établissement alentours de cette paisible campagne. Le bourg était à une dizaine de minutes à cheval, une vingtaine à pieds, l'endroit était d'ailleurs connu pour sa tranquillité. Le Duc Brezekiel était accompagné de son fidèle ami et homme à tout faire, Baraneg le muet. On ne l'appelait jamais ainsi en face, même pas de dos à vrai dire tant son regard absent d'émotion menait au respect, ou à la crainte.

Quelques lampes à huile brûletaient devant la taverne, suspendues à des appliques murales en fer forgé, pour en indiquer l'endroit dans la nuit. C'était un établissement assez grand pour recevoir plusieurs groupes de voyageurs à la fois. Un étage invitait au couchage pour qui avait de quoi se l'offrir, l'écurie et son foin propre recevrait les autres. Une fine musique s'échappait d'une fenêtre de bois à demi-ouverte qui s'ouvrait vers le bas, calée par un bout de bois. Brezekiel écoutait les yeux à demi-fermés cette mélodie douce et récurrente. Il sursauta lorsqu'un bruit de sabots retentit.

Deux cavaliers arrivaient par le chemin en face d'eux, celui que les gens d'ici appelaient la grand'route. Le son des cailloux sous le pas des chevaux était sorti de la brume plus vite qu'eux. Leurs silhouettes tardaient à se dessiner clairement, et les sabots crissaient sans se presser. Quand enfin les deux cavaliers arrivèrent à la hauteur de l'abri, celui qui était en arrière démonta. Diego, l'éternel garde du corps de la marquise Carmen, survivant de son naufrage en Valésiane. C'était une montagne. Il avait le pas étrangement raide, comme si ses genoux étaient fixes ou presque. Il vint se planter devant les deux hommes, pour les dévisager quelques secondes.

-''Duc Brezekiel, mes respects'', fit-il sans s'incliner. C'était peut-être l'obscurité, mais bien qu'il paraisse à peine quarante ans, ses yeux, ses picots de barbe et tout son visage paraissaient teintés de gris.

Le deuxième cavalier descendit alors de sa monture, et vint saluer le duc d'un signe de tête, la main sur le cœur. Brezekiel reconnut la marquise Carmen. ''Pouvons-nous discuter à l'intérieur ?'' demanda-t-elle en laissant échapper un nuage de fumée de sa bouche. ''J'ai gelé sur pied tout le long du trajet.''

-"Pensez à nous ma douce amie, qui étions là immobiles à maudire les saisons. J'aurais préféré remuer sur un cheval, mais je suis heureux que vous soyez arrivée à votre heure, je n'aurais pas voulu vous presser. Allons, cela fait bien longtemps que je ne sens plus mes pieds. Je vous suivrais avec plaisir au chaud. Je pense que nos deux compagnons ne diraient pas à non à prendre une table à l'intérieur, avec vue sur l'entrée, le comptoir, la cheminée et notre table je suppose ?"

Les deux gardes hochèrent une tête entendue devant ce qui était pour eux une routine propre à leur fonction de protecteurs. Brezekiel avança d'un pas sûr vers l'entrée, mais son serviteur coupa son allure d'un geste du bras, et lui passa devant pour entrer avant lui. Il dut se baisser un peu car le faîtage de chaume pendait négligemment sur le pourtour de la porte. Après avoir rapidement balayé la salle principale du regard, il se poussa pour laisser rentrer le seigneur, la dame, puis son éminemment grand compagnon.

-"Je connais peu l'endroit, Marquise, avez-vous une table de prédilection ?'' S'enquit le duc tandis qu'elle abaissait sa capuche, délivrant une magnifique chevelure brune et un visage enchanteur.

-''Celle-là, dans l'alcôve elle montrait une direction d'un élégant signe de la tête. J'y viens parfois. Parfaite pour y faire des rencontres... Il faudrait juste que ces messieurs nous laissent la place."

Se regardant du coin de l’œil, les deux gardes du corps décidèrent d'un commun accord de régler cette question. Ce ne fut pas long. Les occupants de la table ne demandèrent ni leur reste ni une quelconque explication quand ils eurent levés les yeux sur les deux colosses poliment ancrés à côté d'eux. Les seigneurs les regardèrent faire en souriant et s'installèrent quand tout fut déblayé et nettoyé, laissant leurs serviteurs se trouver une table à leur convenance, pas trop loin mais assez loin quand même. Ils connaissaient bien leur ouvrage sembla-t-il.

Brezekiel se proposa aussitôt pour débarrasser le mantelet à capuche de fourrure, soyeuse et teintée de rouge. Il le plaça avec justesse sur un support en bois qui dépassait du mur, près de la cheminée afin de sécher les vêtements des voyageurs -le sien suivit également-. Le tavernier s'approcha d'eux tout sourire, avec un pichet de son meilleur vin et deux gobelets. Carmen lui glissa un écu d'or, un sourire et un clin d’œil. L'homme garderait le silence, heureux que ses affaires tournent aussi bien pour le prix si modique d'une bouche cousue.

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Dernière modification par Brezekiel (2018-10-25 22:55:55)

#2 2018-10-25 22:57:21

Brezekiel

Re : Le Cygne d'Azur

-''Alors, messire...'' Commença Carmen en se frictionnant les mains dans le but évident de se les réchauffer. Elle se retourna d'un quart pour regarder en direction de la cheminée. Elle ne fumait quasiment pas, le feu brûlait férocement et bientôt les doigts rosés seraient de nouveaux blancs. Elle ramena sa tête vers le Duc, faisant virevolter sa chevelure opulente qu'un ruban avait certainement essayé de maintenir en place, avant de céder. ''J'ai entendu dire que les estybriliens vous causaient du souci ? ''

-"Du souci, c'est bien le mot ma bonne amie. Disons qu'il me semblait avoir bien lu entre les lignes de la politique okordienne actuelle. Tous semblaient s'accorder sur le fait que la fuite des rebelles au trône d'Antijaky ne résolvait pas le conflit d'alors, mais ne faisait que le remettre à plus tard. Je crains que plus tard, ce ne soit maintenant. Difficile de se dire que la situation géopolitique actuelle soit fiable ni durable. D'un côté, le polémarque légifère de son côté, promettant son allégeance à un empereur lointain et encore plus éloigné de nos problématiques okordiennes. La cohésion semble absente de leurs actions, beaucoup ont l'air renfermés dans leur château, on ne les voit jamais. Leur sort me préoccupe chaque jour que les Dieux Anciens font, à la base ce sont des frères et sœurs d'Okord''. La marquise qui avait fini son verre, essuya délicatement la commissure de ses lèvres d'un geste discret de son index. Elle se resservit ainsi qu'il seyait à une dame, une moitié de verre.

''De l'autre, l'Empereur légifère également et je vois peu de seigneurs lui prêter main forte pour asseoir son autorité. Je suis un militaire avant d'être un noble, Carmen vous le savez bien, j'ai besoin de savoir à qui donner mon obéissance et ma loyauté. J'ai envie de croire dans notre royaume ou empire, mais j'aimerais qu'il soit beau, grand et fort comme dans le temps, uni en somme. La scission du royaume en deux entités distinctes et concurrentes, me scinde l'âme et fait pleurer mon cœur . L'histoire et la bêtise humaine, plus que la raison, nous poussent à nous éloigner au lieu de nous rapprocher. Les rumeurs se concrétisent au sujet de la Horde, les royaumes voisins sont à feu et à sang. J'ai peur, non pour moi, mais pour tous ceux qui ne verront pas le vent tourner, qui ne sentiront pas le vrai ennemi venir, ils mourront par milliers. Vous voyez, à côté de ces préoccupations, les attaques des seigneurs estybriliens me paraissent bien petites. ''

Brun, il portait des cheveux qui avaient été courts par le passé au vu de la manière quelque peu maladroite dont il les attachait en catogan bas. A n'en pas douter, il avait un passé militaire chargé. Grand, sans être immense, petit sans avoir la tête sous l'aisselle de ses interlocuteurs, il avait une bonne carrure mais n'était ni chétif, ni irrémédiablement musclé. Les muscles de ses avant-bras et de ses mains semblaient en pleine forme à en juger par l'application avec laquelle il tenait son verre de vin pour ne pas le briser. Sa peau était blanche, claire, on voyait bien qu'il ne prenait pas souvent le soleil, que ce fut à cause de son armure ou des longs moments passés à étudier les cartes du monde sur son secrétaire. Toutefois, il se trouvait bien commun en présence de la ravissante Marquise à qui on ne pouvait donner d'âge, tant sa beauté paraissait éternelle.

-''Je partage vos craintes quant à la Horde, mon cher, autant que celles sur la scission du royaume. Du temps de nos pères, si Baldir et Yselda ont pu être repoussés, non sans mal, c'est parce qu'à chaque fois les okordiens avaient fini par surmonter leurs différends pour s'unir face à l'envahisseur. Si la Horde arrivait à nos portes demain, je ne sais pas ce que cela donnerait. Je vous l'avoue, j'ai peur que nous n'ayons jamais été aussi faibles que maintenant. Je veux dire, nous, le royaume d'Okord'' se reprit-elle. ''Les okordiens se sont toujours fait la guerre, d'aussi longtemps qu'on en trouve mention dans les livres. Ceux qui prônent la paix n'ont rien compris. La guerre est vitale pour notre royaume. Nous sommes entourés de voisins hostiles. Osterlich, le Gundor, Déomul, ils n'attendent qu'une occasion pour agrandir leur territoire. Ou plutôt, ils n'attendent de nous rien d'autre que de faire tampon face à la Horde, de la retenir de toutes nos forces, pour ensuite pouvoir nous marcher dessus et s'arroger la victoire. Je me suis longtemps demandé pourquoi Déomul n'avait jamais décidé de nous annexer, purement et simplement. Il en aurait eu les moyens. Quand on voit les corps expéditionnaires que Torkson nous avait envoyés, si l'armée de Théodophane fait ne serait-ce que la moitié de celle-là...''

-''Ah...'' entama-t-il sans pouvoir aboutir.

-''Vous allez me dire que la taille ne fait pas tout -si, je vous connais, mon cher- mais elle compte quand même, quoi qu'on en dise... Ce n'est pas le sujet. Si Théodophane ne nous annexe pas, ce n'est pas seulement pour que nous lui servions de bouclier involontaire. C'est qu'il a peur de nous. Il sait que s'il s'engageait sur une conquête d'Okord, il en aurait pour des années, et que cela lui coûterait plus cher en hommes que ce qu'il tirerait de nos rentes en dix ans. Nos titres, notre sang, nos blasons... Ils sont nés de la guerre. Nous mêmes, vous et moi, ne serions rien d'autre que des propriétaires terriens sans cela'' elle se pencha avec un sourire en disant ces mots, lui touchant l'avant bras de sa main. Malheureusement son sourire ne dura qu'un moment. Elle joua avec sa main droite en passant par dessus une flamme des nombreuses bougies parfumées qui éclairaient l'alcôve. ''Mais la guerre au sein d'un même royaume et la sécession d'une moitié de ce royaume, je vous le concède, ce sont là deux choses distinctes. Qu'un seigneur prenne le roi en chasse et veuille le destituer, ma foi, quoi de plus naturel, c'est dans nos coutumes. Nous-mêmes au sein du Cygne, nous n'avons pas été les derniers à ce jeu-là. Mais la sécession... Je considère cela comme une marque de haute trahison. Non pas envers le roi -ils en ont vu d'autres, nos souverains, les pauvres- mais envers le royaume.''

-Comment trouvez-vous ce vin, mon cher ? Fit-elle sans transition en le resservant généreusement.

-"Le vin est plaisant, ma douce amie, mais pas autant que vous l'êtes à ma compagnie. J'aime vos paroles, on sent que vous avez abouti l'éducation de votre père et transcendé les pensées de votre mari, pour vous créer une opinion propre et surtout tranchée. Vos propos m'apparaissent avec autant de clarté que la robe d'une vestale de temple. Vous dites une vérité qui cajole mon âme. Par-delà les conseils en salle du trône auxquels nous assistons fréquemment vous et moi, je m'aperçois que je vous connais fort peu et... gêné de regarder ses deux grands yeux de biches qui lui rendaient son regard, il baissa les siens... se trouva nez-à-nez avec l'étage inférieur... fut encore plus gêné qu'elle ne pense qu'il contemplait sa poitrine... il se tourna donc et héla le tavernier en prétextant que le pichet était vide. Il le vida dans sa coupe et la but d'un trait pour cacher son émoi. ''Le vin est plaisant... Allons, pourriez-vous me donner votre sentiment sur la faction du Cygne ? Je souhaiterais sincèrement vous connaître mieux" conclut-il en s'accoudant au torchis de l'alcôve pour se donner bonne figure.

Carmen eut un petit rire attendri en constatant le désarroi soudain tout prude de son interlocuteur. Le rire disparut à l'évocation du Cygne. L'air que son visage prit alors semblait voilé, comme hors du monde et du temps. ''Le Cygne...'' Finit-elle par répondre. ''Le Cygne, c'est avant tout un idéal. Bien qu'aujourd'hui la confrérie ait perdu une bonne partie de ses plumes, j'entends qu'au moins cet idéal lui reste.'' Le pichet de secours se posa sur la table. Carmen resservit les deux verres d'autorité et but avant de reprendre.

-''L'idéal... d'une confrérie de seigneurs, de chevaliers, se battant pour leurs propres causes, en dehors des inimitiés séculaires des vieilles factions d'Okord. Des frères et sœurs d'armes qui, quelle que soit l'issue de la guerre, auront gagné le respect de leurs adversaires. Pas d'allié indéfectible, ni d'ennemi mortel. Un mot d'ordre : l'honnêteté. Ou le panache. Ça dépend des fois....''

-''Vous avez eu votre lot de batailles, si je me souviens bien'' la relança le Duc pour l'encourager à poursuivre ce douloureux état des lieux d'un passé glorieux, mais dont il ne restait que des échos.

-''Notre confrérie a eu l'occasion de se frotter à la majeure partie des factions du royaume, -hormis la Croix d'Azur il est vrai- parfois en s'alliant à d'autres qui étaient ses adversaires de la guerre précédente. Quand notre faction prenait à peine son envol, nous nous sommes battus contre la Plume Noire, la confrérie dont était issue la majeure partie de nos maisons, pour défendre notre faction vassale d'alors, la toute jeune Valyria de Rhaegar. Bien plus tard, nous avons été amenés à combattre ce même Rhaegar, lors de la guerre du Pays de Karan. Il s'est produit la même chose avec la maison Rochester, et il aurait pu se produire la même chose avec la Princesse aux Lapins. Peu de factions n'ont pas déjà été nos alliées et encore moins nos adversaires ''.

-''On peut dire que la liste fut longue, en effet. Remontons plus loin, qui créa votre faction ?''

Cette question amena un sourire sur le visage de la marquise.

-''Ironiquement, le Cygne a été fondé par Spleen, le mercenaire. Il voulait se racheter une pureté, sans doute. Et il a sans doute fait là le geste le plus honorable de sa longue carrière. Il était accompagné du seigneur Ixarys, qui, lui, n'a pas tardé à voler vers d'autres cieux. Le Cygne s'est vite trouvé un chef naturel, Andior. Andior Hallgeirr. Mon beau-père.'' Carmen but une nouvelle gorgée. ''Il était accompagné à la tête du Cygne par la matriarche Helyanor et le seigneur Galdor. Puis Galdor est parti de son côté. C'est Zyakan, mon père, qui a pris alors la place qu'il occupait. Andior s'est rapidement imposé dans le royaume comme un magistral fauteur de trouble, et le Cygne avec lui. Il a déclenché une révolte qui a abouti à la mort du roi Molag ; a été l'instigateur de la première Guerre de Religion qu'ait connu Okord, la seule pour l'instant''. Elle resta à contempler son verre quelques instants. ''C'était ma première expérience à la tête de ma maison. Mon père était en... Il avait annoncé être en pèlerinage, à l'époque, alors qu'il était en lune de miel avec une de ses conquêtes'', raconta-t-elle en souriant. ''Le problème était qu'Andior était adepte d'Yggnir ; mon père et moi, de Podeszwa. Elverid, qui avait succédé à Helyanor, se retrouvait au milieu à défendre les anciens dieux. Mon père m'a envoyé l'ordre de mettre fin aux agissements d'Andior par tous les moyens, mais on ne m'a pas laissé l'occasion de faire mes preuves à ce moment-là. Les généraux de mon père ont jugé plus opportun de s'allier à Andior plutôt que de l'empêcher de scinder le royaume en deux.'' Carmen finit son verre d'un trait..

-''Que voilà un personnage bien singulier que cet Andior, je ne l'ai pas connu, je servais alors sur les fronts ouest pour les armées de Déomul.'' glissa le Duc, qui constata avoir perdu le compte de ses verres de vin.

-''Andior aurait pu être roi. Il en avait l'envergure. Mais cette guerre dans laquelle il avait entraîné le royaume a abouti à sa perte, en brisant l'unité du Cygne. Quand mon père est revenu, il a provoqué Andior dans un duel à mort. Andior a gagné. Fin politicien qu'il était, il a décidé d'épargner mon père... Il aurait pu tout gagner comme ça, si un strolatz ne lui avait pas décoché un carreau en pleine tête alors qu'il était encore sur la lice. Un fanatique de Podeszwa. Quand on joue avec la foi et la haine...

-''Oui, il faut s'attendre à un retour de bâton, ou de flèche peu importe... Vous êtes fascinante Marquise. Mais dîtes moi, s'il est mort, qui a pris le pouvoir ensuite pour administrer vos seigneurs ?''

-''Loth, le fils d'Andior, a succédé à son père. Et moi j'ai succédé au mien, qui s'est retiré du pouvoir.  Il était fatigué de tout. Andior avait quand même été son compagnon d'armes. La chose amusante dans toute cette histoire, c'est que même s'ils ont fini par se battre à mort, Andior et Zyakan tenaient plus que tout à l'unité du Cygne, et Elverid au moins autant qu'eux. Juste avant le duel, ils avaient organisé un mariage entre Loth et moi, pour que la confrérie perdure."

-"Le triumvirat, comme on l'appelait -ces phallocrates n'avaient pas pris la peine d'adapter le nom à la présence de femmes dans le trio de dirigeants- se retrouvait donc composé d'Elverid, Loth et moi-même. J'en ai officieusement pris la tête. Sans me vanter, cette période a sans doute été une des plus fastes que le Cygne ait connues. Nous nous sommes agrandis, autant en territoire qu'en nombre de membres, nous avons livré des batailles sans merci et le Cygne a acquis une stature de faction notable, disposée à tutoyer les entités les plus puissantes de l'époque.

-''La faction du Cygne n'a effectivement plus rien à prouver, quand bien même quelques plumes s'en sont retournés au ciel. J'ai entendu dire que cela fut une période qui ne dura pas aussi longtemps que vous l'auriez souhaité ?'' une serveuse s'avança de l'alcôve, vit l'air sérieux des deux clients, et fit demi-tour en silence en constatant que le pichet tenait encore le coup.

-Ça aurait pu durer, à vrai dire, mais le frère de Loth, Viserys, a profité de mon absence -j'étais en Valésiane, à chercher des appuis contre l'empire d'Abrasil- pour prendre le pouvoir sur la Confrérie et lancer une guerre contre les Léopards... Qui fut avortée avant même de commencer. La constitution fragile de Viserys ne lui a pas permis de tenir le coup sous la pression. Il s'est écroulé, et la maison Hallgeirr avec lui. Ça a été un coup dur pour le Cygne... Je crois bien que nous ne nous en sommes pas encore remis. Ça ne nous a pas empêché de continuer à faire parler de nous, fit-elle en se resservant un verre et à frapper fort quand il le fallait. Mais certes, le Cygne a perdu des plumes. Luscan, Loken, Aymar, les Hallgeirr et les autres nous manquent. Vous connaissez ce sentiment... Passé un certain temps, il devient difficile de ne pas constamment regarder en arrière, en se disant que c'était le bon temps. L'éternel recommencement des jeux de pouvoir en Okord finit par lasser, surtout quand on voit à quel point il est simple de rester au chaud dans son château. C'est ce que j'ai fait ces dernières années, me consacrer à la prière et laisser mes marchands prospérer.''

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#3 2018-10-25 22:58:45

Brezekiel

Re : Le Cygne d'Azur

-''Mais, et vous, donc ? J'ai entendu tellement de choses sur la Croix d'Azur que je ne sais plus lesquelles croire. Parlez m'en un peu, je vous en prie...'' Carmen remit ses cheveux en place, s’enfonça dans son fauteuil et étendit ses jambes sous leur modeste table de bois, au plateau tâché par les nombreux pieds de verres servis aux voyageurs. Elle fit danser le liquide rouge et tiède dans son verre.

-''Oui tellement de choses sont dites sur nous, je comprends votre confusion. Moi-même si je n'y étais pas, je pourrais sans doute succomber sous les mensonges colportés par de haineux ennemis nettement moins chevaleresques que nous. On dit qu'on reconnaît la valeur d'un homme à ses ennemis. Je crains que nous n'ayons pas encore rencontré l'adversaire qui nous traiterait comme il faut, mais je ne perds pas espoir d'un jour le croiser... D'argent à la croix ancrée d'azur en sautoir... tel est notre emblème, notre fierté. Il se trouve également qu'en broyant du lapis-lazulis venus des terres chaudes du sud-est, ce soit aisé à reproduire en bannière ou en peinture. De plus, en temps de guerre si un des nôtres a besoin d'afficher son appartenance, trouver des fleurs bleus, les réduire en poudre et les dissoudre dans l'eau pour marquer un tissu d'une croix bleu est simplissime. Si cela vous intéresse, je vous montrerais comme nous faisons, un jour de promenade par exemple ?''

La marquise sourit et posa ses deux coudes sur la table, intéressée par la suite du récit.

-''La partie qui me fascine à notre sujet, tient à notre création et composition. De nombreux seigneurs qui rejoignirent les premiers rangs de notre Ordre, avaient été ennemis avant d'être alliés puis bientôt frères et sœurs d'armes. L'engouement soulevé par l'avènement rapide et net de notre fondatrice, Aedeline, n'y fut pas pour rien. Que ce soit des factions comme la Tour, les Léopards, le Coq, la Plume... de grands noms dont certains ont malheureusement disparu, les seigneurs affluèrent. Peu importait leurs origines à Aedeline, tant qu'ils avaient la volonté de combattre en respectant la parole donnée.

Faisant fi de l'interprétation étriquée que firent les commentateurs, les passifs, les discuteurs de Cours, l'Ordre de la Croix d'Azur vit le jour. Il regroupa des noms qui eux, ont encore du mal à s'effacer des visages de leurs ennemis qui en portent les cicatrices. On compta jusqu'à cinq anciens monarques contemporains d'Okord dans l'ordre, les faits ne peuvent être pervertis. Cette aura de prestance, de puissance et de sagesse baigna le berceau de la Croix d'Azur qui recueillit ainsi de nouveaux membres comme Galdor ou Gazthon, qui deviendraient bientôt ceux qui reprendraient le flambeau. J'aime à les nommer ''la nouvelle génération'', dont je fais partie bien qu'arrivé légèrement après eux.

De tout temps on a trouvé dans l'Ordre une grande diversité de combattants. Que ce soit des vieux briscards qui ont, ou non, côtoyé le sommet du pouvoir. Des jeunes chevaliers affamés en quête de tout : fortune, victoires militaires, conquêtes nocturnes. Des sauvages un peu fous qui se cherchaient des ennemis de peur de s'ennuyer de vivre et bien entendu des héritiers royaux en retrait ou en préparation d'un retour au pouvoir. De cette diversité est née l'une des grandes forces de la Croix d'Azur, une ouverture sur le monde, une envie d'aller vers les autres. Certes ce fut parfois une épée à la main pour voir comment se battaient ces autres, mais également à de nombreuses occasions avec un rameau d'olivier dans le bec afin d'arbitrer des conflits entre factions tierces. On nous dépeint souvent comme une faction avide d'or, ou fourbe ou que sais-je, mais nous sommes je crois la faction okordienne la moins impliquée dans tous conflits confondus. Nous traiter de barbares sanguinaires est donc largement exagéré.''

-''Curieux barbares, en effet... Je ne parviens pas à quantifier votre existence en terme d'années, pourriez-vous me rafraîchir la mémoire ?''.

-''Assurément, douce amie. L'ordre fut fondé en Lunor, 6e phase du printemps de l'an III de l'ère 17. Il n'est pas une faction à part entière, notre héraldique le précise bien. Notre alliance peut partir dans toutes les directions ainsi que le montre chaque pan de la croix ancrée, mais ce qui est indissoluble est notre parole. L'azur quant à lui reflète la loyauté et l'argent en fond rappelle la pureté de nos convictions. Nous fîmes ce que nous dîmes, nous avons fait ce que nous avons dit, nous ferons ce que nous dirons. La Princesse Aedeline m'expliquait souvent -j'étais son vassal- « la vocation de notre ordre est de permettre à chacun de croître, serait-ce au détriment de nos voisins ». Nous ne sommes pas des tisserands ou des couturières, au combat nous ne faisons pas dans la dentelle, car cette dernière n'a jamais sauvé un fief assiégé, dévié une flèche ou gagné un combat. Mais notre fonctionnement n'est pas une bête hiérarchie qui écrase les petits et glorifie les grands. Chaque petit est un grand inexploré, chaque grand est un petit qui est monté mais peut un jour retomber, comme un soufflé. Nous avons certes nommé des généraux, des ambassadeurs, afin de concentrer les responsabilités mais jamais à fins de limiter notre prise de décisions à deux cerveaux plutôt que vingt.'' précisa le Duc en regardant par la fenêtre attenante à leur alcôve. La nuit était désormais entièrement noire et sa vue s'était désormais bien habituée à la pénombre du lieu. Il voyait les dents parfaitement alignées de la Marquise, lui sourire avec une franchise plaisante. Elle buvait ses paroles, son vin aussi.

-''La dernière grande frasque qui vous impliqua... fut contre le Roi si je ne m'abuse ? Je n'ai qu'un point de vue extérieur mais beaucoup de mots et de coups furent échangés''.

-''Nos guerres ne furent pas nombreuses c'est vrai, pas par manque d'envie ou par peur car notre silence signifie simplement que nous sommes trop occupés à perfectionner et multiplier nos armées. Notre dernière cicatrice nous la payâmes âprement auprès de la faction des Templiers de l'ancien roi Antijaky. Profitant de la négligence d'un des Seigneurs du Hall qui avait laissé traîner un trésor de douze millions de pièces d'or, nous les réclamâmes par la force. Nous n'avions pas de volonté politique de je ne sais quoi, il y avait une belle somme à prendre, nous l'avons prise. Je défie quiconque de me dire qu'il serait passé au large sans s'y intéresser. Pensant nous en tenir là, la faction adverse déclencha alors un conflit qu'elle ne put rapidement plus gérer et fit appel au Roi pour s'en sortir. Refusant la guerre puisqu'il n'y avait aucune volonté initiale de notre part de la faire, nous fûmes forcés de nous défendre contre ce nouvel ennemi venant à dix contre un dans nos chaumières pour réclamer nos têtes.''

-''Ce n'est jamais agréable de se retrouver à dix contre un, et à l'époque les factions qui auraient pu vous soutenir guerroyaient elles aussi, la Confédération contre le Léopard par exemple. Que vous firent les Templiers finalement ?''

-''Capturant certains des nôtres, abîmant la foi des uns, les fiefs des autres, ils ne nous firent pas de quartiers et alors même qu'ils nous massacraient, ils eurent le culot de dire que nous étions des bourreaux infâmes, travestissant notre honneur et nos paroles en boue et autres calomnies. Mais notre parole donnée ne vacilla pas, on nous demanda de rembourser leurs pertes, faisant totalement fi des nôtres comme si c'était nous qui avions demandé au Hall de nous attaquer ? Nous mîmes un terme au bain de sang en capturant une de leur province afin de négocier une sortie du conflit. Cela nous coûta quatre membres dont deux anciens monarques et deux autres qui, contre toute attente partirent chez l'ennemi. Ceux qui restèrent passèrent un moment réellement désagréable. Nos meneurs, Jacquouille, Galactic et Phényr, gagnés par la lassitude et surtout atteints par la petitesse des débats que lançaient nos adversaires, nous traitant de lâches car nous nous battions ; nous traitant de fourbes parce que nous conquérions ; nous traitant de briseur-de-paix alors qu'ils refusaient de nous parler et faisaient traîner les négociations pour nous garder dans leur geôles... Se retirèrent du jeu de pouvoir, ainsi que vous le nommez.

-''C'est d'une tristesse dégoûtante. Au moins, vous entendre le raconter est comme lire un roman... je garde néanmoins à l'esprit que ce sont vos vies que vous narrez, rassurez-vous''. confia Carmen en posant un court instant sa main sur celle de Brezekiel. Elle la retira et ne put s'empêcher de voir qu'il balbutia les premiers mots de sa réponse.

-''Je fais un bien piètre conteur, je m'en excuse'' bredouilla-t-il tandis que la belle dame venait de toucher sa main. Elle avait les mains douces, chaudes et il se prit à croire que s'il lui était donné de la tenir contre la sienne, il ne la laisserait plus jamais s'éloigner. ''Quoi qu'il en soit'' il reprit son discours avec une énergie renouvelée ''De gré, nous dûmes remettre en question notre attitude, relever les ruines, disséminer les cendres et en tirer des leçons afin d'en sortir grandis. C'est fort de ces réflexions que nous préparons désormais l'avenir de notre Ordre ! Ayant de bonnes raisons de soutenir les uns comme les autres -Le Roi n'était pas parfait d'un côté, mais les rebelles n'avaient jamais été nos alliés auparavant- pendant la Grande Rébellion, nous n'intervînmes finalement pas, préférant servir de médiateurs lorsque les belligérants furent las de combattre.

En conclusion, ainsi que le disait notre fondatrice : « Une audace à toute épreuve, aucun défi n’est insurmontable pour l'Ordre. Une parole sans faille, nul mot ne sortira qui ne puisse être accompli d’actes. » Elle nous a quitté mais son héritage reste intacte au sein de la Croix d'Azur. Les jeunes chevaliers sont toujours autant affamés, les barons trop maigres, les vicomtes aguerris, les comtes bien trop sages, les marquis nerveux d'être pris pour cibles et les Ducs ont le regard qui porte au loin. Notre devise sera donc désormais « Une parole sans faille, une audace à toute épreuve ».''

-''C'est là une belle et noble devise. Je vous avoue qu'elle me fait penser à la nôtre : "Pour la gloire et l'épée". L'audace mène à la gloire, et l'épée se tient droite et fière... comme la parole donnée. Finalement, il me semble que notre vision des choses n'est pas très éloignée. Par les temps qui courent, il est plaisant de ne pas se sentir seul face à l'adversité. '' Brezekiel leva sa coupe vers elle pour saluer ses paroles. Profitant de ce qu'elle baissa les yeux pour prendre sa coupe à elle, il ne put s'empêcher de constater sa toilette qui était du plus bel ensemble. Il avait trouvé doux, épais mais juste ce qu'il faut de rustique son manteau, qu'il avait posé près de la cheminée pour le sécher un peu. La doublure en fourrure conférait à sa porteuse une allure digne d'une apparition de légendes. Qu'il fut couvert de poussière ne l'avait pas gêné, lui-même avait chevauché pour venir et son pantalon écru était légèrement marron par endroit. La robe qu'elle portait, pourpre, toute de soie, était une ode à l'élégance. Elle laissait deviner la naissance d'une poitrine que Brezekiel aurait sûrement qualifié de « prometteuse » sans pourtant n'en montrer un bout de peau, mise en valeur par une caducée montée en collier. Il vit tout de suite que c'était une femme simple, au sens pas compliquée du terme et il sourit. Peu de bijoux, pas besoin de sublimer une beauté si naturelle se prit-il à penser, hormis quelques bracelets d'or fin entrelacés d'argent.

-Quelle élégance... murmura le Duc comme pour lui, bien qu'il ne put empêcher ses lèvres de remuer. Il baissa les yeux au sol un instant, la marquise avait étiré ses jambes, probablement fourbue de la monte. A ses pieds, détail amusant, elle portait des bottes de cavalière qui masquaient un pantalon serré, elle devait certainement monter sur une selle d'homme, et non de femme. Cela lui plut aussitôt. Il était autant séduit par la politique, que les mots, que le personnage en lui-même de son interlocutrice. Aussi pénible lui fut-il, il dut cesser de regarder ses pieds, et sa phrase résonna en lui « nos visions ne sont pas si éloignées ». Il le savait, en fin stratège qu'on lui avait appris à être à l'académie militaire, lorsqu'on veut négocier avec un général ennemi, on souligne nos points communs, lorsqu'on veut l'insulter, on souligne nos différences... ''Vous le pensez vraiment, Carmen ?'' lâcha-t-il pour sonder sa pensée.

-''Oui... Et je pense même que nous devrions aller plus loin que cela.''

-Plus loin ? J'ai déjà chevauché jusqu'à votre sudord natal afin de répondre à votre missive privée. Jusqu'où me verriez-vous aller ma douce amie ? '' feignit de ne pas comprendre le Duc.

-''Je crois que dans son état, le Cygne aurait tout à perdre à rester dans son coin, et tout à gagner à s'allier à des seigneurs partageant ses idéaux.'' Elle ne put s'empêcher de rire en voyant que son compagnon de table avançait à pas de loups, il était prudent et il ne lui plut que davantage.

-Je vous trouve bien dure sur l'état de votre faction. Vous êtes encore sept seigneurs et dames, vos châteaux sont de l'ordre de la centaine, vous être un bon parti si je puis dire.''

-''Et nos armées ne sont pas risibles. Certes.'' concéda-t-elle.

-''De quoi encore faire trembler bien des adversaires, je n'en doute pas. Carmen... puis-je vous demander ce que nous faisons là ? Je veux dire... pourquoi nous, dans cette situation... la dernière chose que je voudrais serait de ternir votre réputation. Nous aurions pu nous voir à la Cour de l'Empereur, nous nous y croisons si souvent''.

-''Mais nous discutons, très cher... Nous discutons d'un rapprochement entre nos deux entités politiques... Quant à ma réputation, ne vous inquiétez pas pour elle, je crains qu'elle ne soit plus à faire. Je suis maîtresse de mon domaine, et j'aime à me sentir libre dans mes choix privés. Les choix politiques sont si contraignants'' susurra-t-elle en s'étirant légèrement.

-''Je ne suis pas le chef de ma faction, chère amie, mais il est vrai que nous bénéficierions d'un  rapprochement... entre nos factions j'entends. Encore faudrait-il lui donner une forme claire et compréhensible par tous, peut-être rédiger un traité...'' il était un peu perdu et se demandait si tous les sous-entendus qu'il avait vus dans les propos de la Marquise, en étaient vraiment.

-Absolument. Puisque nous partageons tant de choses, peut-être qu'une union serait la meilleure chose à réaliser entre nous. Entre nos factions, bien sûr.la certitude gagnait à présent Brezekiel... elle avait repris sa formulation à lui avec la même hésitation. Un coup de langue si appuyé, que même la beauté de sa propriétaire ne l'y trompait pas, allait-elle vraiment dans son sens ?

De son côté, Carmen avait un peu de mal à se tenir bien droite, le vin l'avait détendue et elle se sentait bien, au chaud, en compagnie de ce seigneur avec qui tout semblait couler de source.

-Carmen... prenez moi pour un fou ou l'un de ces ménestrels illuminés, mais une question hante mes nuits depuis la réception de ce pli parfumé que vous m'envoyâtes. Si je me suis égaré, mettez ça sur le compte de ce bon vin qui emplit nos verres et nos sens depuis... je n'en ai plus aucune idée, le temps passe agréablement en votre présence.'' il hésitait quand même, tenté entre son désir et sa retenue. Elle l'avait bien senti, et ses grands yeux étaient autant d'encouragement à prendre la parole.

-''Quelle question, mon doux sire ?'' fit-elle en se penchant vers lui, ou bien était-ce lui qui se pencha, le vin ne l'aidait guère à clarifier les distances.

-''Ne me giflez pas Carmen, mais j'ai l'impression que vos propos, votre jambe collée à la mienne depuis toute à l'heure, votre main, vos yeux... Carmen... marions-nous et unissons nos maisons, nos factions... nos corps ? avoua-t-il en lui prenant les mains dans les siennes. Il plissa les yeux, comme pour anticiper le choc d'une claque d'orgueil ou de remise en place... mais elle ne vint pas. Carmen sourit suavement.

-''Je pense qu'il est fort tard, messire, et que nous avons beaucoup bu.'' Elle se leva doucement, libérant ses mains pour prendre appui sur la table. ''Nous aurons, demain, tout loisir de songer plus avant à l'union de nos factions, et pourquoi pas oui, de nos maisons... Pour l'heure, je vous conseille les lits de cette auberge, ils sont excellents et vous ne serez pas dérangé. J'ai ouï dire que d'une chambre à l'autre on n'entend rien de ce qu'il se passe.'' Elle s'éloigna de quelques pas, puis sembla se raviser tandis que le tavernier lui tendait son manteau, sec et chaud. ''Oh, suis-je bête... le brave homme m'a signalé que son établissement était complet, un groupe de pèlerins, de ce que j'en ai compris.''.

-''Einh ?'' geignit le tavernier en levant un sourcil interrogateur. Se tournant de trois quarts, elle tapota sur le bas de son ventre, où se serait trouvée une poche si elle avait porté une tunique d'homme. L'homme fit pareil car il ne comprenait pas, et sentit le poids de la lourde pièce d'or qui se trouvait dans sa poche à lui. La lumière des bougies lui traversa aussitôt les esprits et il comprit. ''Oui oui, des pèlerins ! C'est terrible ça... ils ont pris toutes les chambres... toutes sauf celles que vous aviez réservé en passant ce matin, noble Dame. J'suis confusionné messire'' essaya-t-il en regardant la marquise pour voir s'il était bien entré dans son jeu, elle hocha doucement la tête comme pour le congédier. La pièce d'or valait largement trois ou quatre chambres alors une de perdue...

-''Je gage que nous devrons continuer nos songeries à l'étage, messire...'' lui lança la dame qui s'éloignait à pas sûrs vers les marches menant à l'étage. Elle chaloupait élégamment en traînant négligemment son manteau derrière elle. Les sens du Duc étaient tout retournés. Avait-elle bien dit ce qu'il avait cru entendre, ou bien le vin lui jouait-il des tours ? Et cet aveu à peine voilé de l'aubergiste qui n'aurait jamais fait un bon comédien, encore moins un saltimbanque... Il se leva d'un bond, se cogna le genou contre un pied de la table rectangulaire qui séparait les deux fauteuils.

-''Ma dame... ainsi que je vous l'ai confié plus tôt, il n'existe aucun obstacle assez grand pour la Croix d'Azur. En bon azurien que je suis, je ne peux laisser une femme aussi belle que vous seule et sans protection dans un lieu aussi isolé. prétexta-t-il en oubliant volontairement les deux gardes du corps qui suivaient la scène d'un air amusé. Il se tourna vers le tavernier qui faisait semblant de frotter son comptoir, l'oreille bien tendue ''Montez moi une paillasse de foin, je dormirais devant sa porte mon brave'' lança-t-il assez fort pour que les quelques badauds encore attablés entendent. Arrivée en haut des marches, la marquise qui regardait en direction du comptoir fit un discret non de la tête au tavernier qui lui lançait un coup d’œil en coin, comme pour lui demander quoi faire. Ratant l'échange, Brezekiel tapait son manteau pour en ôter la poussière, et glissa à son ami Baraneg de se trouver un coin, puisqu'ils resteraient là cette nuit. Il déposa deux pièces de cuivre sur le comptoir, puis monta les marches... deux à deux.

-''HEP... héla Diego, qui rangeait les dés avec lesquels ils venaient de jouer toute la soirée, dans sa bourse. ''La paillasse, tu la mettras devant la cheminée'' commanda-t-il d'une voix enrouée. ''Je prends le premier quart ou tu le veux ?''

Pour toute réponse, le muet se contenta d'un geste assez explicite de la main droite interagissant dans la main gauche, comme pour signifier que le premier quart ne commencerait pas avant un moment...

-''Ouais t'as raison... tant qu'ils dorment pas, nous non plus je suppose... grogna-t-il en ressortant les dés ''Bon y'avait trois à deux.'' L'autre tapa sur la table du poing en agitant l'autre main pour symboliser des chiffres . ''Ouais ouais, trois à trois c'est bon, t'es comme ton maître toi, t'en rates pas une...''.

[FIN]

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