Vous n'êtes pas identifié(e).

#1 2017-12-27 22:11:05

Elverid

Un rapprochement inattendu...

"Matriarche ! Une missive !"

Assise à son écritoire, Elverid leva la tête vers Ezri qui, comme à son habitude, venait de surgir dans le laboratoire telle une tornade. Avec un léger sourire, elle prit le parchemin que son assistante lui tendait.

"Cela vient du vicomte Charles de la Pétaudière.
- Ce n'est pas lui qui a pris d'assaut Fortport-Lointain en profitant qu'on n'avait plus d'armée pour répondre ?
- Si... Et il m'envoie ses excuses. Curieux... d'après la suite du message, il semble s'être fait d'autres ennemis."

la matriarche relut attentivement le message, comme pour s'assurer de son contenu.

Chère Duchesse,

Je tiens tout d'abord à m'excuser pour la prise de la forteresse de Fort Port-lointain.
Cette attaque n'était pas dirigée contre vous personnellement, mais j'avoue avoir profité de votre illégitimité à posséder la province de Rivesbrutes pour m'en emparer.
Maintenant, je pourrais envisager de vous restituer cette province si vous m'aidez dans ma lutte contre un certain seigneur.

Qu'en pensez-vous?

Charles de la Pétaudière

Elle reposa le parchemin et réfléchit quelques instants. Une guerre contre un vicomte n'apporterait rien au Clan, et ne permettrait sans doute pas de récupérer la province de Rivesbrutes. Une résolution diplomatique semblait plus raisonnable.

"Prépare tes bagages. Nous devons justement retourner chercher Syrrn aux hospices d'Okord. Nous profiterons de ce voyage pour rendre visite au jeune Vicomte. Ce ne sera pas un grand détour.
- Déjà ? Heuu... je veux dire, Syrrn est sûrement en pleine forme, maintenant, mais vous ? Vous êtes tout de même revenue malade des mines du pays de Karan...
- Ce n'était qu'une petite infection sans gravité dont j'ai guéri en quelques jours. Si j'ai pu participer aux discussions avec l'émissaire Dodrio, je dois aussi être en état de voyager. Nous partirons demain à l'aube."

Elverid écrivit rapidement quelques phrases sur un parchemin, y apposa son sceau et le remit à Ezri.

"C'est une réponse pour le vicomte, dans laquelle j'annonce notre venue. Assure-toi qu'elle lui soit portée dès aujourd'hui."

La jeune femme prit le parchemin et s'éloigna en marmonnant :

"On a raison de dire que les herboristes sont les plus mauvais malades..."

  * * *

La traversée du grand canal avait été relativement calme, malgré les eaux grossies par les pluies automnales. Il était un peu plus de midi lorsqu'Elverid et Ezri, accompagnées d'une petite escorte de chasseresses, arrivèrent aux portes de la Commanderie de Nidaigle.

"Qui va là ?
- Elverid, Matriarche du Clan du Hibou. Le Vicomte Charles de la Pétaudière peut-il me recevoir ?"

Après quelques minutes d'attente, la porte de la cité s'ouvrit. La matriarche et son assistante pénétrèrent à l'intérieur et furent conduites jusqu'à la haute-cour du palais.
La lourde porte du bâtiment s'ouvrit lentement, et un jeune garçon d'apparence assez frêle malgré son armure rutilante descendit les marches du perron pour venir à leur rencontre. Pendant qu'il s'avançait, les deux femmes échangèrent quelques mots à voix basse.

"C'est cet avorton, le Vicomte ? Je ne l'imaginais pas comme ça...
- Ne te fie pas aux apparences, il est sans doute beaucoup plus résistant qu'il n'y paraît. Des histoires circulent à son sujet, qui parlent d'une grave maladie qu'il aurait contracté dans l'enfance et d'une guérison miraculeuse... Il a tout de même l'air bien jeune pour les responsabilités qui pèsent sur lui... Attends-moi ici et garde les chevaux."

Elverid démonta et marcha à son tour vers l'adolescent.

"Vicomte Charles de la Pétaudière, je présume ? Mes salutations. Je suis Elverid, Matriarche du Clan du Hibou. Le contenu de votre missive m'a beaucoup intriguée, aussi j'ai tenu à vous rencontrer en personne."

Dernière modification par Elverid (2017-12-28 17:46:10)

#2 2017-12-27 23:26:29

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

La commanderie de Nidaigle est un puissant château perché à flanc de montagne. Elle a été détruite et rebâtie à maintes reprises, d'où sa forme curieuse et la disposition un peu anarchique de ses tours.
Pour l'instant, elle est surtout surpeuplée. La plaine qui s'étend devant elle, est couverte de tentes multicolores. Des corrals remplis de chevaux partagent l'espace avec des centaines d'engins de sièges.
La citadelle est, elle-aussi, pleine de soldats.
Quand on lui annonça la venue de la matriarche du clan du hibou, Charles était à table. Il eut un rire triomphant à l'attention de ses capitaines qui attendaient derrière lui, la fin de ses agapes. Il se leva immédiatement et exigea qu'on l'aida à endosser le plastron de son armure. Il ne voulait pas recevoir la duchesse en civil, mais en véritable chef de guerre. Il fallait la convaincre de sa propre puissance.

Ouvrez les portes à deux battants! Ordonna-t-il. Je veux aller à sa rencontre

La lumière le surprit un peu, de sorte qu'il ne vit pas ses invités tout de suite. Il regarda ses pieds pour ne pas louper une marche. Un accident est si vite arrivé et ce genre de chute est souvent fatale.
Arrivé au bas des marches, il regarda à nouveau face à lui et découvrit la duchesse.
Elle portait des habits d'homme et même une cuirasse. N'eut été son opulente chevelure rousse, à peine contenue dans une résille, on aurait pu la prendre pour un capitaine de Strolatz. Elle avait chevauché pour venir jusqu'à lui comme le moindre écuyer de son escorte. Ce qui frappa Charles, c'était son abord revêche. Il ne s'attendait, certes pas à une démonstration de débordante cordialité, il avait quand même fait passer au fil de l'épée la garnison de la forteresse de Fort port-Lointain, mais il avait l'idée préconçue que la diplomatie passait d'abord par des sourires connivents, des embrassades et autres gestes de bienvenue destinés à briser la glace.
A voir la duchesse on se demandait si elle n'avait pas fait le voyage avec un clou sur sa selle.

L'entrée en matière fût toute aussi cavalière que la Dame. Pas un geste, ni main tendue. Juste un "Charles de la Pétaudière, je présume!" aussi sec qu'un coup de trique. Sur le coup, elle lui rappela son précepteur.

Un peu impressionné, la dame était moins jeune qu'il l'avait imaginé, il se courba dans une large révérence et répondit en bredouillant un peu.

Mes hommages, Duchesse Elverid! Vous me voyez extrêmement honoré de votre visite. Comme vous pouvez le constater, je suis en pleine mobilisation. Mes capitaines avaient parié que vous ne viendriez pas, et vous voilà! Je suis chanceux! C'est un bon présage pour la suite, n'est-ce pas?
Mais ce n'est pas le lieu pour palabrer. veuillez me suivre à l'intérieur. J'étais en train de prendre une collation, vous voudrez bien la partager avec moi, ainsi nous pourrons causer!

Il tendit la main à la Dame, mais la duchesse, au lieu de la lui prendre, le dépassa sans un mot et se mit à grimper les marches deux à deux, forçant Charles à la suivre.

#3 2017-12-28 19:42:57

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Everid avait préféré ne pas faire trainer en longueur les présentations un peu trop cérémonieuses à son goût. Depuis qu'elle était devenue duchesse, certains seigneurs possédant un titre un peu moins prestigieux paraissaient se sentir obligés de lui montrer des marques de déférence qu'elle jugeait excessives et auxquelles elle ne savait pas comment répondre. Elle préférait les relations d'égal à égal, et les échanges d'informations francs, directs et efficaces.

Elle était presque arrivée au haut des marches lorsqu'elle s'aperçut que le Vicomte, ralenti par le poids de son armure, peinait à la suivre. Elle attendit qu'il l'eut rejointe pour passer la grande porte, plus lentement. Elle lança un discret coup d'oeil circulaire à la salle richement décorée et à la table chargée de victuailles. Une petite collation, disait-il...
Elle fit encore quelques pas à l'intérieur, puis se tourna vers son jeune hôte, dont le regard laissait transparaître une légère nervosité. Elle esquissa un sourire presque imperceptible et poursuivit la conversation en s'efforçant de paraître moins abrupte.

"Je ferai en sorte de ne pas vous retarder dans vos préparatifs de campagne au-delà du strict nécessaire. Dans votre missive, vous laissiez entendre que vous pouviez requérir quelque assistance. De quelle aide avez-vous besoin ? Et contre quel ennemi ?"

#4 2017-12-28 20:36:42

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Charles avait le souffle coupé. Il ne s'était pas attendu à ce que la Dame le devance dans les escaliers ni qu'elle les grimpe à ce rythme. Obligé de la suivre, il avait tenté de la rattraper aussi vite et dignement que possible. Hélas peu habitué aux efforts de ce genre, elle l'avait distancé. Pire! Elle s'était arrêtée pour l'attendre et ce geste volontairement condescendant le rendait ridicule. Il se dit que la Dame avait fait exprès de l'humilier devant ses capitaines et le plus gros de ses troupes et se demanda si cette idée d'invitation n'était pas la pire qu'il avait eu dans sa jeune carrière de vicomte.
La Dame n'avait pas digéré la prise de sa province et se vengeait.
Pendant la minute ou il reprenait haleine, Charles pensa même que l'attaque du marquis Adelard pouvait venir d'elle.
Mais il relégua cette idée au rayon des fantasmes et préféra faire comme si rien ne s'était passé en bombant le torse et en faisant les honneurs de son logis.

Vous ne me retardez pas Duchesse. J'ai beau être sur le pied de guerre, mes moyens ne me permettent pas, à l'heure ou je vous parle, de lancer l'offensive contre le marquis Adelard qui m'a odieusement attaqué. Il est accompagné par son vassal, un petit vicomte de rien du tout mais qui lui apporte de quoi surclasser mon armée. J'ai de quoi faire tomber les hauts murs derrière lesquels il se terre, mais il est capable de mobiliser soixante mille hommes que je n'ai pas.

J'ai pu comprendre, à notre prise de contact, que nous avons la même vision des choses. Nous détestons tous deux nous faire attaquer. Je vous ai déjà exprimer mes regrets au sujet de la forteresse de Fort port-lointain et je réitère mes excuses. Puisque les curieuses lois d'Okord me désignent comme légitime propriétaire de cette province et que vous ne pouvez me la reprendre par la force, je vous propose de vous la céder contre votre aide.
Permettez-moi de me venger du marquis et de son vassal et je vous la restitue.
Que me faut-il en vérité?
Ma foi, rien de ce qu'une duchesse, dirigeant un clan aussi puissant que le vôtre ne saurait trouvé.
Une trentaine de milliers d'hommes environ et de quoi les nourrir dix jours devrait suffire à combler mes voeux.

Mais passons à table, il y a un excellent gigot de chevreuil qui ne demande qu'à être dégusté. On parle mieux l'estomac plein. Excusez-moi de ne pas inviter votre escorte, mais je préfère vous entretenir en tête-à-tête.

Charles présenta une chaise en bout de table à la duchesse et s'en vint de l'autre côté, de sorte qu'ils étaient distants d'une dizaine de mètres. Les portes refermées la pièce se retrouva à nouveau plongée dans la pénombre, que deux grands lustres, pourtant couverts de bougies, avaient du mal à chasser. Le vicomte claqua des doigts frénétiquement pour qu'on serve du vin et qu'on vienne lui retirer la cuirasse qui l’embarrassait. Puis, une fois installé, il héla son invitée.

Ne faites pas de manière avec moi, ma Dame! Faisons comme à la bonne franquette! Alors que pensez-vous de ma proposition?

#5 2017-12-29 00:31:21

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Elverid s'installa sur la chaise que le Vicomte lui indiquait et commença à grapiller dans l'assiette qu'un serviteur venait de remplir et qu'elle n'arriverait probablement pas à vider. Elle parvenait à peine à distinguer son interlocuteur plongé dans la pénombre à l'autre bout de la table, à une distance qui rendrait la conversation malcommode. Mais le jeune homme devait avoir besoin de créer ces conditions pour se sentir à l'aise dans son difficile rôle de maître des lieux.

"Messire Charles, personne n'aime être attaqué. Mais nous sommes tous deux des chefs de clan, et cette fonction nous impose de savoir faire preuve de pragmatisme. Si vous me restituez la province de Rivesbrutes, je ne récupérerai pas pour autant la légitimité pour la posséder, et tôt ou tard, quelqu'un d'autre s'en emparera.
Concernant l'aide que vous me demandez... Mon clan n'a pas encore totalement reconstitué ses forces armées depuis l'assaut de Guillaume d'Antipolis sur ma capitale. Il faudra faire intervenir un ou plusieurs de mes vassaux... au risque d'entraîner une généralisation du conflit à une guerre de factions.
"

La matriarche s'interrompit quelques secondes pour chercher ses mots.

"J'ai l'intention de vous aider. Mais pas forcément de la manière que vous espériez. Examinons la situation. Le marquis Adelard a-t-il continué à vous poursuivre après la première attaque ? Et quelles peuvent être ses motivations ? A première vue, cela ressemble à un de ces osts opportunistes que mènent certains suzerains sans autre but que de faire gagner de l'honneur à leurs vassaux. Un seigneur isolé est une cible de choix pour ce genre d'action.
Reste à examiner les différentes solutions envisageables, et leurs conséquences. J'en vois au moins trois.
La première est celle que vous proposez : vous venger avec l'aide d'un ou plusieurs alliés. Mais connaissant votre adversaire, elle risque de vous entraîner dans une chaîne sans fin de batailles de plus en plus sanglantes. Les araldiens ont tendance à faire intervenir leur suzerain lorsqu'une situation de conflit tourne à leur désavantage. Mes vassaux et moi avons pu le vérifier récemment.
Vous pouvez également choisir d'intégrer une confrérie. Cela ne suffit pas à dissuader toutes les attaques, mais au moins, en cas de difficulté, vous auriez une assistance immédiate, militaire ou diplomatique selon la situation. La confrérie du Cygne serait honorée de vous compter parmi ses membres. Si cela vous convient, bien sûr.
Enfin, la troisième option serait de faire valoir votre casus belli et de contraindre ainsi votre ennemi à un combat singulier. Vous avez bien dit que sans son vassal, ses forces n'excédaient pas les vôtres ? Mais vous devez bien avoir une raison logique d'écarter cette possibilité.
"

#6 2017-12-29 13:10:09

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Charles soupira d'aise à entendre la duchesse lui donner du "chef de clan". Lui-même avait du mal à se considérer comme tel. Même s'il avait hérité de son père, le titre ronflant de Grand Maître de l'Ordre des gardiens du sanctuaire, il savait bien qu'il ne représentait que lui-même et que personne à Okord ne prenait son Ordre au sérieux. Peut-être l'attaquait-on  pour démontrer qu'il était bien incapable de garder quoi que ce soit, même pas ses propres commanderies.   

Il exulta quand Elverid lui fit part de son intention de l'aider, mais sa joie fût de courte durée. Ainsi le grand clan du hibou était-il dans l'embarras de lui fournir quelques milliers d'hommes et s'inquiétait de la possible généralisation d'un conflit.
On pouvait en toute impunité l'attaquer, mais lui, risquait de se mettre tout Okord sur le dos en cherchant simplement à se venger?
Un  duel! Encore fallait-il que le marquis accepte le principe de ce duel! Comment pouvait-on être sûr qu'il ne tricherait pas.
Un fourbe qui vous attaque sans raison, par surprise et qui vous détruit deux fiefs coup sur coup est capable de toutes les bassesses. Possible qu'il se soit agit d'une petit attaque opportuniste, histoire de distraire son vassal, mais c'en était que plus grave aux yeux de Charles. C'était une sorte d'appel au lynchage collectif. Venez attaquer ce petit vicomte, il est incapable de se défendre. Tout ce qu'il sait faire, c'est pleurer dans son coin en salissant ses chausses! Ne pas répliquer, c'était prouver au reste du royaume qu'attaquer le jeune Charles de la Pétaudière était sans risque, ni conséquence.
Alors se cacher au sein d'une maison? Chercher l'appui du cygne? Se lier peut-être d'amitié, mais se lier surement pieds et poings!
Avec l'Eglise, Charles avait compris le véritable sens de la fraternité.
Une confrérie lui apporterait le même soutien.
La mine compassée de frères en deuil, des condoléances attristées, un peu de réconfort moral, des aides financières pour rebâtir et avaler la pilule et par dessus tout des conseils de prudence. Ne pas faire de vague! Ne pas réveiller le lion qui dort!

Et s'il avait, lui, envie de lui mettre un grand coup de pied au cul, à ce lion prétentieux.

Trente mille hommes, est-ce si difficile à trouver?
On les rassemble quelque part sur le continent, chez un de vos vicomtes, on se prête serment le temps de l'opération. On arrive chez ce fat, on lui rase son fief et on lui détruit son armée. Que peut-il s'ensuivre d'après vous?  Va-t-il aller pleurer dans les jupes de Lady Summer et se ridiculiser davantage?
De toute façon, la suite me regarde et si je juge plus prudent de chercher l'appui de quelque grand seigneur, je le ferai.
Votre clan n'apparaitrait même pas dans l'opération.
En échange, je vous laisse une province dont je n'ai que faire et que j'ai pris par pure opportunité pour redonner confiance à mon armée. 
Honnêtement, ma Dame, je ne vois pas d'autre moyen de m'aider.
Il ne s'agit pas de stratégie ni de politique. Comprenez bien que je ne peux simplement pas laisser l'affront qui m'a été fait impuni. Ce serait la porte ouverte à tous les débordements.
J'ai été attaqué par le vicomte Loutr, il y a quelques temps de cela. Ce seigneur est désormais dans mes geôles et sera bientôt jugé pour hérésie et, grâce à la clairvoyance de l'inquisiteur chargé de son procès, promptement envoyé au bûcher.
C''est ce genre de démonstration qui éloigne les vautours, et rien d'autre.
La secte d'Yggnir est une engeance. C'est la lèpre de ce royaume. Il faut bien que quelqu'un s'en occupe!

Charles ponctua sa dernière phrase par un rire nerveux accompagné de tics. Quand il s'énervait, le jeune vicomte était pris d'un mouvement convulsif de l'épaule gauche et de clignements incontrôlés des yeux.

#7 2017-12-30 00:01:05

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Elverid plissa les yeux. Elle pouvait percevoir une certaine agitation dans la voix de son interlocuteur, mais la faiblesse de l'éclairage l'empêchait de distinguer avec précision les spasmes qui secouaient le jeune vicomte. Elle ne savait plus quoi penser de ce gamin. Si peu d'expérience et autant de certitudes... ou peut-être une crainte de perdre la face qui primait sur toute autre considération ?

"Vous êtes un peu trop catégorique au sujet des adeptes d'Yggnir. Vous l'ignorez peut-être, mais je compte quelques-uns d'entre eux parmi mes compagnons d'armes : la confrérie du Cygne regroupe des représentants des trois religions. Cependant, ce n'est pas le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.
Je comprends votre point de vue quant à la nécessité de vous venger d'une attaque subie. Mais je tenais tout de même à m'assurer que vous possédiez bien toutes les informations nécessaires pour prendre la meilleure décision. Vous dirigez un vaste domaine et une armée puissante, et cela implique de lourdes responsabilités. L'avenir de votre clan repose sur vous. Vous devez certes vous faire respecter afin d'assurer la sécurité de vos gens, mais vous devrez également agir avec mesure, et savoir arrêter la guerre quand il le faudra pour ne pas épuiser vos armées et vos ressources, ni vous faire d'ennemis héréditaires.
Sachez également que mes inquiétudes quant à une réponse disproportionnée de la part d'Arald ne sont pas sans fondement. Tout le monde ne partage pas votre crainte du ridicule. Pour certains, quelques quolibets sur leur lâcheté réelle ou supposée pèsent bien peu face à la certitude d'une victoire totale. Et sans vouloir vous offenser, les mines du pays de Karan ne sont pas un endroit pour vous.
Je parlerai de votre proposition à ceux de mes vassaux qui sont membres de votre église. Je ne peux pas m'engager à leur place, mais je pense qu'au moins quelques-uns d'entre eux seront disposés à vous aider, à condition que vous ne tentiez pas de les entraîner dans une guerre de religion.
"

#8 2017-12-30 01:45:16

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Des ennemis héréditaires ?
Ainsi, ma Dame, il faudrait laisser mes commanderies se faire piller impunément pour ne pas déplaire à ceux qui m’attaquent de peur de m’en faire des ennemis ? Voilà un raisonnement on ne peut plus singulier ! Je m’en prends aux disciples de l’ignoble secte d’Yggnir pour la bonne raison qu’aucun autre seigneur d’aucune autre religion n’a jamais attaqué nos terres, à part évidement votre duchesse Carmen, qui comme chacun sait, est une fervente adepte de notre Eglise, mais une plus grande adepte encore de son propre pouvoir.  Une forte femme qui n’a pas hésité à prendre de force les possessions de mon père dans le Sudord. Encore avait-elle une raison de le faire !
On fait les guerres qu’on peut, Duchesse, et les ennemis ne manquent pas, héréditaires ou non ! Il n’y a pas de jours que je ne perçoive des rumeurs de batailles, lors même que l’émissaire d’Abrasil nous visite en prélude à une grande invasion des légions de l’Empereur, qui ne manqueront pas d’achever les maigres forces que la Horde nous aura laissé après son passage. Le royaume d’Okord est un bain de sang perpétuel et le mot paix n’a aucun sens en ces terres.
Quel risque y a-t-il à offenser un grand seigneur ? Pas plus que de rester poliment dans son coin ! Un seigneur d’Okord n’a pas besoin de raison pour piller son voisin, sa soif d’honneur lui suffit.  Mon père à visité les geôles de nombre d’entre eux, à qui il n’avait rien fait, mais que l’envie d’une expédition nocturne avait pris soudainement.
Votre maison ne compte que deux adeptes de notre Eglise. Sœur Carmen et frère Thémistocle. Leurs possessions se situent principalement dans le Sudord et sont fort mal placés pour une attaque sur Mont Arald.  Je pensais plutôt à un vicomte ou un baron fortuné qui aurait du répondant en matière militaire et qui pourrait rejoindre mon armée en me prêtant serment le temps de la bataille. Il est clair que la chose doit se faire sous mon commandement.
Mes fiefs sont bien placés et je dois porter la responsabilité de l’attaque. Le dernier argument est même une condition sine qua non ! Il ne manquerait plus que je délègue ma vengeance a une tierce personne.

Charles se mit à s'esclaffer de sa sortie comme s’il s’agissait d’un mot d’esprit. C’était un rire curieux. Une suite de Ah bruyants, espacés, expectorés comme des éternuements et qui allaient crescendo au fur et à mesure que le vicomte mesurait davantage son bon mot. Son rire mourût presque aussi soudainement qu’il était né et avec le plus grand sérieux, il continua :

La vicomtesse As’Gryf possède des terres sur le continent ! Ainsi que la vicomtesse Sheeana.
Elles ne sont pas adeptes de Podeszwa, qu’à cela ne tienne ! Elles ne doivent pas être bien plus ferventes des dieux qu’elles affichent ! Les Dames ne sont pas très versées en religion, c’est bien connu ! La foi est affaire d’hommes. Vous-même êtes confite dans le matérialisme d’après ce qu’on m’a dit.  Il n’y aurait donc pas incompatibilité. Et puis si nous ne voulons pas déclencher de guerre sainte, il vaut mieux ne pas mêler l’Eglise à ça, pas vrai ?

Il repartit dans son rire à répétition.

#9 2017-12-30 22:13:04

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Elverid serra le poing sous la table. Le rire convulsif de son hôte commençait à lui porter sur les nerfs, tout comme certains de ses propos. "La foi est affaire d'hommes". Forcément. C'est bien moins fatigant de passer ses journées à psalmodier dans un temple que de s'acquitter de toutes les tâches ingrates, mais nécessaires, du quotidien. Et voilà qu'il parlait de matérialisme. Que croyait-il ? Que le confort dont il s'entourait et les victuailles sur sa table avaient surgi du néant à l'incantation d'un prêtre ? Elle se leva, les deux mains posées sur le bord de la table, et fixa le vicomte de ses yeux qui lançaient des éclairs.

"Jeune homme ! Je ne suis confite dans rien du tout, j'étudie les sciences. Depuis mon plus jeune âge, j'apprends chaque jour des choses nouvelles, dans des traités collectés au cours de mes voyages ou en menant mes propres recherches. Quant à vous... Vous avez lu quatre livres et vous croyez tout savoir sur le monde ?"

Les mots de la matriarche résonnèrent dans la vaste salle. S'apercevant qu'elle avait un peu trop élevé la voix, elle s'efforça de poursuivre sur un ton moins professoral.

"Cependant, vous avez raison sur un point : Okord est une terre de guerriers... Il semblerait que je ne me sois pas exprimée assez clairement. Je ne cherche pas à vous convaincre de renoncer à toute vengeance. Je vous recommande seulement de l'exercer avec mesure et discernement. Lorsque vous mènerez vos offensives, surveillez avec la plus grande vigilance les mouvements de votre adversaire, et également ceux de ses alliés. Il vous faudra être préparé à tout et adapter votre stratégie en permanence. Vous êtes entouré de généraux expérimentés, n'hésitez pas à vous appuyer sur eux et à prendre conseil. C'est preuve de sagesse que de savoir reconnaître et utiliser les compétences de ceux qui vous entourent. Et ne vous acharnez pas en pure perte si l'ennemi reste insaisissable ou si vous constatez que vous courez à une défaite certaine. Dans bien des cas, on est amené à accepter une issue diplomatique après quelques escarmouches peu significatives. L'important est d'avoir montré qu'on savait prendre les armes."

Tout en parlant, Elverid s'était avancée lentement en longeant la table. Elle se tenait à présent debout face au vicomte, à une distance assez courte pour distinguer nettement ses traits.

"Je relaierai votre proposition aux jeunes vicomtes et barons du Cygne, mais je ne leur imposerai rien. Je veux aussi que vous compreniez une chose : en vous soutenant dans votre projet, j'aurai une part de responsabilité morale dans vos actions et leurs conséquences, peu importe que mon nom ou celui du Cygne soit cité ou non. Je détesterais que vous vous retrouviez aux travaux forcés au fond d'une mine insalubre pour n'avoir pas su quand ravaler votre orgueil."

#10 2017-12-30 23:11:47

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Alors que la duchesse, visiblement agacée, s'était approchée de Charles, un des capitaines qui se tenait derrière la chaise de son suzerain, estimant qu'elle pénétrait dans un espace interdit, fit un pas en avant et empoignant son épée, la dégagea de son fourreau d'une dizaine de centimètres.
Le jeune homme fit un geste de la main pour stopper son geste.

Doucement, Foulques, la matriarche n'a pas de vilaines intentions. Au contraire, elle est en train de me donner une leçon de stratégie. C'est une Dame d'expérience! Il faut toujours écouter les anciens, ils portent la sagesse du monde. Il est vrai que je n'ai lu que quatre livres, mais cela suffit amplement pour comprendre la vie. Vous devriez les lire, duchesse, cela manque à votre culture.

Un autre de ses capitaines s'approcha et vint lui chuchoter à l'oreille. Au fur et à mesure du palabre, le visage de Charles s'épanouit. Quand le capitaine, ayant finit de transmettre son message se redressa, le jeune homme se mit à trépigner d'excitation. Puis il frappa la table violemment à plusieurs reprise en criant: " OUI! OUI! OUI....."
Puis s'adressant à la duchesse, un grand sourire aux lèvres:

Mon armée est de retour de Mont Arald. Il ne reste plus pierre sur pierre du puissant château de ce marquis de malheur. Le couard a fui! Je n'en attendais pas moins d'un soi-disant Fort d'Yggnir. Ils ne sont forts qu'à vingt contre un, ou pour s'attaquer à des femmes et à des enfants. Il a tenté de s'en prendre à la commanderie de Ronceval, d'où était partie l'attaque, mais a dû renoncer.
Vous voyez que mes lectures ne m'empêchent pas de briller sur les champs de bataille.
Mais je vais suivre vos conseils avisés, ma Dame!
Dites à vos barons qu'il y aura de l'honneur à me suivre dans la guerre qui s'annonce. Elle sera propre! Je ne ferai empaler que les Huskarls et je purifierais les impies par le feu, des sorte qu'ils iront tout droit au Paradis!

Il fit encore raisonner son rire intempestif.

Mais en attendant je vais ravaler de ce chevreuil!
Vous avez bien raison, il est excellent!

Il se pencha en avant pour prendre à deux mains le cuissot ruisselant de sauce et y mordit à pleines dents, devant la duchesse, pétrifiée.

#11 2017-12-30 23:38:31

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

La matriarche resta un instant perplexe devant l'aplomb de ce gamin fin comme une brindille, émotionnellement instable... et si pressé de devenir un chef de guerre. Il lui restait une dernière inquiétude à dissiper.

"Messire Charles... Je vais vous poser une question de simple curiosité, et vous n'êtes pas obligé d'y répondre si vous la trouvez dérangeante. Avez-vous déjà pris part en personne à un affrontement armé, et si ce n'est pas le cas, comptez-vous le faire ?"

Dernière modification par Elverid (2017-12-30 23:58:27)

#12 2017-12-31 13:12:48

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Ma Dame, je ne saisi pas bien le sens de votre question. Ne m'avez-vous pas vu équipé en guerre?
Je suis bien entendu sur le champ, quand j'en ai l'occasion. C'est la place d'un chef. D'ailleurs si je n'étais pas là, Podeszwa ne protégerait pas mes hommes comme il le fait.

Je les encourage et ma seule présence est une assurance de victoire.

Quant à donner des coups d'épée, je laisse ce soin aux soldats. Ils font ça bien mieux que moi. J'ai toujours eu horreur des armes et du sang.

Je suppose que vous faites de même. Tous les seigneurs d'Okord prétendent se battre au milieu de leurs hommes mais c'est une légende. Si c'était vrai la mortalité serait grande parmi la noblesse. Or les seigneurs d'Okord meurent dans leurs lits, quand bien même ils auraient fait tuer des centaines de milliers d'hommes sous leur commandement, ou alors d'une chute dans les escaliers. Ainsi le vicomte Loutr, ce puissant seigneur fort comme un boeuf...Nous l'avons retrouvé dans un des chariots de ravitaillement dans lequel il se cachait. Croyez-vous qu'il se serait battu aux cotés de sa garnison et aurait accepté d'en subir le sort? Que nenni!

D'ailleurs, ça m'arrange. Je vais pouvoir le faire rôtir à petit feu.

Puis comme si cette idée avait fait germer une image dans son esprit, le regard de Charles se perdit dans un horizon lointain. Son visage était toujours tourné vers le duchesse mais il ne la voyait plus. Il continuait pourtant à parler mais avait totalement changé de sujet. Il réfléchissait à voix haute.

Une rôtissoire! Je me demande ce qu'en penserait frère Konrad! Ce serait quand même plus drôle qu'un simple bûcher. Et puis on verrait mieux. L'ennui avec le bois, c'est la fumée. En partant sur un lit de braises on devrait arriver à faire durer le supplice. Il suffirait de le faire descendre lentement à l'horizontale et de le faire tourner. Je suis sûr que c'est encore plus efficace pour chasser le démon. Il faudra que j'en parle...

Soudain, dans un brusque retour à la réalité,  il discerna, à nouveau, les traits de la duchesse et, sur le moment, eût un léger mouvement de recul, comme si la présence de la Dame le surprenait. Mais il retrouva ses esprits et lui fit un large sourire. Il détourna la tête pour crier à qui voulait bien l'entendre:

Notez! Rotissoire pour le vicomte, avant que je n'oublie!

Puis se tournant à nouveau vers la Dame:

De quoi parlions-nous, duchesse?

#13 2017-12-31 16:58:15

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

"Nous parlions de la place d'un seigneur sur les champs de bataille. En fait... les chefs de clan combattent avec leurs troupes plus fréquemment que vous ne le pensez. S'ils sont si peu nombreux à s'y faire tuer, c'est parce que le blason qu'ils portent leur permet d'être identifiés facilement et que leurs ennemis préfèrent généralement les capturer vivants pour en tirer gloire et rançon. Autrefois, le Roi Molag a été trucidé par erreur au milieu de ses hommes, et le soldat fautif a fini étripé sommairement par son propre chef."

La matriarche s'interrompit un instant. Parler des guerres présentes ou passées faisait remonter à la surface beaucoup de lointains souvenirs.

"J'ai mené des troupes au combat à plusieurs reprises, et officié comme médecin de guerre à chaque fois après les affrontements.
Dès ma première expérience de commandement, je me suis retrouvée au milieu du chaos d'un champ de bataille, et heureusement que j'avais appris à manier l'épée...
Je n'étais pas encore matriarche, à l'époque, mais j'ai gardé l'habitude de rester au plus près des combats lorsque je mène une offensive. Cela me permet d'intervenir plus vite auprès des blessés une fois que la bataille est terminée.
"

Elverid plongea à nouveau un regard sévère dans les yeux du jeune vicomte.

"Concernant ce seigneur Loutr que vous voulez faire rôtir... Vous comptez vous le faire servir à table, aussi ? Je ne vois pas l'intérêt d'écraser de la sorte un ennemi déjà vaincu. De telles pratiques inutilement sanguinaires ne vous grandiront pas.
Imaginez qu'un jour, vous soyez capturé par un de vos ennemis et qu'en sachant de quelle façon vous traitez vos prisonniers de guerre, il décide de vous faire subir à vous aussi des traitements aussi indignes. Condamner les autres, c'est un peu se condamner soi-même...
"

#14 2018-01-01 02:51:04

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

C'est parce que vous ne connaissez pas Ciemnota et ses détours.
Le mal est partout, Dame Elverid. Il est la contrepartie malsaine de l'oeuvre de Podeszwa. Pour toute chose magnifique que le créateur à fait, il existe son pendant hideux. Cette dualité existe aussi bien dans la nature que dans l'homme.
Un homme est naturellement attiré par Podeszwa. Les enfants sont toujours émerveillés par le beau et l'harmonie, mais le temps et la rudesse du monde en font des hommes endurcis, des guerriers violents, des barbares qui ne goutent plus le parfum d'une fleur et sont incapables de s'attendrir à un coucher de soleil.

Petit à petit, Ciemnota envahie leur coeur. Le vice s'infiltre en eux et ils deviennent concupiscents, fourbes et menteurs. Ils se mettent à convoiter les biens d'autrui, recherchent les plaisirs pour le plaisir, ne craignent plus les dieux et se roulent dans la fange. Et quand Ciemnota les possède totalement, comme le seigneur Loutr,  ils deviennent disciples de sectes sanguinaires et idolâtrent des icônes de bois pour lesquelles ils font des sacrifices humains.

Quand le démon les tient, il n'y a plus que le feu purificateur pour le chasser.

Avez-vous jamais assisté à une purification par le feu? C'est un spectacle magnifique à l'image de la délivrance qu'elle offre à l'âme torturée du purifié. Les cris que l'on entend sont ceux du démon qui sait bien qu'il doit quitter le corps qu'il possédait. Ce ne sont pas des cris humains.
Vous vous trompez totalement sur la nature de l'âme car vous ne devez pas la connaître.
Mais c'est ce que nous avons de plus précieux. C'est ce qui nous rapproche de Podeszwa. ce qui nous lie à lui. Nous ne sommes pas faits uniquement de chair et d'os.
Quand nous libérons un homme du démons qui a souillé son âme, en l'offrant au feu purificateur, nous le sauvons.

Le corps n'est rien, pas plus que la vie terrestre. Encore faut-il avoir la foi et marcher dans la lumière de Podeszwa, ce dont une mécréante comme vous est incapable. C'est pourquoi je vous invite à lire le Podreznik. Vous en apprendrez plus sur la création, la vie, et l'âme, sur le Dieu unique et sur vous-même, qu'avec toute votre science.

#15 2018-01-01 21:13:16

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

"Mécréante". Le mot était lâché. D'autres disaient "sorcière". Des paroles censées être offensantes, mais dont Elverid s'était toujours amusée. Tout comme elle s'amusait à présent de l'impudence candide de ce gamin qui lui donnait un cours magistral de théologie.
Les ouvrages dont il parlait, elle avait eu l'occasion de les parcourir des années auparavant, durant son séjour à Pankhord. Elle y avait retrouvé un certain nombre de notions de philosophie qu'elle connaissait, formulées dans des termes qui les rendaient accessibles au plus grand nombre... et faciles à détourner de leur sens premier.

"Au risque de vous étonner, jeune Vicomte, les concepts dont vous me parlez me son connus. Je leur donne simplement un autre nom.
Tout être humain porte en lui une part de violence et d'instincts primitifs. Je connais la mienne, je sais la maîtriser et m'en servir quand c'est nécessaire. Mais je suis aussi herboriste, j'ai souvent utilisé mon savoir pour soigner des malades et des blessés de guerre, et je hais la souffrance inutile. J'ai toujours pris soin de ne pas m'y habituer. Aussi étrange que cela puisse vous paraître, c'est bien la discipline mentale acquise en étudiant les sciences qui me permet de maintenir ma part d'ombre sous le contrôle de ma raison.
Les préceptes religieux, pour ce que j'en ai compris, devraient également remplir ce rôle. Je m'étonne toujours de la façon dont ils peuvent être utilisés pour condamner certaines violences et, du même coup, en légitimer d'autres.
Ce vicomte Loutr vous a attaqué et vous avez exercé votre droit de vengeance. Jusque là, rien d'illogique. Mais regardez-vous, à présent. Vous vous réjouissez d'avance de la lente agonie de cet homme, comme d'un spectacle. Vous réfléchissez même à des moyens de la rendre encore plus longue et plus pénible. Se venger de ses ennemis est une chose, prendre plaisir à les torturer en est une autre. Vous vous engagez là sur une pente dangereuse. Êtes-vous certain que c'est votre dieu qui vous inspire de pareilles pensées ?
"

#16 2018-01-02 10:54:03

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Charles écoutait le discours lénifiant de la duchesse avec un air de commisération. Il connaissait par coeur les arguments des impies et ne s'y laissait pas prendre. Son précepteur, Konrad de Marbourg, lui avait bien expliqué comment les raisonneurs, ennemis de la foi, usent de leur soi-disant science pour détourner les croyants. 

Vous croyez que ces idées viennent de moi, alors qu'elle me sont directement dictées par Podeszwa. A nier l’existence de Dieu, les esprits forts se ferment à sa voix. Ils rejettent tout ce qui n’est pas construction de leur logique et s’interdisent d’imaginer qu’ils puissent être dominé par un être supérieur dont le savoir est si vaste qu’il est inaccessible à l’homme.
C’est grande vanité que de s’imaginer supérieur au Dieu créateur de toute chose et de décider en ses lieux et places ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.  Quel que soit la puissance de votre esprit, ma Dame, il n’est rien comparé à Podeszwa et ne saurait percer les mystères que lui seul détient, puisqu’il a créé le monde.
Ce n’est pas par l’esprit que l’on parvient à connaître le monde, mais bien par la foi et la prière qui donne accès au savoir immense de Podeszwa
Apprenez ma Dame que je parle à Podeszwa et qu’il me répond.  Podeszwa m’a redonné vie alors que je me mourrais. Il m’a ramené d’entre les morts pour me donner la mission sacrée de combattre Ciemnota. Il m’a donné la faculté de l’entendre et de le comprendre. Je suis l’élu, comprenez-vous ?
Comment, dès lors, puis-je mal interpréter ses messages ?
Je ne vous en veux pas de douter, c’est le propre des esprits forts qui refusent l’aide de Podeszwa et prétendent avancer seuls dans la nuit. A force de se heurter aux murs, ils finissent par tâtonner avec prudence.
Je marche, moi, dans la lumière de Podeszwa.
Mais vous ne pouvez pas comprendre.

Charles se leva et demanda à ce qu'on lui revête, à nouveau, son armure.

Allons! Trêve de philosophie ! Je n’ai pas l’intention de vous convertir et vous n’êtes pas là pour me donner des leçons d’herboristeries.
Retournons sur terre ! Nous avons un pacte à sceller.
Quand puis-je compter sur les troupes de vos vassaux ?

#17 2018-01-02 22:55:10

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Selon la manière dont on l'aborde, une religion peut élever l'esprit ou le garder confortablement enfermé dans un cocon de dogmes qui lui évite d'être confronté aux doutes de l'existence. Le jeune Charles avait manifestement choisi la seconde option. Aussi borné que son vieux père. La ferveur religieuse de cette famille confinait au fanatisme. Tout ce qui ne relevait pas de leur foi leur paraissait incompatible avec cette dernière.

"Je ne me crois supérieure à personne et je n'ai certainement pas la prétention d'arriver un jour à tout savoir. La première chose qu'on apprend quand on étudie les sciences, c'est justement qu'on n'aura jamais fini d'apprendre.
Et si je me méfie autant des religions, c'est parce que j'ai constaté que certains prédicateurs les détournaient de leur fonction première pour en faire des instruments de pouvoir. Les prêtres et les druides ne sont que des hommes, aussi faillibles et corruptibles que les autres, et qui peuvent être tentés d'abuser de leur autorité morale.
Mais en effet, revenons à des préoccupations plus terre à terre. Comme je vous l'ai déjà expliqué, je relaierai votre proposition à mes vassaux dès mon retour sur mes terres, et ils prendront leur propre décision. Je ne prends jamais d'engagement en leur nom sans les avoir consultés. De mon côté, je vous fournirai autant de nourriture que je pourrai pour vos campagnes.
Concernant la restitution de la province de Rivesbrutes, rien ne presse. Tant que vous la garderez, personne d'autre ne pourra s'en emparer. Si je la récupérais en l'état actuel des choses, j'aurais à nouveau davantage de terres que ne me le permet mon titre. Nous verrons après la bataille si l'un des vassaux du Cygne peut la détenir légitimement. Et dans le cas contraire, il faudra trouver une autre solution.
"

La matriarche fit quelques pas de plus vers le jeune vicomte à nouveau engoncé dans son armure.

"Je vous ferai parvenir une réponse définitive aussitôt que possible. Peut-être pourrais-je vous inviter au Pic du Hibou à cette occasion ?"

#18 2018-01-03 02:09:33

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

Traverser le Grand canal? Je vous avouerai, ma Dame, que l'idée ne m'inspire pas beaucoup. Je suis malade en bateau et j'ai une confiance très limitée dans les marins. Je n'ai d'ailleurs jamais mis un pied à Fort Port-Lointain pour cette raison.
Envoyez-moi votre réponse et nous trouverons bien un autre lieu pour nous revoir. Peut-être pourrez-vous m'inviter chez un de vos vassaux situé sur le continent.

En attendant, je vous souhaite un bon séjour parmi nous. J'ai ordonné qu'on prépare une petite fête en votre honneur. C'est en plein air. Il y aura des joutes et de la lutte. Vos hommes peuvent participer si ça les amuse. Je vous laisse en compagnie de mes capitaines qui vous reconduirons à votre escorte. Quant à moi, je vous abandonne pour quelques instants, c'est l'heure de la prière, je me retire dans ma chapelle. Je vous rejoindrai plus tard.

Charles fit quelques mouvements pour s'assurer de la bonne position de sa cuirasse.

La chapelle est à l'extérieur du château. Je vais passer devant quelques unes de mes troupes. Ils aiment bien me voir en chef de guerre. Précisa-t-il pour justifier son étrange habit de prière.

Il fit une révérence à la duchesse et tourna les talons.

#19 2018-01-03 18:50:46

Elverid

Re : Un rapprochement inattendu...

Pendant que le jeune Charles s'éloignait, Elverid s'adressa au capitaine de la garde qui avait voulu tirer son épée lorsqu'elle s'était approchée.

"Je pourrais aussi prendre part à quelques passes d'armes. Vous paraissiez en avoir envie, tout à l'heure."

Le soldat ne répondit pas et se contenta d'accompagner la matriarche au-dehors, où elle retrouva Ezri et la dizaine de chasseresses de son escorte qui attendaient dans la cour du château. Les soldats du Vicomte jetaient, de temps à autre, quelques regards perplexes vers ces femmes équipées en guerriers.

"Alors ? Les discussions ont duré longtemps.
- Nous n'arriverons pas de bonne heure aux hospices d'Okord. Nous sommes invitées pour l'après-midi.
- Ah, c'est pour ça qu'ils sont en train d'installer une lice ? Je pourrais peut-être faire une démonstration de tir à l'arc ?
- Tu peux toujours le proposer aux capitaines de la garde."

Elverid retourna vers sa monture et récupéra son gant de fauconnerie. Quelques instants après qu'elle l'eut enfilé, un imposant hibou grand-duc vint s'y poser majestueusement sous le regard étonné du capitaine qui l'avait suivie.

"Cette spécialité de fauconnerie fait la fierté des chasseresses de mon clan. J'ai affaité celui-ci moi-même et je l'ai entraîné à me suivre à distance. Pensez-vous qu'une démonstration pourrait intéresser votre jeune maître ?"

#20 2018-01-06 21:16:53

Charles de La Pétaudière

Re : Un rapprochement inattendu...

La capitaine eût une moue dubitative.

Je ne suis pas à la place du comte et ne saurais vous dire s'il apprécierait cet exercice, mais il n'est pas très versé dans l'art de la cynégétique. Il n'est pas très bon cavalier et déteste les animaux. Sans être interdite, la fauconnerie n'est pas pratiquée chez nous. Cependant je suppose le comte capable de prendre sur lui, pour ne pas vous froisser. Je vous recommande toutefois de ne pas trop l'approcher avec votre oiseau.

Il invita la duchesse à s'approcher des lices. Il s'agissait d'un terrain carré d'une centaine de pas de cotés, délimité par une vague clôture faite de piquets et de corde, mais surtout par une haie de soldats.
On avait installé des estrades sur un des côtés. Des planches brutes empilées sur des billots de bois que les capitaines et quelques dames avaient pris d'assaut. Deux fauteuils avaient été hissés au-dessus des planches, dominant cet aréopage et attendant les seigneurs qui devaient arbitrer les combats.

Je ne sais si l'espace est suffisant pour votre démonstration.

Pied de page des forums

Propulsé par FluxBB