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#1 2018-01-03 21:50:52

Brezekiel

Griffonades sur un coin de table [Monologue]

La scène qui s'ouvre devant le lecteur est ce que l'on nommerait un effort visuel concentré sur une petite partie du décors.
Une bougie repose sur son présentoir que l'on devine en argent, en accord avec les courbures que prennent les reflets de la flamme sur ce socle orné de guillochages, savamment orchestrés par un maître des forges.
La danse folle de la bougie, charmée par une légère brise émanant d'une fenêtre, probablement qu'on avait dû fermer mal, illuminait une table.
Vélins et autres parchemins dominaient sur ce secrétaire personnel, appartenant certainement à un seigneur de Haut rang [Ou bien était-il d'Alexandrie ?]. On y trouvait aussi des rapports de combats, détaillés au possible, l'un d'eux avait même poussé le vice jusqu'à se couvrir de sang, pour le réalisme de la restitution de la bataille à n'en pas douter.
Dans la pâle lueur du cierge mourant de n'avoir pas été plus long [La taille dans ce cas là, compte], on distinguait une main, faisant virevolter une plume
Elle brettait dans l'air avec assurance, ainsi que son propriétaire semblait mimer un combat contre sa pensée.
Les idées fusaient mais prenaient difficilement forme sur le parchemin grossièrement relié par un fil en fibres de lin, à d'autres parchemins.
Ce n'était pas vraiment un livre mais pas tout à fait un feuillet.
Le noble ne semblait pas sans soucier, le lecteur non plus.
Commençons donc.

- Faire simple, mon percepteur disait toujours qu'il me fallait "faire plus simple, sans être ni direct, ni directif". Je propose donc "BONJOUR, JE CHERCHE UN VASSAL !". Oui voilà, cela est bien ainsi. Le message est compréhensible, compris, on n'ébruite rien et la petitesse de l'intervention marque un dynamisme sous-jacent.

Il attrape le parchemin à deux mains, et le tend devant lui comme pour prendre du recul, se plaçant ainsi que le feraient les braves gens sur la place du marché en voyant l'écrit.

- N'empêche c'est concis, mais c'est court. Trop court ? Trop court...

Il se caressa le menton, dans le temps il devait avoir eu une barbe à cet endroit. Il avait pris le tic de se la repoiler vers l'avant. Ayant désormais dépassé, de peu, la trentaine, il s'était orienté vers une représentation plus noblière de sa fonction administrative. Une fine moustache, propre, concise.

- "Oyez oyez les bouseux et les autres, qui m'aime me suive !"... Et si personne ne me suit, j'aurais l'air idiot. Je devrais pourfendre deux ou trois manants pour affirmer ma détermination. Mais après les bouffons et autres saltimbanques diront que je fais tout pour me faire aimer, jusqu'à tuer. J'aime que l'on meurt de rire à mes contre-pétries, mais que l'ont meurt en vrai ferait mauvais genre. Je devrais prendre l'air désolé devant les familles, proposer de payer les enterrements, et s'ils acceptent il faudra alors que je pille d'avantage de bous... de gens pour me refaire. Père avait raison, diriger c'est ménager la chèvre et le choux. Surtout lorsqu'on est le loup, ajouterait mon fichu percepteur.... Il faudrait les brosser dans le sens du poil, sans couper les cheveux en quatre et surtout en évitant les tirades capillotractées.

On ne distinguait toujours que sa main qui se déplaçait dans l'air comme une colombe chargée de branchages et voulant se poser pour assurer la prospérité de son nid, ou à passer à la postérité, si un peintre la voyait faire. Parfois l'homme se penchait vers le secrétaire pour coucher quelques gouttes d'encre dans d'élégants lettrages, on distinguait alors sa chevelure strictement attachée en catogan à l'arrière de sa tête. L'homme semblait brun, mais quelques cheveux tiraient aux gris, parfois l'un d'eux osait même tendre vers le blanc, mais c'était un acte isolé et fort timide.

- Fichtre que l'exercice est complexe. Trop ou trop peu, jamais trop ou jamais assez. Il m'en faut choisir, des mots, qui soient appropriés. Dans le même temps, je ne souhaite pas recevoir trop de demandes que je devrais savamment éconduire pour éviter de me constituer des ennemis. Ceux que l'on se fait par vexation sont de véritables poux, ils ne vous lâchent pas et se croient légitimes dans leurs remontrances. D'avantage de gens à faire disparaître, l'obligation de payer l'enterrement, donc devoir piller plus pour gagner plus. Très peu pour moi. J'ai ouïe dire qu'un seigneur, fier bouffon de son état, se répandait en poésie afin de se faire entendre. J'ai moi-même été formé à cet art descriptif, peu efficace certes, mais lyrique à souhait et je...

Le cierge, si tant est qu'il en eut une, rendit l'âme.

- Hola de la maisonnée ! Isandre commère à toute heure ! Je vous entends d'ici glousser dans mes couloirs. Je suis dans le noir bonne servante, si vous attendez d'un seigneur qu'il se lève pendant ses efforts de l'esprit pour aller LUI-MÊME quérir un flambeau ou que sais-je, alors...
-Voilà ! Voilà ! Messire. J'en apportais deux exprès pour vous, parfumés à la lavande et la vanille. Mais j'ai été retardé, l'époux de votre laveuse de draps est décédé dans votre dernière bouch... bataille. Je la réconfortais un peu, m'en ferez vous reproche ?

Avec poigne, charisme et assurance, une dame probablement âgée tâtonna son entrée dans la pièce jusqu'au bureau. Elle frotta un rouleau métallique, savamment attaché sur une goupille, une étincelle en jaillit. Une odeur de salpêtre sortie du petit briquet à amadouvier qu'elle tenait dans la main. On vit un bonnet blanc qui tenait ses cheveux longs mais blancs dans un filet proprement rangé sur son crâne. La flammèche sauta sur le nouveau venu, le cierge pas le seigneur.

- Que ferais-je sans vous, ma bonne Isandre ? Je venais de trouver solution à mon problème lorsque l'obscurité me prit.
- Vous feriez pareil, mais dans le noir. Je vous ai plus d'une fois trouvé à parler seul dans une remise ou un recoin du château.
- Je suis dans ma tête la plupart du temps.
- Il s'y passe donc des choses si intéressantes que cela, jeune maître ?
-Oui, et non. Ne m'appellez plus jeune maître, je suis revenu du front en tant qu'homme désormais. J'ai trente deux ans.
-Et j'en aurais toujours trente de plus que vous Brezekiel, vous serez toujours mon jeune maître.
-Allez, zou ! Je ne souhaite pas perdre le fil de mes pensées, dispersez-vous comme vous êtes entrée et laissez-moi à mes occupations.

Le visage attristé, la vieille dame sortie à reculons de la chambre à demie-plongée dans l'obscurité. Elle tira la chevillette et, devinez quoi, la bobinette chut. Elle refermait doucement la porte.

- Isandre... merci pour les cierges, j'aime beaucoup leur parfum...

Elle ne put contenir un sourire. Elle devinait dans la pénombre de l'anti-chambre le regard perçant du Baron qui se posait sur elle avec bonté. Elle racla finalement la porte pour hâter le butoir dans son socle, c'était sa manière de terminer la conversation.

- Cierges... parfums... C'est cela ! Il faut enflammer le peuple et lui faire sentir le goût de la victoire ! Il faut enivrer les consciences, toucher le coeur des hommes... et des dames bien sûr, même s'il est mieux caché. Je dois donc poéter plus haut que mon art, me dépasser. Je pourrais par exemple commencer par... Oui, c'est décidé. Et ensuite je rajouterais...

Il avait désormais les fesses en l'air, comme un enfant penché sur une table pour observer un gâteau cuire dans une marmite. Il écrivait avec intensité et émotion. Il lançait des fentes avant avec sa plume et le papier recevait allègrement les attaques, marqué à jamais de cicatrices que les humains nommaient des vers, des césures et des hémistiches. Il se gratta les yeux après deux bonnes heures d'écriture, de ratures, d'essais infructueux, puis alla se coucher, satisfait de son travail. La scène se resserra alors sur le parchemin. Le deuxième cierge brûlait intensément, distillant son parfum autoritaire sur les rideaux adjacent au secrétaire. Si le lecteur se penchait sur le parchemin, voici ce qu'il en lirait :

- "Proclamation est faite à tous les hommes et dames libres d'Okord,

Suivez moi !
Partagez mon émoi,
Affranchissons-nous des lois,
Devenons les hôtes de ces bois !

Ensemble nous pourfendrons le ciel,
Du trône je vous octroierais le miel,
De votre fortune j'ouvrirais les ailes
De votre nom je ferais une saga bien réelle.

Les océans s'ouvriront en Okord
Lorsque nos arcs déploieront leurs cordes.
Vous et moi arrêterons la horde
Je parviendrais à rétablir l'ordre.

Devenez mes vassaux,
Je garantis que sans vaisseaux
Nous marcherons sur l'eau :
De badauds, nous deviendront des héros !"

Dernière modification par Brezekiel (2018-01-03 21:55:44)

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