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#1 2017-05-26 01:26:45

Carmen

Mendier en robe de soie [Valesia]

L'Immaculée quitta le port de la forteresse d'Inverness au petit matin. Un seul niveau de rame, deux rameurs par banc, deux mâts à voiles triangulaires, parmi les galères c'était la fine fleur de ce qui naviguait dans le Sud du Grand Canal.

En tous cas, c'est ce qu'avait assuré le représentant de la Compagnie Marchande Orcanienne, qui mettait cette fine fleur à disposition de la duchesse Carmen, sans demander le moindre sou en échange. "L'intérêt du royaume passe avant tout". À la demande de la duchesse, ils avaient même fait tout leur possible pour faire ressembler cette galère de commerce un tantinet ventrue à un véritable navire d'apparat, qui puisse en même temps survivre aux épreuves que présenteraient la mer des fournaises. L'éperon avait été renforcé et surmonté d'une figure de proue : un grand Cygne de bois blanc, pris dans les décorations du château de Guarida. Le château de poupe avait été à la fois aménagé comme un palais avec des toiles de soie tendues, des canapés et des chandeliers, et à la fois massivement renforcé, et fendu d'un bon nombre de meurtrières. Enfin, à l'avant, la place avait été dégagée pour placer une bonne grosse baliste.

La Compagnie avait été extraordinairement efficace. Nul doute qu'elle demanderait poliment à Carmen de lui revaloir ce service, à son retour. Si elle revenait. Pour l'heure, les rives décharnées du Sudord défilaient, déjà aspirées par la brume du matin. L'Immaculée filait, droit vers l'Est, avec un bon vent dans son dos en plus de la force de ses rameurs, hommes de métier. Direction, le Califat de Ressyne.

Toujours aussi langoureusement beau, décoiffé par les embruns, le général Lopez faisait son rapport.

« On a de la nourriture pour trois semaines dans les cales, et des ports amis où se ravitailler jusqu'à l'entrée du détroit. Vingt archers, dix chevaliers et quinze strolatz de l'élite de Solède, plus la baliste, et vos deux gardes du corps. Si les deux cogues qui doivent nous rejoindre au delta sont bien partis à temps de Puerto Levante... Et si Podeszwa ne nous destine pas de tempête, nous n'aurons aucun problème, ma dame.
-Bien, bien, général. Jusqu'aux pirates, ça devrait aller. En revanche, j'espère qu'on ne croisera pas de navire de Valésiane ni des Marches, je n'aimerais pas avoir à m'expliquer sur notre destination.
-Sauf vot'respect, madame la duchesse...
-Oui, capitaine ? »

Le capitaine de l'Immaculée était un homme massif, qui tirait sur le boudiné. Il avait la gorge bien flasque du marchand satisfait, et ressemblait au contraire exact du nom de son navire. La Compagnie le lui avait vendu comme un loup de mer incomparable, qui connaissait la mer des Fournaises dans ses moindres remous, et qui avait "le don de sentir le vent tourner". À observer ses petits yeux noirs inquisiteurs, Carmen en venait à se demander à quoi elle devait s'attendre, à propos de ce don.

« ...Si j'puis m'permettre de vous poser la question, madame, qu'est-ce que vous allez lui demander, au calife, sans être indiscret ?
-Vous êtes indiscret, capitaine, lui sourit-elle. Cela rentre dans le secret des affaires d'État. Tout ce que vous avez à savoir, c'est que j'ai l'aval de la reine Morgan pour cette ambassade. »

Mendier. Mendier surtout sans en avoir l'air. Un soutien militaire, une aide logistique, un prêt d'or pour recruter des mercenaires, n'importe quoi qui puisse aider... Le plus grand danger de cette expédition serait le Calife lui-même. Le convaincre d'intervenir en faveur du royaume serait dur ; le convaincre d'intervenir sans qu'il exige des conditions pires que ce que promettait l'empereur d'Abrasil tiendrait de l'exploit.

« Ah, alors, si c'est secret... »

Le capitaine hocha la tête avec une moue de respect, et il prit congé pour gueuler ses ordres.

Dernière modification par Zyakan (2017-07-18 00:25:29)

#2 2017-05-28 18:18:42

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Ressyne...
Le mot résonnait aux oreilles du capitaine, dans toute sa coloration. Ressyne, l'île jamais foulée par les soldats d'Ohm, la seule terre ayant résisté aux Empereurs du Premier Age. L'île inviolée, inconnue, insondable.
Ressyne...
Son nom faisait trembler les marins, et cela se sentait sur le pont. Les hommes manœuvraient sans y mettre de coeur, les gestes lents, murmurant dès que l'officier tournait le dos. Cela faisait plusieurs années que le Califat mettait le feu à la mer des Fournaises, et cela n'était pas un jeu de mot. L'embargo contre la République avait naturellement débouché sur une guerre, et il n'était pas bon de s'éloigner des côtes de l'Ouest pour s'approcher de la grande île. Pas bon du tout...

Dame Carmen était folle, à n'en pas douter.

#3 2017-05-29 13:59:42

Carmen

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Les voiles légers s'écartèrent sur le passage de la duchesse. Dans la clarté diffuse du château de poupe, un homme tout vêtu de noir s'affairait, recourbé sur une pile de livres, secondé par un jeune clerc.

« Où en êtes-vous ? »

Le vieux lettré ne se retourna même pas. Il se contenta d'émettre un croassement agacé. Carmen n'en prit pas ombrage. Elle s'avança tranquillement, effleurant les tentures de ses doigts, et contourna la table jonchée d'ouvrages pour se placer face au maître. Des grimoires ouverts se superposaient les uns aux autres. Quelques parchemins volants surnageaient. Elle fit mine de poser le doigt sur l'un d'eux, juste pour regarder.

« Ne touchez à rien ! »

Maître Alecio avait rugi.

« C'est déjà assez difficile comme ça. Vous ne vous rendez vraiment pas compte de ce que c'est. Avec toute la quantité d'ouvrages qui ont été ramenés de Nefret, vous voudriez que je vous aie déjà trouvé toutes les informations dont on dispose sur le Califat en... Quoi ? Une phase de lune ? Douze jours ? Vous rêvez, jeune fille. »

Le blondinet qui l'assistait regardait la duchesse du coin de l’œil, désapprobateur. Déranger le maître pendant qu'il travaillait était un grave outrage... Carmen le savait parfaitement, depuis le temps passé à suivre ses leçons, plus ou moins assidûment. Dévoué au plus haut point à son seigneur, l'érudit était impitoyable avec ses élèves. Il exigeait d'eux la même perfection que celle qu'il s'efforçait d'atteindre. Ce qu'il n'avait pas encore assimilé, c'était que, maintenant, son seigneur... C'était elle.

Elle se fit donc taquine.

« J'étais pourtant certaine que vous auriez eu le temps de vous renseigner sur tous ces ouvrages, depuis huit ans... Vous seriez sur le point de me décevoir, maître. 
-Riez. »

Maître Alecio ne riait pas.

« De toutes façons, cette expédition est un suicide. Les marins le savent mieux que vous. Je ne sais pas ce qui m'a pris d'accepter de vous accompagner.
-Le fait que je vous l'aie ordonné, peut-être. Ça peut jouer.
-Je ne pouvais pas faire défaut à la fille de mon seigneur et maître.
-...Qui n'est plus votre seigneur et maître, maître.
-Votre père n'est pas mort, jeune fille. »

Accessoirement, jeune fille, cela faisait quelques années qu'elle ne l'était officiellement plus. Mais, basta. Il faut bien que le grand âge donne certains droits.

« Le Calife a indiqué qu'il accepterait l'ambassade d'une femme noble okordienne. Je suis okordienne, je suis noble et je suis une femme. Je ne vois pas ce qu'il vous faut de plus.
-Encore faudrait-il qu'il sache que vous venez... Marmonna le vieux corbeau dans sa barbe.
-Si mes messagers ne sont pas plus stupides que les émissaires de la reine, il le saura bien assez tôt. Nos vies sont entre les mains de Podeszwa. Maintenant, maître, pourriez-vous me dire si, oui ou non, vous êtes en mesure de m'éclairer sur ce que l'on sait du Califat, de ses us, ses coutumes, sa puissance, les intérêts qu'il peut avoir à nous aider ? »

Le regard du greffier ducal était sans équivoque. Il lui aurait fallu des années de recherche, à fouiller l'université de Guarida, à faire des recoupages entre les détails disséminés au compte-goutte, à ratisser les bibliothèques en espérant dénicher d'autres ouvrages dans le royaume ou même ailleurs, pour qu'il soit en mesure de fournir un rapport à plus d'un pour cent de la précision qu'il désirait sur cette terre dont les okordiens ignoraient tout. Aussi, c'est d'un ton profondément résigné qu'il prononça cette syllabe :

« Oui. »

Carmen rapprocha un fauteuil et s'installa, pressée d'ouïr ce que les restes de l'ancienne manne de savoir des Karan donnaient à entendre sur Ressyne.

#4 2017-06-02 19:50:14

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Les jours se succédaient, et la flotte de 3 galères avançait à vive allure vers le Delta du Vornet.
Le capitaine indiqua à l'Etat Major que la Mer des Fournaises étaient en vue, lorsque la vigie hurla :

"NAVIRES DE GUERRE ! NAVIRES DE GUERRE !"
Le capitaine Vishku fronça les yeux, et gueula :
"QUELLE ENSEIGNE ? COMBIEN ?
- Pour l'instant je vois rien..."

Visku grogna, et d'un coup de talon fit demi tour. Il fila vers dame Carmen.
Marquise, plusieurs navires de guerre sont en vue. Nous ne savons pas encore à qui ils sont affiliés, ni combien ils sont...
Nous pouvons encore faire demi tour, les éviter - mais il y a un risque qu'ils nous rattrapent -, les charger - mais nous ne savons pas encore si nous sommes en surnombre... -, ou aller à leur rencontre pacifiquement...
Que choisissez-vous ?

#5 2017-06-04 23:12:39

Carmen

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

La vigie ne voyait rien... Ils étaient donc encore loin. Aucun moyen même de savoir s'ils venaient dans leur direction. En tous les cas, à cet endroit, à peine à l'extrémité du Détroit, il était beaucoup plus probable de tomber sur des navires de Valésiane ou des Marches que du Califat. Et quelles que soient leurs intentions à la base, même les plus pacifiques marchands de ces contrées n'auraient pas été charmés de voir passer sur leurs eaux une ambassade étrangère vers leur pire ennemi.

« Capitaine, rejoignez la côte. Jusqu'à nouvel ordre, hors du royaume, nous évitons tout contact. »

Carmen fit signe à son écuyer de lui apporter son gambison et son armure. Petit Coin du Monde et les murs du Duc Rasbrel ne devaient pas être loin, mais savait-on ce qui pouvait se passer.

#6 2017-06-12 19:38:28

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Le capitaine rugit un ordre, et la petite flotte d’Estybril – puisque c’est ainsi qu’on nommait Okord alors – quitta prudemment sa trajectoire. Ils s’approchèrent à vive allure de la côte, tandis que les navires inconnus firent ostensiblement cap sur eux.
« Dame Carmen, nous allons donc décharger vos troupes et vos vivres sur une terre Österlichoise… espérons simplement ne pas croiser de soldats du Roi Baldir, car les rumeurs font échos d’une activité inquiétante venant d’Österlich… Et même si je prête rarement le flanc aux rumeurs, cette histoire du réveil du Khanat me fout un peu les chocottes. »

Plusieurs heures plus tard, alors qu’ils venaient d’accoster, la vigie confirma l’appartenance de la flotte : ils affichaient fièrement le blason de la République sur leurs voiles. Les puissants navires de guerre s’approchaient dangereusement du lieu d’accostage de la flotte de Dame Carmen.
« Je ne sais pas si nous avons fait le meilleur choix » grommela le capitaine. « En revanche il va être urgent de filer hors de portée des hommes de Valésiane, qui, vu notre changement suspect de trajectoire, vont chercher à nous traquer… »
L’homme réfléchit un instant, puis reprit :
« Nous avons désormais deux possibilités :
Le premier serait de rallier anonymement le port d’Eustermehr, à une centaine de lieues de là sur la côte des Fournaises. Nous pourrions alors embarquer sur un navire marchand de Ressyne, ou d’Österlich, en fonction de ce que nous trouverons sur place.
L’avantage direct est que cela nous rapproche fortement du Califat. En revanche, aux vues des relations entre Österlich et Estybril, cela pourrait être dangereux pour vous si votre identité est dévoilée… si cette solution est choisie, je préconise donc de ne partir qu’avec une dizaine homme et de vous déguiser. Autre élément à prendre en considération : la route que nous devrons suivre traverse en plein les eaux contrôlées par Valésiane, et j’ai cru comprendre que vous cherchiez à éviter tout contact avec la République.

L’autre solution ? Joindre les Marches, et plus particulièrement la baronnie de Verklin, qui détient l’un des ports les plus profitables de la côte Ouest des Fournaises. Nous aurions moins de difficulté à nous y rendre – enfin, sauf si le baron bataille contre ses voisins, ce qui est toujours possible dans les baronnies. Malgré tout, nous serons en mesure d’évoluer avec des troupes plus nombreuses ; seul bémol, à partir de Port-Verk, la route sera plus longue…! Nous naviguerons hors des zones contrôlées par Valésiane et Österlich, mais de nombreux navires pirates prospèrent en ces eaux.

Ces deux options présentent chacune de nombreux risques, je vous le cacherais pas… Une troisième serait d’attendre les Valésians et de tenter une négociation, mais il va falloir sortir de sérieux arguments pour expliquer notre premier mouvement de fuite…

Qu’en pensez-vous ? »

#7 2017-06-26 16:27:19

Carmen

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

« ...J'en pense que nous avons perdu bien assez de temps, capitaine. Attendons-les ici. »

Le général Lopez la regarda d'un air étonné. Ils n'auraient jamais le temps de fuir par la terre si les valésians décidaient de leur balancer leur puissance de feu. À quoi bon fuir le contact si c'était pour faire machine arrière dans l'heure qui suivait ?
Carmen se limita à lui dire de tenir les hommes des deux cogues prêts à l'action, au cas où les choses tourneraient mal.

Finalement, la flotte s'approcha jusqu'à portée de voix. Celui qui semblait être le chef des valésians parut au bastingage, et gueula quelque chose dans sa langue. Le capitaine traduisit à Carmen la question, classique : Qui êtes-vous, que voulez-vous. Il voulait aussi savoir pourquoi ils fuyaient.

« Traduisez très fidèlement tout ce que je vais dire, capitaine. »

Elle s'appuya au bastingage, s'inclina très humblement devant l'amiral d'en face, et déclara, à haute et intelligible voix :

« Je suis Carmen Alighieri, de la compagnie marchande Orcanienne, sous la protection de la confrérie du Cygne. J'ai l'honneur d'avoir été envoyée pour représenter la Compagnie chez nos voisins de la mer des fournaises. Nous comptons caboter le long de la côte d'Osterlich et de Valésiane, et nous arrêter pour démarcher dans les ports les plus influents. Je dispose d'une quantité d'échantillons de produits destinés à l'exportation. Des friands d'Orcanie, de la soie et du vin de Solède, des fourrures de Seine, des herbes médicinales des Marches des Vents de l'Est, du poisson séché des rives du Grand Canal... »

Carmen marqua une pause. Les dernières fois qu'elle avait joué à se faire passer pour une marchande d'épices dans les rues de Guarida, même si dans ses souvenirs elle avait été parfaitement convaincante, ça remontait à de longues années. Elle espérait que son énumération ait été suffisante pour appuyer son jeu. Tous ces produits étaient réellement présents dans les cales de ses navires, les uns comme provisions, les autres comme fournitures d'apparat pour sa rencontre avec le Calife.

Maintenant, il était plus que temps pour elle de justifier le fait qu'elle porte une armure.

« Je vous prie d'excuser ma tenue, ainsi que notre manœuvre de fuite. Nous sommes très peu renseignés sur ce qui navigue sur la mer des Fournaises. Nos seules informations sont des récits sur d'immenses flottes pirates qui crachent des flammes. En voyant vos navires, nous avons cru rencontrer une de ces flottes, et nous nous apprêtions à fuir par voie terrestre, avant de reconnaître l'étendard de la République. »

« Vous vous en serez rendu compte, nous sommes quelque peu sous-équipés. Je crois bien que même si les pirates qui croisent en ces eaux n'ont que le dixième de votre puissance, nous ne ferons pas long feu. Amiral, si notre route ne s'écarte pas trop de la vôtre, accepterez-vous de nous servir d'escorte ? »

#8 2017-07-04 21:33:03

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Ces événements se sont passés avant la reddition okordienne smile

L'amiral Valésian considéra longuement cette femme qui semblait mener la troupe. Puis, il prononça sèchement :
"De quelle contrée venez-vous ? Nous ne connaissons pas de Royaume du Cygne."
- Le Cygne est seulement une alliance de seigneurs du royaume d'Okord... Ou de la province d'Estybril, puisqu'il paraît que c'est son nouveau nom. Je ne me mêle pas de politique, les affaires sont les affaires.
Au nom d'Estybril, les valésians se tendirent.
"Une dernière question : qui est, pour vous, le souverain légitime de votre royaume ?"
- La compagnie n'obéit qu'à la confrérie du Cygne. Mais... J'ai cru comprendre que la majeure partie des seigneurs du royaume refusait la souveraineté d'Abrasil.
- Vous n'avez pas répondu à ma question" répéta le capitaine Valesian, tandis que ses hommes mettaient la main au fourreau.
- Parce que votre question est absurde ! Demande-t-on à la fourmi quelle botte elle trouve légitime pour l'écraser ? Ma souveraine légitime est Eugenie Morgan. Qu'elle soit reine d'Okord ou polémarque d'Estybril ne change rien pour moi, tant qu'elle n'empêche pas le commerce. La Compagnie Marchande Orcanienne ne s'occupe pas de la guerre.

Au nom d'Eugénie Morgan, les hommes de Valésiane se saisirent de leurs armes, et se précipitèrent à l'abordage des navires Okordiens. L'une des galères valésianes tira des rafgales enflammées sur un navire du Cygne, qui prit feu dans le désordre le plus total. Bref, le combat éclata.
MORT AU BARBARES ! hurlaient les soldats de la République, qui prirent de surprise les okordiens. Ce fut une véritable boucherie, les soldats du Cygne tentèrent de se défendre mais, en sous-nombre, ne purent que vendre chèrement leurs vies. Au bout d'une longue bataille, dame Carmen, cernée, finit par rendre les armes.

[hrp]je te laisse décrire le combat si tu veux, + choisir les survivants éventuels[/hrp]

"Qu'on m'amène l'okordienne sur le pont." commanda l'amiral.
Celle-ci, ligotée, fut amenée à ses côtés.

"Dame Carmen, il n'y a pas de paix entre Valésiane et votre royaume barbare. Tous ceux qui soutiennent Morgan la Folle sont les ennemis de l'Empereur d'Ohm, car nous sommes leurs alliés.
Vous serez amenés en nos terres, et jugée par les patriciens. Votre sort devrait être la mort."

Sur ces mots, le reste de la flotte Valésiane leva l'ancre et s'enfonça vers la Mer des Fournaises...

#9 2017-07-11 02:37:38

Carmen

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

« Que... Mais... Non, non, mais non ! »

La réaction des Valésians fut rapide. Beaucoup trop rapide. En une fraction de seconde, les armes étaient au clair, les ordres fusaient, et une espèce de corne de guerre sinistre se mettait à résonner. Carmen hurla au branle-bas de combat. Le général López répéta l'ordre, et le capitaine Vishku glapit un sauve-qui-peut général. Les marins avaient compris d'instinct quelles chances de survie ils auraient si les choses tournaient mal. Ils s'étaient préparés à l'idée. Les bancs de nage se vidèrent en un clin d’œil, et les rameurs sautèrent par-dessus bord par paquets de dix sans aucune hésitation. En moins de trente secondes, le pont fut net.

Là, à ce moment, parmi les soldats de Solède qui avaient assisté à la scène, ...il y eut comme un flottement. Les archers et les strolatz, qui étaient en joue, se partagèrent des regards hésitants, et finirent par se tourner vers leur général... Qui à son tour, hésitant, se tourna vers la duchesse. Qui le gifla.

Le bruit du gantelet de plates fit l'effet d'un petit coup de fouet dans le dos des soldats. Alors que le général López, à moitié courbé, se massait douloureusement la joue, alors que la corne sinistre retentissait toujours, Carmen, visière du casque ouverte, les figea tous du regard.

« Allez-y, soldats, courez ! Sautez ! Je ne vous retiens pas, la terre n'est pas loin ! Mais je vous souhaite bon courage pour nager jusque là-bas avec vos armures sous une pluie de flèches, bande d'abrutis ! »

On remarqua soudain que les cris des navires valésians s'étaient tus. Instinctivement, Carmen leva la tête vers le pont de la galère qui les abordait... Et constata que ce qu'elle prenait pour le son extrêmement grave d'une corne de guerre n'était pas le son d'une corne de guerre, mais le grincement de l'énorme chose de bois et de métal qui était quelques minutes plus tôt appuyée sur les haubans de la galère valésiane. Maintenant, cette énorme chose rectangulaire pourvue d'un éperon menaçant se tenait très exactement à la verticale, au-dessus d'eux. Son grincement venait de cesser. Un cri en valésian claqua. Un cordage claqua, et vola. Puis trois ou quatre autres. Et comme au ralenti, le grincement reprit... s'accentua... devint de plus en plus aigu, tandis que la chose se...

« Écartez-vous ! »

Quelque chose propulsa la duchesse sur le côté au moment où la gigantesque passerelle d'assaut s'écrasait sur le pont de l'Immaculée, broyant le bastingage, pénétrant l'entrepont de son éperon. De la poussière de bois volait dans tous les sens. Carmen toussa. Elle reprit ses esprits, et réalisa qu'elle se trouvait allongée sous le corps de Diego, qui, lui, était à moitié écrasé sous l'acier de la passerelle.

« Diego ? »

La poussière emplissait l'air, une odeur âcre de fumée lui faisait monter la nausée, et dans le vertige, elle se voyait encerclée par une clameur diffuse. Diego ne bougeait pas.

« DIEGO ! »

Une main gantée d'acier la souleva par-dessous l'épaule. Carmen se retourna par réflexe pour jeter un coup de coude à l'aveugle, mais un deuxième bras puissant l'en empêcha.

« C'est trop tard pour lui, madame. »

C'était la voix de Rafael. L'aîné des deux géants extirpa la duchesse de sous le corps de son frère. À quelques mètres d'eux, les valésians en rang serré commençaient déjà à sortir de l'abri de leur passerelle blindée, toutes piques dehors. Ils envahissaient le pont démoli.

Carmen eut un dernier regard sur son garde du corps, un autre à Rafael, dont le casque imperscrutable ne laissait filtrer qu'une rage froide, et elle rabattit la visière de son heaume. Rafael lui jeta un bouclier dans les mains. Elle se l'accrocha au bras, dégaina son épée.

« On va au château de poupe ! Il faut que je voie Alecio. »

Des chevaliers et des strolatz étaient vaguement regroupés, désordonnés, aux prises avec la phalange valésiane inarrêtable. Le cri que Carmen et Rafael poussèrent en chargeant les fit tous se retourner. Il eut le mérite de surprendre les piquiers, qui ne s'attendaient pas à une contre-attaque. Il eut surtout celui, bien plus grand, de redonner du courage aux hommes de Solède. La masse de Rafael brisa le rang valésian. L'épée de Carmen détourna la hampe d'une pique, se planta dans une gorge, dans un flanc, coupa un jarret tandis que son bouclier faisait sonner un casque comme une cloche. Au cri de POUR LA GLOIRE ET L'ÉPÉÉÉE hurlé par la seule voix féminine sur le bateau, les chevaliers et les strolatz répondirent par SOLÈÈÈDE et PODESZWAAA et s'engouffrèrent dans la brèche. La phalange était enfoncée. Le passage fut rude néanmoins. Pour trois mètres parcourus et autant de valésians tombés, un chevalier à terre. Les renforts de la galère de guerre affluaient, et ils allaient bientôt pouvoir submerger le pont en entier. Mais enfin, Carmen et Rafael parvinrent à s'extirper de la mêlée, suivis par les survivants, trois strolatz et un chevalier. Les piquiers semblaient hésiter à poursuivre. C'était bien leur tour.

Carmen tambourina à la porte du château de poupe. Des voix gueulaient à l'intérieur. Elle dut s'annoncer à deux reprises pour qu'une main se décide à enlever la barre de chêne qui bloquait l'accès, et entrebâille la porte. Maître Alecio et son apprenti étaient seuls. Ils baignaient dans un début de lueur rougeâtre.

« Maître... ?
-Podeszwa nous garde, jeune fille.
-Vous... Vous avez mis le feu ? »

La silhouette noire dégingandée du vieux corbeau se détachait sur un fond de flammes. Au fond de la pièce, la table de travail brûlait. Les grimoires empilés suintaient de la cire des reliures.

« Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne voulais pas que mon travail tombe entre les mains de... Ni qu'il  vous compromette... Je... »

Le maître était profondément choqué. Il tremblait comme une feuille, appuyé sur l'épaule du blondinet.

« Toi, coupa Carmen à l'adresse du gamin. Tu sais nager ?
-Je, euh.. Oui ? »

Carmen se précipita contre la paroi du château, et, animée d'une force que le gamin ne lui aurait jamais imaginée, souleva et dégonda un pan de la cloison intérieure du mur. Puis elle prit son propre poing dans sa main, et frappa du coude de son armure la paroi extérieure, à l'endroit d'une meurtrière. Alors que la jointure du bois massif faiblissait, elle en agrippa une planche et s'arc-bouta contre celle d'à côté avec un pied... jusqu'à arracher la planche descellée, qu'elle laissa tomber à l'eau. Sans perdre une seconde, elle attrapa la main du garçon et le tira vers elle.

« Sauve-toi. Rejoins la rive, survis, et débrouille-toi pour rejoindre le Sudord et raconter tout ça à mon père. »

À la seconde où elle terminait sa phrase, elle chopa une cuisse du gamin, et le balança par-dessus bord. Un cri de peur, et un plouf. La duchesse vérifia qu'il refaisait surface.

« Accroche-toi à la planche ! »

On tapait contre la cloison. Des coups de poing répétés, et des "Madame !" pressants. Carmen posa une main sur l'épaule de son maître désemparé, et le laissa là, au milieu de la fumée qui partait maintenant vers l'extérieur, par le trou dans la paroi.

Dehors, les piquiers s'étaient rapprochés. Le revers qu'ils venaient de subir n'avait pas suffi à leur masquer le fait qu'en face d'eux, il ne restait que six hommes. Dont une femme. Ça puait la fin.

« Quels sont vos ordres, madame ? »

Cette voix...

« Vous n'êtes pas mort, général ?
-Pour l'instant, grâce à Podeszwa, madame. Mais... Il ne tient qu'à vous d'en décider autrement. »

Et il s'inclinait, en plus. López, foutu charmeur. Toujours le dernier des pleutres avant le combat, mais dés qu'il n'avait plus le choix, il ne manquait jamais une occasion de mettre sa vie en jeu pour elle. C'était triste à dire, surtout dans un moment pareil, mais elle l'avait dans la peau.

Carmen parcourut rapidement l'étendue du désastre. Au loin, les deux cogues brûlaient, de la coque à la voilure. Quelques rares silhouettes se démenaient à l'intérieur des flammes, comme des démons en transe épileptique. Il n'y avait plus aucun espoir de ce côté. Avec elle, cinq hommes en état de se battre, dont un, blessé quelque part à la jambe. Tous attendaient son verdict, sauf Rafael, qui ne lâchait pas la phalange des yeux. Enfin, en face, à une dizaine de mètres… Elle n'avait pas envie de les compter. Elle soupira, un sourire amer aux lèvres.

« C'est inutile. Assez de sang a coulé pour rien aujourd'hui. Je ne vous ferai pas vous sacrifier, notre honneur est déjà plus que...
-Mon frère est mort. »

Rafael l'avait interrompue. C'était la première fois qu'une telle chose se produisait. Personne ne l'aurait jamais imaginé, de la part du géant, ni lui ni son frère. Carmen elle-même eut un petit temps d'arrêt, qui laissa la place au géant pour poursuivre.

« Mon frère et moi, nous ne faisions qu'un. Je ne suis plus qu'une moitié d'homme sans lui. Je ne serais plus rien du tout si je lui survivais comme un lâche. Diego est mort pour vous protéger, madame. Je mourrai pour le venger. »

Rafael conclut sa phrase en rabaissant son heaume, et leva sa masse d'armes.

« Mais...
-POUR DIEGO !
-Mais c'est complètement... »

Et le colosse fonça, bouclier en avant, sur la forêt de piques qui n'attendait que ce signal pour le massacre. Immédiatement, les valésians gueulèrent à leur tour, et se mirent à courir vers le petit groupe avec un appétit de sang. Rafael réussit à dévier trois des cinq piques qui pointaient vers son énorme silhouette bardée de maille et de plates. La quatrième ripa contre l'armure, sans dommage. La cinquième s'accrocha dans les mailles du flanc et les déchira sous la seule pression de la charge du géant. Cela ne l'arrêta pas. La masse d'armes broya un cou à travers le haubert, l'écu se ficha dans les dents d'un deuxième piquier, … Et sans doute continua-t-il ainsi sur quelques mètres, mais Carmen était maintenant concentrée sur son propre combat.

Qu'elle finit par perdre, immanquablement.

Entourée de fers de lance sur toutes les hauteurs, il ne lui restait plus qu'à déposer les armes. Elle avait vu Rafael finir transpercé de part en part par deux piques successivement, et cinq secondes plus tard, son beau général López, qui avait réussi à forcer le corps à corps, se faire rentrer une dague dans la fente de son casque. Un si beau visage ruiné. Décourageant, s'il en était besoin.

Manifestement, elle était la dernière, et la seule okordienne debout. Les valésians récupérèrent également maître Alecio, brûlé d'un peu partout mais toujours tremblant.

Quand ils les eurent embarqués à bord de la galère amirale, et qu'on eut traduit à Carmen le discours du chef sur son futur procès, juste avant qu'on ne l'amène à fond de cale, elle vit les soldats se presser tous contre le bord. Des esclaves tiraient de toutes leurs forces sur les cordages. La duchesse comprenait vaguement que des paris se jouaient entre les hommes accoudés au bastingage. Après une longue minute d'efforts grimaçants, les esclaves eurent ce qu'ils voulaient : un grincement affreux se fit entendre. Des craquements, des claquements sourds. Puis un énorme bruit d'eau. La passerelle remontait, et l'Immaculée coulait, cassée en deux, à la grande joie de ceux qui empochaient la monnaie des paris.


Sans doute, si elle avait tenu bon, eut-elle été brûlée.

Sans doute, les mouettes nichant près de cette crique d'Osterlich n'auraient-elles pas fait un tel festin, ce jour-là.

Sans doute ce corps, échoué sur le sable, n'eut-il été qu'un tas de cendres éparpillé au fil de l'eau.

Sans doute, ce corps, bardé de mailles, plus grand que les autres, aux deux jambes très vilainement écorchées, comme coupées, intact en dehors de cela, n'aurait-il été qu'un lointain souvenir.

Sans doute personne ne se serait-il douté qu'il respirait encore.

Encore moins ce gamin aux cheveux blonds. Et jamais sans doute, ce gamin, errant, désespéré, sur la plage, n'aurait-il vu la main de Diego bouger.

Dernière modification par Zyakan (2017-07-18 00:24:28)

#10 2017-08-11 14:30:14

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

La vie du fils du pêcheur changea ce jour-là, lorsqu'il découvrit le corps inanimé du colosse sur la plage. Les mouettes volaient en cercle autour, la viande n'était sans doute pas encore à leur goût. Sans leurs cris, jamais l'enfant n'eut remarqué que parmi les morceaux de bois brisés du navire de Carmen, il y avait un survivant.

Alors qu'il s'approchait prudemment, Gaël eu la surprise de reconnaitre un homme, à moitié caché sous les décombres du pont qui lui avaient servi de radeau de fortune pour survivre jusqu'aux rivages. A pas prudents, il s'avança vers le guerrier allongé dans le sable. Du sang maculait les jambes et tachait le sable.

L'enfant allait faire demi-tour quand ... la main bougea et un long râle de douleur s'échappa de la bouche de celui qu'il pensait mort !

Avec un hurlement de peur, le fils du pêcheur s'enfuit en courant vers la cabane où il vivait avec sa famille.


Dans la maisonnette, il eu la surprise de trouver un second naufragé. L'apprenti d'Alecio avait survécu à l'attaque lui aussi. La planche sur laquelle la Duchesse l'avait jeté avait fini par atteindre le rivage. L'enfant se remettait de ses émotions devant un grand bol fumant de soupe de poisson.

________


Plus au large, sur les galères de Valesia, Dame Carmen se morfondait dans la cale. Malgré la violence dont ils avaient fais preuve durant les combats, les Valésiens se montrèrent des geôliers respectueux de leur captive. Durant la semaine de navigation nécessaire pour rallier le premier port de la République, la Duchesse avait diné deux fois avec l'Amiral. Il l'avait longuement questionné sur les us et coutumes du royaume d'Okord, avant de se sentir lassé ou déçu des réponses lacunaires qu'il recevait.

Depuis, elle avait droit à deux repas chauds par jour, cloitrée dans une chambre, un placard coincé entre la cuisine et les réserves de nourritures, bien fermé par un solide verrou. Comment aurait-elle pu s'évader ? Dans tous les cas, elle n'aurait jamais abandonné Maitre Alecio, que les Valésians avaient saisis lui aussi. Ils semblaient avoir le plus grand respect pour son rôle, mais son âge était gage de sécurité. Jamais il ne pourrait s'échapper !

Au terme de la navigation, l'armada Valésianne fini par rejoindre une grande ville en bordure de la Mer des Fournaises. La capitale de la république était une ville bâtie en bord de l’océan. Les grands bâtiments de pierre blanche resplendissaient sous le soleil et contrastaient le bleu azur de l’eau. L’architecture semblait moderne et de luxueuses décorations ornaient les murs. Une grande tour, semblable à un phare, gardait l’entrée de la baie qui servait de port.

A l’arrivée des galères, une cloche fut sonnée et l’on vit apparaître sur les docks une foule nombreuse. Puis, un groupe armé fit son apparition avec une rigueur toute militaire, la fameuse et très connue Phalange. Ces soldats d’élites assuraient la garde rapprochée des deux Potestats, sorte de gouverneurs dédiés l’un aux arts de la guerre, l’autre au commerce, première source de richesse de la République.


Sitôt les navires amarrés, Dame Carmen et l’Amiral Valésian, la première sous bonne garde et le second entouré de ses capitaines, furent conduit devant l’assemblée des Patriciens, dans le Palais de Mohdenia. La grande salle des audiences ressemblait à une église de Podeszwa. Au fond, une table sur une estrade accueillait les deux Potestats, encadrés par des soldats de la Phalange. De chaque côté, des travées de bois se garnissaient des citoyens, venus assister au récit de la capture de la Duchesse.

Bombant le torse, l’Amiral conta avec force mérite, mais une précision redoutable, les échanges qui précédèrent l’abordage des navires d’Estybril. Puis, d’un geste ample de la main, il désigna l’orkodienne, sa prisonnière. Cette dernière avait été libérée de ses fers, vêtue d’une tenue simple mais toute présentable, se tenait devant une petite centaine de Valésians, ainsi que devant ceux qui allaient désormais décider du cours de sa vie. Plus en retrait, Maitre Alecio avait reçu une chaise pour poser ses vieux os. Il attendait patiemment son sort, dans un grand silence.

Elle prit alors la parole pour se présenter …

#11 2017-09-03 09:55:47

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Les palabres duraient depuis des jours, la salle d'audience du palais de Mohdenia ne désemplissait pas. En effet, les citoyens de la République n'avait jamais vu de "Barbare d'Okord" et la présence de deux d'entre eux dans la Cité était à la fois une source de curiosité mais aussi d'informations.

Dame Carmen avait été longuement interrogée sur les techniques militaires, sur les développements d'armes de sièges, sur les grandes batailles qui se déroulaient en Okord.

De son côté, Maitre Alecio s'était vu fournir plusieurs parchemins, des plumes et de l'encre, le tout, d'excellente facture. Il lui avait été sommé de mettre en ordre toutes les connaissances dont il disposait. Les Valésians avaient compris que le vieil homme était une source de savoir intarissable et qu'il pouvait grandement aider le développement de la cité.

Le temps s'écoulait lentement. La vie de captive n'était pas vraiment du goût de Dame Carmen, qui, malgré les égards de ses gardiens, sentait lentement sa fin approcher. Il ne tarderait plus, le jour où les Valésians, lassés de ses longues discussions, lui feraient ôter la tête d'un coup de hache... A moins que cela ne soit par pendaison que sa vie se terminerait ici...

Cependant, ce matin là, une grande agitation animait la ville de Mohdenia. La cloche du palais se mit à sonner à la volée pendant plusieurs minutes. Des soldats en armes couraient à travers les couloirs. Même l'impassible colosse qui gardait la porte de Carmen semblait inquiet.

Plusieurs navires de guerre Valésian venaient d'arriver dans le port. Ils revenaient de missions et les nouvelles qu'ils apportaient devaient être de première importance.
Est-ce que la guerre serait arrivée dans la République ?

#12 2017-09-06 01:19:56

Carmen

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

La vie de captive n'était pas du tout du goût de Carmen.

Elle devait faire des efforts surhumains pour ne pas céder à ses nerfs et laisser parler sa haine. Étrangler ces abominables bourgeois qui la harcelaient de questions. Enfoncer ses doigts dans les orbites de l'interprète et lui fracasser le crâne contre le mur, faire gicler la cervelle hors de cette tête sinistre qui la suivait partout et répétait la moindre de ses paroles publiques.

Mais elle devait se retenir. Il le fallait. Tant qu'il restait la moindre once d'espoir de sortir de là, de revoir Okord, de revoir son fils, elle devait tenir ce rôle de ...marchande, pacifique, quelle que soit la force de ses pulsions de meurtre et de violence barbare caractérisée. Elle devait continuer à délayer ses réponses, à noyer le vrai dans le faux du mieux qu'elle pouvait.

Un tiers du temps qu'elle avait de libre était consacré à cela : se contenir. Carmen méditait. Assise en tailleur, elle appliquait très consciencieusement ce qu'on lui avait appris. La colonne vertébrale droite comme une pile de pièces d'or, les mains posées sur les genoux, elle centrait son esprit entier sur sa respiration, calme, régulière, et elle évacuait toute pensée. Même celles qui allaient vers son fils qu'elle ne reverrait peut-être pas, ou vers ses hommes qui étaient morts si futilement. Vers López, dont le seul souvenir lui pinçait le ventre. Vers Diego et Rafael, aussi, et tous les autres. Pas plus, celles qui allaient vers son père, ou vers son mari. Pas plus, la colère qu'elle éprouvait à être enfermée, pas plus le mépris envers ses geôliers. Pas plus, tout le jeu politique qui l'avait menée là et allait l'y faire rester. Elle bénissait maintenant les enseignements du diacon de Guarida qu'elle avait haï toute son enfance. Au prix d'efforts longs et patients, la méditation parvenait à faire régner le calme dans son esprit. L'harmonie.

Le deuxième tiers du temps qu'elle passait dans cette cellule, somme toute spacieuse et confortable, presque un appartement décent pour un invité de marque, mais qui restait une cellule avec des barreaux et un colosse en armes derrière la porte, était consacré à trouver un moyen de sortir de cette situation et de cette dite cellule.

Ses seules sorties se faisaient entre sa prison et le palais de Mohdenia. Pas de promenade. On devait estimer que c'était suffisant pour se dégourdir les jambes. Les gardes étaient polis, autant que peut l'être quelqu'un avec une gueule de garde, mais ils gardaient leurs distances. Elle n'avait de contact avec personne en dehors d'eux, des serviteurs qui venaient lui apporter ses repas, et des magistrats qui l'interrogeaient. Aucun d'eux ne liait conversation (en dehors des magistrats bien entendu, et elle aurait préféré qu'ils s'abstiennent). Le fait qu'elle ne parle pas la langue ne l'aidait pas. Elle s'efforçait d'y remédier, et son interprète lui fournissait une aide précieuse, sans le vouloir, à traduire inlassablement ses paroles. Les termes qui revenaient souvent, les prépositions, les verbes, les adjectifs... Dés qu'elle le pouvait, elle plaçait une phrase avec des mots qu'elle connaissait, plus un seul autre. Elle commençait à avoir une étendue de vocabulaire correcte et à maîtriser l'ordre dans lequel tout ça s'organisait. Ce n'était finalement pas si lointain que ça de l'okordien. Plus proche que l'osterlichois. Maître Alecio lui aurait sans doute expliqué que c'était en raison de l'ancienne appartenance de ces terres à l'empire d'Ohm, mais maître Alecio n'était pas avec elle.

Dans sa cellule, Carmen s'appliquait à répéter les termes appris, à s'approcher le plus près possible de l'accent, des intonations chantantes, de mémoire. Elle s'entraînait à formuler des phrases complètes. Elle épiait, à la porte, les courtes discussions des gardes avec les serviteurs qui venaient lui apporter ses repas... Et elle constatait que la langue du peuple était bien loin de celle des magistrats qui l'interrogeaient.

Ce matin-là, alors qu'elle retirait les ceintures de cuir enroulées autour de ses mains, encore toute en sueur de ses exercices -son troisième tiers de temps libre- Carmen perçut la rumeur de la rue qui s'était amplifiée, et les cloches.

Elle se pressa de replacer le lit le plus silencieusement possible, déroula le tapis, et ré-embrocha soigneusement sur leurs piques les trois bougies du chandelier qui lui servait d'épée d'entraînement. Elle vérifia que le mur de pierre n'avait aucune trace de ses coups de poing, et massa ses doigts douloureux. Le tissu et le cuir lui évitaient d'avoir des bleus qui soulèvent des questions, mais la pierre restait bien dure. Puis elle dénoua l'étoffe qui lui enserrait les seins, et se mit à sa toilette.

Le vacarme de la rue ne se calmait pas. Il persistait encore au moment où les serviteurs entrèrent avec le petit déjeuner, accompagnés d'un magistrat à la figure soucieuse.

Dernière modification par Zyakan (2017-09-07 00:52:39)

#13 2017-09-06 20:21:49

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Le Potestat sembla chercher ses mots pendant quelques instants, tout en contemplant la cellule dans laquelle Carmen était maintenue captive. Il s'agissait d'une pièce simple, pauvrement équipée, mais relativement propre. En parcourant du regard les lieux, le magistrat se senti soulagé. Peut-être que sa tête resterait attachée à ses épaules. Prenant la parole, d'une voix hésitante marquée par l'accent de Valésia, il s'exprima presque justement en Okordien:

Dame Carmen, au nom de la République de Valésia, je vous prie d'accepter mes excuses. Une chambre dans la Citadelle va vous être accordée d'ici peu. Une servante vous sera attachée, j'espère qu'elle conviendra vous. De surcroit, un guide vous sera affilié peu de temps ensuite, afin de visiter la Cité.

Le Potestat s'inclina brièvement et sorti à petits pas pressés, visiblement dérangé de rester plus longtemps en la présence l'Okordienne. Sitôt après sa sortie, l’interprète fit son entrée dans la petite pièce. Avec le temps, il était venu à s'attacher à la Dame. Elle n'avait baissé les bras depuis son arrivée, préservant ses forces et ne dévoilant qu'avec parcimonie les informations qu'elle avait. Mais les nouvelles du jour avaient véritablement changé la donne !

Dame Carmen, j'ai une bonne nouvelle pour vous ! Vous êtes libre ! Un navire marchand est arrivé d'Okord, il était porteur d'excellentes nouvelles vous concernant.
Votre Reine, Eugénie Morgan, a reconnu la vassalité de l'Empire d'Abrasil. Votre royaume est désormais une Province protégée par l'Empereur Torkson !

Il s'avère donc que nous emprisonnons depuis plusieurs semaines... Une alliée ! 

L'homme recula de quelques pas et depuis l'embrasure de la porte, ajouta:

Venez vite ! Je vais vous montrer votre nouvelle chambre !

#14 2017-12-23 12:59:03

Eugénée Anet

Re : Mendier en robe de soie [Valesia]

Passer d'une prison à une autre, avec une meilleure vue, un page pour garde, mais guère plus de libertés, voici qui n'avait pas enchanté Dame Carmen. Pourtant, les récents changements politiques en Okord avaient été source de grandes améliorations dans son quotidien.

Désormais considérée comme une invitée de marque, elle était trimballée de place en place, visitant les commerces, les maisons, les palais. Elle avait rencontré tant de nouveaux personnages, que les noms se mélangeaient dans sa mémoire.

Peintres artistes, dont les fresques colorées illuminaient tous les bâtiments.
Sculpteurs adroits, dont les pierres taillées ornaient toutes les places.
Artisans habiles, dont les inventions amélioraient tant le quotidien.
Ces chariots, par exemple, la double bande de cuivre installée en tant que support des roues, permettait un voyage très confortable, les cahots de la route, amortis, n'existant plus !

Sans oublier bien sûr, les commerçants, qui vantaient la qualité de leurs marchandises et faisaient dons d'échantillons à la visiteuse d'un jour. Dans sa chambre, plusieurs coffres se remplissaient de bijoux, d'étoffes, quelques un de jarres remplies d'huiles, d’onguents et d'herbes séchées.

Alphonsio, son serviteur, la suivait en tous lieux, prodiguant milles attentions à celle dont on lui avait confié la responsabilité. Ce drôle de bougre, malgré son jeune âge, était fort débrouillard. Mais sa continuelle présence semblait agacer quelque peu la Dame.

Il suffit ! s'exclama l'Okordienne, alors que le page souhaitait absolument nettoyer l'ourlet de sa robe, qui avait malencontreusement trempé dans une flaque d'eau boueuse. Conduis moi aux Potestats, je dois impérativement leur parler ! Je ne compte pas rester ici encore plus longtemps !

Malgré ses véhémences, il fallut plusieurs jours pour que la jeune femme soit reçue par les Magistrats de la Cité. Désormais leur invitée, ils avaient étrangement moins de temps à lui consacrer, sachant qu'ils ne pourraient lui extraire d'informations sur ses terres natales.

L'entretien fut houleux, Carmen ayant retrouvé sa combativité habituelle, avait mis en avant ses mésaventures pour obtenir de nombreux gages de Valesia. Un navire et une escorte serait alors mis à sa disposition pour rentrer, mais pas seulement ... Son habileté commerciale faisait aussi que les cales des bateaux seraient garnies de nombreuses ressources issues de ce royaume insulaire ! La voici qui prenait la tête des premières négociations commerciales de l'histoire d'Okord !

Potestats de Valesia, je vous salue. Je repartirai donc pour mon royaume avec la marée, accompagnée de vos nombreux présents. J'espère que nous aurons l'occasion de faire fructifier ces relations, tant diplomatiquement que commercialement. déclara-t-elle en quittant le Palais, un fin sourire aux lèvres et sa chevelure flottant dans la brise marine. La dernière image d'elle fut grandiose. A la proue de son navire, fièrement élancée, elle regardait vers l'horizon, la terre qu'elle allait enfin retrouver après plusieurs mois d'absence ...



Okord.





Et c'est ainsi que Dame Carmen, après tant d'aventures sur les mers et dans les prisons de Valesia, grâce à un heureux concours de circonstances, devint la première négociatrice entre Okord et la République de Valesia. Nul doute qu'elle laissa dans l'Histoire de cette contrée, un souvenir doux-amer, tant son habileté avait contribué à faire sa richesse au détriment des commerçants locaux, qui de ce fait, auraient gardé grande estime des commerçant du Royaume. Ce qu'advint des autres personnages de cette histoire n'est pas conté ici, mais il ne fait nul doute que vous entendrez prochainement parler d'eux !

Ainsi s'achèvent les aventures de Dame Carmen, un temps prisonnière de Valesia, 
mais dont le glorieux retour fut source de tant d'histoires contées
par les trouvères.

Un immense merci à Carmen pour sa participation !

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