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#1 2017-12-11 20:35:25

Alfred

Les récits d'Alfred

La fuite des Steppes d'Yselda

   Nonchalamment appuyé sur son siège, il parcourut la pièce d'un regard distrait. De nouveaux parchemins garnissaient les quelques étagères posées à la hâte, autant couvraient la table oblongue installée devant lui. Il adoptait plus vite qu'il ne le pensait les modes de vie locaux.

      Laissant son visage réchauffé par le soleil, il repensait à ces derniers mois. Les yeux fermés...murs exigus et fenêtres trop petites disparaissaient. Les grandes étendues herbeuses à perte de vue envahissaient son esprit. Mais avec elles, venaient les images de sa fuite, telles de multiples coutelas, elles blessaient son cœur et son âme.

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      Il revoyait son peuple, pourchassé par les cavaliers de la Reine Yselda. Hier frères d'armes parcourant de concert les plaines, ils étaient maintenant assoiffés du sang de ses hommes.

     Une partie de ses forces et l'essentiel de son troupeau périrent dans les steppes. Les chevaux fourbus tombaient les uns après les autres, les hommes à pieds capitulés et s'offraient à une mort certaine.

     Malgré l'hécatombe, il avait dû fuir ventre à terre, fonçant sans réfléchir.

     Point de havre ne se trouverait en terres d'Österlich. Comme il le craignait, il fut refoulé par les moines de Podeszwa. Son peuple était indésirable en tout lieu. Les histoires relatant les raids sournois et les tentatives d'invasion ordonnés par la Reine Yselda bruissaient sans doute dans toutes les provinces. Aucun originaire des steppes ne trouverait refuge en Österlich, fut-il en fuite.

     Il indiqua à ces cavaliers éclaireurs la route sud-ouest pour Okord. Son peuple, où ce qu'il en restait, était à bout de forces. Le passage par les Larmes de Givre, pour périlleux qu'il fut, lui donnait une chance d'échapper aux fous de Podeszwa. Mais, arrivé en ces lieux, qu'elle ne fut pas sa stupeur de voir dresser devant lui, les forteresses d'Österlich. Pourtant, les cartes étaient formelles, ces terres auraient dû être okordiennes.

     Il n'y avait d'autre issue que de continuer. Les hommes s'affamaient. Les nuits glaciales finissaient d'emporter les plus affaiblis. Bientôt, il n'aurait plus d'âmes à sauver.
     
     Chaque jour, il ordonnait d'obliquer toujours plus à l'ouest, tout en pensant que s'ils finissaient en terres Déomul, ils seraient à jamais perdus. Comme pour lui donner raison une forteresse de Carovar apparut devant eux.

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     Rien de ce qu'il ne voyait ne correspondait aux histoires qu'il avait écouté maintes fois dans ses jeunes années. Ces récits n'étaient-ils que fadaises pour enfants, Okord n'existait-pas ?

      Il avait renoncé à son honneur, pour sauver son peuple et il ne l'avait mené que dans l'horreur. Il aurait mieux valu mourir en digne guerrier sous les coups des cavaliers d'Yselda. À quoi rimait d'abandonner ses plaines, de traverser tant de montagnes, ils mourraient tous ainsi, comme des fugitifs en guenilles, poussés par un seigneur fou, bercé par des légendes ineptes.

   Les rangs ne cessaient de se dégarnir, morts de faim, morts de froid et fuites parmi les fuyards. Quelle ironie.

    Mais alors que l'hiver prenait fin, l'espoir revint avec la fonte des dernières neiges. En jour béni de Jidor, 30e phase de l'hiver de l'an XI de l'ère 17 ou 30e-XI-17, il foulait enfin les terres d'Okord.

#2 2017-12-14 23:54:12

Alfred

Re : Les récits d'Alfred

Ainsi vint Alfred

      Ainsi, Okord existait, elle n'était pas le fruit d'un délire paraphrénique. Le soulagement fut vite chassé par l'urgence. Il fit compter les hommes et envoya ses quatre fidèles cavaliers espionner les alentours.
   
     Le nombre tomba tel un couperet. C'était plus qu'il n'espérait, moins qu'il n'en faudrait, 500 survivants aux bras moins vigoureux que le cri de leur ventre affamé. Le troupeau n'était plus depuis longtemps, il leur restait quatre jours de viande séchée, à condition de continuer à rationner sévèrement.
   
     Ses cavaliers revenaient, il regarda Ganbaatar mettre prestement pied à terre. Les sombres mois écoulés semblaient n'avoir eu aucune prise sur son fidèle bras droit. Son manteau en cuir lourd, reposé sur ses larges épaules, parées de son arc composite. Un sabre courbé et un carquois rempli de tout type de flèches battaient sur ses cuisses puissantes. Il se dirigeait vers son chef de clan.

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- Ganbaatar, mon ami,

- Les alentours sont sûrs. Les bourgades avoisinantes sont tenues par de jeunes chevaliers et les quelques puissants seigneurs ne semblent nourrir aucune hostilité immédiate.
           
        Il marqua une pause, son visage et son regard d'obsidienne se durcirent.

- Les rumeurs disent que le seigneur de cette province est adepte de Podeszwa. Nul ne sait si c'est un fanatique. Il a hérité depuis peu de son frère Liam Rochester qui, à ce que l'on dit, aurait péri alors qu'il pourchassait Louis de Corovar sur ses propres terres.

        Sur ces mots, la glace figea le cœur du chef de clan. Comme à chaque fois qu'il pressentait un danger, son regard se porta instinctivement sur son peuple. Il ne vit que rondes de corps décharnés jetés à même le sol boueux, visages émaciés perdus dans le néant... Tous ne semblaient n'être que spectres hagards, funambules aux frontières de la mort.

       Mâchoire serrée, il dit d'une voix sourde :

- Nous ne pouvons aller plus loin, aucun n'y résisterait. Pour rester ici, nous renoncerons à nos noms et à nos origines. Nous les tairons pour un temps ou pour toujours.

      Le visage grave, Ganbaatar acquiesça et laissa son chef  de clan se détourner de lui.

      Il prit le prénom, commun en cette contrée, d'Alfred. Chevalier à si peu de prétention qu'il n'a même pas de nom et fonda la maison « PaixsurTonâme », en l'honneur de ceux qui n'étaient plus.

     Les hommes, enfin en sécurité, se mirent au travail. Ils fondirent les épées émoussées, débitèrent les lances cassées et fabriquèrent marteaux et faucilles, voilà, les fiers guerriers des steppes devenus fermiers et marchands.

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     L'arc et l'épée étaient gravés dans le cœur d'Alfred, mais son blason arborerait un fétu de paille, signe de sa nouvelle condition, emblème de tous ses renoncements et du cruel apprentissage de la modestie.

     La prospérité naissante attira quelques hères fuyant les terres de leur seigneur pris dans les guerres et autres estocades ordinaires. Le sang ne valait pas cher en Okord. Leur course éperdue les menait immanquablement aux confins de l'ouest les jetant dans cette souricière. Ainsi chaque jour, arrivaient de nouvelles forces, qui se disant transporteur, lancier ou arbalétrier.

     Les chevaux manquaient, il forma ses troupes à l'art du combat en mêlée en ordonnant des raids sur les camps avancés de Carovar. Les fantassins s'aguerrissaient limitant les pertes, l'or rentrait doucement. Son peuple bien nourri se multipliait et Alfred put envoyer ses lieutenants installer de nouveaux villages.

     Malgré tout, il était inquiet. L'afflux des rumeurs dessinait un bien étrange royaume. Les vassaux changeaient quasi journellement de suzerain, les suzerains changeant eux-mêmes de polémarque. Le dernier en place, Antijaky de son nom, se voulait Roi et défiait l'empire.

    Ce n'est pas la répression sanglante d'une insurrection qu'il fallait craindre, mais un massacre et le retour d'Okord à la poussière.

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