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#1 2017-08-11 21:49:09

Aldegrin de Karan
Inscription : 2014-09-14
Messages : 798

Douce est la vengeance.

Thème

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Dans notre monde, il y a une raison pour tout. Personne n'agit par désintérêt. C'est par culpabilité que les grands seigneurs donnent de l'or aux gueux. C'est par appât du gain que ces mêmes grands seigneurs lèvent le ban. C'est par peur qu'ils égorgent des femmes enceintes et noient des bâtards. C'est par envie qu'ils violent des villageoises.

J'avais cinq ans lorsque ma nourrice me fit quitter Ténare, caché dans un chariot débordant de foin. Bélial de Karan, mon oncle si attentionné, prenait alors grand soin de se débarrasser de toute descendance mâle, susceptible de mettre en échec sa succession à la baronnie. Mon père et deux de mes oncles en firent douloureusement les frais. Tandis que frères et sœurs rejoignirent  nos parents dans l'au-delà, je passais une enfance somme toute banale dans l'Est, caché chez un cousin de ma mère. Cet homme sans héritier se prit d'affection pour moi et m'éduqua à grand frais. Il avait longuement côtoyé mon père, et son père avant lui. Je restais un noble et méritais d'être élevé comme tel.

A quatorze ans je devins l'écuyer de l'un de ses vassaux. Ce ne fut pas une période appréciable. Non pas que le seigneur chez qui je vins fut un mauvais homme ; il était souvent bougon mais doté d'un cœur tendre. Néanmoins l'apprentissage du maniement des armes ne fut pas mon fort ; quoi que de l'avis général je maîtrise encore assez bien la lance. Après tout, j'étais un Karan, à croire que de l'encre coulait dans nos veines et non du sang... Mes connaissances s’illustrèrent surtout par une modernisation de l'agriculture, des impôts mieux utilisés ainsi que la conquêtes par mon seigneur de deux territoires, grâce à deux mariages.

Quoi qu'il en soit, comme chaque homme de ma qualité, mon dix-huitième anniversaire fut marqué par mon adoubement. Devenu chevalier on me confia un fief et des fiançailles furent arrangées. Tout aurait pu bien se terminer, comme dans ces chansons de gestes (que j’exècre, soit dit en passant). Mais l'existence n'est pas un chant de troubadour. La naissance de mes enfants me bouleversa peu, pas plus que la mort de mon épouse, emportée par la Fièvre de Peau ; je l'aimais pourtant intensément. En tout cas, plus intensément que quiconque d'autre. Un mal profondément enraciné dans mon âme avait germé, grandi et désormais donnait ses premiers fruits. Mon objectif était clair.

L'attraper, puis le tuer.

Malheureusement, la vie a parfois un plan différent du votre. Bélial de Karan mourut de sa belle mort. Mazër lui succéda. L'arrivée de cet inconnu à la tête du Pays de Karan ne me surprit pas : notre famille disposait de peu de représentants et tous se trouvaient dispersés à travers le royaume.

Un trait d'arbalète acheva la vie de ce jeune démon.

Pour la deuxième fois, on me coupait l'herbe sous le pied. J'aurais volontiers ruminé mon échec mais, à l'instar du Pays de Karan, le domaine de Ténare était en proie aux mêmes requins que la Preskill. Ma bourse était pleine, je disposais d'une armée forte, c'est donc tout naturellement que je revins dans ma ville natale ; avec un sentiment certain d'accomplissement. Fidèle à mon nom, j'assurais la reconquête de mes terres par plus d'enterrements que de mariages. Mais dans l'ensemble le Royaume me prêta peu d'attention. Je laissais au vieux Cruelle-Émeraude le soin d'hériter d'un problème dont je ne voulais pas et m'attelait à l'aboutissement de mon but.

Ce même but m'avait fait tenir, durant ces longues années. Ce même but me retenait ce soir sur une barque, au large de Cair Cilbur, Le Batteur à mes côtés.

-C'est pour bientôt...

D'abord le son. Ce terrible craquement, semblable au beuglement rauque d'une bête mythique de l'ancien monde. Un hurlement déchirant le temps et l'espace. Ensuite la lumière. Un ciel illuminé de couleurs si vives qu'elles dispersèrent les ténèbres de la nuit. Cair Cilbur explosait. Pas juste le donjon, pas juste le château. La ville entière devenait une immense colonne de flammes, vaporisant ses tours et ses murailles. Le port lui-même bouillonnait et glougloutait comme une marmite remplie de soupe.

Vint ensuite le tour d'Ahlaksik et de Siyah. Aux lueurs multicolores qui crevaient les nuages derrière La Mâchoire Grise, je devinais que les autres citées bâties par Bélial subissent le même sort.

Les grands Mange-Flammes furent l’atout de Karan ''Le Jeune'' durant ses raids, puis la longue guerre qu'il livra contre la Samarie. Ces machines devinrent par la suite la grande spécialité de Ténare. Mais leur confection coûteuse, leur pénible entretien et leur grande instabilité les reléguèrent au rang d'antiquités. Je ne crois pas que les karaniens antiques chevauchèrent jamais des dragons, mais je crois que ces barbares disposaient des moyens militaires pour obliger une ville à vider ses greniers et donner ses femmes.

En tout cas, juché sur ma barque, j'en avais un bon aperçu.

Retrouver les secrets de leur création me coûta beaucoup d'or. Fort heureusement les mines de Ténare sont généreuses. Ce qui prit le plus de temps fut sans aucun doute le transport et la reconstruction dans les réseaux d’égout. Le Batteur, l'homme de confiance d'Ascelin -du moins, celui qu'il prenait pour son homme de confiance- se chargea de nous éviter de déplaisantes confrontation avec la garde...

-Rentrons, ordonna-t-il au batelier. Une fois qu'ils auront fini de gueuler dans les flammes ce fleuve sera le premier endroit qu'ils fouilleront.

Si un jour vous désirez vous venger et que l'on vous dit que c'est impossible, que l'individu qui vous à causé tant de douleurs et tant de torts est simplement trop puissant, trop bien protégé ou trop important pour être tué, répondez que tout le monde peut être tué. La mort n'est pas une protection, il reste toujours quelqu'un ou quelque chose qui peut être détruit.

Douce est la vengeance.

HRP-Ceux qui le souhaitent sont libres de réagir à la destruction des citées karaniennes.-HRP

Dernière modification par De Karan (2017-08-11 21:50:50)


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux

Hors ligne

#2 2017-08-14 22:38:13

Hans Von Festung

Re : Douce est la vengeance.

Une mouche se pose sur une paupière.

Gros plan sur l’œil qui s’ouvre. Dérangeant. Des milliers de mouches, elles volent et dévorent les lèvres de visages. Autant de visages fermés, pâles, verrouillés à jamais, sur lesquels un souffle brûlant a gravé des récifs de charbon .

- Réveillez-vous. On tire l’homme d’une fosse que des paysans nourrissent de corps brûlés, sous une pluie de cendres tourbillonnantes. Nuit en plein jour. On vous pensait mort, comme les autres !

On le nourrit, il est ramené dans une tente de chevalier aux traits vaguement griffonnés par la lumière vacillante de torches, au travers de la pénombre qui recouvre désormais une grande partie (quoique temporairement) du Pays de Karan. Ses habits sont brûlés. Des frissons frénétiques frappent la falaise de son esprit comme des vagues furieuses. Il vient à peine de se rendre compte qu’un homme en armure lui fait face.

- Je n’ai pas à vous dire mon nom. Je suis d’une commission de recherche, et je représente la maison Von Festung. En son glorieux nom, en son autorité dont je suis tutélaire sur les terres où vous vous tenez, je vous demande sans plus de sommation de me dire avec le plus d’exactitude ce que vous avez vu.

Derrière lui, on déroule des cartes. Des lieutenants en peaux de loups font des messes basses. On parle de rupture des relations avec tout Karan originel. On parle de, de quoi ? D'"action extérieure pouvant révéler celles du passé", d'un nouveau comte à la tête du Pays de Karan ? Undyne de Poissonville... Echos incompréhensibles... Voix résonant dans le vague.
L’homme qu’on a tiré d’une fosse fronce les sourcils.

- Ce que j’ai vu ?


* *  *


Guldinar de Grünerhering jura une nouvelle fois, en cette belle matinée de Vendor. La 11ème phase de l’été de l’an VIII de la dix-septième ère pointait déjà le bout de son museau quand un magnifique pigeon chia sur l’épaule du bienheureux voyageur. Il épuisa certainement l’entièreté du vocabulaire du patois ethnique Gorgüns associé au commentaire de ce genre d’agréable événement quand –

Des images brisées. Souvenirs vagues, douloureux.

Il vit dans le lointain de l’aura maritime de la Torva, à l'Est entre les montagnes, où semblent se confondre d’ordinaire ciel et mer, dans cet horizon qui dilue l’espace, il vit quelque chose d’assez étrange. Des ombres de voiliers, dont l’étrave perçant les eaux laissait présager de la fonction militaire. Inhabituel. Il haussa les épaules et donna un nouveau coup de cravache sur le mulet, suivant la colonne des quatre chars de fer qu’on livrait de Grünerhering à Karanlik. Il savait son chargement commercial attendu du Baron Asbjörn de Karanlik. Face au muraille de la cité Karanienne qu’il passerait bientôt, il rêvait déjà des lupanars que les huskarls locaux lui feraient visiter. Et puis ce fut-

Il tremble. Transpiration. Il a du mal à prononcer cette partie-là du souvenir.
Il n’est même pas sûr de l’avoir vraiment vécu.

Un océan de rats. Des rats qui courent à toute blinde…
La caravane s’immobilisa. Les chevaux, ils cabrent, ils se retournent, chutent, hurlent. Guldinar ouvre la bouche, il ne comprend pas. Des millions de rats jaillissent des égouts de la cité, des caniveaux, des rigoles publiques, et se renversent hors de la ville, traversant la colonne du marchand terrifié. Et puis vint le cri. C’était le cri d’Yggnir en personne, ou ce ne pouvait pas exister. Un tonnerre qui compacte les murailles de la ville dans une nuée de flammes dévorantes. Et c’est au travers du nuage toxique, des dents de flammes broyant les maisons de torchis, que, Guldinar suffoquant, aperçut le fantôme carbonique d’un dispositif remuant dans les entrailles infernales de Karanlik.

Fondu au noir. Il ne se souvient de rien d’autre.


* * *


- Mais… ,tousse Guldinar, ces terres ne vous appartiennent pas…

Un notable, cuir et fourrure Gundorienne, s’avance vers lui :
- Maintenant si.

- C’était horrible ,gémit-il,… Une explosion qui a dévasté la ville… Comme à la Pointe de Sel.

- La Pointe de Sel a été le théâtre du combat entre le Vaucansson et le Sanglant, d’un ton supérieurement didactique. La légende des frères ennemis est véridique, et si vous n’y croyez pas, sachez toujours que la ville était construite sur une montagne crachant du feu.

- Non.

Silence glaçant sous la tente. Les nuages versent des cendres dehors.
J’avais vu de loin la Pointe de Sel éclater… C’est exactement la même explosion… Les mêmes restes de machinerie dans les sous-sols. Une révélation traversa le marchand. Ses yeux se figèrent dans un vide évident.

… Le même procédé, mais pas la même personne à l’œuvre ni la même cible, entre à l'époque et aujourd'hui… Ça explique les bateaux…
Le nom d'Aldegrin de Ténare flotte dans la pièce. La vengeance du Samarien s'échappe de l'esprit des lieutenants. Ils redoutent que la populace remette en cause la future version officielle : conséquences géologiques tardives de la malédiction de Gweddnidrup. Peut-être les soldats en armes sont-ils étonnés d'une telle lucidité venu d'un bourgeois. Les regards s'aiguisent et pointent dans la direction de Guldinar. Tension.

Le rescapé de la catastrophe se perd. Gerhard Von Festung… De son temps… Aurait-il … ?


L’homme en armure murmure au notable. Ça ressemble à « il en a vu beaucoup ». Guldinar n’entendit pas qu’il soufflait « il en a vu trop ».

- Parfait !, déclare le notable. Vous devez être épuisé ! Et, remplissant deux coupes d’un vin noir avec une même belle carafe d’or, Notre maître Hans vous dédommagera vos marchandises. En attendant à la vôtre ! Buvez !

Guldinar, lui assoiffé,  boit toute sa coupe de vin.


Pas le notable.

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