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[Note HRP : Ce RP commence un an après les événements décrits dans le RP "Le Cygne mis à l'épreuve". Vous pouvez également découvrir la quête qui a fait de Loth un homme ici : "Un passé glorieux".
Pour rappel, Loth a pris la succession d'Andior à la tête du Cygne après sa mort. Viserys est son demi-frère (second fils d'Andior). Tous les autres sont de nouveaux personnages.
Bonne lecture !]
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Printemps de l'an I de l'ère 17
Le chariot bâché avançait difficilement sur les pentes menant à la Nouvelle-Hrothgar. En effet, après l’assassinat d’Andior, la décision de quitter la cité portuaire de Hrothgar, pourtant très chère aux yeux du peuple, avait été prise. La Nouvelle-Hrothgar avait été construite en un temps record assez proche de Guarida, dans les contreforts des montagnes de Solède, en plein territoire du Cygne.
La nouvelle avait été accueillie de façon mitigée : les marins marchands regrettaient tout naturellement ce choix, car le port de Hrothgar était rapidement devenu un des plus importants du Sudord, tandis que d’autres étaient soulagés de voir la nouvelle capitale des Hallgeirr installée en terre conquise.
Une fois n’est pas coutume, un crachin s’abattait sur les nombreux hommes et femmes qui se dirigeaient vers la ville. C’était le jour des doléances. Pour la quinzième fois de la journée, la carriole s’arrêta à côté d’un paysan qui se retourna, surpris. Deux hommes en sortirent. L’un d’eux, petit et replet, était vêtu de façon élégante, affichant ostentatoirement sa richesse. Le second, le visage barré d’une cicatrice qui donnait froid dans le dos, avait tout du guerrier accompli et expérimenté. Le premier des deux prit la parole d'une voix chaleureuse.
« Hola, mon brave ! Je suis Simon Sangfield, et mon ami s’appelle Virshan. Comment te nommes-tu ?
- Appelez-moi Lothaire.
- Comme le comte ? Quelle chance tu as !
- Oui… Ne l’prenez pas mal m’sieur mais… qu’est-ce qui vous amène à vous intéresser à moi ? J’veux dire, j’ai rien fait d’mal, j’vais juste voir not’ bon comte Loth.
- Ne t’inquiètes pas, nous ne te voulons aucun mal ! Nous allons nous aussi le voir, justement. Que dirais-tu de nous accompagner pour une partie du chemin, au sec, à l’intérieur ?
- Oh ce s’rait un plaisir, y fait pas ben froid mais si j’continue à marcher sous c’te pluie j’risque de tomber malade, ce s’rait pas bon du tout !
- Bien. Cependant, nous avons une personnalité publique dans notre chariot. Virshan va donc s’assurer que tu ne peux pas lui porter préjudice en te fouillant, si cela te convient.
- Y a pas d’souci m’sieur ! Qui qu’ce soit j’lui veux aucun mal ! »
Ledit Virshan s’exécuta, et ne trouva aucune arme sur le paysan. Simon remonta dans la carriole, suivi de Lothaire. Virshan jeta un coup d’œil aux alentours, puis en fit de même après avoir dit au cocher de repartir.
Lothaire fut étonné de voir à quel point l’intérieur était confortable. Une femme d’une trentaine d’années, tout aussi richement vêtue que Simon, était assise, jambes croisées, le visage couvert d’une voilette noire.
Lothaire tomba instantanément sous son charme, et il se dit qu’il ne devait pas être le premier à qui elle faisait cet effet. Simon s’installa en face de la dame et fit signe au paysan de venir s’asseoir à côté de lui, tandis que Virshan prenait place à côté d’elle. Ce dernier gardait désormais ses yeux sombres fixés sur Lothaire, ce qui l’aurait mis mal à l’aise s’il n’avait pas été obnubilé par la beauté de cette femme. Simon reprit la parole.
« Mon brave Lothaire, je te présente Magdalena Alighieri, dirigeante de la grande Compagnie Marchande Orcanienne. Tu as déjà entendu parler d’elle ?
-Et comment !! C’est un honneur, un véritab’ honneur que d’vous rencontrer, ma dame, vous qui êtes responsable de l’explosion commerciale orcanienne grâce à nos fameux friands à la saucisse ! »
Magdalena lui glissa un petit sourire charmeur et répondit :
« Merci. Je prends toujours plaisir à rencontrer les hommes qui cultivent nos terres, vous êtes notre véritable richesse. Vous vous rendez donc à la Nouvelle-Hrothgar, c’est cela ?
-Oui, je souhaite rencontrer not’ seigneur Loth.
-Parfait. Quelle est votre histoire, Lothaire ?
-Ca vous intéresse ? Vous êt’ encore plus admirable que les rumeurs veulent bien le faire croire ! Mon histoire est pas folichonne vous savez. J’ai hérité une ferme d’mon père, sur la province du Loup, et je m’en occupe depuis trente ans. J’étais là bien avant la naissance du Comte, mais quand j’ai pris le contrôle d’la ferme, mes terres appartenaient déjà à Andior. Paix à son âme.
-Que pensiez-vous de lui ?
-Ah, ça c’était un grand homme ! Quand j’étais gamin j’rêvais d’me battre à ses côtés, de dev’nir chevalier ! Mais c’est pas possib’ bien sûr, j’ai jamais eu assez d’argent pour ça.
-Vous appréciez donc toutes les guerres qu’il menait ? Cela ne vous a jamais porté préjudice ?
-Vous savez, final’ment les combats sont rarement arrivés jusqu’au Sudord. Bon j’vais pas vous mentir, j’ai ben eu mes récoltes saccagées une fois ou deux, mais j’m’en suis toujours sorti.
-Vous avait-il aidé dans ces moments difficiles ?
-Ben pas vraiment, il lui fallait l’or pour reconstruir’ son armée vous comprenez. Pour pouvoir nous défendre. »
Magdalena sourit à nouveau. Elle menait la conversation comme elle le voulait, et son objectif s’approchait déjà, alors que le paysan n’était avec eux que depuis dix minutes. Elle reprit la parole.
« Ou pour mieux attaquer, plutôt. N’est-ce pas ? »
Lothaire hésita un peu.
« Oui… Ptèt’ bien… »
Le premier objectif, faire naître le doute dans l’esprit du paysan, était atteint. S’il remettait son seigneur en question, alors la suite du plan serait plus aisée à réaliser.
Dernière modification par Andior (2017-10-21 21:07:57)
Magdalena reprit la parole.
-Qu’allez-vous dire au seigneur Loth ? Je me doute que vous ne faites pas le voyage pour rien.
-Ben en fait j’aim’rais bien qu’il comprenne que l’déménagement de la ville m’cause des soucis. Vous voyez, avant j’étais proche d’la capitale donc j’arrivais bien à écouler mes stocks. Maint’nant, j’peux pas trop commercer avec les villes proches parce qu’elles privilégient les paysans qui travaillent pour leurs seigneurs, donc j’manque un peu d’argent. Et j’ai pas d’quoi déménager. Du coup j’sais pas trop comment me débrouiller, donc j’vais demander à not’ bon Loth s’il peut m’aider, quoi.
-Je vois. Vous espérez donc qu’il vous verse une compensation financière suffisante pour contrebalancer votre préjudice, vous permettant de déplacer vos installations ?
-Euh… Ouais, par exemple…
-Bon. Je vais vous proposer un marché, mon ami. La Compagnie Marchande Orcanienne peut vous aider pour tout ce qui est de compensation financière. Virshan, tu peux arrêter la charrette ? Simon, va chercher… Disons… Deux mille pièces d’or pour notre camarade. »
Virshan sortit la tête à l’extérieur, et interpella le cocher. Une fois la carriole arrêtée, Simon se dirigea vers les affaires jusqu’alors cachées par une bâche. Il put cacher ce qui s’y trouvait, mais ne put pas masquer le bruit clinquant des pièces d’or. Lorsqu’il revint, il en avait une bourse pleine dans les mains, qu’il tendit à Lothaire qui n’en croyait pas ses yeux.
« En échange de cet or, je souhaiterais que vous disiez à Loth d’Orcanie à quel point vous êtes heureux du changement de la position de la capitale, et que vous venez lui apporter cet or pour qu’il vous aide à déménager. Le connaissant, il vous en laissera une bonne moitié. Vous le remercierez aussi pour sa politique pacifiste, qui vous permet de ne pas vivre dans la crainte, comme c’était le cas sous le joug d’Andior.
-Mais, m’dame, c’tait pas si terrib’ quand Andior était not’ chef ! Il savait s’battre et tout l’monde en était conscient, donc l’commerce s’passait bien ! J’peux pas mentir à not’ bon comte en critiquant son père ! »
Virshan intervint pour la première fois d’une voix glaciale.
« Ecoute mon vieux, tu veux l’argent ou pas ?
-Oui m’sieur j’en ai vraiment b’soin…
-Alors tu écoutes et tu la fermes. »
Lothaire parut tout à coup moins à l’aise.
« Merci, Virshan. Je reprends, donc. Vous ne vivez plus dans la crainte comme c’était le cas sous le joug d’Andior. Vous le savez plus que quiconque, puisque votre père a été tué, et votre mère violée sous vos yeux, lorsque vous étiez jeune, par des huskarls appartenant à l’armée même d’Andior. Si vous dites cela au Comte, notre partenariat ne fait que commencer, et vous n’aurez plus jamais de souci d’ordre financier. Cela vous convient ?
- Ou… Oui madame.
- Par-fait ! Nous allons vous déposer ici, vous n’êtes plus très loin de la capitale.
- Mer…Merci madame.
- Virshan, tu raccompagnes notre invité ?
- Oui. »
Les deux hommes descendirent de la carriole. Lothaire commençait à s’éloigner lorsque la voix grave de Virshan l’interpella.
« Eh, mon vieux. Juste une chose.
- Ou… Oui ?
- Ne pense même pas à contrarier dame Alighieri. Sinon, tu auras des ennuis. De graves ennuis. Et ta famille également. Capiche ?
- Je n’y pensais même pas ! Ma famille a déjà eu des ennuis avec les huskarls d’Andior, et je vais m’empresser de le raconter au Comte !
- Héhéhé. C’est bien, t’es plus malin que t’en as l’air. Allez, à bientôt, peut-être… Enfin, j’espère pour toi que non. »
A l’intérieur, Simon poussa un soupir de soulagement. Il était en nage.
« Eh bien, qu’y a-t-il Simon ?
- J’ai cru qu’il ferait des histoires… Et j’ai eu peur qu’il voit les corps sous la bâche. »
Magdalena éclata de rire.
«Bien sûr que non ! Douze succès sur quinze aujourd’hui, ce n’est pas si mal, non ? Allez, on peut repartir à Folpertuis. »
Elle s’adresse à Virshan, à l’extérieur.
« Prends un cheval et va t’assurer que tous respectent leur parole à la Nouvelle-Hrothgar.
-Oui, ma dame. »
Le guerrier détacha un cheval de l’attelage, et se mit en route. Tout se passait comme prévu.
Eté de l'an I de l'ère 17, salle des doléances, palais de la Nouvelle-Hrothgar
Loth Hallgeirr était assis sur le trône central pour présider la journée des doléances. C’était une tâche ardue et parfois démoralisante, tant il entendait des histoires malheureuses de personnes blessées, physiquement ou moralement, par les conséquences des guerres passées. Fulbert d’Inverness, le général en chef de ses troupes, était assis à sa droite. C’était un homme intègre, d’une cinquantaine d’années, qui avait été promu à la suite du décès d’Andior. En effet, Loth avait cherché des responsables à son meurtre, et une partie de l’état major d’Orcanie en avait fait les frais, malgré le fait qu’ils n’y soient pour rien. A sa gauche se trouvait Magdalena Alighieri, nommée récemment Grande Marchande d’Orcanie, et invitée d’honneur de Loth. Viserys, qui était normalement assis à cette place, était négligemment installé dans les gradins. Il était en train de manger un plat de fruits, distrait, et ne semblait pas écouter un mot de ce qu’il se disait. Face à Loth, une femme était agenouillée.
« Seigneur Loth, c’est un honneur…
- Bonjour. Relevez-vous. Vous vous appelez ?
- Aliénor Saeda, messire.
- Enchanté de vous rencontrer Aliénor. Je vous écoute.
- Voilà… Je suis une marchande des Marches des Vents de l’Est. J’ai fait le trajet par le Canal depuis là-bas pour venir vous voir. Je voulais vous raconter comment une de vos décisions a ruiné ma vie et celle de ma famille…
- Je ne vous permets pas d’insulter votre seigneur ! »
Fulbert avait bondi de son siège en entendant les derniers mots d’Aliénor, mais Loth lui fit signe de se rasseoir.
« Si elle me parle ainsi, elle doit avoir de bonnes raisons. Attendons de voir la suite. »
Fulbert, cramoisi, se rassit sans faire d’histoires.
« Je vous écoute, Aliénor.
- Vous souvenez-vous de votre attaque sur Fief 11, la place forte du Roi, avec dame Elverid, pour venger la mémoire d’un seigneur aujourd’hui disparu, Houbiffi. Cette attaque pour laquelle vous aviez augmenté la taxe sur les récoltes, et qui fut un semi-échec. Vous vous souvenez sans doute également qu’il y a quelques mois, alors que vous battiez la campagne en direction de Blancherive avec votre armée, les feux d’alarme avaient été déclenchés par erreur ? Vous pensiez que l’armée entière de Galactic s’apprêtait à lancer un siège sur Blancherive, alors qu’il n’en était rien.
- Je me souviens de tout cela. Venez-en au fait, je vous prie.
- Oui, mon seigneur. Je vais à présent vous apprendre des choses que vous ne savez sans doute pas, sinon vous me seriez peut-être venu en aide, et un de vos conseillers aurait sans doute répondu à mes multiples lettres demandant que vous vous intéressiez à ma situation. Ce jour-là, lorsque les feux d’alarme ont été déclenchés, il y avait bien des soldats du Roi sur les Marches des Vents de l’Est. Oh, pas beaucoup, pas assez pour déclencher une alerte, ça, les rumeurs s’en sont chargées à elles-seules. Mais ils sont venus. Une dizaine de cavaliers. »
Aliénor baissa la tête, son corps tout entier commençant à se tendre.
« J’étais alors en train de transporter de la marchandise entre Blancherive et Corberoc, comme à mon habitude, avec mon mari et mon cousin. Soudain, sur la route, ce groupe de cavaliers sans bannière nous a interpellés. Nous avons tout d’abord naturellement pensé qu’il s’agissait de soldats servant le seigneur Spleen, puisque nous sommes habitués à les voir parcourir librement nos terres, et nous sommes arrêtés sans méfiance. »
Elle se mit à sangloter, la voix tremblante de rage.
« Ils ont tué mon mari, et mon cousin. Ils ont saccagé ma marchandise, étripé mes chevaux. Et vous n’imaginez même pas tout ce qu’ils m’ont fait… »
Elle releva la tête, les joues baignées de larmes.
« PAR VOTRE FAUTE ! Tout cela parce que vous avez décidé, par simple orgueil, d’aller défier le Roi et son immense armée ! Cela fait des mois que j’essaie de vous contacter, vous ou le chambellan de n’importe laquelle de vos villes ! A chaque fois, je suis refoulée aux portes du palais, on ne me laisse même pas entrer ! Je ne dois le fait d’être ici que parce que je travaille pour dame Alighieri ! Elle seule m’a écouté et m’a aidé à refaire ma vie, tandis que vous et vos chambellans ne bougeaient pas le petit doigt ! »
Virshan appréciait l’effet de ces paroles, depuis l’entrée. Simon pouvait être fier d’avoir trouvé une actrice d’une telle qualité pour répandre ces mensonges dans la tête de Loth Hallgeirr. Celui-ci semblait très troublé, restant sans voix devant cette histoire dont il n’avait jamais entendu parler. Jamais un de ses chambellans ne lui avait remonté une telle information : que des soldats alors ennemis avaient pu parcourir librement les terres du Cygne, piller, saccager, et violer des marchands, et repartir sans être inquiétés. Il ne savait plus où se mettre. Magdalena prit alors la parole.
« Je suis désolé, seigneur Loth, j’ignorais qu’elle comptait vous parler ainsi… Je vous en prie, ne soyez pas trop dur avec elle, elle a déjà tellement souffert…
-Il suffit. Magdalena, l’aide que vous avez porté à cette dame est remarquable, et je trouve intolérable qu’aucun de mes chambellans n’ait été à même de le faire. Il est impensable que des membres de mon peuple se retrouvent dans une telle situation. Nous devons renforcer les patrouilles sur nos provinces, nous occuper de notre défense avant tout pour le bien-être de notre peuple. Aliénor, je suis terriblement désolé de ce qu’il vous est arrivé. Je ne peux rien faire de plus que vous dédommager, hélas, et vous promettre que je ne laisserai pas ce genre d’histoire se reproduire sur mes terres. »
Loth se rassit sur son fauteuil. Il s’était levé sans même s’en rendre compte, en prononçant ces mots, déclenchant même l’intérêt de Viserys. « Bof, une envolée lyrique de plus », se dit celui-ci, reportant son attention sur les cerises qu’il était en train de dévorer. Et le défilé d’hommes et de femmes venant raconter leurs histoires insignifiantes à ses yeux reprit.
Automne de l'an I de l'ère 17, salle du conseil.
Une grande carte en relief était posée sur la table. Mesurant trois mètres par quatre, elle représentait le royaume d’Okord en intégralité, ainsi qu’une partie du royaume d’Österlich, au sud du Sudord, limitée à l’ouest par la région de Gratz. Le seigneur d’Orcanie avait toujours veillé à maintenir cette carte à jour, et à l’agrandir au gré des informations ramenées par les expéditions d’Okordiens menées en terre étrangère. Une partie des territoires de Trakbäalärd était même visible grâce aux bonnes relations entretenues avec les Karan à l’époque d’Andior. La plupart des personnes les plus influentes d’Orcanie se tenaient debout, autour de la table ; les deux demi-frères Hallgeirr, la marchande Magdalena Alighieri accompagnée de son garde du corps Virshan, les généraux Fulbert d’Inverness et Olaf Otarsson, recruté sur les anciennes terres du Gundor, ainsi que quelques gardes du palais.
Le Comte Loth Hallgeirr prit la parole.
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour décider de l’implication de la maison Hallgeirr dans la conquête de l’Austrasie, appartenant au seigneur Enguerrand, au nom de la Confrérie du Cygne. Dame Alighieri, pouvez-vous nous rappeler pourquoi nous en sommes arrivés là ?
- Oui, messire. J’ai rencontré le Duc pour discuter de l’achat de sa province, avec d’autres représentants du Cygne. Tout d’abord, il nous a fait part de son attachement à ces terres, qui lui ont apporté la lumière divine de Podeszwa, selon ses dires. A partir de là, nous avons avancé la possibilité de nommer un adepte de Podeszwa comme gouverneur de la province, puis nous avons annoncé une première proposition pécuniaire. Le Duc a catégoriquement refusé, et nous n’avons rien tiré de plus de l’entrevue.
-Fulbert, Olaf, quelle est la situation, stratégiquement parlant ? »
Les deux généraux échangèrent un regard, puis Olaf posa un doigt sur une étoile blanche dessinée sur la carte.
« Fort Austral est extrêmement bien défendue. Elle est entourée de trois remparts concentriques, ainsi que de deux immenses donjons. Une garnison importante d’archers y a été mobilisée depuis notre tentative d’achat de la province. De plus, huit tours de guet sont disposées en demi-cercle au sud de la forteresse afin de se prémunir d’une attaque surprise. La flotte d’Enguerrand est suffisamment puissante pour contenir la notre, et tient cette partie du Canal d’une main de fer : toute attaque par la mer est par conséquent exclue. »
Fulbert s’avança à son tour, et enchaîna :
« Nos fiefs les plus proches sont Tel Mithryn et Markarth, situés vers la province de Bonnemaison. Nous ne pouvons donc arriver que par le sud, et il est probable que les fiefs Himmseldorf et Australbourg détecteront notre arrivée avant même les tours de guet du fort. Cependant, nos armées n’ont jamais été si impressionnantes, et nos armes de siège en sont une force importante. Nous estimons que nos forces sont potentiellement aussi importantes que celles du Duc, même si nous n’avons pas de rapport précis sur son armée du fait de son éparpillement. Cependant, il nous a déjà étonnés par le passé de par la puissance de son armée.
-Que préconisez-vous comme action ? reprit Loth à l’intention d’Olaf.
-Nous avons écrasé Enguerrand du temps de votre père, répondit le géant. Nous pouvons le faire une seconde fois, et lui tenir tête sans mal. Je connais votre position là-dessus, mais en utilisant les forces de nos vassaux pour nous aider, nous nous assurerions de la victoire, et de l’acquisition définitive de cette province.
-C’est bien mal connaître le seigneur de la Pétaudière, intervint Fulbert. J’ai rarement rencontré un homme aussi têtu que lui, hormis peut-être le seigneur LeRoux. Il faut être très persuasif pour le faire abandonner.
-Eh bien capturons-le. Son héritier se montrera peut-être plus attaché à sa survie qu’à ce lopin de terre.
-Assez. »
Loth stoppa le conflit qui naissait entre ses deux généraux en chef d’un simple mot, et ceux-ci inclinèrent la tête en sa direction.
« Mon père n’a jamais exécuté de prisonnier, même lorsqu’il était Tokva. Je ne dérogerai pas à la règle : nous remporterons la victoire d’une autre manière.
- Puis-je vous faire part de mon opinion, messire Loth ? Mon activité me confère un point de vue différent de celui de vos généraux… »
L’audace de la demande de Magdalena surprit tout le monde. Olaf et Fulbert pensaient qu’elle n’avait été invitée que pour exposer la situation, pas parce que son avis pouvait compter.
Dernière modification par Andior (2017-05-08 23:16:04)
Les deux généraux n’en revinrent donc pas lorsque Loth accéda à la requête de la Marchande sans sourciller.
« Merci. Malgré les tensions qu’il y a pu avoir entre notre maison et la maison de la Pétaudière, le commerce entre l’Orcanie et l’Austrasie est florissant. Les nombreux ports appartenant au seigneur Enguerrand et à ses vassaux sont friands des produits que nous vendons, et les attaquer pourrait avoir un impact négatif sur l’économie de nos terres. Peut-être que nous pourrions garder nos forces pour un autre objectif, qui aurait moins d’impact négatif pour nous, et laisser un autre seigneur du Cygne se charger de la conquête de cette province.
-Sottises, répondit Olaf. Que ce soit nous ou un de nos alliés qui l’attaquent, cela revient au même. Nous devrons dire adieu à nos échanges commerciaux avec lui, pour un temps, du moins.
-Général Otarsson, vous êtes peut-être un excellent chef de guerre, mais vous feriez un piètre commerçant. Si nous ne sommes pas à l’origine de l’attaque, et que nous laissons nos alliés gérer ce conflit, nous pourrons prétendre que nous nous y opposions depuis le début. Nous pourrions même présenter la chose de façon à ce que le seigneur de la Pétaudière nous perçoive comme utiles pour la reconstruction de ses fiefs.
-Il n’est pas si benêt.
-Même l’homme le plus malin au monde peut se faire avoir par de belles paroles, surtout lorsqu’elles proviennent d’une femme lui étant inaccessible, répondit-elle avec un sourire. »
Loth, resté assez silencieux jusqu’ici, se tourna brusquement vers son frère, comme s’il venait seulement de remarquer sa présence. Il l’interpella d’une voix douce.
« Viserys ? Tu sais que ton avis compte beaucoup pour moi. Qu’en penses-tu ?
-Mon frère, tu le sais déjà. C’est une occasion rêvée t’imposer comme le digne successeur de notre père. Rien ne serait plus marquant que la capture et la victoire de son dernier ennemi.
-N’oublie pas Zyakan. »
La voix de Loth était soudainement devenue glaciale, et pleine de haine. S’il parvenait à se contenir en présence de son beau-père, à rester cordial avec lui, son attitude était toute autre lorsqu’il était avec son cercle restreint d’amis. Il haïssait Zyakan de Guarida du plus profond de son être, et ce ressentiment était bien plus important que l’amour qu’il portait pour sa fille. Seul cet amour l'empêchait de satisfaire son désir de vengeance.
« C’est du passé, reprit Viserys. Sans lui, tu ne serais pas à la tête d’une des maisons les plus importantes du royaume.
-Ne repars pas sur ce terrain-là…
-Je ne vois pas ce qui te gêne avec ça, c’est la pure et simple vérité. Zyakan, en défiant notre père, t’a rendu maître du Cygne, malgré ton mariage avec Carmen. Prendre la province d’Enguerrand et le capturer te permettraient d’ailleurs de prendre réellement le dessus sur elle. Son ambition pourrait te poser des problèmes, à terme.
-Que dis-tu ? Carmen ne veut que le bien de notre confrérie. Je ne suis pas le seul dirigeant du Cygne, nous sommes trois, avec des responsabilités égales. Cela a toujours été.
-Officiellement, oui. Mais officieusement, Père maîtrisait tout ce qui se passait dans la confrérie. Pas Helyanor. Pas Zyakan. Andior était la seule âme du Cygne, et son seul dirigeant. C’est pour cela que son héritage te paraît être un fardeau à assumer.
-Assez. J’ai entendu ton avis, Viserys. Merci. La décision finale me revient. »
La franchise de Viserys avait une fois de plus agacé Loth. Son demi-frère était doté d’une logique implacable, et ne rechignait jamais à le montrer, même si cela devait froisser son interlocuteur. S’il s’était fait capturer par un des Baldir d’Österlich, il lui aurait sans aucun doute montré tout le mépris que lui inspiraient les adorateurs de Podeszwa, sans se soucier des conséquences engendrées. C’est pour cela que Loth considérait que Viserys, malgré sa malice et son ingéniosité, ne pourrait jamais être à la tête de sa propre maison.
« Nos armées ne conquerront pas l’Austrasie. C’est l’occasion de montrer à tous que les membres du Cygne ne dépendent pas de la maison Hallgeirr seule. Carmen ou Elverid pourront décider de leur implication dans cette opération, voire la déléguer à un de leurs vassaux si elles estiment que c’est préférable. Nous n’impliquerons pas non plus nos vassaux afin de garantir la paix avec les maisons en bordure du Grand Canal Sudordien, et de continuer d’étendre notre zone d'influence commerciale.
Vous pouvez disposer. »
Dernière modification par Andior (2017-05-12 15:15:57)
Hiver de l'an I de l'ère 17, Pech d’Ixar.
« Bonsoir à tous, je vous souhaite la bienvenue à la deux cent cinquante deuxième réunion de la confrérie du Cygne ! Merci à vous d’avoir répondu présent. »
Tous les grands seigneurs du Cygne étaient présents. Pas de chambellan, pas de représentant, mais la crème de la crème. Les barons, vicomtes, et autres nobles du royaume d’Okord avaient répondu à l’appel de leur suzeraine, la Marquise Carmen de Guarida, pour rejoindre Pech d’Ixar.
« J’ai été plutôt concise dans la missive que je vous ai fait parvenir. Vous savez seulement qu’une annonce capitale pour la confrérie va être faite, et je m’excuse de ne pas vous en avoir dit davantage. Je ne voulais pas vous gâcher la surprise. La composition du Triumvirat de notre confrérie a changé suite aux récents événements que vous connaissez tous. »
Une fierté affichée illumina le visage de Carmen. Elle faisait référence à la prise de Fort Austral par Kenath de Bonnemaison, puis à la capture d’Enguerrand de la Pétaudière par son ost. Elle céda sa place à Elverid qui poursuivit le discours qu’elle avait entamé.
« Grâce à ses actions militaires, le seigneur Kenath a été reconnu comme Marquis parmi nos pairs, devenant ainsi un seigneur de haut rang dans notre royaume. Ce statut a été obtenu au prix de nombreux sacrifices, et grâce à une ingéniosité remarquable quand à la manière dont il a géré ce conflit. Il a donc été tout naturel pour nous de lui proposer une place au Haut Conseil du Cygne. »
Les seigneurs du Cygne se levèrent et applaudirent Kenath avec force. Luscan, Loken et Steiner, avec lesquels il partageait une histoire commune, le congratulèrent en le chahutant, abandonnant la dignité qui était normalement présente dans ce genre de moment. L’importance de la fraternité entre ces quatre seigneurs se voyait davantage encore qu’à l’accoutumée. Le nouveau Marquis se leva pour aller rejoindre ses pairs.
« Chers confrères, c’est avec joie que j’ai accepté la proposition de nos représentants. Je tâcherai de faire grandir le Cygne par mes faits d’armes et ma diplomatie. En rejoignant le Haut Conseil, je promets de respecter les valeurs prônées par notre confrérie depuis sa création, et de les diffuser partout dans le royaume d’Okord. Enfin, je compte bien vous mener vers de nouvelles victoires !
-Ouais ! Bravo Kenath, bien dit !
-Hourra !
-Attends que je devienne Marquis aussi, tu feras moins le malin ! »
Loth attendait, un peu en retrait, que l’excitation retombe. Son annonce aurait moins de succès, et il avait la lourde tâche de leur faire comprendre sa démarche. Finalement, au bout de quelques minutes, le calme revint dans la salle. Il s’avança pour prendre la parole à son tour. Levant les yeux vers la salle, il croisa le regard accusateur de Viserys et se détourna aussitôt.
«Confrères du Cygne, vous le savez, notre Haut Conseil est un Triumvirat. Ainsi, j’ai pris la lourde décision de devenir un simple membre du Cygne, et pas un de ses représentants. »
Des murmures se répandirent dans la salle. Un léger voile de tristesse passa sur le visage de Carmen, mais elle se reprit très rapidement. Elverid laissait transparaître une légère inquiétude, tandis que la plupart des autres seigneurs présents étaient abasourdis. Seule Magdalena paraissait se réjouir de la décision de Loth, et lui adressait un sourire encourageant. Virshan, qui la soutenait habituellement, paraissait étrangement contrarié.
« Je sais que cette décision peut vous étonner, et ne possède aucun précédent dans l’histoire de notre confrérie. Cependant, depuis sa création, il a toujours été dit que chacun de ses membres pouvait en devenir le dirigeant s’il s’investissait assez pour cela. Le seigneur Kenath, bien qu’ayant prouvé sa valeur à de maintes reprises par le passé, n’avait jamais mené d’action avec une portée aussi importante.
C’est maintenant chose faite, et je pense qu’il sera un meilleur atout que moi pour la confrérie. En effet, si il a longtemps été question que je reprenne le flambeau que mon père m’avait laissé, je me suis vite rendu compte que j’avais encore beaucoup à apprendre, notamment en situation de combat. Kenath est bien plus expérimenté que moi sur ce domaine. Carmen est dans la même situation que moi, mais est à la tête de la maison du Cygne et nous représente parfaitement. Enfin, Elverid est la seule rescapée du Triumvirat auquel appartenaient nos pères respectifs, et doit donc garder sa place pour s’assurer que nos traditions et nos valeurs perdurent.
Voyons cela comme un nouveau départ pour notre confrérie, et l’occasion pour le seigneur de Bonnemaison de continuer son ascension vers la haute noblesse du Royaume. »
La fin du discours de Loth laissa la place à un bruissement dans la salle, somme de tous les murmures jugeant son choix. Le Comte d’Orcanie, toutefois, ne regrettait rien. Il savait qu’il n’avait pas la trempe d’un leader, et pensait que cela était dû à sa jeunesse.
Tous n’étaient pas de son avis. Il eût à peine le temps de voir la cape de Viserys que celui-ci quittait déjà la salle en claquant la porte.
Guarida, veille du tournoi de l’héritier.
Viserys leva deux doigts en direction de Loth, puis lui fit signe d’approcher, un sourire carnassier s’étendant sur son visage. Le rude entraînement pour préparer son demi-frère au tournoi du lendemain approchait de sa fin, et il ne pensait toujours pas que celui-ci avait une chance de gagner. Pourtant, il devait montrer un beau visage au Cygne, afin de redorer son blason, et son demi-frère avait mis sa fierté de côté pour l’entraîner. Excellent à la joute, il avait plus de mal à la lutte, et surtout à la passe d’armes. C’est sur cette étape du tournoi que Viserys avait choisi de mettre l’accent pour cet entraînement.
Leurs techniques de combat étaient très différentes.
D’un côté, Loth s’était entraîné avec feu le capitaine Dagobert durant sa mission, avec une volonté farouche de se battre de la même manière que son père. Il tenait donc une hache et un bouclier d’entraînement, en bois, dans ses mains. Cette technique se basait principalement sur une bonne résistance aux coups, et la capacité de surgir au bon moment pour porter un coup dévastateur sur son adversaire. Le dernier duel qu’Andior avait mené contre Zyakan était l’illustration même de ce qu’il souhaitait apprendre à maîtriser. Si Loth était très résistant et très lucide pour porter son coup au bon moment, il manquait encore un peu de force pour faire la différence de façon systématique.
Viserys, quant à lui, avait reçu les cours de son père en personne. Curieusement, il avait recherché l’opposé des techniques de combat de son père, afin de combler son manque de force. En effet, si le corps de Loth était aussi grand et carré que celui de son père, Viserys était de taille moyenne, et assez longiligne. Ainsi, il se battait avec deux lames fines, et était un maître dans l’art de l’esquive. Son objectif était de fatiguer son adversaire en portant des coups à répétition sur ses points faibles, tout en évitant ses attaques. Cependant, son corps encaissait beaucoup moins bien les coups que celui de son demi-frère.
L’opposition de style caractérisant leurs combats les rendaient très agréables à regarder. Certains louaient la défense de Loth, d’autres les esquives de Viserys. Certains admiraient la force de la hache de l’aîné, d’autres la précision chirurgicale des lames du cadet. En somme, tout deux étaient de très bons combattants.
Cette fois-ci, Virshan et Magdalena étaient les seuls observateurs du spectacle qu’offraient les deux Hallgeirr. L’atmosphère n’était peut-être plus au beau fixe entre eux en privé, mais ils gardaient bonne contenance en public. Officiellement, Virshan occupait la fonction de garde du corps de dame Alighieri, mais tout le monde savait qu’il était bien plus que cela. Nombreuses étaient les rumeurs prétendant qu’une liaison existait entre eux deux, étant donné qu’elle ne s’était jamais mariée. Personne ne savait si ces rumeurs étaient fondées, mais il était rare que l’un se déplace sans l’autre. De plus, Virshan, de par son passé de mercenaire, avait le bras long dans le royaume. En effet, il n’avait jamais raté une mission, et avait acquis une certaine réputation : l’homme était fiable, et terriblement efficace. Jamais il n’avait accepté de changer d’employeur durant une mission, malgré les offres parfois faramineuses qui lui étaient proposées. Certains pensaient même qu’à force d’inspirer le respect de tant de seigneurs du royaume, il pourrait obtenir un titre de noblesse et des terres. Ainsi, il permettait à dame Alighieri de rencontrer les bonnes personnes aux bons endroits, et d’impressionner d’éventuels concurrents. Si le réseau de la Grande Marchande d’Orcanie était si développé, elle le devait en partie à son homme de main.
Cependant, l’instinct belliqueux de Virshan était de plus en plus prononcé. Il avait parfois tendance à s’emporter pour rien, et à gêner Magdalena dans diverses affaires. Conscient de l’importance qu’il avait pour elle, il prenait également des libertés sur la gestion des affaires de la Compagnie Marchande Orcanienne. Il était de moins en moins rare que des accords soient passés sans même que Magdalena n’en soit informée, et elle songeait de plus en plus à l’éloigner discrètement des affaires de la compagnie.
Le combat faisait rage devant eux. Les coups de Viserys pleuvaient sur Loth, qui parvenait tant bien que mal à en parer la plupart avec son bouclier. Il avait déjà tenté quelques contre attaques avec sa hache, mais son adversaire les avait toutes esquivées. Alors que Viserys atteignait son épaule avec une lame, il leva d’un coup sec son bouclier et le projeta avec force en sa direction. Celui-ci, surpris, n’eût pas le temps d’esquiver la manœuvre de son demi-frère, et le bouclier le heurta de plein fouet. Loth, conscient que sa manœuvre était suicidaire s’il ne remportait pas le combat immédiatement, chargea sur Viserys l’épaule en avant, le faisant tomber sur le dos, et enchaîna en attaquant avec sa hache. Il retint son coup, l’arrêtant à quelques centimètres de la gorge de Viserys. Le combat était terminé, et ce coup-ci, il en sortait vainqueur.
Récupérant son bouclier, il tendit la main vers son demi-frère pour l’aider à se relever, tandis qu’une servante approchait avec une serviette pour éponger le sang sur le visage de Viserys. La rondache avait causé quelques dégâts superficiels en heurtant son visage, mais il avait le sourire. Cette fois-ci, Loth était enfin parvenu à s’adapter à la situation en modifiant sa stratégie au cours du combat.
« C’est bon, j’en ai eu assez pour aujourd’hui, renifla Viserys. Je crois que t’es prêt pour demain.
-Je te pensais plus solide, le charria Loth.
-Oh ça va, c’est un simple entraînement ! En combat réel je me défends plutôt bien, je te signale !
-N’insinue pas que tu te retenais, c’est faux !
-Tu m’as surpris, voilà tout. Mais tu ne m’auras pas deux fois. On remettra ça après le tournoi.
-Le rendez-vous est pris. »
Le lendemain, pourtant, lors du tournoi de Guarida, Loth termina au pied du podium. Il reçut notamment une leçon cuisante de la jeune As’gryf, qui étonna tout le monde lors de ce tournoi, profitant de l’avantage de sa petite taille et de sa vivacité pour prendre de vitesse tous ses adversaires, sans avoir besoin de beaucoup de puissance. Elle s’était retrouvée dans le dos de Loth en un rien de temps, la pointe de sa lame entre les omoplates du Comte qui n’avait pu qu’admettre sa défaite. Mais cela ne lui gâcha pas la fête pour autant… Luis Hallgeirr de Guarida, l’avenir de la confrérie et de la famille Hallgeirr, était né.
Eté de l'an II de l'ère 17, taverne du Mort-de-Soif, Solitude.
« Pssst ! Par ici ! »
Une silhouette encapuchonnée sortit de l’ombre, faisant signe à une autre personne qui semblait vouloir être discrète. Elle s’approcha.
« Tu n’as pas été suivi ? Le Vautour avait envoyé quelqu’un après moi…
- Non, personne ne me colle au train. C’est ok pour vous ?
-Oui, je l’ai perdu dans le quartier des mines. C’est cet endroit-là ?
-Oui, entrons. »
Les deux hommes entrèrent dans la taverne du Mort-de-Soif, à une heure bien tardive. Elle n’était remplie que de soûlards, la plupart déjà endormis, et de quelques soldats en permission jouant aux cartes. Le tavernier commençait à nettoyer le bar lorsque ces deux énergumènes encapuchonnés étaient entrés, et les accueillit froidement. Son regard s’éclaira bien vite, lorsqu’il vit la bourse bien remplie que lui tendit le plus petit des deux pour débarrasser la table du fond, un peu à l’écart du reste des clients, de son soiffard endormi. Une fois qu’il fut sorti de l’établissement à coup de pompe dans le derrière, ils purent s’installer, et reprendre leur discussion.
« Il traîne le nom des Hallgeirr dans la boue.
-Parle moins fort !
- Il n’empêche que c’est vrai. Vous savez comment on commence à l’appeler au Sanctuaire des Initiés ? L’ombre. L’ombre de son père, l’ombre de ce que devrait être un comte, anciennement duc, d’Okord. Il passe pour un couard à refuser tout combat. Alors en cédant sa place au haut conseil…
-Nous ne sommes pas là pour revenir sur le passé. Il n’est pas digne de supporter cet héritage, c’est un fait. Nous sommes ici pour savoir si… Ôte-toi de là, toi ! »
Le barman sursauta et laissa tomber son chiffon.
« J’fais que nettoyer cette table mes p’tits gars ! Vous avez p’tètre payé mais il faut bien que je fasse mon boulot !
-Et alors, t’as que celle là à nettoyer, de table ? gronda un des deux hommes, mettant une main sur le pommeau de sa dague.
-Non, non, messieurs, ‘vous énervez pas voyons… Désolé ! »
Le tavernier repartit piteusement en direction de son bar, avec son chiffon crasseux dans la main.
« T’es sûr qu’on peut parler ici ?
-Oui, ils ne peuvent pas avoir des oreilles partout, tout de même. Bon, vous disiez ?
-Hum… Je voulais m’assurer que tu me soutiendras si je fais ce dont je t’ai parlé la dernière fois.
-Bien sûr, mon point de vue sur la question n’a pas changé. Et je ne serai pas le seul. Je ne compte plus les huskarls s’étant plaints de la mollesse de Loth. La méthode importe peu, pour eux, tant qu’ils ont des cibles.
-D’accord. Et son fils ?
-A terme, ce sera évidemment un problème. Mais pour l’heure, il est trop jeune pour prétendre à quoi que ce soit. Personne ne souhaite attendre encore vingt ans. Et de toute façon, le fait qu’il grandisse à Guarida ne joue pas en sa faveur.
-Du gros poisson, sinon ?
-Potentiellement, oui. J’ai entendu dire que les rapports entre les deux piafs s’étaient détériorés, précisément au sujet de Loth. Ils ne sont plus d’accord sur la politique à mener. On pourra peut-être embarquer le Corbeau avec nous.
- Contacte-le, et évalue-le. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir notre affaire être ébruitée, mais il pourrait être un allié considérable.
-C’est noté. J’ai déjà créé quelques liens avec lui, nos passés se ressemblent un peu. On va voir ce qu’il vaut réellement.
-Bien. Je te tiendrai informé de notre prochaine rencontre, sans doute pour les préparatifs de l’opération. »
Les deux hommes se levèrent, et quittèrent le troquet après une accolade amicale. L’aubergiste, après s’être assuré qu’ils étaient loin, se précipita sur le cahier sur lequel il notait habituellement les commandes. Il griffonna un message de quelques lignes, un sourire satisfait sur le visage. L’entrevue entre les deux hommes allait lui rapporter gros, pour peu que sa missive ne tombe pas entre de mauvaises mains.
Hiver de l'an II de l'ère 17, salle des doléances, palais de la Nouvelle-Hrothgar
La file d’attente devant la salle des doléances était bien courte. Moins de dix personnes s’y trouvaient, et c’était loin d’être une exception. La décision de sortir la maison Hallgeirr du Haut Conseil du Cygne avait prodigieusement freiné toutes les velléités d’éventuels adversaires, qui préféraient s’en prendre aux trois nouvelles maisons majeures du Cygne : Guarida, le clan du Hibou, et Bonnemaison. Aucun combat n’avait été à déplorer en Orcanie sur la dernière année, et le Comte n’avait jamais été aussi populaire chez les petites gens, qui se sentaient enfin en sécurité. La Compagnie Marchande Orcanienne ne s’était jamais aussi bien portée, créant de nouvelles ramifications dans son réseau commercial, même parmi les maisons ne possédant pourtant pas de bonnes relations avec le Cygne. Autrefois guerrière, la maison Hallgeirr commençait à être vue comme pacifiste par le reste du royaume, et n’inspirait plus la crainte à qui que ce soit.
Un jeune homme frêle s’avançait devant lui, prenant la place d’une paysanne qui s’était montrée très élogieuse envers le Comte. Il lançait des regards apeurés dans la salle, comme s’il ne savait pas trop ce qu’il faisait là. Après quelques longues secondes de silence, Loth l’invita à parler.
« Bon…Bonjour Monsieur le Comte. Je suis venu vous remercier. Vous… Vous m’avez aidé à trouver ma voie, vous m’avez donné une juste cause pour laquelle me battre. »
Loth lui sourit, et lui parla d’une voix douce.
« De quoi parles-tu, jeune homme ? N’aie pas peur de me regarder, je suis ici pour écouter les doléances de mon peuple. Comment t’appelles-tu ? »
L’homme leva timidement les yeux.
« Silas.
-Bien, Silas. Tu peux en venir au fait ?
-Oui, messire. »
Il baissa à nouveau les yeux, ne regardant que ses pieds.
« Voyez-vous, Monsieur le Comte, je me suis engagé dans l’armée d’Orcanie il y a deux ans, lorsque les rumeurs concernant l’invasion de l’Austrasie s’amplifiaient. J’étais désœuvré, alors, et je souhaitais entrer dans l’histoire en participant à ce conflit, et aux suivants. Je suis très ambitieux, Monsieur le Comte, et je voulais faire une carrière militaire ponctuée de coups d’éclats pour la grandeur de votre famille.
Finalement, aucune opération militaire n’a été menée, ce qui m’a donné le temps de m’entraîner, mais j’avoue que j’étais désœuvré, Monsieur le Comte. Puis j’ai reçu ce document. Il faut que vous voyiez ça, je suis certain que cela vous éclairera. »
Silas lança un regard interrogateur à Loth qui lui fit signe d’approcher. Arrivé au bas de l’escalier, il se pencha brusquement vers sa chausse. Magdalena, voyant un reflet métallique, appela les gardes :
« Il est armé ! »
Au même moment, Silas, comme possédé, hurlait :
« QU’YGGNIR GUIDE MA LAME ! »
Les gardes aux portes de la salle n’eurent pas le temps d’attraper leur arc et de viser Silas. Le général Fulbert, assis à la droite de Loth, n’avait pas pris son épée pour la réunion. Viserys et Olaf étaient trop loin pour intervenir à temps, et Magdalena n’était jamais armée. Enfin, Loth Hallgeirr restait figé, une incrédulité franche sur le visage, tandis que la mort lui faisait face.
La carotide fut tranchée net, et le sang de la victime se répandit sur le sol dans un suintement abominable.
Loth porta machinalement sa main à sa gorge, la bouche entrouverte. Du sang coulait sur lui, mais ce n’était pas le sien. Silas, la dague de Virshan plantée dans la gorge, s’écroula à moitié sur celui qu’il allait tuer, raide mort. Les yeux écarquillés, le Comte tourna la tête vers son sauveur qui se trouvait quelques mètres plus loin. Fort de son expérience au combat, il avait réussi à lancer sa lame avec précision, et à stopper de justesse Silas dans son élan. Après une seconde de silence, le temps que tout le monde comprenne ce qu’il venait de se passer, Fulbert et Olaf se mirent à hurler des ordres dans tous les sens pour fermer les portes du palais, et appeler des renforts en protection de Loth. Le Comte, les jambes tremblantes, ne parvint pas à se lever avant de longues minutes, tandis que Virshan examinait sa victime.
Silas n’avait pas plus de vingt-cinq ans, de taille moyenne, et n’était pas très épais. Lorsque Magdalena retourna son corps flasque, elle remarqua un tatouage dont l’extrémité était visible à sa nuque. En enlevant son chemisier, elle reconnut le symbole d’Yggnir, recouvert tout récemment des lettres LH gravées à même la peau, en hommage à ce qui devait être la victime de son sacrifice. De toute évidence, Silas savait qu’il ne survivrait pas à son action, et il s’en moquait. En tant que fanatique affirmé d’Yggnir, il voulait plus que tout mourir pour sa cause, et rejoindre sa grande armée divine. Le reste importait peu.
Virshan, quant à lui, s’était saisi de la dague, et l’examinait sous tous ses angles. L’acier était de qualité, et la dague très acérée. Mais c’est surtout sa garde qui l’intriguait : des gravures représentant l’ours des Hallgeirr, le Cygne, et l’épée du Sudord s’y trouvaient. Ce n’était pas une simple dague de soldat, et il aurait pu parier qu’aucun troufion du genre de Silas n’avait les moyens de se procurer ce type d’arme à moins de vendre tout ce qu’il possédait. Il lui vint à l’esprit une conclusion simple, qu’il exprima à voix haute :
« Il n’était que l’exécuteur. Le commanditaire court toujours. »
Il se tourna vers Viserys qui tenait dans ses mains le papier tâché de sang, que Silas prétendait vouloir montrer à Loth.
« De quoi s’agit-il ?
-Rien d’intéressant, c’est probablement lui qui l’a écrit. Une page de son journal, peut-être. Il s’y plaint de l’annulation de la mobilisation de l’armée à Epervine en vue de la prise de Fort Austral. Il écrit également qu’il pense que l’Orcanie est dirigée par un Faible, qui ne mérite même pas de faire partie des Initiés d’Yggnir. La fin est illisible, à cause du sang. »
Viserys aida Loth, encore sous le choc, à se relever.
« Allez, viens, il faut te nettoyer.
-Virshan, balbutia Loth. Virshan, accompagnes-moi… Tu seras mon garde du corps. »
Virshan s’inclina, mais répondit :
« Messire, puis-je, dans l’immédiat, enquêter sur ce qu’il vient de se passer ?
-Non. Laisse Fulbert et Olaf s’en charger.
-Bien, messire, répondit-il. Puis, se tournant vers les deux généraux, il reprit. Vous devriez le fouiller, et trouver où il habite. Avec un peu de chance, il a laissé des traces derrière lui… »
Fulbert tenait déjà une petite clé rouillée dans sa main. Il ne restait plus qu’à déterminer ce qu’elle ouvrait.
Jour de l’attentat, Nouvelle-Hrothgar
Les ordres avaient été donnés très rapidement : fermeture des portes de la ville jusqu’à nouvel ordre, mise en place d’un couvre feu, et accès interdit au palais. Des pelotons de gardes parcouraient les rues de la ville, entrant de gré ou de force dans chaque maison, et les fouillant. Si le commanditaire avait gardé des preuves chez lui, alors ils le sauraient. Cependant, la garnison de la Nouvelle-Hrothgar n’était pas très importante, le gros de l’armée d’Orcanie étant de l’autre côté du Canal, sur les Marches des Vents de l’Est. La ville était grande, donc investir toutes ses maisons et les fouiller efficacement prendrait plusieurs jours.
Fulbert et Olaf allaient en direction de la salle du conseil au pas de course. Loth les y attendait avec son tout nouveau garde du corps, et son conseil restreint. Il paraissait psychologiquement touché par ce qu’il venait de se passer, ne disant pas un mot, le regard dans le vide. Il ne tourna même pas la tête lorsque les deux généraux entrèrent en soufflant comme des buffles. Fulbert fonça sur Viserys qu’il plaqua au sol, lui mettant une lame sous la gorge, tout en l’invectivant. Pendant ce temps, Olaf tendit une lettre à Loth qui avait repris ses esprits. Le Comte la lut en vitesse, les yeux écarquillés. Se tournant vers son demi-frère, il balbutia :
« Tu… Tu… C’est toi ? Tu es derrière tout ça ? »
Viserys tenta de répondre, mais Fulbert accentua la pression de son épée sur sa gorge, faisant perler le sang, et interpella son souverain.
« Messire ! Dites un seul mot et j’achève ce mécréant !
-Du calme, intervint Olaf. Il n’est manifestement plus en position de faire quoi que ce soit de dangereux, ne prenons pas de décision hâtive.
-Tais-toi ! Sire, quels sont vos ordres ? »
Loth se prit la tête entre les mains.
« Impossible… C’est impossible… Tu n’as pas pu faire ça… Non… »
Virshan approcha de Loth, posant son immense main sur l’épaule du jeune homme.
« Messire, vous devez prendre une décision maintenant. »
Loth restait la tête entre les mains, se balançant d’avant en arrière et prononçant des murmures à peine audible. Virshan le secoua brutalement.
« Seigneur Loth Hallgeirr ! tonna t’il d’une voix puissante. Comportez-vous comme le grand homme que vous êtes ! Prenez vos responsabilités ! »
Loth réussit tant bien que mal à reprendre son calme.
« Viserys… Tu as toujours été honnête. Sois-le encore une fois. Cette lettre dit vrai ? Tu es derrière tout ça ?
-N… Non, cracha Viserys tant bien que mal, la pression de l’épée sur ses cordes vocales l’empêchant d’en dire plus.
-Laissez-le aller dans ses quartiers, sous haute surveillance.
-Vous êtes sûr, messire ? demande Fulbert, inquiet.
-Oui… Je refuse de croire qu’il est derrière tout ça… C’est impossible. Laissez-le sous bonne garde, ne le perdez jamais de vue. Exécution. »
Fulbert et Olaf soulevèrent le cadet Hallgeirr sans ménagements, et l’emmenèrent en direction de ses quartiers en appelant d’autres gardes. Quelques instants plus tard, Magdalena arriva, affolée.
« J’ai entendu des cris ! Tu vas bien, Loth ?
-Ce n’est pas le meilleur mot pour exprimer comment je me sens, mais je suis en vie.
-Je comprends. Un homme veut vous voir, pour vous apporter son témoignage. Il détient apparemment des informations capitales sur l’attentat. Je l’ai fait fouiller, il n’est pas armé.
-Faites-le monter ici. »
Quelques instants plus tard, le témoin entra dans la pièce. C’était de toute évidence un roturier. Sa belle moustache grise ne suffisait pas à masquer la crasse de son visage, mais personne ne s’en souciait en ces heures sombres. Il s’inclina devant Loth.
« Relève-toi, et dis-moi ce que tu sais. »
Alors l’homme se mit à parler. Il l’informa qu’il était venu rendre visite à sa sœur depuis Solitude, lorsqu’il avait été informé de l’attentat. Il lui raconta comment, un soir d’été de l’année précédente, il avait reçu deux clients étranges, à la taverne du Mort-de-Soif. Il lui expliqua qu’après avoir eu l’impression de reconnaître le visage de l’un des deux hommes, il s’était approché discrètement d’eux, feignant de nettoyer une table, pour entendre leur discussion. Il n’avait pas tout entendu en détails, mais les paroles qu’il rapporta à Loth suffisaient pour savoir que les deux hommes complotaient contre lui. Il lui dit, enfin, que lorsque l’un des deux hommes s’était tourné vers lui pour lui dire de déguerpir, son capuchon avait légèrement glissé en arrière, assez pour que le tavernier le reconnaisse.
Le témoin informa donc Loth Hallgeirr que son demi-frère, Viserys Hallgeirr, était venu préparer une action contre lui dans sa taverne, un doux soir d’été de l’année en cours.
Viserys Hallgeirr heurta le fond de sa cellule de plein fouet, quelques minutes plus tard, lorsqu’il y fut jeté sans ménagement par le geôlier.
« T’en fais pas ! T’y resteras pas bien longtemps… Tu vas faire ami-ami avec la hache du bourreau », lui dit-il avec un rictus.
Loth avait prévu de présider le procès deux jours plus tard. Alors Viserys réfléchit, pendant les probables dernières quarante huit heures de sa vie, afin de savoir comment il avait pu se faire avoir aussi facilement.
Jour de l'attentat, Nouvelle-Hrothgar
« Si je voulais tuer mon mari, je le ferais en duel, cabrón ! Demande-moi encore une fois de te donner mon épée et je t'éviscère, toi et tes laquais de pisse.
-Virshan, laisse-la. »
L'homme s'effaça sobrement, mais fit signe que les deux mastodontes devraient rester à l'extérieur. La duchesse passa sans lui décrocher un regard et fonça serrer Loth dans ses bras couverts de poussière. Elle avait fait aussi vite que possible, dés que la nouvelle lui était parvenue.
« Je viens de croiser ton frère, pourquoi est-ce que tes gardes l'emmènent ? »
Loth ne répondit pas. Aucune réaction aux mains de Carmen sur son visage, rien. C'était la première fois qu'elle le voyait dans un tel état d'apathie.
« C'est un soldat qui a voulu tuer messire Loth, madame, répondit le rigide Fulbert à la place de son seigneur. Il est mort avant d'avoir pu accomplir son forfait, mais nous avons des preuves que c'est Viserys qui l'a poussé à agir.
-Viserys ? … Mais... C'est impossible... »
Carmen ouvrait des grands yeux interdits. Elle connaissait Viserys depuis l'enfance, au même titre que Loth. Certes, il avait toujours été spécial, différent des autres, plus solitaire, comme dans un monde ailleurs, …certes, de ce qu'elle percevait, les relations entre Loth et lui étaient plutôt tendues ces derniers temps, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse en vouloir à son demi-frère au point de le faire assassiner.
« C'est peut-être difficile à croire pour vous, votre Grâce, mais il y a un témoin, et... Cette lettre. Tenez. »
Dans la dizaine de secondes que ses yeux mirent à parcourir les quelques lignes, le visage de Carmen se décomposa. Ses doigts faisaient un effort extrême pour ne pas réduire le parchemin en charpie.
« Hijo de... »
L'humanité était donc définitivement pourrie jusqu'à la moelle. Le frère tuait le frère, pour un peu de pouvoir. Même pas pour un trône... Pour un comté. Ciemnota, la moitié sombre de tout. La lutte contre les forces de l'Injustice et de la Traîtrise était infinie... Des jours comme celui-ci, Carmen se rendait mieux compte de ce qu'infini signifiait. Il ne fallait pas faiblir, jamais. Podeszwa comptait sur leur volonté de faire triompher la pureté.
« Vous allez me faire le plaisir d'écarteler ce salopard fratricide de Viserys et de lui arracher les yeux. »
Carmen se redressa, et considéra pour la première fois les gens rassemblés dans cette salle du conseil. Les généraux, elle les avait déjà croisés à maintes reprises, tout comme les conseillers. De même pour la Grande Marchande Orcanienne dont elle n'entendait que du bien, et ce Virshan qui était prêt à lui confisquer son arme. Elle ne doutait pas de leur intégrité vis-à-vis de Loth... Tout comme elle n'avait jamais douté de celle de Viserys.
Loth devait se ressaisir. Aussi abominable que soit la situation, il fallait faire un exemple.
« Loth. »
Il releva vers elle son regard perdu.
« Sois ferme. »
Dernière modification par Zyakan (2017-06-04 08:53:48)
Deux jours après l’attentat, salle des doléances, palais de la Nouvelle-Hrothgar
« Nous sommes ici pour juger Viserys Hallgeirr, accusé d’avoir commandité une tentative de meurtre sur ma personne. A l’issue de cette journée, je déciderai du sort qui lui sera réservé. J’appelle Simon Sangfield, qui nous présentera le dossier de cette affaire, les preuves de l’accusation, ainsi que les témoins. »
Le petit homme grassouillet se leva, et s’approcha de l’estrade sur laquelle Loth était jusqu’ici. Bombant le torse, il était manifestement très fier d’avoir été choisi pour mettre sur pied en un temps record le dossier condamnant Viserys. Son air joyeux contrastait drastiquement avec la morgue de tous les hauts dignitaires présents, qui étaient conscients qu’une conséquence grave risquait de déboucher de ce procès : la condamnation à mort d’un des trois rescapés de la lignée Hallgeirr.
« Merci, monsieur le Comte. C’est un honneur pour moi de représenter le peuple d’Orcanie aujourd’hui, en expliquant le cheminement qui a failli causer la plus grande tragédie qu’ait connu notre terre depuis des années. Car c’est de cela dont nous parlons : une tentative d’assassinat sur le gouverneur de la province, l’héritier des Hallgeirr, le fier Comte Loth ! »
Il faisait de grands gestes tout en parlant, rendant son discours très théâtral.
« Toutes les preuves accusent le demi-frère de notre Comte, c’est-à-dire Viserys Hallgeirr. Cependant, comme le seigneur Hallgeirr est magnanime, il a accordé un procès à l’accusé, alors que nombreux étaient ceux qui souhaitaient son exécution pure et simple. Je vais m’évertuer à vous prouver la culpabilité de Viserys Hallgeirr. J’appelle Olvina Ilfgard qui va nous apporter un témoignage édifiant. »
Simon avait bien préparé ce procès. Travaillant d’arrache pieds depuis l’instant où il avait été nommé procureur de l’affaire, il avait réussi à réunir des témoins pouvant décrire Viserys à plusieurs périodes de sa vie, afin de dresser un portrait peu flatteur de sa personne. Il avait même tenté de faire témoigner Carmen de Guarida, mais elle avait refusé, répondant qu’elle l’égorgerait si elle s’approchait à moins de dix mètres de lui. A en juger par le regard qu’elle lançait à Viserys, c’était effectivement le cas.
Cependant, ce portrait ne faisait pas de Viserys un coupable, simplement un homme solitaire, assez mystérieux, et s’opposant à la direction que donnait Loth à la famille de l’Ours. La première preuve solide apportée fut la dague, qui avait été fournie à Silas par une personne riche à n’en pas douter. La seconde était le témoignage du tavernier, qui apportait la preuve que Viserys avait rencontré un homme et critiquait vertement Loth devant lui. Peut-être était-ce Silas ? Enfin, la lettre signée de la main de Viserys apporta le coup de grâce. Toute l’assemblée était à présent convaincue de sa culpabilité. Lorsque Simon se rassit, il sut qu’il avait accompli sa mission avec brio, et que le cadet Hallgeirr ne serait bientôt qu’un souvenir.
Loth se leva et interpella son demi-frère.
« Viserys Hallgeirr, avez-vous des aveux à faire ? »
Tout le monde remarqua que Loth vouvoyait son demi-frère, pour mettre volontairement de la distance entre eux.
-Non, répondit-il d’une voix curieusement calme. J’ai cependant une demande à exprimer. »
Un murmure outré parcourut la salle, mais Loth l’ignora.
« Je vous écoute.
-Messire, ce procès est une mascarade. La quasi-intégralité des témoignages était uniquement là pour conditionner toutes ces personnes à avoir une mauvaise opinion de moi, à faire de moi un coupable crédible. Mais il n’y a que deux ou trois véritables preuves qui m’incriminent. Et je les remets en cause. Il s’agit d’un complot visant à éliminer, à terme, la famille Hallgeirr. Ils me font passer pour un traître, puis ils s’en prendront à vous tant que votre héritier est trop jeune pour assurer votre descendance. »
Cette fois, des voix s’élevèrent en protestant contre les allégations de Viserys. Après quelques instants de réflexion, Loth leva un bras pour rétablir le silence, et invita l’accusé à continuer.
« Je ne demande qu’une chose, c’est la possibilité de me défendre. Or, enfermé dans ma cellule d’isolement, je n’ai pas cette possibilité. Je demande donc l’ajournement du procès, ainsi que la désignation d’une avocate neutre pour enquêter à ma place, une personne dont la loyauté n’est plus à démontrer. Je demande l’aide de la Matriarche Elverid pour démasquer les véritables coupables. »
Un long silence suivit cette déclaration. L’assemblée était suspendue aux lèvres de Loth, qui était en proie à une réflexion intense. Viserys avait instillé un doute dans son esprit. S’il y avait 1% de chance qu’il ait raison, alors il fallait lui laisser la possibilité de le prouver.
« Viserys Hallgeirr, nous nous reverrons dans 72h. Je vais contacter la Matriarche pour vous. A l’issue de ces trois jours, elle me fera part de ses conclusions et je prendrai ma décision. »
Un incroyable espoir naquit en Viserys. Tout n’était peut-être pas perdu.
Dernière modification par Andior (2017-06-12 01:17:19)
[Note HRP : ce chapitre et les six qui vont suivre ont été écrits en binôme avec Andior.]
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Deux jours après l'attentat, fin d'après-midi - Début de l'enquête
La journée était déjà bien avancée lorsqu'Elverid franchit enfin les portes du palais de la Nouvelle-Hrothgar. La missive de Loth Hallgeirr reçue le jour même en fin de matinée, et dans laquelle il demandait son aide pour une affaire de la plus haute importance, l'avait beaucoup intriguée, et elle s'était mise en route immédiatement. L'intendant du palais la conduisit auprès du comte qui lui expliqua toute l'affaire en détail.
La matriarche dut prendre quelques instants pour se ressaisir lorsqu'elle apprit que Loth avait échappé de peu à une tentative d'assassinat, et que Viserys était accusé de l'avoir commanditée. Une fois le choc passé, elle demanda à s'entretenir avec le prisonnier. Loth chargea l'intendant de l'escorter jusqu'au cachot où était enfermé son jeune frère.
Viserys était assis au fond d'une cellule crasseuse, un poignet enchaîné au barreau latéral. Il n'eût donc pas la possibilité d'avancer lorsqu'Elverid entra dans la pièce. Il avait l'air dépité.
« Messire Viserys, je viens d'être informée de la situation. Vous êtes accusé de complot, de haute trahison et d'avoir commandité une tentative de meurtre sur votre frère ?
- Bien résumé. Merci d'être venue.
- Je dois dire que j'ai des difficultés à comprendre... Les deux héritiers d'Andior Hallgeirr qui s'entretuent pour le pouvoir... si quelqu'un d'autre que Messire Loth m'avait raconté ça, je l'aurais traité de fou. Qu'avez-vous à dire sur cette... aberration ? »
Viserys haussa les épaules.
« Pas grand chose... Vous avez dû être mise au courant de tout. La lettre, la dague, le témoin. La mise en scène est bien réussie. A tel point que Loth croit dur comme fer que je suis coupable. Et c'est lui le juge.
- J'ai eu une description précise des faits survenus dans la salle des doléances, en effet. Ce jeune soldat agissait bien pour le compte de quelqu'un d'autre, c'est une certitude. On m'a bien parlé d'une lettre retrouvée dans ses effets personnels, et de cet aubergiste qui affirme vous avoir vu discuter dans sa taverne avec un personnage douteux... Quant à la dague dont il s'est servi, qu'a-t-elle de particulier ?
- C'est du très beau travail, répondit il. Pas du matériel de soldat. Ça coûtait évidemment trop cher pour un salaire de soldat. Ceci dit, peut-être qu'en l'étudiant, il sera possible de retracer sa provenance. Je n'ai pas eu assez de temps pour ça, malheureusement.
- Cette dague lui a donc été donnée par le commanditaire ? Il faudra que je demande à l'examiner. La lettre aussi. Je la comparerai avec d'autres documents écrits de votre main.
- Oui, bonne idée.
- Cet aubergiste, vous le connaissez ? êtes vous déjà allé dans sa taverne ? »
Il se tortilla sur son banc, mal à l'aise.
« Hum. Oui, je m'y suis rendu.
- Donc il peut vous reconnaître formellement, sans vous confondre avec quelqu'un qui vous ressemblerait ?
- Hélas, il ne m'a pas confondu avec quelqu'un d'autre.
- Donc c'est bien vous qu'il a vu comploter contre votre frère ?
- Comploter, quel vilain mot. Il m'a entendu critiquer les agissements de mon frère, en effet. Mais mon frère le sait très bien, puisque je ne me suis jamais privé de contester ses prises de position. Ceci dit, entre critiquer et commanditer un meurtre, il y a un monde d'écart.
- Certes... Mais cela contribue à rendre crédibles les accusations contre vous. Contester ouvertement les décisions de Loth dans l'espace public du palais est une chose, aller rencontrer je ne sais quel malandrin dans des endroits douteux pour colporter vos critiques en est une autre. Cela vous rend beaucoup plus suspect.
- Qui a parlé de malandrin ? Mais cela me regarde. Nous parlons ici de mon implication dans l'attentat perpétré contre Loth, le reste ne nous intéresse pas.
- Si. Pour vous défendre efficacement, je dois tout savoir de vos activités récentes, en particulier celles qui risquent d'être retenues contre vous. Comme cette étrange rencontre dans une gargote à ivrognes. Donc, qui était cet homme ? »
Son visage se ferma brusquement.
« Je ne peux pas vous le dire. »
Ce manque de coopération de Viserys agaça profondément la matriarche, d'autant qu'elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il ne servirait à rien d'insister.
« Voilà qui va singulièrement compliquer ma tâche... Bon, pouvez-vous au moins me dire pour quelle raison avouable un homme de votre rang a pu mettre les pieds dans un endroit pareil ?
- Les murs du palais ont des oreilles, murmura-t-il. Des oreilles dangereuses : voyez dans quelle posture je me retrouve aujourd'hui. J'étais suivi lorsque je m'y suis rendu. J'étais constamment espionné, je ne sais pas par qui mais c'est la vérité.
- Si vous vous sentiez espionné, pourquoi n'en avez-vous pas parlé à Loth ? Le fait que vous vous opposiez à lui ne devait pas vous empêcher de lui faire confiance. Ce n'est certainement pas lui qui vous a fait surveiller de la sorte.
- Ce n'est pas de lui que je doutais, mais de son entourage.
- Son entourage ? Il devait bien y avoir des moments où il était seul, non ?
- Vous l'avez sans doute remarqué, il demande souvent l'avis de ses amis, conseillers, ou alliés pour prendre des décisions. Il a tendance à trop vouloir faire plaisir à tout le monde, je dirais. Au contraire, les gens à qui j'accorde ma confiance se comptent sur les doigts d'une main. Ainsi, j'ai préféré garder cela pour moi. Que ce soit une erreur ou pas, ce qui est fait est fait. Ceci dit, si vous parvenez à prouver que les autres preuves ne m'accusent pas directement, voire à démasquer le véritable commanditaire, je pense que le témoignage du tavernier ne sera plus déterminant. Seul, il ne vaut rien.
- Bien, dans ce cas... je vais demander à Loth de me montrer les autres preuves. Cette lettre et cette dague, en particulier. Et j'aurai besoin d'accéder à votre salle d'étude pour comparer votre calligraphie à celle de la lettre. »
Le jeune homme haussa à nouveau les épaules en regardant au sol.
« Je ne suis pas en position de discuter ! »
Au moment où la matriarche s'apprêtait à partir, il leva à nouveau les yeux vers elle.
« Bonne chance, Elverid. Mon destin est entre vos mains. »
Premier jour d'enquête, deux jours après l'attentat, assez tard dans la soirée
Elverid s'était fait remettre la fameuse lettre et elle se trouvait à présent dans la salle d'étude de Viserys, la loupe à la main, en train d'examiner des parchemins éparpillés sur l'écritoire sous l'oeil inquisiteur de l'intendant du palais.
« Vous êtes sûr que tous ces documents sont les derniers paraphés par le Seigneur Viserys ? »
L'intendant poussa un soupir qui trahissait sa lassitude avant de répondre :
« Oui. Il a la fâcheuse habitude d'oublier de dater ses signatures au moins une fois sur deux, mais oui.
- Et de quand datent-ils ?
- Des quelques jours qui on précédé son arrestation.
- Bien... Merci. »
Elverid examina une nouvelle fois toutes les signatures à la loupe sous la lumière rasante d'une chandelle, de façon à rendre plus visibles les aspérités du parchemin. Elle venait de se souvenir d'un détail remontant à l'époque où Viserys avait appris à écrire : le jeune homme avait une façon très particulière de tracer le y de son prénom, en partant du bas vers le haut. Helyanor n'avait jamais réussi à lui faire corriger son geste. Cela produisait une très légère éraflure du parchemin, et une irrégularité du trait impossible à reproduire si on traçait la lettre correctement.
Enfin, elle put observer ce qu'elle cherchait : le sillon était bien présent sur tous les paraphes, mais beaucoup moins prononcé qu'autrefois. Viserys n'avait pas perdu sa mauvaise habitude, mais il avait dû s'astreindre à appuyer moins fort sur la plume. Sur la lettre retrouvée dans l'armoire de Silas, en revanche, le parchemin n'était pas entamé et le y de la signature présentait un tracé impeccablement régulier.
La matriarche reposa sa loupe et réfléchit quelques instants. Cette maudite lettre était donc bien contrefaite... mais une preuve aussi difficile à voir ne suffirait pas à convaincre Loth. Il fallait trouver autre chose.
« Il commence à se faire tard... Vous en avez encore pour longtemps, Dame Elverid ?
- Non. J'ai vu tout ce qu'il était possible de voir dans ces documents... »
Elle se leva pour sortir du cabinet d'étude et rendit la lettre à l'intendant en arrivant à sa hauteur.
« Je voudrais examiner la dague, maintenant. »
L'intendant lui remit l'objet, qu'elle commença à tourner dans tous les sens pour mieux l'observer.
« Un vrai travail d'artiste. Cela ne devrait pas être trop compliqué de trouver sa provenance... Pouvez-vous me donner une liste des meilleurs maîtres forgerons de la Nouvelle Hrothgar ?
- Tous les maîtres forgerons ? C'est qu'il y en a quelques-uns...
- Ceux spécialisés dans la fabrication d'armes de grande qualité ou d'apparat, dans un premier temps. On élargira les recherches si je ne trouve rien. Et je pense que j'aurai besoin d'un guide pour me diriger dans la cité. Je ne la connais pas encore très bien.
- Je vais transmettre votre requête au Comte pour qu'il vous attribue une escorte. En revanche, si vous souhaitez emporter la dague, ne ne peux vous la remettre que sur un ordre écrit de sa part.
- Ce ne sera pas nécessaire. Je me contenterai d'en faire une description précise.
- Bien. Je vais faire préparer cette liste d'artisans pour qu'on vous la remette demain à la première heure. Mais pour l'instant... Veuillez m'excuser, mais il se fait tard et j'ai encore quelques menues affaires du palais à régler. Puis-je prendre congé, Dame Elverid ?
- Certainement. J'ai assez abusé de votre patience pour aujourd'hui. »
Dernière modification par Elverid (2017-06-15 18:37:21)
Deuxième jour d'enquête, trois jours après l'attentat
Il était presque midi lorsqu'Elverid sortit d'une énième échoppe de forgeron en cochant une ligne de plus sur sa liste. Durant la matinée, elle avait dû parcourir la moitié des rues marchandes de la Nouvelle Hrothgar. Il ne lui restait plus que quatre boutiques à vérifier et toujours rien. Elle montra à nouveau le parchemin à son guide.
« Parmi ces quatre-là, lequel est le plus proche ?
- Celui-là : Thomas Krombach. Il est à deux rues d'ici. »
Quelques minutes plus tard, Elverid poussa la porte de l'artisan.
« Messire Krombach ? Plusieurs de mes amis m'ont vanté votre talent pour la fabrication d'armes d'apparat. Je suis une marchande venue du Clan du Hibou et je souhaite offrir un présent au Comte Loth Hallgeirr pour le remercier de ses actions en faveur du commerce entre les deux rives du Grand Canal. Je voudrais une dague, une pièce unique avec sur la garde des ornements représentant les armoiries de la maison Hallgeirr, de la Confrérie du Cygne et de l'Ordre Protecteur de Sudord. Quel serait le prix d'un tel objet et son délai de fabrication ?
- Heuu.... Il faudrait compter 40 000 pièces d'or et 20 jours de travail... »
Le forgeron avait pâli, et un léger tremblement dans sa voix trahissait son trouble. A n'en pas douter, c'était lui qui avait fabriqué la première dague. Elverid décida de creuser un peu.
« C'est fascinant... Mes associés en Orcanie n'ont pas exagéré votre savoir-faire : vous êtes le seul à avoir réussi à me donner une réponse immédiate. Je dois vous avouer que j'ai aussi demandé la même chose à quelques-uns de vos confrères moins doués que vous... ils m'ont tous répondu de repasser demain pour avoir leur chiffrage... A moins que... »
Elle fit mine de réfléchir quelques instants.
« Vous n'avez pas déjà fabriqué un objet similaire, n'est-ce pas ? Si c'était le cas, j'espère que vous auriez le bon goût de me le dire.... Comprenez bien : je tiens à offrir au Comte une pièce unique. De quoi aurais-je l'air s'il avait déjà reçu le même cadeau de la part de quelqu'un d'autre ? »
Le forgeron se mit à trembler comme une feuille et à bredouiller.
« Heuuu... pensez-vous... une commande pareille, je m'en souviendrais... Excusez-moi, ma bonne dame, je ne voudrais pas me montrer grossier mais... je viens juste de me souvenir que.. que j'avais une livraison urgente à faire... Vous... vous pourrez repasser t-tout à l'heure pour voir les premiers croquis... pourquoi ne profiteriez-vous pas du confort de nos meilleures auberges, en attendant, hein ? Elles s-servent de délicieuses spécialités locales... Je vous souhaite une bonne journée, Dame... heuu... »
Tout en parlant, le sieur Krombach avait poussé délicatement Elverid vers la sortie. Dès qu'elle fut dehors, il referma précipitamment la porte et la verrouilla à grand bruit, au grand étonnement du guide qui avait attendu dans la rue.
« Il semble bien que j'aie trouvé celui que je cherchais.
- Que faisons-nous, Dame Elverid ?
- Nous retournons au palais. Il faudra revenir cet après-midi rendre une visite plus... officielle à ce forgeron. »
Deuxième jour d'enquête, trois jours après l'attentat.
Au début de l'après-midi, Elverid se présenta à nouveau à la porte du sieur Krombach, accompagnée de deux gardes du palais. Lorsqu'elle avait raconté à Loth la première entrevue, ce dernier, intrigué, avait rédigé une convocation officielle à l'intention du forgeron.
L'échoppe était toujours fermée. L'un des gardes tambourina à la porte sans obtenir de réponse pendant que l'autre jetait un coup d'oeil par la fenêtre, tentant en vain d'apercevoir quelque mouvement à l'intérieur. Après quelques minutes d'attente, il fallut se résoudre à forcer la serrure pour entrer. Les gardes s'engouffrèrent les premiers à l'intérieur.
« Garde du palais de la Nouvelle Hrothgar ! Nous allons fouiller le bâtiment ! »
Au moment où Elverid entrait à son tour, un timide grincement se fit entendre au fond de la boutique, et le forgeron parut enfin, sortant d'un placard. Il était livide.
« Mes sires... Je suis soulagé que vous soyez des soldats de notre cher Comte Loth... »
Il tressaillit de surprise en voyant Elverid qui s'avançait vers lui.
« Vous ?.... vous n'êtes pas une marchande, n'est-ce pas ?
- En effet. Je suis Elverid, Matriarche du Clan du Hibou. Le comte Loth m'a demandé d'enquêter sur... un événement grave survenu récemment au palais. J'ai ici une missive officielle de sa part, vous convoquant au palais pour répondre à quelques questions. Veuillez donc nous suivre. »
Thomas Krombach déglutit bruyamment et se mit à trembler de plus belle.
« Ne vous inquiétez pas, rien ne vous est reproché. J'ai des questions à vous poser, rien de plus. »
A leur arrivée au palais, Elverid installa son invité dans une petite salle mise à sa disposition. L'homme était visiblement très mal à l'aise, mais la matriarche n'avait pas le temps de le ménager. Il devenait urgent d'obtenir des informations, dans l'intérêt de Viserys toujours enfermé dans son cachot.
« Bien. Vous l'aurez compris, la nature de ma... commande de ce matin ne devait rien au hasard. Vous avez déjà fabriqué une dague identique à celle que je vous ai décrite, n'est-ce pas ? »
Le forgeron acquiesça timidement d'un signe de tête.
« Hé bien j'ai le regret de vous informer, si vous ne le saviez pas déjà, que cet objet a servi à une tentative d'assassinat... sur la personne du Comte Loth Hallgeirr. »
Cette fois, Thomas Krombach devint pâle comme un mort. Il paraissait sur le point de défaillir.
« Donc, je ne vous poserai qu'une seule question, très simple : qui vous a commandé cette dague ?
- Dame Elverid, comprenez-bien que je ne veux qu'aider le Comte, mais ils sont puissants, très puissants... Je n'ai eu affaire qu'à un sous-fifre. Il faut que vous garantissiez ma protection, je vous en supplie !
- Certainement. Je peux aller jusqu'à vous offrir un nouvel atelier au Pic du hibou. Mais ces personnes puissantes veulent manifestement détruire la maison Hallgeirr : ils ont tenté de tuer l'un des frères et font accuser l'autre de leur crime. Vous avez le devoir de parler.
- D'accord... Si vous pouvez me faire accompagner par des soldats de confiance du Comte hors de cette ville, alors j'accepte de vous aider. Mais vous devez savoir une chose... Je les ai prévenus de votre venue à mon atelier. Ils m'avaient donné un de leurs pigeons que je pouvais utiliser pour les contacter... Je ne sais pas ce qu'ils vont faire, mais ils savent où en est votre enquête. J'ai paniqué... »
Le forgeron se mit à sangloter, plus paniqué que jamais.
« C'est fâcheux, mais ça ne m'empêchera pas de continuer. Je n'en suis pas à ma première mission dangereuse...
- L'homme que j'ai rencontré s'appelle... Simon Sangfield.
- C'est un bon début.... Soyez rassuré, je ne l'interrogerai pas avant de vous avoir mis en sûreté. Je vais vous raccompagner moi-même jusqu'à votre boutique, et vous ferez vos bagages immédiatement. Vous partez dès ce soir pour le Pic du Hibou, avec mon escorte personnelle.
- Oh, merci, dame Elverid, merci... »
Troisième jour d'enquête, quatre jours après l'attentat, tôt dans la matinée.
Everid arrivait bientôt au terme du temps qui lui était imparti. Elle avait encore jusqu'au coucher du soleil pour trouver des réponses, et elle comptait bien les obtenir de Simon Sangfield. Elle se dirigeait à présent vers son domicile situé dans un quartier résidentiel non loin du palais. En arrivant dans la ruelle, elle aperçut au loin de la fumée qui s'échappait d'une fenêtre ouverte. Elle et les deux soldats qui l'accompagnaient accélérèrent le pas.
Arrivés sur place, ils ne purent que constater qu'il s'agissait de la maison de Sangfield. La matriarche jeta un coup d'oeil à l'intérieur par une fenêtre ouverte dont plusieurs vitres étaient brisées. Ce qui semblait être un cabinet d'étude avait partiellement brûlé. Au fond de la pièce, on pouvait apercevoir dans la pénombre une forme allongée.
La porte n'était pas verrouillée. Elverid entra sans laisser le temps aux deux gardes de sécuriser l'endroit.
Le feu semblait s'être déclenché sur un écritoire chargé de parchemins. Un liquide gras et visqueux y avait été répandu, et il en restait des traces. Plusieurs documents étaient partiellement brûlés, mais la plupart étaient encore lisibles. Apparemment, quelqu'un avait tenté d'incendier cette demeure... Quelqu'un qui de toute évidence, avait dû agir dans la précipitation et déguerpir sans s'assurer que le feu avait bien pris.
« Dame Elverid, Venez voir ! »
La matriarche rejoignit au fond de la salle le garde qui venait de l'appeler. Elle le trouva penché sur un cadavre.
« C'est Simon Sangfield. Mort.
- Hé bien, il ne manquait plus que ça !... Bon, laissez-moi l'examiner »
Le corps ne portait aucune blessure ou ecchymose. La crispation du visage et une écume blanche au coin des lèvres indiquaient clairement que l'homme avait été empoisonné. Il avait dû convulser pendant plusieurs minutes avant de cesser de respirer.
« Cet homme a été assassiné par empoisonnement. Faites-le transporter au palais, je devrai l'autopsier pour tenter d'en savoir davantage. Mais pour l'instant, il faut fouiller toute la maison. Quelqu'un a tenté d'y mettre le feu, sans doute pour faire disparaître des éléments compromettants.
- Heureusement qu'ils n'y sont pas arrivés...
- Ils ont dû être dérangés... Quand nous en aurons terminé ici, vous irez interroger les voisins. Je veux savoir si l'un d'entre eux a remarqué quelque chose d'inhabituel hier soir ou cette nuit. »
Elverid retourna examiner les parchemins entassés sur l'écritoire. Certains avaient partiellement brûlé, d'autres étaient presque intacts. Sur la plupart d'entre eux, on reconnaissait différents passages du même texte : celui de la lettre retrouvée dans les effets personnels de Silas, avec une calligraphie imitant plus ou moins adroitement celle de Viserys. Quelques-uns, enfin, étaient couverts d'imitations plus ou moins réussies de sa signature. Enfin, un dernier document soigneusement roulé portait une liste de noms.
La matriarche continua son inspection en fouillant méthodiquement armoires et étagères avant de passer aux autres pièces de la maison. Lorsqu'elle eut fini, elle rassembla tous les éléments de preuve qu'elle avait pu trouver. Avant de retourner au palais, elle prit le temps de classer tous les parchemins intéressants en une pile bien ordonnée. Il faudrait les montrer à Loth aussi vite que possible, afin de disculper son frère.
Mais avant, il fallait pratiquer l'autopsie.
Sitôt arrivée au palais, elle fut conduite dans une petite pièce près de la salle de garde où le cadavre avait été déposé. L'examen détaillé et les prélèvements prirent une petite heure. La mort par empoisonnement était confirmée, mais Elverid n'avait pas apporté avec elle le matériel nécessaire pour faire des analyses plus précises. Si elle voulait déterminer la nature exacte du poison, il faudrait retourner dans son laboratoire au Pic du Hibou, et elle n'avait plus assez de temps. Mais cela importait peu, au fond : ce qu'elle avait trouvé chez Sangfield suffisait à prouver que la lettre incriminant Viserys était un faux. Et il y avait aussi cette liste de noms qui l'intriguait beaucoup. Peut-être que Loth saurait à quoi elle correspondait....
Dernière modification par Elverid (2017-06-21 22:49:11)
Troisème jour d'enquête, quatre jours après l'attentat, début d'après-midi.
« Tu es bien la dernière personne que je m'attendais à voir ici. »
Viserys s'était redressé le long de la paroi où il était enchaîné, un franc étonnement sur le visage. Face à lui se tenait Carmen.
« J'ai croisé Elverid à l'instant. D'après ce qu'elle a bien voulu me raconter, il semblerait que ce ne soit pas toi qui ait commandité l'assassinat de Loth. Je viens donc te présenter mes excuses, pour avoir pu douter de toi à ce point. Cependant... »
La posture de Carmen, dont les vêtements de soie étaient comme une incursion céleste au milieu de la pierre grise et humide du cachot, et qui, pourtant, courbait humblement la tête devant le prisonnier en loques qu'était son beau-frère, avait quelque chose de poétique tant elle était incongrue. Cependant, son visage se ferma tout à coup, et sa voix se fit moins douce. Un changement infime.
« ...Cependant il y a un point qui n'a pas encore reçu de réponse de ta part, et j'aimerais beaucoup que tu m'éclaires dessus, tant que tu es ici.
-De quoi veux-tu parler ?
-De la mystérieuse personne avec qui tu es allé discuter de nuit dans une taverne. »
Viserys soupira.
« Carmen, ça ne te concerne pas.
-Jure-moi que ça n'était pas à propos de Loth. »
Il resta silencieux, la fixant de son regard noir rongé par la fatigue.
« Si ça concerne ton frère, alors ça me concerne. Dis-moi ce que tu mijotes, et avec qui.
-Elverid m'a déjà posé cette question. Elle a eu la sagesse de ne pas insister.
-Je ne suis pas Elverid, je n'ai pas sa sagesse, et ma patience a ses limites, prévint Carmen en haussant le ton. Je ne te laisserai pas comploter dans le dos de Loth.
-Tu as peur pour qui ? Pour lui ou pour ta mainmise sur le Cygne ?
-C'est un aveu ?
-Je ne veux pas te gâcher la surprise. »
En voyant son sourire narquois, Carmen se retourna une seconde en serrant les poings. Elle soupira un petit coup, nerveusement... et fit volte-face pour flanquer un violent coup de pied dans les côtes de Viserys. Celui-ci eut le souffle coupé sous le choc, et eut tout juste le réflexe de parer le coup suivant avec son coude, en laissant échapper un petit gémissement de douleur.
« Qui est ton salopard de complice ? »
Carmen enchaîna avec encore plusieurs coups et, alors que Viserys ramenait ses jambes vers lui en serrant les dents, elle frappa une dernière fois en plein dans l'entrejambe.
C'est le moment que choisit le geôlier pour se racler la gorge. Il avait observé la scène depuis l'ouverture grillagée dans la porte.
« Madame la duchesse, c'était pas prévu, tout ça. Ça va être beaucoup plus dur à effacer de ma mémoire qu'une simple entrevue... »
Le nez de Carmen se retroussa.
« Diego, fit-t-elle à l'intention des ombres qu'on entrevoyait sur le mur du couloir, donne une deuxième bourse à ce cloporte.
-Madame la duchesse est trop bonne. Mais, je me permets quand même d'oser caresser l'espoir de vous suggérer de vous dépêcher un peu. Monsieur l'comte ou la comtesse Elverid peuvent débarquer à tout moment.
-C'est bon. J'ai presque fini. »
Viserys souriait, plié en deux, la main appuyée à l'endroit sensible, la respiration hachée, il riait presque même. Il cracha un petit glaviot de sang.
« Hah. Pas étonnant que tu fasses ce que tu veux de Loth –hah- tu frappes fort.
-J'imagine que tu n'as pas changé d'avis ?
-Il en faudrait un peu plus que ça. Et puis -hah- j'ai cru comprendre que tu étais pressée...
-On reparlera de cette affaire une autre fois. »
Viserys lâcha finalement ses parties douloureuses, et s'essuya la bouche du revers de sa main libre.
« J'y compte bien. »
Dernière modification par Zyakan (2017-08-04 09:40:54)
Troisème jour d'enquête, quatre jours après l'attentat, début d'après-midi.
Après sa brève entrevue avec Carmen dans les couloirs du palais, Elverid s'apprêtait maintenant à informer Loth de l'état d'avancement de l'enquête. D'autre part, il pourrait peut-être lui fournir quelques informations sur les personnes dont les noms figuraient sur la liste.
Le Comte se trouvait dans son cabinet d'étude. Elle se fit annoncer et entra dès qu'elle y fut invitée.
« Dame Elverid, c'est toujours un plaisir de vous voir. L'enquête avance?
- Oui. J'ai retrouvé l'artisan qui a fabriqué la dague. Il a fini par me confier qu'elle lui avait été commandée par Simon Sangfield.
- Sangfield? Mais c'est lui qui a monté le dossier officiel contre Viserys...
- Alors ce que j'ai découvert ce matin va vous étonner encore davantage. J'ai voulu aller l'interroger à son domicile aux premières heures du matin... Je l'ai trouvé mort, et sa maison partiellement incendiée.
- Donc il était mouillé jusqu'au cou. Mais comment expliquer la lettre? J'ai reconnu l'écriture de Viserys !
- Justement, j'allais y venir. L'incendie a été provoqué intentionnellement... et, par chance, assez maladroitement. Le but était sans nul doute de faire disparaître tout ceci. »
Elverid sortit de sa sacoche une pile de parchemins qu'elle étala sur une table.
« Voyez vous-même : visiblement, Sangfield s'est longuement entraîné à imiter la calligraphie et la signature de Viserys. C'est lui qui a fabriqué cette fameuse lettre.
- Mais il a été tué. Il y a donc quelqu'un d'autre derrière tout ça... Il est mort brûlé?
- Non. L'autopsie indique un empoisonnement. Il était probablement déjà mort quand l'incendie a été déclenché. Je suppose que les assassins ont été dérangés...
- Et je suppose que vous n'avez pas pu voir s'il y avait eu effraction...
- La porte et la serrure étaient intactes. Il devait connaître ses assassins.
- A moins qu'ils soient passés par une fenêtre? Vous avez tout vu? Tout était en assez bon état pour être certaine de vos allégations?
- Il y avait une fenêtre grande ouverte avec des vitres brisées. je n'ai pas pu déterminer si les vitres avaient été fracturées ou éclaté à cause de l'incendie. Il est très probable que les meurtriers soient ressortis par là, en tout cas. Je pense qu'il s'agissait de ses commanditaires. D'après le forgeron, Sangfield n'était qu'un sous-fifre. Il a précisément employé ce terme.
- Il était souvent envoyé par la Compagnie Marchande Orcanienne pour négocier divers accords commerciaux, en tout cas. Tout le monde n'a vu que du feu à son double jeu, il va falloir que je prévienne Magdalena. Bon, je vais envoyer des hommes questionner les voisins de Sangfield, pour savoir ce qu'ils ont pu voir. Je vous ferai prévenir en priorité si j'ai du nouveau.
- En fait, j'ai déjà demandé aux hommes qui m'accompagnaient d'interroger les voisins. Ils devraient revenir d'ici quelques heures. Cependant... Je ne suis pas certaine qu'il faille informer la Compagnie Marchande pour l'instant.
- Si un traître se cachait parmi eux, c'est nécessaire. Ils ont des affaires dans tous les coins d'Okord, peut-être que des convois sont mis en danger par la trahison de Sangfield. Ils doivent tous être prévenus au plus vite !
- Et dans ce cas, le ou les traîtres seront prévenus également que je suis sur leur piste.
- S'ils ne le savaient pas déjà, Sangfield serait en vie. Virshan, va transmettre le message à Magdalena et reviens dès que possible ! »
Le géant quitta précipitamment la salle. Elverid poursuivit :
« Entre autres documents, j'ai trouvé une liste de noms. Les connaissez-vous ?
- Voyons voir... J'ai l'étrange impression d'avoir déjà entendu ces noms, mais impossible de savoir quand... Peut-être que... Oui, voilà. Viserys semble ne pas être le coupable. Je ne le libèrerai pas avant d'en être certain, mais il peut sans doute vous aider. Il a une mémoire d'éléphant, si j'ai entendu ces noms et qu'il était là, il pourra vous dire de qui il s'agit. »
Loth pointa du doigt plusieurs noms de la page.
« Celui-là, celui-là, celui-là aussi, je crois... J'espère qu'il pourra vous aider.
- Je l'espère aussi... Au sujet de Viserys, je pense que je devrais vous dire... Il m'a confié qu'il se sentait constamment épié depuis quelques temps... et qu'il se méfiait de certains de vos proches conseillers.
- Je l'ignorais, mais ça n'a plus rien d'étonnant s'il est effectivement victime d'un complot. Il s'est souvent opposé à mes décisions, et l'avis de mes conseillers m'importe beaucoup, en effet. Il ne me trouve pas assez belliqueux, et comme il est d'une franchise inégalable, ce qui est extrêmement rare en politique, il est également très méfiant. Mais s'il se faisait espionner jusqu'ici, alors la personne qui est derrière tout ça a le bras très long, ou habite au palais.
- Il est possible que plusieurs personnes proches de vous soient impliquées, en effet.
- Autant résoudre l'affaire au plus vite. Je vous laisse continuer l'enquête, Elverid. Merci pour votre aide. »
Elverid descendit en vitesse les marches vers les cachots. Il ne faisait plus aucun doute que Viserys était innocent, et au vu des événements, le véritable coupable serait bientôt démasqué.
Le prisonnier eut la confirmation, en voyant l'expression de son visage, qu'elle avait de bonnes nouvelles pour lui. Lorsqu'elle lui annonça que les preuves ne tenaient pas la route, il poussa un soupir de soulagement.
Durant les quatre jours qu'il avait passé dans sa cellule, il avait douté fortement de l'issue de l'enquête et s'était attendu à être condamné à mort... jusqu'à la visite de Carmen quelques minutes plus tôt, qui, malgré les coups, lui avait laissé entendre qu'Elverid avait trouvé des éléments en sa faveur.
Lorsqu'il apprit l'assassinat de Simon Sangfield, un sourire carnassier s'étira sur son visage. Au moins l'un d'entre eux avait eu ce qu'il méritait. Restait à savoir si les autres parviendraient à s'en tirer - auquel cas son demi-frère était toujours en danger - ou pas.
La Comtesse lui montra ensuite la liste de noms qu'elle avait trouvé chez Sangfield, pointant du doigt les noms que Loth pensait connaître. Viserys se redressa sur son banc, se leva et fit quelques pas, absorbé dans ses pensées, avant d'être retenu par sa chaîne. Soudain, il se tourna à nouveau vers Elverid.
« Ca n'a pas de sens.
- Qu'est-ce qui n'a pas de sens ? Qui sont ces personnes ? »
Il lui remontra la lettre, désignant les noms tout en les prononçant.
« Lothaire Gatti. Aliénor Saeda. Pedro Albertini. Et ce ne sont pas les seuls. Tous sont venus demander des choses à Loth durant des doléances. J'y assistais la plupart du temps, je ne vous raconte pas le nombre d'histoires tragiques que ces gens lui racontaient. Bon sang, depuis combien de temps essaient-ils de le manipuler? Vous pouvez trouver la résidence de ces personnes auprès de l'intendant. Restez discrète sur ce que vous cherchez vraiment, on ne peut faire confiance à personne ici. Peut-être que vous en saurez plus en leur parlant...
- Des histoires tragiques ? Des manipulations ? Êtes-vous en train de dire que ces gens ont tous présenté de fausses doléances ?
- Cela ne m'étonnerait guère, répondit-il d'un air sombre. Vu d'où vous sortez cette liste... Je pense que des personnes ont voulu influencer les choix de Loth par ambition personnelle. Peut-être qu'elles espèrent prendre sa place, et que m'écarter les assurait de ne pas me voir débarquer pour les sortir du trône. Peut-être aussi qu'elles ne veulent que s'enrichir, ou encore ne pas être mobilisées au combat. Dans ce cas-là, mes conseils belliqueux, et ce que je préparais pouvait les déranger. J'ignore quelles sont les réelles motivations, il peut y en avoir des tonnes ! »
Viserys réfléchissait à toute vitesse. Les noms de coupables potentiels défilaient les uns après les autres dans sa tête. Cela pouvait être tellement de personnes ! Même l'homme qu'il avait rencontré à la taverne du Mort-de-Soif pouvait très bien s'être servi de lui !
« Il faut que nous soyions fixés. Allez voir l'intendant !
- Bien. Je vais immédiatement demander à consulter le registre des doléances. »
Dernière modification par Elverid (2017-06-28 16:01:22)
Troisième jour d'enquête, quatre jours après l'attentat, après-midi.
L'intendant poussa un soupir de résignation en voyant arriver Elverid.
« Qu'y a-t-il pour votre service, cette fois, Dame Matriarche ?
- J'ai un dernier point à vérifier. Dans le registre des doléances. »
L'homme s'éloigna en grommelant et revint quelques minutes plus tard avec deux énormes ouvrages reliés, qu'il posa lourdement sur une table.
« Voilà les deux derniers volumes. Les précédents sont aux archives.
- Bien. Merci. »
Elverid commença à parcourir les registres pendant que l'intendant la toisait du coin de l'oeil, l'air vaguement agacé, depuis son écritoire. Elle retrouva assez rapidement les pages où étaient consignés les récits des personnes de la liste. Elle prit le temps d'en lire quelques-unes en détail.
L'histoire racontée par Aliénior Saeda, tout d'abord, lui sembla peu crédible : cette femme disait habiter dans la province des Marches des Vents de l'Est et avoir été victime d'exactions commises par des soldats du Roi Galactic Explorer. Or ces derniers, tout comme leur maître, étaient connus pour être avides d'or et non de sang. D'autre part, cette terre appartenait au Clan du Hibou qui y avait implanté plusieurs cités. Si des soudards avaient attaqué les populations civiles de cette région, les herboristes du clan auraient forcément eu des blessés à soigner, et la Bourgmestre de la Colline d'Ixarys n'aurait pas manqué de transmettre l'information et de demander des renforts de troupes.
Elverid s'attarda ensuite sur la doléance de Lothaire Gatti. Ce dernier offrait un témoignage plus contrasté : si sa demande d'une aide financière pour déménager paraissait logique, ce qu'il disait du règne d'Andior était outrageusement faux. Le père de Loth avait certes beaucoup guerroyé, mais toujours en veillant à la sécurité des populations non-combattantes. Et si des soldats de son armée avaient osé s'attaquer à ses propres paysans, il aurait fait en sorte que tout le monde se souvienne de leur châtiment...
D'après le registre, Lothaire Gatti avait obtenu de pouvoir s'installer sur de nouvelles terres aux abords de la Nouvelle-Hrothgar au frais du Comte. Le décret d'attribution en donnait même la localisation précise, à une heure de chevauchée de la porte nord.
Elverid se leva de son siège, referma le registre et se dirigea vers la porte en passant devant l'intendant penché sur son écritoire.
« J'ai trouvé ce que je cherchais. Merci encore pour votre aide. »
Le vieil homme grommela une réponse inaudible sans lever le nez de son ouvrage. Arrivée dans la cour du palais, elle informa le capitaine de la garde qu'elle s'absentait hors des murs pour quelques heures.
La ferme de Lothaire Gatti fut facile à trouver. Elle regroupait des terres cultivables parmi les mieux situées au nord de la cité, et paraissait particulièrement prospère. Le maître des lieux parut étonné de recevoir une visiteuse accompagnée de deux gardes du Comte. Il le fut plus encore en apprenant qu'il s'agissait de la matriarche du Clan du Hibou. Et lorsqu'elle lui exposa en détail les raisons de sa venue, l'attentat commis au palais, la mort de Simon Sangfield, et la découverte chez ce dernier d'un document qui mentionnait son nom, il parut se décomposer sur place. Il ne mit pas longtemps à avouer avoir menti au Comte Loth le jour où il avait été reçu dans la salle des doléances. Il hésita un peu plus à admettre qu'il l'avait fait sur ordre de Magdalena Alighieri et contre une importante rémunération. Il semblait craindre des représailles de sa part.
Avant de se remettre en selle, Elverid eut une parole rassurante pour le paysan.
« Ne vous inquiétez pas. Quand la vérité éclatera, cette dame n'aura plus aucun moyen de vous nuire. Vous pourrez sans crainte venir témoigner à son procès. »
De retour au palais, Elverid remarqua immédiatement qu'il y régnait une étrange agitation. Elle confia sa monture à un palefrenier et se présenta immédiatement au garde posté devant la porte principale.
« Mon enquête est terminée et j'ai des informations de la plus haute importance pour le Comte Loth. Mais que se passe-t-il ici ?
- Il y a eu du chambardement dans l'entourage du Comte ! Il paraît que Dame Alighieri vient d'être arrêtée !
- Et où se trouve le Comte, en ce moment ?
- Dans la salle d'interrogatoire, avec ses généraux et son nouveau garde du corps. Il a ordonné qu'on ne les dérange pas. »
Salle d’interrogatoire, quatre jours après l’attentat.
Loth était assis face à l’homme qui souhaitait avouer son crime. Virshan, régulièrement renseigné sur l’avancement de l’enquête d’Elverid, avait fini par prendre cette décision lourde de conséquences après s’être rendu compte que leur supercherie ne pouvait qu’être découverte. Son visage était impassible. Il regardait Loth sans ciller, et parlait d’une voix monocorde.
« Magdalena Alighieri est derrière ce complot, et je l’ai aidée. Evidemment, Simon Sangfield également. Nous sommes les trois têtes pensantes du complot, toutes les autres personnes, informateurs, espions, ou faux témoins, ne doivent pas être tenues pour responsables.
La Matriarche Elverid, si elle n’est pas déjà dans le Palais pour vous le dire, vous révèlera que la liste de noms qu’elle vous a présentée comprenait entre autre des paysans, payés pour donner de faux témoignages lors des séances de doléances. L’objectif était de vous rendre moins porté sur la guerre, afin d’augmenter les recettes de la Compagnie Marchande Orcanienne, et ainsi de nous enrichir. Cependant, une fois que Magdalena est entrée dans votre conseil restreint, sa vision sur les choses à changé. Nous étions tout deux d’accords sur le fait que Viserys était une menace pour nos objectifs : il a une influence non négligeable sur vous, et allait complètement à l’encontre de nos souhaits. Nous avons envisagé l’idée de le soudoyer, mais il nous est apparu évident que c’était impossible.
Nous avons donc mis sur pied ce complot. Simon s’est chargé de fabriquer les fausses preuves, de faire les basses besognes, pendant que je surveillais Viserys. Magdalena était chargée de maintenir son influence sur vous, ce qu’elle a réussi avec brio. C’est à partir de ce moment que nos points de vue ont… divergés. Magdalena souhaitait purement et simplement que vous soyez exécuté, afin de prendre votre place une fois Viserys déclaré coupable. Ainsi, elle aurait rejoint la noblesse okordienne en plus d’être une marchande éminemment reconnue dans le royaume. Je n’étais pas d’accord avec cela. J’estime que vous êtes un bon dirigeant, malgré votre manque de méfiance, sans doute lié à un manque d’expérience, et je ne pense pas que la confrérie du Cygne ait besoin de se voir fragilisée par votre destitution.
Cependant, malgré ses sourires, elle s’est arrangée pour qu’aucun soldat ne soit en mesure d’empêcher Silas de commettre son meurtre. Elle aurait réussi son coup sans mon intervention. Je dois vous avouer que nos relations se sont dégradées après ça, mais il était trop tard : nous étions dans le même bateau. J’aurais pu fuir et ne jamais revenir, laisser Magdalena assumer seule son choix, mais vous n’auriez peut-être pas pu tout comprendre. Et elle n’aurait peut-être jamais payé le prix de ses multiples trahisons.
C’est pour cela que je me livre prisonnier. J’ose espérer que vous vous souviendrez que vous me devez la vie lors de votre jugement, malgré mes crimes. Si vous m’épargnez, alors nous serons quittes… »
Loth fixait durement le visage fermé de Virshan. Sans dire un mot, il se leva et tourna les talons, laissant le mercenaire sous la surveillance de ses deux généraux. Il rencontra Elverid à la sortie de la salle, qui prit le temps de lui confirmer la version de Virshan. Ensuite, il descendit les marches quatre à quatre vers les cachots du palais, et arriva finalement devant la cellule de Magdalena, qui se trouvait exactement dans la même position que Viserys quelques heures plus tôt. Elle leva ses yeux emplis de larmes vers lui.
« Loth, je ne sais pas ce qu’il t’a raconté mais je ne suis pas impliquée là-dedans, je te le jure… »
Elle ne reçut qu'un regard glacé de Loth. Toujours sans un mot, il ouvrit la grille, se jeta sur elle, et serra son cou de toutes ses forces, pressant sur les veines jugulaires. Suffoquant, elle tentait de le repousser avec sa main libre, mais il était bien trop fort pour elle, et elle sentait déjà ses forces diminuer, avant de sombrer dans l'inconscience.
C'est à ce moment-là qu'il desserra sa prise, la laissant tomber sans ménagement. La tête de Magdalena heurta brutalement le banc, mais elle respirait toujours. Il fit signe au garde, qui avait observé la scène avec gravité, de la détacher.
Elle ne méritait pas de mourir dans un sombre cachot.
Dernière modification par Andior (2017-07-05 23:32:23)
Folpertuis, siège de la Compagnie Marchande Orcanienne, cinq jours après l’attentat.
Une foule s’était rassemblée autour de la potence qui avait été construite en hâte, devant l’entrée du siège de la Compagnie Marchande Orcanienne. Loth ne pouvait pas décemment faire exécuter toutes les personnes présentes sur la liste de noms trouvée chez Sangfield, mais il devait lancer un signal fort.
Tout d’abord, il avait décidé de condamner Virshan à l’exil. Sa tête était désormais mise à prix dans le royaume entier. Viserys avait tenu à accompagner Virshan jusqu’à la frontière. Loth ne savait pas si son demi-frère comptait tuer le mercenaire ou pas, mais il n’en avait cure. C’était secondaire. Sangfield avait payé sa trahison de sa vie, mais le véritable cerveau de l’opération se trouvait à côté de lui, une corde passée autour du cou.
Lorsqu’il s’adressa à la foule pour leur faire comprendre que quiconque s’en prenait à lui subirait le même sort, et que le Grand Marchand d’Orcanie n’était rien face au Comte, il eût l’impression d’être dans un songe. Il était très perturbé par ce qu’il s’apprêtait à faire, mais pourtant, c’était nécessaire. Une fois son discours terminé, il se tourna vers Magdalena. Cette fois-ci, c’est lui qui avait les yeux brillants, emplis de larmes, lorsqu’il la fixait. Elle paraissait résignée, sachant pertinemment que sa vie allait se terminer ici, devant le bâtiment qui l’avait vue devenir une des personnes les plus influentes du Sudord. Les marques rouges des mains de Loth étaient encore présentes autour de son cou, et pourtant, une larme coula sur la joue du Comte, tandis qu’il tournait le dos à la foule. Alors qu’il s’avançait vers elle, il repensa à un moment qu’ils avaient passé ensemble, deux jours auparavant.
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Chambre de Loth, trois jours après l’attentat, fin de soirée.
Dans la journée, Elverid lui avait demandé une convocation officielle pour enquêter sur un forgeron. Apparemment, elle était en train de trouver des choses intéressantes en étudiant les indices. Carmen avait dû partir à l’aube, afin de rencontrer le haut dignitaire d’une autre confrérie, ou un duc, il ne s’en souvenait plus, et il s’en foutait. Ils avaient eu une discussion musclée au sujet de l’issue du procès : elle aurait préféré qu’il condamne immédiatement Viserys, afin de bien faire comprendre à tous ce qu’il en coûtait de s’en prendre au Comte d’Orcanie. Lorsqu’il lui avait rétorqué qu’il pensait à l’avenir de la famille Hallgeirr en prenant cette décision, et qu’il ne voulait pas commettre d’erreur, elle lui avait répondu que leur fils Luis était cet avenir, pas Viserys.
Ce soir-là, Loth avait besoin de se confier, et la solution lui parut évidente. Il invita Magdalena Alighieri à le rejoindre. Leur discussion dura une partie de la nuit. Elle le conforta dans son choix, et bien des sujets passèrent sur la table. Finalement, ils s’enlacèrent, et finirent par s’embrasser. Alors que les mains de Loth se faisaient plus insistantes, Magdalena le repoussa avec douceur, puis, avant qu’il n’ait le temps de s’écarter, le serra contre elle et lui murmura à l’oreille :
« J’en ai envie aussi, mais tu sais que tu le regretterais… Tu pourrais être en position délicate si une rumeur disait que tu entretiens une liaison avec moi alors même que tu es marié à une des duchesses les plus influentes du royaume.
-Je sais… Mais je suis prêt à prendre le risque.
-Moi pas. Je ne pourrais pas supporter que ta réputation soit mise à mal par ma faute, Loth… »
Elle recula lentement, remettant sa robe en place.
« Il vaut mieux que j’y aille. On se reverra demain, un peu de repos nous fera du bien à tous les deux. »
Elle se pencha pour l’embrasser sur la joue, puis sortit de la pièce sous le regard frustré du jeune homme.
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Il leva la tête pour voir les yeux de Magdalena, qui regardait droit devant elle. Même dans cette situation, elle était d’une beauté indescriptible. Pourtant, malgré des sentiments partagés, c’est la haine qui dominait en lui à présent. Il s’adressa à elle d’une voix basse, pour qu’eux seuls puissent l’entendre :
« Je me souviens d’une phrase que tu as dite à Olaf, il y a quelques temps. "Même l’homme le plus malin au monde peut se faire avoir par de belles paroles, surtout lorsqu’elles proviennent d’une femme leur étant inaccessible." Maintenant, je comprends ce que tu voulais dire. Tu as perdu, Magdalena. Et tu n’auras plus jamais l’occasion de gagner. »
Il donna un grand coup de pied dans le tabouret sur lequel elle se tenait, et fixa son visage terrifié, déformé par la panique et la douleur, tandis qu’elle s’étouffait, impuissante. Ainsi mourut Magdalena Alighieri, humiliée devant les portes de l’entreprise qu’elle avait portée jusqu’à l’apogée de sa gloire.
Son corps resta exposé aux yeux de tous durant de longues semaines avant d’être enfin enlevé, et brûlé. Elle n’eût aucune sépulture, et la potence resta en place, comme un symbole, devant le siège de la Compagnie.
Dernière modification par Andior (2017-07-05 23:32:56)
Au pied du Mur, Guerre du Pays de Karan, Automne de l’an 4 de l’ère 17.
Une fumée noire s’élevait au dessus de ce qui avait été le campement sommairement nommé « au pied du mur », en plein cœur du territoire ennemi : la Ponalie du Prince Pyros.
Quelques jours plus tôt, la guerre du pays de Karan semblait encore s’enliser dans un conflit sans fin, sans qu’aucun des deux camps ne parvienne à remporter de victoire décisive, capable de faire céder son adversaire. Lors d’une réunion de l’état major de l’alliance Cygne-Sans Bannières menée par la duchesse Carmen, Loth Hallgeirr avait proposé de mener une manœuvre militaire risquée. L’objectif était de capturer un des deux principaux seigneurs d’Arald : le prince Pyros, qui avait capturé précédemment la mercenaire Spleen, sacrifiant une partie de son armée par la même occasion.
Alors que l’ost invraisemblablement fourni de l’alliance enchaînait les destructions de place forte adverses depuis des mois, un contingent composé des armées Hallgeirr et des forces du clan du Hibou quitta discrètement l’armée principale de nuit. Leur arrivée en Ponalie fut détectée assez tardivement pour qu’ils soient en position de force dans le secteur. Les mouvements de l’armée de Pyros en direction du nord avaient été très rapidement décelés, et Loth avait décidé de leur couper l’herbe sous le pied en fonçant à leur poursuite, espérant les coincer sur le fief de Taroa, sur lequel tout semblait en place pour recevoir l’armée du Prince.
Quelques heures plus tard, après un message d’alerte indiquant que Pyros avait rebroussé chemin vers sa place forte, les armées du Cygne tentèrent de bifurquer elles aussi, tandis qu’une cohorte de lanciers était arrivée en renforts sur « au pied du mur », afin de le protéger d’éventuels pillards.
Loth réalisa à quel point son erreur avait été importante lorsqu’il vit que ces lanciers avaient péri sous une pluie de flèches, sans même avoir le temps de voir leurs adversaires arriver.
Pour ne rien arranger, ses espions lui avaient rapporté l’arrivée imminente de l’armée titanesque d’Eugénie Morgan dans le secteur. Peut-être même que ses vassaux l’accompagnaient. Il ne lui restait plus qu’une manœuvre à effectuer : battre en retraite, sans quoi les hommes qu’il commandait allaient se faire massacrer, et Elverid et lui, capturer.
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Quelques semaines après cette défaite, Carmen décida de retirer le Cygne du conflit, considérant qu’ils ne pouvaient pas empêcher Arald de s’approprier les provinces appartenant autrefois au seigneur de Karan à cause de leur éloignement – sans doute à raison. Ainsi, Loth Hallgeirr était toujours en quête d’une victoire militaire de rang afin de prouver à tous qu’il était capable de porter ses armées vers le succès.
C’est en faisant ce constat qu’il décida de préparer un assaut sur un marquis proche de ses terres, ce qui lui permettrait par la même occasion de rejoindre les Forts d’Yggnir… Hide-Rik. C’était une cible de choix : ses fiefs étaient attaquables assez aisément depuis le Sudord, et il était plus connu pour son économie florissante que pour ses talents de guerrier. Pour autant, il était l’un des marquis les plus réputés du royaume, et les rumeurs le donnaient même favori pour devenir Duc prochainement.
L’opération, dirigée conjointement par les deux frères Hallgeirr, fut un succès retentissant. Les murs et la faible garnison d’Hide-Rik ne firent pas le poids face à leurs assaillants qui s’étaient préparés longtemps en avance, et le Marquis fut capturé sans problème. Il fut traité avec les honneurs, promptement libéré, et invité à provoquer Loth en duel s’il souhaitait laver son honneur.
Les personnalités influentes d’Orcanie n’applaudirent pas unanimement ce fait d’armes, nombre d’entre eux considérant que l’adversaire, qui ne se tenait pas du tout sur ses gardes, avait été une proie facile. Cependant, la façon dont Loth géra la suite des événements, en calmant les velléités du duc King Tokugawa, le faisait remonter dans l’estime de tous.
Lorsque Carmen, sous la menace Abrasienne, quitta les terres Okordiennes en direction du Califat de Ressyne pour partir chercher de l'aide [HRP : cf RP "Mendier en robe de soie", partie "Aux portes d'Okord"], il apparut évident que c'était Elverid, et pas Loth, qui reprenait le flambeau à la tête de la confrérie.
Viserys jugea que le moment était venu de mettre son plan à exécution.
Dernière modification par Andior (2017-07-05 23:32:36)
5e phase du printemps de l’an VII de l’ère 17, salle du conseil, Nouvelle-Hrothgar.
Le son du métal heurtant le sol interrompit brusquement les discussions de l’état major d’Orcanie. Un bouclier portant les armoiries du Cygne et l’ours des Hallgeirr avait été jeté aux pieds de Loth. Relevant les yeux, il vit que celui qui lui faisait face était son demi-frère.
« Loth Hallgeirr, je remets en cause ta légitimité pour gouverner l’Orcanie. Selon les coutumes ancestrales du peuple de Saarthal, je te provoque en duel. »
Loin d’être décontenancé, celui qui était devenu Marquis suite à la capture d’Hide-rik répondit d’un air goguenard :
« N’es-tu pas au courant que les vieilles traditions de Saarthal ont évolué ? A l’époque, n’importe quel inconnu pouvait venir réclamer la place de chef du clan sans offrir une seule garantie à son peuple. Mais cela a changé… Il te faut le soutien d’au moins la moitié de l’état major pour avoir ne serait-ce que la possibilité de me défier !
-Je sais, répondit simplement Viserys. Messieurs… Qui pense que je peux être un meilleur souverain que mon demi-frère ? »
Il y eut un moment de silence, durant lequel Loth se tourna vers ses généraux, les fixant un à un. Puis l’un de ses deux plus vieux généraux s’avança.
« Seigneur Loth, vous avez apporté une prospérité sans pareille à nos terres, mais notre gloire s’est tassée avec le temps. Je pense que vous avez fait ce que vous pouviez, et qu’il est nécessaire que vous soyez challengé.
-Général Otarsson…
-Oui, seigneur Loth, je soutiens l’action de Viserys Hallgeirr.
-Cela ne suffira pas. »
En effet, un jeune officier, Sigmund Garibern, s’était distingué lors de la guerre du pays de Karan, et avait été promu, pour devenir le troisième général en chef des troupes orcaniennes. Viserys devait donc avoir le soutien de deux généraux sur les trois. Le jeune Sigmund ne savait pas trop sur quel pied danser : il comprenait le geste de Viserys, mais il ne pouvait se résoudre à trahir celui qui l’avait nommé à ce poste. Cela, Loth l’avait bien compris.
« Je soutiens également la provocation de Viserys Hallgeirr. »
L’intervention de Fulbert laissa Loth sans voix. Lui qui s’était tant de fois battu pour son père, qui l’avait soutenu en toutes circonstances… Il le considérait comme un modèle, au même titre que feu Dagobert. Et pourtant, c’est Fulbert d’Inverness qui scella son sort : son titre de noblesse était remis en question, et il devrait se battre pour le garder.
« Ne prenez pas cela comme un affront, Marquis. Il vous suffit de montrer à tous que vous êtes capable de défaire votre frère au combat, afin de conserver votre titre. En faisant ce choix, je lui offre la possibilité de prouver ce qu’il souhaite prouver. S’il échoue, je pense que votre place ne sera jamais plus remise en cause.
-Qu’aucun de vous ne croit que je n’ai pas compris ce qu’il s’était passé, répondit Loth d’un air amer. C’était lequel de vous deux, avec Viserys, dans la taverne du Mort-de-Soif… ?
-Moi, répondit sobrement Olaf. Et j’assumerai ce choix jusqu’au bout si nécessaire. Votre demi-frère a bien plus de chances de redorer le blason des Hallgeirr que vous, à mes yeux.
-Bien sûr… C’est sans doute pour cela qu’il a attendu que Carmen quitte le royaume pour me défier, n’est-ce pas ?
-Trêve de bavardages, intervint Viserys. Nous nous affronterons demain, comme le veut la coutume. Bonne chance, Loth.
-Vas bien te faire foutre, traître à ton sang. »
Dernière modification par Andior (2017-07-05 23:32:07)