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#1 2016-09-11 21:37:35

Zyakan

Karan - L'enquête

Karst


« Je veux savoir qui l'a tué ! »

Passé l'instant de stupeur à la vue d'un corps qui s'écrase sans prévenir aux pieds de son cheval, passé le moment qu'il lui fallut pour maîtriser sa monture et associer à l'identité dudit corps les « Merde, c'est le Comte ! » surpris qui se mirent à fuser dés qu'un des badauds autour eut reconnu la tignasse qui surnageait de la mare de sang en train de se former sur les pavés, le capitaine des strolatz avait sauté à bas de son cheval et s'était rué avec ses hommes à l'intérieur du donjon, l'épée au poing, en criant au nom du Roi ! Ils avaient défoncé les portes, bousculé les serviteurs, envoyé des hommes bloquer les sorties, déboulé dans les escaliers et manqué se faire renverser en bas des marches par les deux nobles qui les dévalaient. C'est là que le capitaine avait gueulé cette question.

« Et qu'est-ce qu'ils ont répondu ?
-Le sire Von Festung a psalmodié comme un taré qu'un dragon venait de tomber du ciel, et que c'était foutrement rare ou quelque chose comme ça, en commençant à reculer, et en tenant le sire GrandJarl avec lui. En voyant qu'ils avaient l'air complètement paniqués, j'ai baissé d'un ton et j'leur ai demandé de se rendre.
-Et alors ? Demanda le marquis de Guarida, qui peinait à se retenir de dépasser le serviteur squelettique qui les guidait en claudicant à travers les couloirs déserts du palais, une torche à la main.
-Alors, ils se sont pas rendus. Et nous on n'a pas pu rester beaucoup plus longtemps. Les tarés de la cavalerie du Sanglant, ceux qui se battent avec des os, vous voyez ? Ils s'étaient rapprochés autour du donjon en entendant la rumeur, et-
-Vous les avez laissés filer ? »

Zyakan n'avait pas retenu son irritation. Les murs la lui renvoyèrent en écho, et le petit groupe d'hommes qui les suivait eut un recul de surprise.

« On n'était qu'une trentaine, messire, on aurait pas pu faire grand-chose contre eux. »

L'officier, quand à lui, expliquait poliment les choses avec sa petite gueule à peine abîmée par les combats, comme à quelqu'un qui n'aurait pas compris.

« Et vous ne savez même pas s'il y avait quelqu'un d'autre qu'eux dans ce donjon ? Vous aviez leurs seigneurs sous la main, vous auriez pu les menacer de... Oh et puis c'est fait, tant pis. Est-ce qu'au moins on sait de quoi Karan est mort ?
-À part la chute, vous voulez dire ? »

Ça aurait presque confiné à l'insolence. Officier du roi qui parle à un marquis...

« À part la chute, oui. Il n'avait pas la gorge tranchée, ou quoi que ce soit de ce genre ?
-Non m'sire. Enfin rien qu'on ait pu voir, en tous cas. Mes gars allaient pas se pencher sur le cadavre pour regarder.
-Ils auraient dû. »

Il n'allait pas se forcer à être poli. Il venait de se farcir la traversée du royaume, de Sud-Ouest en Nord-Est. Six foutus jours entiers de cheval, en en changeant à chaque relai sans presque décoller ses fesses d'une selle, pour arriver dans une ville en ruines au plein milieu de la nuit. Autant dire qu'il rêvait de deux choses : un bon repas, et un lit douillet avec de la compagnie agréable. Le contraire exact de toute cette putain de succession de nouvelles plus pourries les unes que les autres, annoncées par ce petit teigneux d'officier, dans ces couloirs interminables et glauques où il crevait de faim.

Le corps de Karan, enfoui le soir même de sa mort sous un rocher. Aucun moyen d'en savoir plus sur ce qui l'avait poussé, au sens littéral du terme. Nefret et sa bibliothèque, pillées. Une mine de renseignements potentiellement partie en fumée avant que les trois régiments de strolatz qu'il avait dépêchés en urgence depuis les Marches des Vents de l'Est aient pu rétablir un semblant d'ordre. Et ces seigneurs du Dragon qui partaient se réfugier derrière leurs murs comme des voleurs, sans qu'on tente de les arrêter.

Le délai avant son arrivée avait décidément été merdique à souhait.

« Maître Alecio ? »

Le domestique les amenait enfin à destination. Ils s'étaient arrêtés devant une grande porte simple, en chêne massif, peu ouvragé.

«Oui messire ?
-Je veux qu'à la première heure du jour, ces deux petits barons reçoivent une injonction à venir comparaître ici. Comme témoins, pour commencer. Au nom du roi, et tout ce qui va avec.»

Le vieux squelette en habits qui semblait être tout ce qu'il restait du faste des Karan, et de la vie de ce château, finit de pousser la porte dans un léger grincement de métal.

« Le sire de Vaucanson est vicomte, messire. » corrigea la voix feutrée de l'érudit, qui était arrivé de Pech d'Ixar en même temps que les strolatz, et avait eu un peu de temps pour se rendre compte de la situation sur place.

Zyakan ne releva pas. Son attention venait de se porter ailleurs. Sur l'établi de cuisine garni à ras-bord de victuailles qui venait d'être dévoilé de l'autre côté de la porte, plus précisément.

Il restait peut-être de l'espoir pour cette enquête, après tout...

#2 2016-09-13 20:03:02

Sanglant Von Festung

Re : Karan - L'enquête

( Ecrit par GrandJarl ^^ )


Voilà quelques jours que Herbert et Sanglant avaient atteint Zootamauxime. Cette cité avait grandi autour d'une fameuse taverne très connue par le peuple d'Amara.

Zootamauxime était peuplée d'une frange particulière de la population d'Amara : des ignares et hideux personnages aux longues oreilles, qui haïssent tous les étrangers. Tous ceux qui ne sont pas de Zootamauxime en bref.

Malgré la xénophobie ambiante, Sanglant n'eut aucun soucis à se faire servir, après tout il était avec le maître des lieux, et il ne fait pas bon de le mettre en colère.

Autour de la chope salutaire, Le Grand Jarl se remémora les événements, tout s'était passé si rapidement, comme lorsqu'il avais assassiné Hyacinthe, son meilleur ami.
Herbert avais encore cédé à sa colère. Une colère qui déchira le coeur du diable lui même, le comte Mäzer de Karan.

Mais ce qui choqua encore plus Herbert, c'est que ce fanatique de Sanglant l'avait sauvé des griffes des strolatz, alors qu'il avait brisé son idole avec l'aide d'un carreau dans le cœur. Etrange. Pourquoi Sanglant avait-il fait ça ?

Qu'importe, pour le moment Herbert et Sanglant devaient rejoindre la Forteresse Noire. Truffée de pièges et de dédales par l'ancien propriétaire, la Forteresse Noire, bien que peu imposante, est une cache dont il est difficile d'en déloger les occupants.

Mais alors qu'ils s’apprêtaient à reprendre la route,un messager survint.

"Le sire Zyakan, vous convoque, il vous ordonne de le rencontrer, sans quoi ils pressera ses hommes à votre encontre !"
Une injonction à comparaître, songea Sanglant. En somme, un piège déguisé. Ou une mascarade ridicule pour récupérer l'or et les secrets des Karans dans une procédure judiciaire normalisée.

Le Grand Jarl, lui, sourit et pensa un instant à ce que donnerait un siège de la Forteresse Noire, avec le maigre peloton qui accompagnait le sieur Zyakan.

Mais, estimant que le sang avait déjà suffisamment coulé, il se tourna vers Sanglant :

"Frère, que diriez vous de cessez de fuir, nous avons peut être le moyen de négocier avec le seigneur de guerrida"

"Avec lui ? Voilà un seigneur dont je dévorerais volontiers le visage. Ce fouineur sert une justice hypocrite, nous devrions nous en débarrasser en restant prudent, mais vous avez raison mon cher Herbert, cessons de fuir et négocions."

"Nulle inquiétude, Gerhard", répondit Herbert, avant de se retourner vers le messager :

"Dis au sire Zyakan qu'à quelques lieux au sud se trouve une plaine surplombée par plusieurs collines, proche de la forteresse du sire Godefroy. Les coordonnées géographiques exacte en sont 151 x 64, qu'il nous y attende avec 10 hommes et pas un de plus, si nous constatons que son escadre est présente nous ferons demi-tour. De même si elle venait à attendre sur l'une des collines. Nous viendrons aussi accompagnés de 10 hommes, parole de mercenaire de la ligue. Et Yggnir sait bien que les mercenaires, eux, ne trahissent jamais leurs paroles".

#3 2016-09-16 00:06:41

Zyakan

Re : Karan - L'enquête

« Donc, ils seront onze ? »

Zyakan leva un sourcil surpris devant la remarque.

« Très juste. »

Rafael n'avait jamais l'air aussi sérieux que quand on touchait à la sécurité de son seigneur. Et Zyakan était toujours étonné de voir la métamorphose qui s'opérait au niveau des expressions du jeune colosse dans ces moments-là. Que ça soit lui ou son frère, d'ailleurs, mais c'était encore plus flagrant sur lui.

« Mais on peut considérer que tu comptes pour deux, Rafael. » rajouta-t-il sans la moindre ironie.

De toutes façons, ce n'était pas comme s'il y avait eu de réel choix à faire. De deux choses l'une : soit ce dément de comte avait sauté de lui-même par la fenêtre, soit quelqu'un l'y avait aidé. La thèse du suicide n'était pas incongrue, vu tout ce qu'on racontait sur le personnage, mais ces deux petits intrigants prenaient bien trop de précautions pour des innocents. Il était curieux, oui, très curieux de voir ce qui allait ressortir de cette entrevue.

Enfin, quel qu'en fût le verdict, lui, n'était que l'enquêteur. La justice était au roi, qui trancherait... Ou non. La mort de Karan n'avait pas dû déranger beaucoup de seigneurs en Okord, et faire la vérité dessus relevait finalement plus de la curiosité que d'autre chose. Ce qui dérangeait, et qu'il était chargé d'éclairer, c'était le reste. Tout le reste. 

Et si la table sur laquelle il avait posé la missive du baron Von Festung était passée du statut de "table de réfectoire pour soldats" à "plan de travail submergé de paperasse pour greffiers", c'était bien parce qu'il n'avait pas chômé là-dessus. L'aile à peu près intacte du palais qu'il occupait avec ses hommes étaient en pleine effervescence, alors qu'ils avaient à peine entamé le volume de parchemins du vieux Bélial. Faire recueillir et compiler par les assistants de maître Alecio les témoignages de tous les anciens serviteurs du palais qu'on avait pu retrouver. Faire placarder et annoncer par crieur public un avis de recherche sur ceux qui étaient désignés comme "le Poing de Bélial" : quatre ou cinq tueurs à gages, -ou gardes du corps, tout le monde ne s'accordait pas là-dessus- qui avaient côtoyé l'ancêtre et l'héritier de plus près et plus longtemps que n'importe qui. Et donc, potentiellement trempé dans bon nombre de leurs potentielles affaires louches. Le mystère régnait, visiblement. L'odeur de soufre qui émanait du nom des Karan n'était pas imméritée. Aussi les cinq cent pièces d'or pour tout renseignement ne l'étaient-elles sans doute pas non plus.

Zyakan se leva, s'étira, fit craquer un peu sa vieille carcasse, demanda à Rafael de rassembler le nombre qu'il fallait des meilleurs de ses hommes, et partit enfiler son gambison, sa cotte de maille et son armure. Il se serait au moins payé le luxe de ne pas les porter pendant une demi-journée... C'était usant.


Deux heures et demie plus tard, ils étaient sur place, sagement plantés devant leurs chevaux, à sentir s'installer très progressivement une petite pluie fine au dessus de leurs têtes.

Dernière modification par Zyakan (2016-12-08 12:59:44)

#4 2016-09-16 23:06:38

Sanglant Von Festung

Re : Karan - L'enquête

- Echec.

Grognement sourd.

Que faire ? Si je déplace cette pièce, celle-là ne sera plus à l’abri ! Il faut pourtant que je l’empêche de prendre mon roi ! Sanglant lève les yeux. Croisement de regard. C’est le jour et la nuit qui s’écrasent l’un contre l’autre, quand les yeux de Sanglant Von Festung affrontent ceux de Mäzer Tanios Samarya de Karan.

Le miroir glacé des soixante-quatre carrés sombres de l’échiquier reflète froidement le face à face déséquilibré, on pourrait discerner les deux visages opposés qui s’impriment sur le champ de bataille. Mais au travers de la forêt de pions sculptés dans un bois raffiné, on distingue nettement la différence entre les adversaires. Mazër est le seul qui demeure serein. Je vais la poser ici, songea Sanglant, étouffé par une concentration paralysante. Il va forcément agir de cette façon-là, et c’est à ce moment que je pourrai frapper.

Sanglant n’avait joué qu’une seule partie avec le maître du Dragon, mais il avait assisté à de nombreuses autres. Il avait remarqué une habitude intrigante : De Karan jouait très rarement en période de paix.

- Echec. Sourire. Et mat, déclara simplement de Karan.

La tête rouge de veines de Gerhard Von Festung s’immobilisa à deux centimètres du masque d’insolence qu’était le doux visage du comte. Sanglant explosa de rage, et face à un Karan qui baille d’ennui, il prit le jeu avec une violence brutale, et en émietta le tablier sous ses mains alourdies par la haine. Devant pareille exhibition de sentiments bruts, le jeune comte ne réagit autrement qu’en buvant calmement une nouvelle gorgée de vin.

- JE DETESTE PERDRE !

________________________________

Je déteste perdre.

Chacune des gouttes qui s’écrasaient contre les carreaux de la fenêtre émettait le bruit gracieux d’une clochette. C’était écouter un tintement doux et perpétuel que d’être dans le bureau de Sanglant. Ce son agréable, il ne peut que l’attendre, à défaut de l’entendre. Mais aujourd’hui, par Yggnir et Sassinaï, oui, aujourd’hui il pleut.
Sanglant adore la pluie. Cela lave tout. Et cette journée sera une purge torrentielle.

Il continua d’observer son reflet dans la vitre. La silhouette arrosée d’une pluie extérieure prenait des formes variées selon ses songes. Il lui sembla un instant qu’elle se confondait avec un nouvel adversaire. C'était devenu Zyakan qui lui renvoyait son regard éteint derrière le verre usé. Une nouvelle partie d’échec commence. Jouons au jeu de celui qui garde les secrets, et de l’autre qui veut les apprendre.



- Mes seigneurs, nous sommes arrivés. Nos obligés nous attendent, ils sont déjà là, pied à terre.

Une toile de camp dégoulinante dressée au-dessus de leur tête. La pluie fine avait pris congé, pour laisser place à sa mère : Il pleuvait maintenant des cordes sur un champ en friche qui s’étalait à perte de vue, et Sanglant avait encore dans le postérieur plusieurs pénibles jours de chevauchée à travers la rase campagne. Il n’avait croisé aucun village qui ne fut pas autre chose qu’un tas de charbon. Dommages collatéraux.

Premières victimes des dernières guerres.

- Il a demandé à ce que l’on ramène des arbalètes, raconta Herbert, et quand on en a eu chacun une, il nous a demandé de nous tuer avec, tous en même temps. Pour la gloire du dragon…Ou des conneries du genre. Il marqua une pose, et sembla meurtri par un regret sincère. Sauf que quand il a donné le signal, il a été le seul à presser la détente.

Les brutes en plates d’aciers s’évaluent du regard. Chacun se considère. S’estime. Voici que les deux camps négocient. Autour d’une table sommaire, on note les versions des faits des témoins. Et puis il y a lui.
Il lui jette un coup d'œil furtif.

Zyakan. Assis presque devant lui.
La quarantaine bien sonnée. Barbe courte poivre et sel, taille moyenne, basané de peau. Cotte de maille avec pectoral de plates et pièces d'armure aux jointures, tabard à ses armes.
Il faut être réaliste. Sanglant le sait, il se le répète : il est infiniment moins puissant que Zyakan. Mais ce serviteur de la justice obéit à des règles qui n'ont pas cours sur ce terrain...

On remarqua qu'il était accompagné d'un gars massif d'une tête ou deux de plus que la moyenne, de trois chevaliers et de six strolatz.


Le greffier royal tenait avec lui l’injonction à comparaître.
Et il note tout, le bougre. C’est au tour de Gerhard de parler.

- Connaissez-vous la Tragédie, messires ?
Réactions curieuses de l’adversaire. Je place mes pions, pensa Gerhard.
Le greffier arqua un sourcil amusé. Zyakan, lui, sembla moins apprécier la référence littéraire.

La Tragédie , reprit-il, était une forme théâtrale telle qu’on la jouait aux orées de l’ancien Empire d’Ohm. Elle avait cela de terriblement délicieux qu’on savait d’avance qui allait souffrir et mourir au terme de la lutte contre le destin, mais que, animé par le frisson, on voulait toujours savoir COMMENT.

- Seigneur Sanglant, intervint poliment Zyakan, votre mauvaise volonté peut être notée si l’envie m’en prend. Je vous prie de ne pas faire l’enfant, je ne tolèrerai plus de sortie du sujet. Maintenant, parlez-nous des ambitions des Karans.


Ouverture des rideaux ! Place, place ! La tragédie commence. Le secret sera-t-il gardé jusqu’au bout ? Non, il ne peut pas en être ainsi. Le sang va être versé, quoi qu’il advienne.

Vol, usurpations, corruption, comptes truqués, collusion avec l'étranger. Sanglant jubile intérieurement. La purge commence. Le battement de la pluie atteint son paroxysme. Y aurait-il de l’orage ?

Les riches familles patriciennes vendeuses d’esclaves baignent dans leur sang. Les prêtres d’Yggnir témoins de sacrifices génocidaires sont rassemblés et noyés dans des étangs. Les espions des guerres passées sont tués pour déterminer les vainqueurs de celles qui viendront. Les généraux proches des Karans disparaissent. Karst est nettoyé. Kül brûle de l’intérieur.

Le secret sera gardé.
Vous ne savez pas ce qu’il se passe dans le Pays de Karan tandis que nous négocions…
Tous vos témoins sont assassinés alors que votre cul est collé sur cette chaise, seigneur Zyakan.
J'efface la mémoire de cette province, voilà ce à quoi pensait Sanglant.


- Echec.

Dernière modification par Sanglant Von Festung (2016-09-16 23:16:06)

#5 2017-04-21 12:55:39

Carmen

Re : Karan - L'enquête

Épilogue


Carmen tournait délicatement les pages de parchemin.

« Je ne me rappelle pas avoir vu les conclusions de cette enquête. Qu'est-ce que ça a donné, au final ? »

Son père tourna la tête vers elle. Il avait toujours les traits tirés. Il passait plus de temps à la grande bibliothèque de Guarida que dans le château, désormais. Comme il disait, il n'avait pas eu accès à autant de livres dans sa jeunesse, il se rattrapait. Carmen était venue passer un peu de temps avec lui, dans ce carré privé à l'écart des colonnades, réservé aux archives seigneuriales, et elle était tombée par hasard sur trois recueils de parchemin. Le premier, de taille moyenne, était intitulé "Enquête sur la mort de Mäzer de Karan". Les deux autres étaient épais d'une longueur de main tendue : "Enquête sur les agissements de Mäzer de Karan" et "Enquête sur les agissements de Bélial de Karan". Ils étaient bourrés à bloc de registres, de compte-rendus de témoignages, de rapports.

Carmen n'avait vu personnellement Mäzer de Karan qu'une seule fois, et elle en avait gardé un goût amer dans la bouche. Vu le volume que représentait l'enquête, et la réputation sulfureuse qu'avait la maison de Karan en ce temps-là, elle s'étonnait que la résolution de l'affaire ait fait si peu de bruit.

« Tu déterres des vieux dossiers... Ça fait sept ans. Les conclusions ont été tirées. Mäzer de Karan s'est suicidé, ou en tout cas on n'avait rien pour prouver le contraire et incriminer deux nobles. Pas mal de rumeurs sur lui et sur son aïeul sont avérées, du meurtre de plusieurs nobles "déserteurs" à la tentative de haute trahison contre le royaume, Alecio et ses greffiers ont trouvé une foule de preuves. Je suis simplement resté discret dessus.
-Pourquoi ? »

Carmen haïssait l'injustice. Déjà, imperceptiblement, elle avait monté le ton, aux aguets de la justification qu'allait lui servir son père. Zyakan la tempéra, d'une voix fatiguée.

« Toute la région aspirait à la paix. De Karan était mort, sa lignée éteinte, il ne servait à rien de remuer la vase autour de ça. Et puis...
-Et puis ?
-... Il valait mieux que le moins de gens soient au courant de ce qui dormait sous le palais de Karst.
-Comment ça ? »

Il venait d'y avoir une légère inflexion dans la voix de son père. Un frisson ?

« Un charnier. Un véritable charnier de marbre, tout luisant, tout propre. Avec de la pierre si fine qu'on a pensé que c'était du métal, des statues qui nous regardaient et qui buvaient dans nos entrailles, une espèce de puissance sourde qui en sortait. Je crois bien que c'est depuis ce moment-là que j'ai des acouphènes. Quand on y est descendus, à la lueur des torches, j'avais des soldats, des greffiers et des ouvriers avec moi. Ils crevaient tous de peur à mesure qu'on avançait et qu'on faisait le tour de ce bassin. Y avait les ouvriers qui faisaient leurs prières, les greffiers qui notaient ce qu'il y avait à noter mais qui se cachaient derrière leurs parchemins... Et puis à un moment, alors qu'on avait presque fait le tour, il y a eu un vieux strolatz, un capitaine, que je connaissais bien, qui renâclait depuis le début, et qui a fulminé qu'il voulait détruire cette chose maudite, au nom de Podeszwa. Je lui ai dit non. Notre rôle, c'était de garder les choses en l'état et de faire un rapport, le plus objectif possible, sur ce... truc, et surtout de ne toucher à rien. Il a insisté. J'ai persisté. Tout le monde claquait des genoux, mais les deux-trois autres strolatz de l'équipe commençaient à grogner, ils étaient d'accord avec lui. Il le sentait, et il a décidé de se passer de mon avis. J'ai dû lui ficher mon épée dans la nuque avant qu'il n'y donne un coup de masse. »

Les yeux de Carmen s'agrandirent d'étonnement.

« Alors, les autres strolatz se sont énervés. Je n'ai pas réussi à les faire rentrer dans le rang. Tout de suite, ils ont dégainé, et il s'est avéré qu'ils voulaient vraiment me buter. Les autres soldats étaient comme tétanisés, et j'ai bien failli y rester, à un contre trois. Ils se battaient comme des enragés. Heureusement, un greffier un peu moins couillon a décidé de se bouger et a assommé celui qui allait m'avoir par derrière avec sa torche, ou autre chose, je ne sais plus. Je m'en suis sorti un peu par miracle mais ils ont quand même fini par retapisser le sol en rouge à côté de leur capitaine. On a remonté les corps. J'ai fait immédiatement murer ce temple. L'aura qui y régnait était beaucoup trop mauvaise. Le strolatz qui avait été assommé s'est convulsé dans un état de rage pendant une semaine avant de cracher du sang et de mourir en quelques heures. Si tu rajoutes à ça le génocide des notables de Karst, et la ville ruisselante de sang dans laquelle on pataugeait, tu peux t'imaginer que je n'aie pas eu envie de rester là-bas trop longtemps. Pays de tarés.
-Et tu penses que les nouveaux seigneurs de Karan ne vont pas rouvrir le temple ?
-Ce n'est plus de mon ressort. Mais s'il y a un pouvoir qu'on puisse tirer de cet endroit, ça n'a pas fourni des victoires aux Karan. Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à craindre là-dessus. Et puis, Cruelle Émeraude est un vieux soldat, comme moi. Ça m'étonnerait qu'il soit trempé dans les pratiques occultes.
-Tu sais qu'il est tokva d'Yggnir, maintenant ? »

Zyakan grogna.

« Hrmpf. »

Mais il reprit, comme pénétré par ses souvenirs.

« ...Karan puait le mal. J'ai pu voir le résultat sur ceux qui l'avaient fréquenté de près.
-Ses hommes de main ?
-Oui. J'en ai rencontré deux. Istar, je crois, et Yzun. Ils étaient dans un sale état, à l'agonie tous les deux. La première, je n'ai pu en obtenir qu'un "va te faire foutre" avant qu'elle ne finisse de s'étouffer dans son sang. Yzun... J'avais entendu dire qu'il venait d'Osterlich, alors je lui ai parlé dans la langue. Il parlait celle de l'Est, moi celle du Sud, mais ça lui a quand même fait plaisir. On a évoqué vite fait le pays. Et il s'est un peu confié... Je sais ce que ça fait, d'être passé chez les strolatz de là-bas. Mais pour lui, en comparaison de ce qu'il avait vu et fait pour les Karan, il disait que le temps où il massacrait pour Baldir était... "blahblume karten". Un paradis de fleurs bleues. »

Carmen n'avait pas réellement écouté la dernière phrase. Elle écarquillait les yeux, répétant celle juste avant...

« Tu sais ce que ça fait, d'être passé chez les strolatz de là-bas... ?
-...Je ne te l'avais pas raconté ?
-Non. »

Son père parut d'un coup à la fois immensément triste et soulagé.

« Tant mieux. C'est une histoire qu'il vaut mieux que tu ignores. »



Voilà voilà ♫

Cet épilogue est un peu là en guise d'excuse,
Aux éventuels lecteurs, 
À de Karan, dont le background phénoménal aurait mérité plus d'assiduité de ma part,
Et surtout à Grandjarl et Von Festung, pour ce plantage en règle.


Bisous !
Zyakan/Carmen

Dernière modification par Zyakan (2017-08-04 13:04:38)

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