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#1 2016-05-14 16:08:33

De Karan
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A couteaux tirés. [Träkbäläard]

"Une nuit, une nuit à attendre... Une longue nuit avant de savoir si le souverain ennemi acceptera un traité de paix, si fragile, si friable qu'on aurait même de la peine à le prendre au sérieux. Des solutions précaires, du rafistolage, voilà tout ce que j'ai su inventer."
Manius Macrinus Firmus
Kaamelott, Livre VI, 1 : Miles Ignotus

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***

Une cohorte de damnés. Impies rejetons d'une glaise chaude comme la braise. Ils traversaient le Nord, engoncés dans des armures étincelantes ou chevauchant des bêtes à la robe luisante. Étendard flottant d'un lys qui n'était déjà plus. Un symbole, galvaudé. Des valeurs, trahies. Un serment vidé de sa substance. Tout ça pour l'or, tout ça pour le pouvoir. Car rien n'arrêtait sa faim dévorante. Un esprit malade dans un corps contrefait. Il était allé trop loin. Il s'était attardé trop longtemps. Si cela lui avait été possible, il aurait certainement bradé le royaume tout entier pour... Plus. Juste un peu plus. Plus de rien. Plus de tout. Du temps, principalement. Du pouvoir, surtout. L'infâme sauterelle drapée dans la soie remua sur les coussins.

-Pourquoi la persienne est-elle ouverte ? Je pèle de froid.
Kerberos alla refermer le petit rabat en bois.

Le soleil était levé depuis plusieurs heures. Le char avançait lentement sur la vétuste route nordienne. Un ingénieux système de ressorts et de contrepoids préservait les voyageurs des nombreux cahots qui la parsemaient. Mazër avait réussi à dormir plusieurs heures cette nuit là. Pourtant, il ne se sentait guère reposé. Une main timide émergea de sous la peau d'ours et attrapa l'une des petites fioles éparpillées sur une tablette. Mazër la porta à ses narines et inspira avec force.

-Je n'aime pas ça. C'est dangereux.

Mazër de Karan braqua un œil rouge sur son protecteur. Il mordit dans une pomme qui reposait au fond d'un panier. Il mâcha longuement, comme si chaque coup de dent était suivi d'une pensée. Le jus coulait le long de son menton.

-Tout est dangereux.
-Ça plus que tout, rétorqua le colosse. Quand la Régente l'apprendra. Plus encore : quand le Roi Jacquouille l'apprendra...
-Il ne se passera rien. Il jeta par terre le fruit entamé, préférant le pain aux olives. Il sera trop tard quand ils sauront. Déjà égorgés. Déjà jetés au fond d'une fosse. Le savoir, si précieux, ne leur sera d'aucune utilité.
-Et ces barbares de Träkbäläard ? Vous croyez qu'ils vous laisseront faire après ?
-Eux aussi seront morts. La trahison est toujours une maîtresse versatile.
-Vous pourriez bien les suivre. Ou même les précéder.
-Le trône mérite qu'on prenne des risques.

Mazër se fit raser. Puis il demanda qu'on l'habille. Les valets ouvrirent les coffres et la grande armoire. Le Comte de Karan enfila ses bas, la lourde cotte de maille et enfin, la grande armure dorée. Une opulente pièce de métal forgée pour son avènement à la tête du Lys, cinq ans auparavant. Ultime touche de magnificence, l'antique Mordante ceignit sa taille. Mazër de Karan se regarda dans le miroir sanglé à la paroi du fond. Il aimait ce qu'il voyait. Peut-être se ferait-il une nouvelle pièce d'armure pour son sacre ; c'était plus que probable... Tant de choses seraient à changer, à remanier. A grandir.

Le char ralenti doucement, au fur et à mesure qu'enflaient des sons inconnus. Des mots criés dans une langue étrange, des chevaux piaffant, une bousculade. Finalement, le char s'immobilisa. Kerberos se tenait déjà à la porte. Mazër hésita à passer son casque, puis se décida à se montrer tête-nue.

La porte s'ouvrit enfin, le marchepied se déploya dans un grincement métallique.

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Dernière modification par De Karan (2016-05-18 11:32:03)


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#2 2016-05-24 11:43:16

Eugénée Anet

Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

Ärmurh Wügni Moog, plus communément admis par son clan sous le nom de Wügn le Barbu, avait sauté sur l'occasion en entendant parler de ce "convoi de femmelettes Okordiennes, probablement rempli de richesses". Träkbäläard était une terre montagneuse, hostile au tout-venant et pas franchement le meilleur endroit pour passer avec un cheval. Là, ses proies en avaient amenés un paquet de ces bestioles. Certains en venaient même à être cuirassés, comme l'étaient ceux du Gundor. Mais Wügn était formel : ses éclaireurs avaient eu raison dans leur rapport. Les bannières étranges qui flottaient n'appartenaient à aucun seigneur du Gundor, et ils n'étaient pas du bon côté de la frontière pour avoir affaire à une vermine de Déomul.
De sa voix gutturale, le Barbu ordonna que l'on fasse s'arrêter le convoi. Il n'était pas venu avec plus qu'une centaine de braves, mais le cor de guerre qui pendait à sa poitrine, trésor arraché à un imbécile de chevalier Perdiglassois, était une note reconnue dans ces montagnes. Un seul souffle appellerait plus de guerriers des forêts et des contreforts.

Les Okordiens s'agitèrent bruyamment quand un tronc d'arbre s'écrasa pour leur barrer la route, quelques centaines de mètres plus loin. L'instant d'après, ils étaient immobilisés dans un soupçon de panique. Wügn allait ordonner à ses braves de pratiquer ce qu'ils savaient faire le mieux (à savoir surgir en nombre des arbres, planter leurs haches dans ce qui passait à leur portée, puis repartir en espérant attirer le plus de monde possible dans l'embuscade) quand il remarqua qu'un homme un peu maigrichon descendait du chariot, pour hurler quelques mots en Okordiens.
Il n'était pas l'homme le plus fluent du monde, en Okordien, quoique les deux langues se ressemblaient un peu. Mais le mot "paix" résonnait très étrangement dans ces montagnes. C'était rare qu'on vienne à Träkbäläard "en paix". Wügn ricana, et avisa la situation. Les chevaliers Okordiens avaient tiré leurs épées et ils se massaient déjà autour du chariot, dans leurs plaques en acier. S'ils étaient comme ceux du Gundor, ils ne seraient pas si faciles que cela à tuer. Et il leur était encore possible de s'enfuir au galop sur la route misérable, de là d'où ils venaient. Du moins... tant qu'un autre tronc d'arbre ne se serait pas abattu aussi derrière eux.

Alors, Wügn décida de faire quelque chose qu'il n'avait pas encore eu l'occasion de faire. En retenant un de ses hommes par le bras, il lui ordonna d'aller chercher dans la discrétion plus de braves restés dans les montagnes. Et, le sourire aux lèvres, le Barbü s'encadra de deux hommes (il avait vu faire ça une fois, par Frïgg le Borgne) pour surgir du couvert des arbres et répondre en grognant :
- Paix ? Vous larves. Tu veux paix, Okordien ? Je veux nom, et nom de ton père.

#3 2016-05-24 23:38:13

De Karan
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Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

-Je suis Mazër Tanios Samarya de Karan, lança avec dédain le seigneur d'Okord du haut de son marchepied. Fils de Cahr de Karan ; légitime héritier de Bélial de Karan. Comte de Kül, Seigneur de Mezar et de Nefret ; Grand Conseiller d'Okord ; Grand Défenseur d'Okord ; Intendant de la Banque du Royaume d'Okord ; Grand Argentier du Royaume ; Chevalier et Maître de l'Ordre du Dragon.

Mazër savait deux choses. La première : la débauche de titres dont il venait de se parer ferait hurler de rire les nomades. La seconde : le nom des Karan trouverait tout de même échos dans ces cœurs endurcis. Du moins, si Aäkran Peau-de-Serpent ne lui avait pas menti et qu'il existait bel et bien un Royaume de Karan... Un Royaume dont la rudesse n'avait rien à envier à celle des träkbäläardiens.

-Ils sont nombreux. Murmura la voix rauque sous le heaume de Kerberos. Et le terrain ne nous avantage pas.
-Alors sortez-vous les doigts du cul et amenez les cadeaux.

Le colosse grogna, mais obtempéra. Il frappa trois coups sourds contre le char tandis que Mazër de Karan sautait du marchepied. Ce dernier désigna fièrement la porte qui s'ouvrait -d'un geste peut-être un peu trop maniéré. Deux couples sortirent du char. Des esclaves de toute évidence, les lourds colliers de plomb qui ornaient leurs cous et les toges légères dont ils étaient vêtus ne laissaient guère planer le doute. Ils étaient jeunes, probablement moins de vingt ans. Les deux premiers venaient du Gundor, conformément à la marque en forme de ''G'' qui ornait leur épaule droite. Les seconds étaient d'Österlich, il portait chacun une large boite en bouleau percée de nombreux trous.

Le Comte de Karan prit la tête de cette petite escorte. A son approche, le rang des chevaliers s'ouvrit pour le laisser passer. Au grand dam de Kerberos. Le colosse avait posé sa main sur le pommeau de son espadon ; depuis son périple nordique il était devenu bien plus méfiant envers les étrangers, et la situation présente ne le rassurait en rien.

Seul Mazër semblait se ravir de l'embuscade. Il avançait vers Wügn le Barbu avec la joie des petits seigneurs capricieux pouvant enfin poser auprès des jouteurs les jours de lices. Le Comte n'était pourtant pas fou, plutôt parieur. Il misait sur la chance -la sienne principalement- et divers facteurs culturels qu'il espérait fiable. Jouer vie et fortune sur de vieux ouvrages et les dires douteux de seigneurs tels que Yannig de Loef ou Rasbrel le répugnait. Mais c'était tout ce qu'il avait.

Alors, quand Mazër ouvrit de nouveau la bouche, ce fut dans un träkbäläärdien incertain qu'il s'exprima ; hurlant presque pour se faire entendre.

-< Du sang pour la terre qui m'accueille en ce jour. > Sans autre forme de procès il dégaina Mordante et égorgea les deux esclaves gundoriens. Ceux-ci tombèrent face contre terre, parcourus de léger soubresaut tandis que leur sang se répandait sur la rocaille gelée. < Des montures pour les guerres prochaines. > Mazër ouvrit une des boites pour en extirper un ourson. Il était d'un pelage noir comme la nuit et hurlait de toutes ses forces, mécontent d'être ainsi tenu à bout de bras et exhibé à l'assemblée. Le Comte le reposa dans sa boite et se tourna vers Wügn. Il raccourcit encore la distance qui les séparait, se frappant la poitrine du poing gauche. < Je suis un chef qui demande à en rencontrer un autre sous la tente. Qui est ce chef ? Qu'il s'avance. >

Mazër sentit le silence retomber sur ses épaules en une impitoyable chape de plomb. Avait-il été compris ? Était-ce bien les manières adéquates pour cette peuplade ? Peut-être le rituel valait-il pour certains clans de Träkbäläard mais pas d'autres ? Peut-être même Mazër s'était-il complètement fourvoyé et que cette simagrée se trouvait-être l’apanage des guerriers d'Yselda ? Secrètement, le Comte espérait tout de même avoir suffisamment surpris les barbares pour leur faire remettre au carquois les flèches qu'ils lui destinaient.

Désormais, trop d'éléments dépendaient de volontés qu'il ne pouvait assujettir. Ce qu'il exécrait au plus haut point.

Dernière modification par De Karan (2016-05-24 23:40:01)


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#4 2016-05-28 21:58:28

Eugénée Anet

Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

Wügn écouta avec ses braves le discours du maigrichon (un certain Karr Mazëhrr Kahrran) jusqu’au moment où celui-ci se mit en tête d’égorger des esclaves et de lui offrir un ours. Là, les hommes du Barbu commencèrent à ne plus prendre l’Okordien pour un riche idiot, mais pour un riche fou. Wügn en personne estima qu’il devait avoir gagné assez de temps désormais pour parachever son embuscade. Tout en passant ses doigts épais dans sa célèbre barbe noire qui lui rongeait une conséquente partie du visage, il regarda l’ourson braillard dans sa boite.
Le rituel de l’Okordien, Wügn ne l’avait encore jamais vu. Mais le coup du sacrifice pouvait se rapprocher des pratiques de certains Huskarls un peu plus radicaux que les autres, quand à l’ours... dans ces montagnes, les ours étaient des créatures révérées, plus associées à la guerre qu’au sang, deux entités qui étaient distinctes pour beaucoup. Donc l’ours ne faisait pas vraiment de sens avec le sacrifice : les ours étaient offerts en cadeaux aux chefs de guerre. Cela étant, même si l’Okordien avait prouvé qu’il ne savait pas vraiment de quoi il parlait, il avait néanmoins une connaissance suffisante de ce qui faisait sa loi dans les montagnes : Yggnir et les grands chefs de clan.

Wügn était sceptique, mais aussi intrigué. Après tout, l’Okordien demandait une entrevue, dans les lois qui avaient cours dans les montagnes. Et il avait offert un cadeau assez prestigieux pour appuyer son propos. Devait-il se substituer pour les besoins de cette entrevue ? Le Barbu était, après tout, chef de clan. D’un clan inférieur, mais d’un clan néanmoins. Le clan du Barbu était assujetti, comme beaucoup d’autres, au clan du Gore, et si le Gore apprenait qu’il avait ainsi décidé de prendre sur lui cet entretien... Wügn secoua la tête et sourit à Mazëhrr, et lui grommela dans sa langue maternelle qu’il pouvait en effet le conduire à un chef dans les montagnes. Là-dessus, il compta rapidement le nombre de chevaliers pour pouvoir s’entourer d’autant de braves, et après une rapide discussion avec le maigrichon, ils engagèrent leur montée dans les contreforts.
Là, les chevaliers Okordiens durent bien vite abandonner leurs montures pour continuer de suivre leur chef, son colosse de garde du corps et ses deux esclaves qui portaient l’ours. Empaquetés dans leurs armures de lourd métal, ils traînaient pour suivre le rythme. Fort heureusement, au bout du deuxième col, le Barbu et sa troupe arrivèrent à un rudimentaire campement de piques et de tentes, camouflé par la végétation. Une poignée de pillards et de Huskarls regardèrent bien passer la troupe d’un œil intrigué avant de retourner à leurs parties d’osselets près du feu, mais la seule importance du Barbu dissuada quiconque de poser la moindre question.

La tente vers laquelle Wügn amena les Okordiens avant de négocier avec les gardes à l’entrée était la plus grande du campement, et entourée d’hommes armés d’épées et de piques, non pas faîtes en pierre mais bien en acier, volées à la faveur des combats à des soldats du Gundor. Conformément aux traditions qui avaient cours en Träkbäläard, les armes étaient encouragées lors des négociations. Le Barbu invita Mazëhrr a entrer dans la tente, en lui indiquant qu’il ne pouvait pas avoir plus de quatre de ses hommes avec lui. L’Okordien ne sembla même pas l’écouter et passa les pans de peau tannée sans même s’arrêter, suivi de son colosse.
À l’intérieur, on annonça Karr Mazëhrr Kahrran devant une assemblée qui était assise sur des petits tapis posés à même le sol. Il y avait là un chantre d’Yggnir qui portait sur le visage un masque de bois noir et des bracelets d’os aux poignets, deux huskarls aux visages couturés de cicatrices, un homme de haute taille en armure faite d’une myriade de pièces différentes et enfin, le Gore.
Assis avec les autres au centre de la tente, Asurle Ramek Duun — ou Rame le Gore — était le seigneur le plus important de la région. Musclé sans être gros, imposant sans être grand, sévère sans être plus cruel que nécessaire.

- Mazëhrr Kahrran ! grommela t-il rapidement en désignant un tapis libre. Okorr vouloir pârrrlementer ? Tu apportes ours, a dit le Barbu, alors je dis : assieds-toi, et Ramek Duun va prrrendre le temps d’écouter.

#5 2016-05-30 22:46:30

De Karan
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Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

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Voilà. Il y était. Kerberos se campait dans son dos. Assis inconfortablement sur ses genoux. Trop de métal sur ses épaules. Trop de chaleur sous la tente de fourrure. Mais il y était. Ramek Duun le fixait. Mazër lui rendait son regard avec la même intensité. Deux prédateurs, de tailles et d'appétits très différents, se trouvaient désormais dans la même cage. Le Comte de Karan songea au chemin parcouru. Le long sentier sinueux de son existence. Il savait qu'il était à un tournant décisif de sa vie. En de pareils instants, les grands hommes disaient toujours penser à de nobles questions ; les dieux, le sens du Monde, les conseils de leur père quand ils étaient petits...

Mazër se surpris à n'avoir en tête qu'une odeur de pâtisserie sortant du four. Le visage d'une jeune femme, constellé de tâches de rousseurs. Une chevelure auburn. Des yeux aussi verts que deux émeraudes. Il sourit.

-Ayla de Marchombres, Duchesse de Rafadnar, de Corbeau Noir et d'autres lieux, Princesse et Régente du Royaume d'Okord m'a envoyé vers vous. Déclara enfin le Comte, posant une main aux ongles démesurément longs sur son cuissot doré. Au moment où nous parlons, le Royaume de Perdiglas et le Duché de Gundor ont rengainé les lames qu'ils comptaient s'enfoncer en travers de la gorge. Ce n'est qu'une question de temps avant que le Duc Alvin n'offre son cul aux osterlichois pour envahir Okord. Mazër détachait chaque syllabe, comme s'il soupesait au préalable les mots qui devaient sortir de sa bouche. Et il le faisait avec une minutie d'alchimiste. Je suis ici pour demander officiellement l'aide de Träkbäläard et négocier un accord...

L'espace d'une seconde, le Comte se surpris à penser au Palais Royal le jour de son départ. Plus particulièrement à Ultan de Toward. Le Vicomte avait pris ses mains au creux des siennes. Malgré les mots, malgré le passé houleux. ''Messire de Karan, il se peut que je vous ai mal jugé...''

-Mais j'emmerde la Régente. Sa langue avait claqué. Rapide comme une vipère à cornes. J'emmerde aussi mon Roi, ce vieillard impotent qui n'a plus rien du guerrier qu'il était. Avec une patience de reptile, Mazër détacha son regard du visage de Rame le Gore pour parcourir tour à tour celui des autres chefs. Je compte enfoncer ma main entre les cuisses d'Okord et m'emparer de ce royaume de putain. La guerre prochaine servira mon dessein. Trouver des soutiens politiques ne sera pas un problème, mais il me faut des bras ; les votre. Les ongles claquaient désormais sur l'armure avec une régularité de métronome. Étrange pluie métallique. Mazër revint à Ramek Duun. Que pouvait bien penser le chef nomade ? Le karanien aurait donné la moitié de sa fortune pour le savoir. Soutenez-moi. Soutenez-moi et je vous donnerais bien plus que de l'or ou des esclaves. Soutenez-moi et vous aurez ce qu'aucun autre royaume ne vous offrira jamais. Soutenez-moi et vous aurez des terres. L'Ouest d'Okord pour les ours de Träkbäläard.

La jeune femme avait disparu. Ultan de Toward auss. Le passé se faisait dévorait par les flammes d'un avenir incertain. Mazër pensait maintenant à Lucill d'Argentorate, à la bannière du Coq déchirée après une bataille et à des forteresses éventrées. Il voyait des comptes enfin clos. Des dettes remboursées. Des hommes pendus à des ponts. D'autres surpris au milieu de la nuit, les yeux crevés par des mercenaires à la petite semaine. De jeunes seigneurs de quinze ans égorgés dans la cour d'un château qui les avait vu naître. Mais plus que tout : une couronne.

Ce destin dépendait de la volonté d'un homme qui vivait dans la merde d'ours.


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#6 2016-05-31 18:53:53

Eugénée Anet

Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

Rame le Gore prit, comme annoncé, le temps d'écouter Mazër. Puis, plus rare encore pour un barbare des montagnes, il prit le temps de fermer les yeux pour réfléchir et soupeser calmement le choix qu'on lui offrait. À ses côtés, ses chefs de clan échangèrent quelques regards en coin, mais sans dire le moindre mot. Quand le Gore refit enfin mouvement après une longue minute, il fronça les sourcils et grommela sa réponse, toujours les yeux fermés.

- Vous n'êtes guèrre aimé, dans votre royaume, Mazëhrr. Au point de devoir demander aide loin des votrres. Pourrrrquoi le clan du Gorrre... ou n'imporrrrte lequel dans ces montagnes accepterrrait-il de servir votrrrre cause, quand même les faibles Okorrriens refusent ? Nous sommes d'une trempe différrrrente, Mazëhrr, de celle qui n'aime pas être brrrras. Nous sommes plus que ça ! Pour votre demande, vous aurriez plus de chance au Gundorrr !

Un concert d'hilarité agita les chefs de clan vassaux au Gore. Ramek Duun laissa faire un moment, avant de leur intimer le silence d'un poing fermé. Il en profita pour rouvrir les yeux, et pour dévisager Mazër. Devait-il juste lui demander de quitter sa tente ? A quoi avait pensé l'Okordien au moment de l'insulter en le comparant à ses vulgaires bras, à ses vulgaires seigneurs assoiffés de "politique" ? Fou ? Désespéré ? Ambitieux, certainement. Mais de l'ambition, Ramek Duun en avait aussi. Il était le genre d'homme à ramasser ce qui lui passait sous la main. Et comme il avait laissé clairement entendre qu'il n'en avait pas fini avec l'entretien, autant se montrer franc...

- Je veux terrre, oui, Mazëhrr. Terre jamais mauvaise. Mais je veux plus que simple terrrre. Je veux acier, chevaux, je veux carrrrtes et guides. Je ne vous aiderrrrais pas si je ne peux pas me battrrre homme à homme. Il y a raison pour laquelle nous sommes dans les montagnes. Ici, acier, monturrres... n'ont pas de valeur. En Okorrr... différent. Pour me batrrre là-bas je veux tout ça, et avant même de bouger d'ici. Puis, peut-être irrrrais-je voir votre rrrrégente et en ferrrais-je ma putain.

Ramek fit signe qu'il en avait terminé, signe au maigrichon qu'il pouvait reprendre la parole ou sortir de la tente sans se montrer impoli, et ainsi mettre fin aux négociations. Mais avant que l'Okordien ne puisse dire un mot, le chef de clan masqué se leva, et pointa le doigt sur un de ses bracelets en os. Ce n'était guère diplomatique, mais en Träkbäläard, premier arrivé premier servi était la devise, que ce soit pour le pillage ou pour la parole.

- Gore ! Barbu a dit que l'Okordien a sacrifié au nom d'Yggnir. Je crois que nous devrions le tester !

Ramek eut un regard étonné vers son subalterne, mais il trouva son idée cohérente et acquiesça rapidement.

- Munnri Rennnard-Neige a rrraison. Mazëhrr, si tu viens ici en rrrrépandant sang, tu demandes bienveillance d'Yggnir ! Aussi comme nous parrrrlons je demande combat, pour pouvoir juger dans quelle pierrre tu es taillé !

Le combat auquel Ramek faisait référence était une coutume de Träkbäläard qui servait à régler des contentieux entre chefs de clan, si la situation n'était pas assez grave pour un conflit armé. Il s'agit là d'un combat à mains nues, sans armes, entre deux champions désignés et sans intervention extérieure, qui a lieu dans un vaste cercle de pierre. Aucun autre mauvais coup n'est interdit, et le duel s'arrête quand un des deux combattants quitte le cercle. Comme Munnri se plaît à le rappeler à l'assistance, Yggnir (et par extensions ses adeptes) juge les combattants sur plus que la défaite ou la victoire.
Le Gore désigna rapidement le grand guerrier à l'armure disparate comme son champion. Le barbare déposa sur le sol ses deux épées, et commença à retirer les pièces d'armure qui recouvraient sa carrure impressionnante. Munrri Renard-Neige était quand à lui parti préparer le cercle de combat.
La parole est de l'avis commun repassée à Mazëhrr, aucun autre chef de clan n'ayant rien de plus à dire. Conformément à la coutume, sortir de la tente sans accepter la proposition de combat du Gore reviendrait à mettre fin à la négociation.

[HRP : Si tu souhaites livrer ce combat face à l'imposant Syggn le Robuste, à toi de jouer. Je te laisse le décrire rapidement, ainsi que décider du résultat. La réaction du Gore à ton ambassade dépendra du déroulement du combat. Peut-être te laissera t-il même continuer les négociations plus avant.]

#7 2016-06-02 16:26:54

De Karan
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Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

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-Il veut un combat. Répondit Mazër à Istar, étonnée de voir son maître et Kerberos ressortir de la tente.

La troupe karanienne était toujours là. Certains soldats semblaient nerveux d'être si proches des träkbäläardiens. Ces derniers n'étaient pas des pêcheurs gundoriens ou des paysans österlichois. Ils étaient des guerriers -et pas des plus tendres- non de frêles esclaves à ramener docilement sur les marchés de Nefret.

Entendant parler d'un combat, Ysun s'approcha du Comte.
-Moi être volontaire. Croassa l'ancien Strolatz en tripotant machinalement le caducée qui pendait à son cou. Envoyez-moi.
-Non. Ma décision est déjà prise. Kerberos sera mon champion.

Le colosse avait déjà son casque sous le coude. Il opina brièvement. Istar l'aida à ôter les plaques qui composaient sa lourde armure. Elle ne cessait cependant de lorgner sur Syggn. Kerberos non plus ne le quittait pas des yeux. Détaillant le moindre de ses gestes, la façon dont-il faisait rouler ses deltoïdes jusqu'à sa manière de cracher. Syggn était grand. Il accomplissait même l'exploit de dépasser légèrement le protecteur de Karan. Mais Kerberos restait le plus épais.

-C'est un gaucher. Déclara Istar d'une voix qu'elle aurait souhaité plus calme.
-Je sais. Kerberos extrayait son pied de la dernière jambière.
-Les gauchers sont des fils de pute.
-Je sais. Ce n'est pas mon premier combat.

Ysun se tut. Kerberos, enfin prêt, s'avança jusqu'au cercle de pierre. Mazër l'attendait.

-Crève-le. Ou ne reviens pas. Ce qui dépend de ce combat vaut bien plus que ta misérable existence.

Sentencieux. Intransigeant. Il abandonna là l'homme qui allait se battre pour lui. Le Comte rejoignit Ramek, Munrri et les autres chefs, affichant déjà un sourire de vainqueur. Il ne prêta même pas attention aux premiers échanges salués par les exclamations du public. Il fut donc pour le moins décontenancé de voir Kerberos déjà genou à terre, une main plaquée sur le visage. Mazër ne souriait plus du tout.

Kerberos était incroyablement véloce. C'est ce qui décontenançait la plupart de ses adversaires, pensant à tort qu'un gros lourdeau comme lui ne pouvait pas bondir, rouler et sauter. Mais ce Syggn... Le Comte n'avait jamais rien vu de tel. Une démarche de crabe et des bras de mante religieuse. Il assénait coup sur coup sans discontinuer, se retirant aux instants où Kerberos parvenait enfin à placer ses poings.

La tendance sembla s'inverser lorsque Syggn plaça un coup de pied ingénieux sur la jambe gauche de son adversaire. Coup que la cuisse de Kerberos absorba sans trembler, à la stupéfaction de Syggn. Le combattant karanien lui assena un direct en plein visage, soulagé de pouvoir faire autre chose qu'encaisser. Le Robuste était enfin à terre, Kerberos n'allait pas laisser passer sa chance. Il s'apprêtait à lui écraser la tête sous le genou lorsque Syggn balança ses jambes en avant, cueillant Kerberos dans le ventre. Le colosse se plia en deux. Syggn passa derrière lui et entreprit de l'étrangler ; Kerberos ne put que passer un faible bras avant que l'étreinte ne se referme. Il se laissa même tomber en arrière pour faire lâcher prise à son adversaire. Mais rien n'y fit. Syggn se contenta d'enlacer ses jambes atour de la taille de sa victime et de serrer un peu plus la gorge au creux de son coude.

-Je t'interdis de mourir comme un chien ! Vociférait Mazër, littéralement hors de lui. Relève-toi, c'est un ordre !

Mais la nuit tombait déjà. Les sons, les images. Tout se brouillait pour Kerberos. Il n'était plus à Träkbäläard, mais dans une rue aux pavés noircis par la crasse. Un enfant chétif pour son age, tout en coudes et en genoux. Un mendiant en haillons. Il avait huit ans et enfonçait avec une joie stupide ses pouces dans les orbites d'un garnement de deux fois sa taille, sous les cris des autres petits vagabonds.

Il dégagea son bras.

Le coude de Syggn écrasa complètement sa gorge. Son visage était proche du sien. Kerberos posa alors sa main libre sur la nuque du träkbäläardien et l'attira à lui. Sa mâchoire se referma sur le nez qui dépassait. Il y eut un cri. Un mélange de surprise et de douleur. Celle-ci s'accentua quand les dents cisaillèrent le cartilage. Kerberos sentit un liquide chaud et métallique couler dans sa gorge. Syggn avait abandonné sa prise, tentant désormais de repousser la tête de celui qui lui dévorait le visage. Kerberos se retrouva sur le guerrier. Deux bêtes roulées l'une contre l'autre. Quelque chose se détacha. Le karanien abattit ses deux mains jointes sur la tête de Syggn, puis il cracha le nez du träkbäläardien dans la direction de Mazër et des chefs.

Loin d'en avoir fini, il profita de l'étourdissement de Syggn pour pivoter. Il lui saisit la jambe gauche et la tourna jusqu'à sentir le fémur se déboîter. La douleur réveilla le träkbäläardien. Kerberos se releva, s'accordant un bref instant de répit pour essuyer le sang qui goûtait de sa lèvre éclatée. C'était presque fini. Syggn était sur le ventre, rampant maladroitement vers les pierres délimitant le cercle. Avec une sérénité de fossoyeur Kerberos marcha vers lui, puis sur lui ; écrasant sa jambe inutile sous son pied. Il s'installa sur son dos, déterminé à achever ce qui avait été entrepris. Même si cela ne lui faisait pas plaisir. Même si à cet instant, il avait plus en commun avec Syggn Le Robuste qu'avec Mazër de Karan. Syggn tenta de se dégager. Kerberos lui déboîta une épaule.

Il plongea ses doigts dans la chevelure du träkbäläardien et lui souleva la tête. Il l'écrasa quatre fois par terre. Jusqu'à ce que Syggn cesse de lutter. Jusqu'à ce Syggn cesse de bouger. Jusqu'à ce que ses naseaux ensanglantés cessent de produire cet infâme sifflement.

Kerberos se releva. L'œil qui n'était pas poché se braqua sur Mazër.

-J'ai fini le combat.

Sa voix rauque s'éteignit. Le karanien quitta le cercle en claudiquant. Istar et l'österlichois s'étaient débrouillés pour trouver des linges à peu près propres et de l'eau chaude. Le colosse s'assit sur une souche tandis que ses compagnons entreprirent de panser ses plaies.

Mazër savait qu'il venait de lui demander beaucoup. Quelque chose venait de se briser. Lorsqu'il se tourna vers Ramek le Comte fronçait les sourcils, comme il venait enfin de comprendre ce que lui coûterait ses désirs de conquête.

-Vous aurez des épées. Dit-il d'une voix désincarnée. Du meilleur acier que puissent produire les forges okordiennes. Vous aurez aussi des montures. Si cela vous importe tant, vous aurez même le poids de votre propre armée en or ; la Banque du Royaume d'Okord s'appelait auparavant ''Banque du Pays de Karan'' : ce n'était pas pour rien... Mais vous avez raison, je ne suis pas aimé. Il regarda les les autres chefs qui suivaient Ramek ; il regarda également les guerriers träkbäläardiens qui retournaient à leur occupation. Personne ne l'est quand on est à notre place. Mais je ne suis pas seul, si c'est ce que vous sous-entendiez par là. Seulement en légère infériorité numérique. Je ne viens pas sur votre terre pour trouver des empoisonneurs ou des faussaires doués dans la réécriture d'héritage. Les grands féaux capables de soutenir ma prise de pouvoir, je peux les trouver en Okord. Je suis venu ici chercher la terreur. Kerberos buvait de la bière au creux d'une corne. Le corps de Syggn était traîné par deux autres guerriers. Car c'est ce que vous êtes, Ramek, que vous le vouliez ou non. Une peur galopante que je veux répandre en Okord au pire moment qui soit. Je ne vous connais pas, ni vous, ni vos us. Mais je sais que n'importe quel chef aspire à laisser sa trace dans l'histoire de son peuple. C'est donc à vous de choisir. Vous voulez me trancher la gorge, voler ma bourse et jeter mon cadavre au fond d'un fossé ou décider de soutenir le prochain Roi d'Okord ?

HRP-Post un poil long. J'étais inspiré. Je te laisse évidemment décider si Syggn est mort ou non.-HRP

Dernière modification par De Karan (2016-06-02 16:27:38)


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#8 2016-06-04 00:46:25

Eugénée Anet

Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

Les braves qui s'étaient rassemblés pour voir le combat avaient commencé à retourner vaquer à leurs occupations, sauf pour ceux curieux de suivre la discussion entre leurs chefs et l'étranger. Ce fut Munnri qui reprit la parole le premier, en acquiesçant et en désignant le cercle de pierre du doigt.
- Yggnir a rendu bon verdict, Okordien.
Ce fut suffisant pour Ramek aussi. Le maigrichon avait accepté les conditions qu'il voulait : l'acier, les montures. C'était ce qui manquait le plus cruellement dans les montagnes si l'on voulait s'aventurer face à des armées régulières, et voilà que le destin lui apportait tout ça sur un plateau. Devant tant de chance, le Gore se jura de dédier le prochain raid qu'il planifiait en Déomul à Yggnir.
- Si épées sont bien de bel acier et chevaux forrrts et rapides, alorrrrs je pillerrrais ce que tu demanderrrras de piller, Mazëhrr. Je ferrrrais joie de terroriser les tiens. Nous avons un acorrrrd.
Le seigneur Okordien sembla satisfait de la tournure, et acquiesça avec un reflet de sourire. Le Gore mit fin à la négociation en frappants sur son torse d'une main et en faisant volte-face. Le message fut clair pour Karr Mazëhrr Kahrran, qui harangua sa troupe en leur ordonnant de se préparer à repartir. Pour sa part, Ramek préféra interpeller le Barbu, toujours assis près du cercle de combat.
- <Wügni Moog ? Raccompagne et laisse partir. Pour ta prise, le Gore te donnera de l'or et un manteau de cérémonie. A moins que tu ne préfères l'ours ? J'en ai déjà d'autres...>
Et la troupe d'Okord quitta les hauteurs fortifiées sans plus d'éclats, avant de disparaître dans les forêts en contrebas.
L'ambassade de Mazër De Karan auprès de Asurle Ramek Duun s'achevait là.

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La nuit était tombée sur le campement du clan. Les hommes étaient en train de démonter une partie des tentes, dans le but de partir dès le lendemain matin. Dès ce moment, le périmètre barricadé reviendrait au premier clan qui mettrait la main dessus - des centaines d'emplacements jalonnaient ainsi les montagnes, au gré des déplacements. Mais pour que l'Okordien puisse leur envoyer l'acier promis, Ramek Duun avait déjà prévu de laisser les hommes du Barbu en arrière, eux pouvant aisément relayer l'information.
Sous la grande tente, une poignée de concubines s’affairaient, non pas à leur rôle principal (la nuit était encore jeune) mais à servir des plats aux chefs de clan encore assemblés là. La soirée avançant, le Gore décida de congédier son monde pour la nuit, indiquant par de rapides mouvements que chacun était libre et invité à se retirer. Il ne retint derrière que le chantre et Syggn Hulmën Maggre, aîné de Syggn le robuste, désormais chef depuis la mort de son père.
- <J'ai un clan à tenir en un seul morceau, Hulmën. Meurs devant meilleur que toi, ou montre toi digne des chefs du Gore.>
- <Avec joie.>
Il eut encore quelques mots avec le garçon, avant que celui-ci ne quitte la tente. Difficile de savoir s'il serait à la hauteur. Comme son père il était grand et fort, mais il aurait à imposer cette force et le respect qui s'y associait, sous faute de perdre sa place : le clan de Syggn était réputé plus rude que la moyenne.

Après son départ seul resta Munnri Renard-Neige, qui contemplait ses mains couvertes de taches de sang. Ramek Duun, habitué au rituel, laissa du temps au chantre. Quand ce dernier sembla prêt à parler, il prit sur lui d'entamer la conversation.
- <Que dit Yggnir ?>
- <Yggnir dit une chose. Munnri Renard-Neige en dirait une autre.>
- <Il a vaincu. C'est ce qui compte, non ?>
- <Yggnir récompense la force, pas la victoire.>
Ramek Duun fronça les sourcils. La réponse était tournée de manière très étrange, même pour quelqu'un comme le chantre.
- <Parle sans crainte, Munnri.>
Renard-Neige fit craquer ses doigts avec méthode.
- <Son champion aurait pu aisément jeter Syggn hors du cercle après l'avoir blessé. Il a préféré ne pas le faire.>
- <Mais alors ? La violence n'est pas réprouvée par Yggnir.>
- <Yggnir et les clans sont liés, mais ne sont pas la même chose. Un ours à deux pattes avant, mais s'il frappe avec les deux à la fois, un choc suffit à ce qu'il se retrouve sur le dos.>
Pour cumuler les fonctions de meneur religieux et de chef de clan, Munnri avait toujours su placer une subtile distance entre les deux fonctions, ce qui était sans doute la raison pour laquelle il était très apprécié dans les montagnes. Le Gore se félicita une fois encore de l'avoir assujetti.
En l’occurrence ici, Renard-Neige le mettait en garde sur le fait que ce qui convenait à Yggnir n'était pas forcément ce qui convenait à un clan, et vice-versa.

- <Il est puissant, grommela Ramek pour lui même.>
- <Du moins, il apparaît l'être.>
- <Il est dangereux.>
- <Oui, également.>
- <Plus que moi ?>
Munnri s'accorda un moment à triturer ses bracelets en os avant de répondre.
- <Si vous deviez l'affronter avec une épée en main ? Non. Mais... ce n'est pas la même chose. Oui, cet Okordien est dangereux. Très dangereux.>
Ramek se demanda si le chantre ne suggérait pas de refuser l'offre de l'Okordien. De faire main basse sur les premières livraisons d'acier puis de disparaître sans laisser de traces dans les montagnes. C'était là une idée plutôt intelligente, mais il n'en tirerait qu'un maigre bénéfice. Et le Gore n'était pas devenu un chef de clan supérieur en se contentant du plus maigre bénéfice.
- <Je ne vais pas cracher sur de l'acier et des montures, Munnri. C'est ce qui fera de mon clan le plus puissant de Träkbäläard, plus fort encore que celui de l'Ours Balafré. Piller Okord et le Gundor est difficile le long de la frontière à cause des patrouilles, mais avec des chevaux, nous pourrions nous enfoncer dans les terres et mettre la main sur plus de butin.>
- <Le conseiller ne décide pas, répondit doucement Munnri.>
Ramek Duun ferma les yeux, méthode qu'il utilisait pour clarifier ses pensées. Il songea à l'or proposé par l'Okordien, à ses promesses de terre, à la façon dont il les voyait comme ses subalternes. "Il me faut des bras". Mais les braves n'étaient les bras de personne d'autre que d'eux-mêmes. Quand il rouvrit les paupières, il sut ce qui était juste.

- <Très bien. Je crois avoir compris ce que tu veux dire, Munnri. Piller et ravager Okord, mais ne servir nulle cause autre que la mienne avant tout.>
Le chantre acquiesça lentement, et même si le masque couvrait les expressions de son visage, Ramek sut qu'il souriait. Après de rapides salutations d'usage, il finit par se relever pour quitter la tente à son tour. Mais avant de sortir, il s'attarda devant les pans de peau.
- <L'Okordien dit descendre d'un vieux sang. Karan. Mais s'il n'est pas grand ou fort, alors pourquoi est-il chef ?>
La question était bizarrement tournée. Le Gore songea rapidement au jeune Hulmën, et à son père. Syggn avait dirigé par la force. C'était ce qui avait fait de lui un chef. Puis, comme il regardait Munnri, le petit Munnri qui ne portait jamais plus qu'une dague comme arme, il comprit où celui-ci voulait en venir.
Mazër n'était pas une force de la nature, et il ne semblait pas non plus doté d'un talent guerrier formidable. Il dirige car il est rusé, comprit le Gore. Rusé, et dangereux.
- <Prendre garde à ceux qui ont la ruse de leur côté.>
- <C'est ainsi que parlerait Munnri. Mais sur ce point, Yggnir ne se prononce pas.>
Le chantre quitta la tente, laissant Ramek Duun seul avec ses pensées.

#9 2016-06-04 15:48:58

De Karan
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Re : A couteaux tirés. [Träkbäläard]

La troupe était redescendue de la montagne. Mazër de Karan et ses suivants avaient repris place dans le grand char. Kerberos pressait un linge humide contre son arcade. Istar lui versait du vin. Attablé au minuscule secrétaire encastré dans la paroi, un clerc griffonnait ce que lui dictait le Comte, qui avalait distraitement quelques grains de raisins...

-"... nous assurons à Sa Gracieuse Majesté l'indéfectible loyauté des barbares de Träkbäläard. Acquise pour quelques chevaux et une caisse de vieilles rapières." Puis vous signez et apposez mon sceau.
-Et pour l'or ? Demanda le clerc en se retournant. Ne faudrait-il pas faire suivre une missive aux finances du Royaume.
De Karan cracha un pépin.
-C'est moi les finances du Royaume. Si ces imbéciles peuvent boire, fondre le métal et ferrer leurs montures pour s’étriper c'est grâce à moi. Je m'arrangerais avec les comptes.

Mazër ordonna qu'on lui retire son armure. Il avait hâte de pouvoir se passer un peu d'eau sur le visage et de s'allonger sur la grande couche. Malheureusement, Kerberos ne partageait pas la nonchalance de son seigneur.

-Et après ?
Le Comte, encore empêtré dans son plastron ne put que tourner la tête. Jetant un étrange regard à son porte-lame, comme si une grossièreté venait d'être prononcée.
-Quoi "après" ? Demanda sèchement Mazër.
-Si j'ai de nombreux doutes sur le succès de la manœuvre... J'en ai encore plus concernant ses résultats. Que va-t-il se passer après que les träkbäläardiens vous ai donné le trône ?
Kerberos, dont les interactions s'étaient toujours cantonnées aux dispositions pratiques des ordres qu'il devait suivre, n'avait jamais parlé aussi longuement. Istar baissait la tête. Le visage de Mazër avait viré au rouge brique.
-Ces bouseux n'auront aucune terre. Mazër hachait chaque mot, dégustant sa froide colère comme un morceau de viande bien saignant. Il se dégagea de l'emprise de son suivant pour s'approcher lentement de Kerberos, qui ne bougeait pas. Ils n'auront aucun titre. Aucune montagne d'or. Sans quitter Kerberos du regard, le Comte attrapa un couteau qui trainait dans une assiette. Leur seule récompense sera une lame courant sur leur gorge d'une oreille à l'autre. L'ultime vision de ces chefs fiers comme des coqs piétinant leur propre merde sera une guerre de succession qui aboutira à l'anéantissement de Träkbäläard. Mazër regarda brièvement Istar et Ysun. J'espère que vous avez retenu leurs visages car vos prochaines cibles ce sont eux.
Un silence de mort tomba dans le char, seulement troublé par le couinement des essieux. Mazër se trouvait dorénavant campé devant Kerberos, sa main refermée sur la lame. Il était impossible de savoir qui allait mettre le feu aux poudres.
-Des rois comme vous, déclara Kerberos en souriant. Morgan d'Arald en faisait un tous les matins.
-Mange couilles ! Explosa Mazër. Il enfonça le manche du couteau dans l'une des côtes noircies du colosse. Celui-ci serra les dents, ne se défendant pas. Carre-toi tes mots d'esprit dans le cul ! Sais-tu ce que j'ai dû faire pour survivre ? Pour arriver où j'en suis aujourd'hui ? Tirer son épée du fourreau, l'abattre sur la tête d'un autre. Ça c'est facile. Mais sacrifier les gens que tu aimes, salopard ! La main tourna un peu plus le manche en bois. Ça c'est du courage, du vrai. Ni le vin, ni les putains, rien ne l'ôte de ton esprit. Finalement, Mazër s'écarta. Kerberos toussa en se tenant la poitrine. N'oublie pas qui tu es, ni d'où tu viens, "Kerberos." N'oublie pas ce que tu dois à Karan. Si tu penses que suivre la salope de fille d'un roi déchu t'exonéreras de tes pêchés, tu te méprends. Nous irons tous rôtir six pieds sous terre.
-Vous sans doute plus que les autres.
Mazër laissa tomber le couteau par terre. Il souriait désormais.
-Oui. Mais le plus tard possible.


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