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Filraein entra d'un pas assuré, un large sourire sur le visage, dans les appartements privés de sa filleule.
Le palais de Cintra était fait de roche brute, et bien que disposant d'une architecture étudiée, ressemblait davantage à une montagne habitée qu'à un ouvrage de fine et délicate architecture. Les plafonds étaient fort hauts, soutenus par de lourds piliers de pierre se terminant en voûtes ouvragées.
Les appartement de la Vicomtesse Merwynn Amon ne dérogeaient pas à la règle. Ici et là quelques tentures apportaient des touches de couleurs à l'atmosphère sombre et terne qui régnait partout.
Chandeliers et candélabres ne manquaient pas, pourtant. Cependant, la faible lueur diffuse de leurs flammes peinait à atteindre le sommet des arches de pierre, accentuant ainsi l'effet d'obscurité.
Une bonne partie de ces appartements était encombrée d'étagères remplies de livres et de parchemins ainsi que de quelques bureaux placés dans la lumière des rares ouvertures pratiquées dans les murs épais. Les rayons du soleil comme de la lune pénétraient par ces fenêtres, dont étonnement, nul vitrail ne faisaient obstacle au vent, mais seulement une lourde plaque de verre.
Avançant sur le sol de marbre, Filraein se dirigea vers la partie sud des appartements,d'où émanait une douce lueur. Là-bas, le mur de roche faisait place à de grandes ouvertures, donnant sur des balcons ornés de fleurs et de plantes. Le dallage froid laissait place à un parquet poli, recouvert par endroits, d'épais tapis.
Le bureau de la vicomtesse, un meuble massif en bois sombre, aux pieds en forme de volutes, incrustés de motifs d'or représentant son chiffre, trônait au milieu de cette ambiance lumineuse et verdoyante.
Il était encadré sur sa gauche par une table au plateau gravé et creusé pour représenter le royaume d'Okord et sa composition, et sur sa droite par plusieurs bibliothèques. Un simple paravent séparait l'espace de travail de ce qui pouvait être qualifié de chambre à coucher. Un espace dédié au repos et aux effets personnels d'une Dame de qualité.
Le bureau croulait sous les ouvrages, missives, parchemins, fragments de cartes et brouillons divers. Merwynn se tenait devant, légèrement écartée. Elle était renversée dans son fauteuil, pensive, le regard perdu dans le lointain.
Arrivé devant sa filleule, Filraien toussota pour attirer son attention. La jeune femme tourna son visage vers le visiteur et esquissa une moue satisfaite.
Une fine brise s’engouffrait dans la pièce apportant les parfums légers du printemps. Ces prochaines semaines seraient des plus agréables, la chaleur commençait à remonter du Sud; le temps idéal pour trainer dans les forêts du domaine en bonne compagnie et en savourant les vins de l'année passée.
Le visage de Merwynn trahissait pourtant sa préoccupation.
"- Vous voici enfin, mon Oncle" Dit-elle sans autre formule de bienvenue.
Filraien se courba en deux dans une profonde révérence. Il resta muet. Les usages ne l'obligeaient pas à complimenter sa nièce et il n'en avait pas vraiment envie.
Ajustant autour de son cou l'étole de fourrure argentée qui tombait en cascade jusqu'à hauteur des reins, Merwynn lui tendit une missive cachetée portant son sceau.
"-J'ai besoin de vous dans le Nord du royaume pour porter ma voix d'ambassadrice d'Okord auprès du Duc Toghril de Perdiglace. Il s'est établi au sein des frontières du royaume, la route devrait être relativement calme. Donnez ce pli à l'intendant de la caserne principale, il vous fournira une escorte et de quoi organiser ce voyage. Vous savez ce que vous avez à faire une fois là-bas, nous en avons déjà parlé."
Filraien fit disparaître le pli d'un mouvement souple, en grimaçant. Adieu doux printemps et bonjour aux vents glacés du Nord. Il tenta malgré tout une manœuvre de diversion.
"- N'avions nous pas convenu que votre présence serait dorénavant impérative dans ce genre d'ambassade, Madame ? La dernière fois que vous m'avez chargé d'une mission, cela s'est médiocrement déroulé ..."
Merwynn chassa l'objection d'un geste de la main, comme si une mouche l'agaçait.
"- Non! Il ne serait pas sage que je me déplaça en personne, et quand bien même cela serait, certains événements ont modifiés la situation, et ma présence est requise ailleurs. Par ailleurs, j'ose croire, mon Oncle, que vous résisterez à la tentation de dévorer le cœur de ce Duc!
Allons! Ne perdez pas de temps, les éclaireurs rapportent un renouveau du blizzard."
Sans plus un mot, elle se replongea dans la lecture de ses cartes.
Se sentant congédié, et de quelle manière, Filraein tourna les talons sans renouveler sa révérence et se dirigea vers sa chambre en grommelant. Il ordonna, à une servante de passage, de lui préparer de quoi se rendre dans une contrée plus froide. Il était bien trop vieux pour cavaler d'un bout à l'autre du royaume et avait largement mérité de finir ses jours dans le confort et le luxe dus à son rang.
Le petit groupe de chevaliers constituant son escorte s’arrêta en vue de ce qui semblait être leur destination. Si le début du voyage avait été agréable, à mesure qu'ils s'approchaient de l'ambassade de Perdiglas, le froid s'était fait plus vivace et le vent plus vicieux, qui s'engouffrait dans la moindre interstice de son lourd manteau de fourrure.
Éperonnant sa monture, Filraein dirigea sa petite troupe au trot jusqu'à arriver aux portes de l'Ambassade de Perdiglas.
- Le poslannik d'Okord est là grand défenseur, dit un homme du Nord en fixant ses pieds.
- Fais-le entrer, apporte nous des viandes séchées et du vin. Il est mon hôte.
L'intérieur de la yourte était cossu, tapis au sol, coffres de bois, armes en tout genres accrochées et bien sûr un grand poêle, éteint, qui occupait le centre. Les gens du grand nord ne vivaient pas dans le luxe et restaient proche de leurs origines nomades, violentes, de vies rudes et précaires.
Au fond de la yourte, un homme à la stature imposante se tenait assis sur un large coussin brodé.
Toghril de Perdiglas, duc du royaume du Nord, grand défenseur des marches de l'est, époux de Roxanne de Gundor et frère cadet du Roi Darvok Ier.
Un des principaux chef de guerre de Perdiglas, et ce malgré son jeune âge pour cette responsabilité. Un coeur intrépide à ne pas prendre à la légère.
- Que me voulez-vous poslannik d'OkôRrrd ? Asseyez-vous et lavez la fatigue de vôtRrre voyage avec ces pRrrésents, dit-il survolant d'une main le plateau richement garni que tenait un guerrier.
Filraein démonta et pénétra dans ce qu'il appelait intérieurement une "bigrement grosse tente".
L'homme qui était assis au fond de la yourte n'était pas ce à quoi il s'attendait. Pas de courtisans épuisants, pas de formalités ni de frivolités inutiles. Bien au contraire, la décoration suggérait qu'il avait à faire à un guerrier plus qu'à un diplomate. Il ne semblait pas très âgé. Tout du moins pas aussi âgé que le sont habituellement les grands guerriers ayant vécu de nombreux conflits. Vue la déférence de ses interlocuteurs, il était fortement respecté. Filraein ne pu s’empêcher d'être soulagé, au moins, il était dans son élément.
- Que me voulez-vous poslannik d'OkôRrrd ? Asseyez-vous et lavez la fatigue de vôtRrre voyage avec ces pRrrésents
Le Duc désigna quelques mets, et attendit silencieusement la réponse de l'Okordien.
Filraein balada son regard sur les armes exposées dans la yourte, appréciant les pièces ouvragées mais néanmoins mortelles. Il s'assit face à son interlocuteur, le dévisagea quelques instants et commença.
- Je suis mandaté par ma filleule, la Vicomtesse Amon, ambassadrice d'Okord, elle même mandatée par sa Majesté Jacquouille le Sanguinaire, deuxième du nom, Roi d'Okord et ..." Filraein poussa un grand soupir en secouant la tête.
Il n'avait jamais été doué pour ces discussions grandiloquentes, il était un combattant, pas une décoration de salon. Et l'homme qui se trouvait devant lui ne l'était certainement pas plus que lui.
- Je suppose que vous n'êtes pas plus que moi adepte des jeux de mots et des flatteries inutiles dont le seul objectif est d'enrober et d'adoucir les objectifs de chacun." Il attrapa un bout de viande séché, le mâchonna et prit son temps pour l'avaler.
- Je suis donc envoyé par le Roi d'Okord, qui a considéré que Perdiglas était un royaume important et puissant dans ce monde, et voudrait que nos deux royaumes établissent des liens. Nous savons peu de votre royaume, si ce n'est que les lois de l'Ancien Ohm vous sont chères, que votre peuple accorde à la justice, aux traditions martiales, et au respect de l'honneur une grande importance. Nous n'ignorons pas non plus que Perdiglas s'est formé par les lames et l'acier. Okord a suivi la même voix en une époque lointaine. Nos deux royaumes ont par le passé parcouru des chemins certes séparés, mais relativement similaires. Peut-être serait-il bon qu'aujourd'hui, nous nous rejoignons, pour une poignée de main, un champ de bataille, ou autre. Marquer le premier pas de ce qui pourrait être une entente puissante et honorable.
L'Okordien s'était exprimé sans hâte, marquant chacun des mots qui éveillait en lui la force de ses convictions.
Dernière modification par Amon (2016-05-04 23:18:31)