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Le Comte Herbivorant avait choisi la bonne journée pour se rendre à la convention du Livre hébergée par Dame Lucill. C'est lors d'un pluvieux Lunor, en la 18e phase de l'automne de l'an IV de l'ère 16, qu'il prit la route du château de Solelhal où tous les intervenants étaient conviés. Tout suivait son cours paisiblement dans la province, les terres s'abreuvaient d'une pluie bienvenue, les sujets vaquaient à leurs occupations dans les bourgs qu'il traversa, les uns achetant leur pitance, les autres la vendant, le reste la mendiant ou s'abritant au sein des tavernes pour attendre une éclaircie au sec.
Après une chevauchée sans incident, le Comte trempé jusqu'aux os parvint enfin devant le château. Après s'être changé à l'intérieur, il put aller à la rencontre de tous ceux qui avaient fait le déplacement, ce qui faisait somme toute peu de monde. La convention durait déjà depuis une semaine et la plupart des seigneurs étaient déjà passés au château.
Une fois introduit dans la salle, il fut cependant rapidement invité par Dame Lucill à converser en privé avant toute visite supplémentaire. Ils gagnèrent un petit salon aux murs d'un bleu profond pailleté et s'assirent confortablement.
- Que se passe-t-il, quelque chose de grave est-il arrivé ? demanda le Comte dès que la porte se fut refermée.
- Absolument pas, répondit Lucill, mais j'ai discuté tout à l'heure avec sire Gerviers, le généalogiste de Samarie, et il se trouve qu'il dispose d'un arbre très détaillé concernant les familles des seigneurs du royaume. Or en consultant les archives qu'il a bien voulu mettre à ma disposition, j'ai trouvé diverses choses vous concernant. Cela vous intéresserait-il que je vous en fasse part ?
- Certainement. Cela concerne-t-il ma parenté ? Je n'ai jamais eu la réponse définitive à ce sujet...
- En partie. Vous saviez déjà que l'on a retrouvé votre berceau dans le château de feu le Vicomte Bovin lorsque le Lys avait pris possession de ses terres, après le départ de celui-ci vers le royaume Irréel. Le nom de votre mère est toujours resté un secret, et sans vouloir vous manquer de respect, il l'a sans doute également été pour votre père. Néanmoins ce n'est pas là que je souhaitais en venir.
Dame Lucill marqua une pause, puis, pointant du doigt quelques feuilles de parchemin posées sur une table basse proche :
- Il y a ici divers témoignages attestant du fait que votre nom ait été choisi selon le souhait de feu votre père, néanmoins sire Gerviers a également trouvé une note manuscrite dont l'écriture est sans aucun doute la sienne, dans laquelle il offre une toute autre version. Votre nom ne devait pas être "Herbivorant" comme on a pu le clamer avec dérision après sa mort, mais "Léodagan". Il souhaitait pouvoir donner à son fils la possibilité d'être autre chose que le Seigneur Vert qu'il avait lui-même été, plutôt que de vous brider avec un nom. Je pense qu'il était nécessaire de vous en faire part.
Un instant de silence passa dans le salon, uniquement troublé par les petits chocs des gouttes d'eau contre les vitres. Le Comte fixa un temps la fenêtre d'un air vide, avant de se tourner de nouveau vers la Duchesse, l'expression figée et la pointe d'une larme perlant à l'œil gauche.
- Je vous remercie de m'avoir prévenu, Duchesse. Je ne pense pas qu'il soit trop tard pour rétablir la vérité au sujet de ce nom, et personnellement, je le préfère mille fois à celui que l'on m'a jadis donné. Je ne tiens pas à rester tributaire pour l'éternité d'un nom que personne n'a souhaité me donner mis à part mes détracteurs. Mes serfs risquent d'avoir du travail à faire demain matin... pour remettre à jour l'identité de leur suzerain !
Le sourire aux lèvres et l'œil pétillant, le Comte Léodagan se leva, prenant congé. Un mince rai de lumière transperçait les nuages et vint illuminer la pièce au moment où il s'apprêtait à la quitter. Le percevant comme un signe, il revint dans la grande salle du château où siégeaient tous les hommes de lettres, et alla poser des questions à chacun tout en ne cessant de penser à ce que son nom allait devenir lorsqu'il serait rentré chez lui.
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