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#1 2015-12-06 14:32:34

Enguerrand

L'épée magique

L’homme, en entrant dans la boutique, fait résonner un étrange carillon constitué de petites épées et de boucliers accrochés à des crins de cheval. Les minuscules armes s’entrechoquent et produisent un son cristallin qui fait se retourner les chalands. Le nouveau venu est drapé dans un ample et simple manteau de taffetas noir. Un chapeau de feutre à larges bords lui enserre la tête jusqu’aux yeux. La seule chose que l’on peut dire à son sujet, et que son accoutrement, aussi discret soit-il, ne peut cacher, c’est qu’il est gros.
L’établissement dans lequel il vient de pénétrer est situé au fond d’une cour dans un quartier mal famé de la basse ville de Mont-Azur.
Aussitôt un vendeur empressé, le sourire professionnel aux lèvres, vient à sa rencontre. Il est petit et sans âge, bien que le poil toujours très noir. Il a le teint basané des britaniens du sud. Avant même que son futur client ait prononcé le moindre mot, il se courbe en deux dans une révérence d’une grande onctuosité.
« Que puis-je pour vous, Monseigneur ? » Dit-il en détaillant les cothurnes en peau de daim, délicatement rehaussées de fil d’or, que son visiteur n’a pas cru bon de dissimuler comme le reste de sa tenue.
Etonné par cette entrée en matière et un peu décontenancé par le pouvoir divinatoire du maître des lieux, Grendel Doomhammer bafouille quelques mots dans un britanien maladroit teinté d’un fort accent omidan.
« Je voudrais une épée ! » Dit-il. Mais sa demande est si discrète qu’elle est à peine audible et pousse le vendeur à réitérer sa question. Gêné par la proximité du reste de la clientèle, pourtant indifférente, le diplomate se penche vers son interlocuteur et place la main en écran contre sa joue pour plus de discrétion.
« Je voudrais une épée ! » Répète-t-il un peu plus fort.
Le vendeur, rentrant dans son jeu, lui murmure. « Cela tombe fort bien Messire, vous êtes dans une armurerie ! » Puis considérant la corpulence de son client en prenant un peu de recul, il demande : « C’est pour offrir ?
- Non ! » Répond Grendel, étonné par la question. « C’est pour moi ! »
Un peu intrigué, le vendeur reconsidère son visiteur.
« Seriez-vous chevalier, Monseigneur ?
- Pas le moins du monde ! »...Puis devinant l’inquiétude du britanien, Grendel ajoute : « Mais je suis noble ! Je suis diplomate ! »
Le visage du vendeur s’illumine. Il fait de grands gestes pour signifier que le malentendu est dissipé et qu’il a tout à fait compris de quoi il s’agissait.
«  Vous désirez une épée d’apparat ! »
Le britanien de Grendel ne lui permet pas de saisir la signification du dernier mot. Comme il reste sans réaction, le vendeur le prend par la main et, l’entrainant au fond de sa boutique, lui présente une collection d’armes rangées dans un râtelier. Ce sont des épées courtes et fines, à la poignée et la garde dorée, gainées dans des fourreaux de velours de différentes couleurs. Au lieu de parler, il mime avec l’expression de son visage et un habile ballet de ses mains, les différents modèles en fonction du prestige dont on veut faire montre en allant de l’épée banale à cent livres britaniennes jusqu’au joyaux de sa collection dont le prix frôle les mille livres.
Grendel a toutes les peines du monde à arrêter le vendeur car à chacun de ses « non » ce dernier trouve toujours un autre modèle à lui présenter.
Finalement, après avoir vainement cherché la traduction du mot qui collerait parfaitement à son souhait, il dit à voix basse: « Je me suis laissé dire que vous pouviez me fournir une épée spéciale ! »
Le vendeur, intrigué analyse la phrase pour en comprendre le sens caché.
« Spéciale ? Spéciale à quel point de vue ?
- Une épée différente ! » Bredouille Grendel. « Avec un pouvoir spécifique….. »
Soudain la lumière jaillit dans l’esprit du britanien. Cette fois il a compris. Il fait un grand sourire à son client mais presque aussitôt son visage devient grave. Il regarde à droite et à gauche, l’air soupçonneux pour s’assurer que personne ne les épie, fait signe à Grendel de s’approcher et lui souffle dans l’oreille : « Vous voulez dire une épée magique. »
Le gros diplomate fait oui de la tête, à la fois soulagé d’être compris et inquiet de la réponse qu’on va lui donner. Il se produit alors un phénomène que l’on ne peut observer que dans certaines échoppes quand la demande concerne un produit rare et cher : Le britanien se met à parler dans un omidan tout à fait correcte.
« Si vous voulez bien me suivre, Monseigneur, nous serons mieux dans l’arrière-boutique pour parler. Puis-je vous proposer un kawa ou un thé à l’azulis ? ….. » Et il devance Grendel tout en marchant à reculons et en faisant une révérence à chaque pas.
Le diplomate se retrouve bientôt confortablement installé sur une pile d’énormes coussins de soie. Il est entouré de plateaux de friandises et sirote un thé lourdement parfumé dont les effluves remplissent la pièce, décorée, jusqu’au plafond, de précieux tapis de Khidas. Tout en dégustant l’infusion, il se laisse bercer par la péroraison de son hôte.
« Permettez-moi, Monseigneur, de vous féliciter d’avoir choisi notre établissement. » Attaque ce dernier avec un art consommé de la flatterie. « Nous sommes les meilleurs fournisseurs d’épées magiques de tout Gondawa et pour ainsi dire les seuls ! Vous n’êtes pas sans savoir que ce genre d’article est très prisé mais tout autant décrié. La guilde du Safran ne voit pas cette concurrence d’un bon œil, sans parler, bien entendu, de l’église Pan Aéléniste qui l’a carrément mis à l’index.
Cela nous force à rester discret. C’est la raison pour laquelle aucune enseigne ne mentionne cette partie de notre activité. Puis-je vous demander par quel biais vous avez eu connaissance de notre établissement ? »
Le britanien est courbé en deux et, bien que souriant, son regard par en-dessous transperce Grendel comme celui d’un inquisiteur.
« Par le plus grand des hasards ! » Répond le gros diplomate. « Figurez-vous que j’ai rencontré l’un de vos clients de manière tout à fait fortuite. Je ne sais de quoi nous parlions quand le sujet de ces épées spéciales est arrivé dans la conversation ; par magie oserais-je dire. Il m’a dit posséder l’une des vôtres et m’a communiqué cette adresse, mais n’a jamais voulu me dire son nom de sorte que je ne peux, hélas, me prévaloir de son parrainage. Il m’a, d’ailleurs, recommandé la plus grande discrétion, d’où mon accoutrement.
« Aie !» Gémit de plaisir le vendeur. « La discrétion ! Voilà le maître mot ! Ces objets doivent rester l’apanage de certains initiés…..En faire une publicité tapageuse nuirait à notre activité au point de la faire disparaître. La possession d’une épée magique vous fait entrer dans le cercle très restreint des élites de ce monde. C’est un privilège qui implique une lourde responsabilité. Vous comprenez aisément que ces armes ne peuvent être confiées à n’importe qui. Mais je vous sens un homme digne de ce privilège. Un diplomate, par nature, sait garder un secret !
Puis-je me permettre, votre Excellence, de savoir à quelle destination  vous réservez cette épée ? J’insiste sur ce fait car, voyez-vous, c’est l’usage qui détermine l’objet.
- C’est pour me protéger des Drakhens !  Je voudrais une arme efficace qui les tue à tous coups !
- Les Drakhens ! C’est évident ! Une épée pour tuer les Drakhens !
- C’est possible ?
- Sacher, Monseigneur, qu’il n’y a rien que ne puissions réaliser en termes d’épée magique ! Vous devez savoir que nos armes sont entièrement réalisées à la main dans nos ateliers et que chacune d’elle est unique. Elle est façonnée pour son propriétaire et ne fonctionne qu’avec lui. Pour vous en convaincre sachez qu’Excalibur et Durandal sont sorties de nos ateliers.
- Ce sont des épées ? » Demande naïvement Grendel.
- Ce sont des épées magiques, Monseigneur ! » Insiste le vendeur. « Et qui ont réalisé des prouesses aussi extraordinaires que de fendre des montagnes en deux.
Mais, me direz-vous, Qu’est-ce qu’une épée magique ? Et bien c’est avant tout une très bonne arme, fabriquée avec le meilleur acier rhelmois que nous importons directement de votre merveilleux royaume ! Mais, bien entendu, elle n’est pas bêtement forgée chez le maréchal-ferrant. Nous allons jusqu’au tréfonds de la terre pour lui donner forme sur l’enclume de Khor, au milieu des démons des sept enfers ! C’est là que la lame est chauffée au souffle du dragon et qu’elle prend sa couleur si particulière. Le voyage à lui seul prend un mois et je n’ai pas besoin de vous dire à quel point il est risqué.»
Grendel hoche la tête dans un geste d’affirmation admirative montrant qu’il ne doute pas un seul instant des paroles de son interlocuteur.
« Mais ce n’est pas tout ! » Renchérit le vendeur, encouragé par la bonne disposition de son client. L’épée, en plus de ses qualités incomparables de tranchant propre à fendre la pierre, doit comporter un ou plusieurs maléfices qui lui donnent son pouvoir merveilleux. »
Afin que son auditeur en comprenne immédiatement les avantages, le Britanien se met à les mimer avec une éloquente gestuelle.
« Le feu, que ce soit sous forme de boules projetées ou de lance-flamme, est toujours très prisé ! La lame incandescente est aussi un grand classique. Outre l’aspect esthétique, c’est très pratique pour les combats de nuit.
La glace qui transperce l’ennemi et le gèle de l’intérieur possède ses adeptes. Elle a l’avantage de figé l’adversaire pour l’achever ou pour prendre un peu de recul.
La brume rend invisible ou elle peut ronger les chairs. Je la recommande dans le cas d’ennemis multiples.
Le poison, qu’il foudroie instantanément ou, au contraire, fasse se tordre votre ennemi dans d’atroces souffrances est très couru aussi, surtout par la gente féminine…Tout est possible….
Mais voyez plutôt mon catalogue ! »
Et il tend un grimoire au diplomate.
Grendel feuillette l’ouvrage dont il ne comprend que quelques mots au hasard, mais qui est, par ailleurs, remarquablement illustré de gravures très explicites. Il se laisse aller dans les coussins moelleux, bercé par la voix enivrante du vendeur
« Le maléfice est contenu dans la poignée. » Explique le Britanien. Il s’agit d’un artéfact que l’on inclut dans le métal. Comme vous pouvez le voir, le choix est considérable. Vous ne trouverez pareil choix dans aucun autre établissement.
- Que veut dire ceci ? » Dit Grendel en montrant des chiffres écrits en bas de page. « Serait-ce le prix ?
- Ne vous inquiétez pas de cela, Monseigneur ! Ce ne sont que des références ! Par ailleurs le prix n’est qu’accessoire ! Qu’est-ce que l’or comparé à la puissance d’une épée magique…. »
Grendel balance la tête de droite et de gauche avec une moue prouvant qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec cette idée. Le Britanien élude le problème et continue ses explications.
« Donc vous trouverez aussi bien de la corne de licorne que du poil de Nasgaard, de la pierre de lune, de l’écaille de dragon…. » Il se lance dans une énumération sans fin jusqu’à ce que Grendel le coupe de nouveau.
« Et ça ? » Dit-il. « Qu’est-ce que c’est ?
- Ce sont des pierres précieuses. Mais elles ne sont pas indispensables. Elles servent à changer la nature du charme ou l’amplifier si nécessaire, et, bien entendu, à décorer l’objet. Une épée magique sans pierre précieuse c’est un peu comme un jour sans pain, d’une tristesse à mourir.
Ceci dit, le client est libre de fournir lui-même les pierres. Je dis toujours que les bijoux de famille donnent un cachet encore plus personnel à l’objet. Dans ce cas nous ne facturons que le sertissage évidemment. Quoi qu’il en soit, si vous n’avez pas de joyau, sachez que nous pouvons vous en fournir de toute sorte et de toute taille. Nous ne prenons pas de commission sur les pierres et pour vous en persuader, vous pouvez comparer nos tarifs avec les prix pratiqués par les diamantaires d’Erétria. »
- C’est très joli ! » Complimente Grendel pour rendre un peu de sa courtoisie à celui qui l’accueille avec autant de prévenance.
- N’est-ce pas ! Elles sont généralement serties sur la garde mais on peut aussi en placer au bout du manche. A cet endroit l’action sur le charme est plus importante, surtout si la pierre est grosse.
- N’importe quelle pierre fait l’affaire ?
- Bien entendu, Monseigneur! Mais si chaque pierre peut avoir un effet, il est évident toutefois qu’un diamant d’une grande pureté sera plus efficace qu’une simple améthyste.…… Mais comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, les pierres sont avant tout décoratives. C’est la dernière étape de sa fabrication qui donnera à l’épée toute sa puissance.
- La dernière étape ? » Répète Grendel, hypnotisé par le discours du Britanien.
« Avant l’assemblage final, la lame est trempée une dernière fois pour lui donner toute sa dureté. C’est une cérémonie incontournable car c’est elle qui va transcender les artéfacts! Les incrédules parlent de messe noire, de pacte avec les démons et je ne sais quelle autre sornette, mais il s’agit de science ni plus ni moins. Evidemment, le bain de trempage est obtenu en vidant une vierge, préalablement sacrifiée, de son sang! C’est certainement ce qui outrage la bonne conscience des Pan-Aélénistes, mais ce détail mis à part, la technique est tout à fait traditionnelle. Et puis il ne s’agit pas en réalité d’un grand sacrifice. Une seule vierge suffit la plupart du temps, quand elle n’est pas trop jeune et on peut la choisir parmi les filles du peuple ou même parmi les serfs. C’est dire à quel point les affres de ses détracteurs sont infondées. Là encore nous ne sommes pas regardants et le client peut fournir le matériel de son choix s’il l’a à disposition. La période est faste pour qui cherche de jeunes vierges et les prix sont bas. La guerre civile, qui a ensanglanté une de vos provinces, a laissé beaucoup d’orphelines et les familles dans la misère sont plus enclines à vendre leurs enfants.
Par contre l’archimage qui procédera à la cérémonie et qui fera les incantations fait partie de notre établissement. Vous comprendrez que certains secrets de fabrication ne doivent pas quitter nos murs. »
«  Je vois ici une curieuse liste ! » Fait remarquer Grendel.
« Où cela ?
- Ici ! » Et le diplomate montre une page noircit de noms et de dessins.
«  Oh ! Ce sont les victimes sacrificielles que nous nous proposons de vous fournir si vous n’en avez pas sous la main. C’est une liste exhaustive bien entendu qui n’est là que pour donner une idée. Nous sous-traitons certaines demandes particulières à l’Ombre.
Puis, prenant un ton plus confidentiel :
« Je ne veux pas forcer à la dépense, Monseigneur, et nous comprenons fort bien que ce genre d’article peut se trouver ailleurs que chez nous. C’est la raison pour laquelle nous n’imposons pas nos sacrifiées. Dans ce cas, cependant, nous dégageons notre responsabilité au cas où le sang serait impur. Vous devez savoir que les véritables vierges sont moins nombreuses qu’on le croit et que l’on est, dans ce domaine,  facilement abusé par les apparences. Par prudence il est préférable d’en sacrifier deux de dix ans plutôt qu’une de vingt si vous suivez mon raisonnement. Et encore ! Dans certains villages les pratiques incestueuses sont monnaie courante. On peut aussi, pour être tout à fait sûr, utiliser le sang de nouveau-nés mais comme il en faut une demi-douzaine en moyenne, le prix s’en ressent.
Inutile de vous dire que si le sang est de mauvaise qualité, les pouvoirs magiques de l’épée s’estomperont assez rapidement.
- Vous m’avez parlé d’appartenance. Comment faites-vous pour que l’épée n’obéisse qu’à son propriétaire ?
- Le plus simplement du monde, votre Altesse. Il suffit de mêler le sang du futur propriétaire à celui de la sacrifiée au moment de la cérémonie. Mais rassurez-vous, une simple goutte suffit. »
Grendel qui s’était alarmé à l’idée de donner son sang, se détend à nouveau.
Le Britanien se tait et se borne à regarder son client dans les yeux. Il attend de lui une réaction qui tarde à venir. Le silence qui suit sa péroraison est presque gênant.
- Et ça coûte combien ? » S’inquiète finalement le diplomate
- Ne parlons pas d’argent ! Monseigneur ! » Gémit le vendeur, cette fois-ci de douleur. Il met une main sur le cœur et s’avance pour poser l’autre sur le genou de son client. « Ce serait indécent à ce stade. Les dieux sont témoins, nous n’avons pas encore défini votre épée. Reprenez donc de ces lokoums, ils sont excellents n’est-ce pas ? Je les fais venir d’Uru Dun spécialement. »
Alors que Grendel cède à la douce injonction de son hôte, ce dernier frappe dans ses mains. Aussitôt, de derrière une tenture, surgit une jeune femme aux charmes à peine voilés par des tulles vaporeux savamment placés, qui se met à danser langoureusement au son d‘un tambourin et d’un luth, mais cette apparition émoustillante, loin de calmer les appréhensions financières du gros diplomate, les exacerbe bien au contraire.
« J’ai bien peur de ne pas avoir les moyens de m’acheter une de ces épées. » Commence-t-il comme un premier pas vers la sortie.
Le vendeur, conscient de sa méprise, frappe à nouveau dans ses mains et la danseuse disparait aussi vite s’elle était apparue.
« Il ne faut pas dire cela, votre Grace ! Ce ne sont pas les épées les plus chères qui sont forcément les plus performantes. L’important c’est qu’elle vous aille. C’est en quelque sorte comme une paire de gants …et puis il y a toujours moyen de s’arranger. Allons ! Vous voulez tuer des Drakhens ? Vous n’allez quand même pas le faire avec une épée ordinaire ! C’est dangereux un Drakhen. Vous risqueriez d’être blessé ! Est-ce cela que vous voulez ?
- Non ! Evidemment ! » Avoue Grendel.
- Le prix d’une épée magique peut varier sur une échelle de un à cent ! Celle qui vous conviendra le mieux n’est pas la plus chère, rassurez-vous ! Et pourtant elle aura une efficacité telle que vous pourrez vous balader sur le champ de bataille à moitié nu sans risquer la moindre écorchure….
De plus, nos épées sont garanties à vie ! Non seulement vous êtes assuré d’une arme qui gardera à jamais son efficacité, mais sachez aussi qu’à la moindre insatisfaction de votre part elle vous serait intégralement remboursée. Nous nous permettons de faire cette offre incroyable pour la bonne raison que, vous vous en doutez, jamais personne ne nous a retourné une épée pour ce motif. Vous voyez donc qu’il n’y a aucune crainte à faire cet investissement.
- J’entends bien. » Répond Grendel, un peu gêné. «  Et je vous sais gré de toutes les attentions que vous prêtez à ma personne, mais peut-être me pensez-vous plus riche que je ne suis en réalité. »
Sans écouter l’argument qu’il balaye de son mépris, le vendeur continue sur sa lancée.
« C’est, de plus, un investissement sur le très long terme puisque vos enfant en hériteront et après eux leurs enfants. Il s’agit, en quelque sorte, d’un cadeau que vous faites à votre lignée.
- Mais vous avez dit que je serai le seul à la faire fonctionner.
- Vous et tous ceux de votre sang, Votre Excellence ! Ce qui inclus vos enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants etc…etc… L’épée sera toujours aussi performante, je peux vous le certifier.
Même s’il n’y aura plus de Drakhens à tuer ! » Ajoute le Britanien en riant.
« Evidemment, vu sous cet angle….
- Nous sommes donc d’accord ! J’ai tout de suite vu, en vous, l’homme d’action que rien n’arrête. C’est qu’il faut un sacré courage pour aller affronter les Drakhens ! Mais vous êtes aussi habile que courageux ! En vous munissant d’une épée magique, vous faites preuve d’une rare intelligence, croyez-moi ! »
Grendel sait très bien qu’il ne mérite pas autant d’éloge mais il ne peut s’empêcher de les gouter avec autant de plaisir que s’il s’agissait de lokoums. Il appréhende, malgré tout, le moment où on lui annoncera le prix.
« Les Drakhens sont d’horribles bêtes cracheuses de feu ! » Poursuit le vendeur. « Je suppose que vous ne tenez pas à les affronter au corps à corps.
- Certainement pas ! » Avoue le diplomate.
« Il vous faut donc une protection personnelle et un sort jetable à distance….Le froid me semble idéal dans ce cas précis. Quoi de mieux que le froid pour combattre le feu….D’autre part le froid engourdi et ralentit l’adversaire, on peut prévoir un effet de zone plus ou moins étendu qui permettrait de se défendre contre plusieurs créatures en même temps. Un sort de froid commence à être efficace à partir d’une centaine de pas, pour les plus puissants.
De quel genre de pierre disposeriez-vous ? Pour le froid le diamant est le plus indiqué ainsi que la pierre de lune et la goshénite, mais les pierres bleues donnent aussi de bons résultats. Le saphir bien entendu mais aussi la topaze, l’indicolite, l’aigue marine, la turquoise, le lapis-lazuli et dans une moindre mesure la tourmaline. »
- Et du quartz ? » Hasarde Grendel. « Cela fonctionnerait-il avec du quartz ? »
Le britanien affiche un petit sourire crispé, qu’il efface aussitôt, et préfère changer de sujet.
«  Pour l’artéfact, vous avez le choix entre la corne de licorne, des dents de yéti et les yeux de Méduse, pour les plus puissants….Sinon, les griffes de nasgaard sont très efficaces également, mais il est délicat d’aller les chercher dans l’outre-monde. »
Le vendeur sort un boulier de poche d’un des revers de son cafetan et se met à tripoter ses boules avec une grande dextérité.
«  Vous n’êtes pas vraiment fixé ? Je vous comprends, il faut un peu s’y connaître et ce n’est pas facile, même pour des initiés. Laissez-moi quelques instants je vais vous trouver une formule qui vous donnera entière satisfaction. Un compromis parfait entre une efficacité redoutable et un prix très serré. »
Grendel regarde ce manège avec un mélange d’admiration et d’inquiétude.
«  Voilà ! » Triomphe le britanien. « Nous disons donc : Acier Rhelmois, triple forgeage et passage au souffle du dragon avec manche et garde en or dix-huit carats, corne de licorne en inclusion dans la poignée et incrustations de lapis-lazulis en grenaille sur la garde. J’ai prévu un gros diamant bleu monté en solitaire sur le pommeau. Une pierre de toute beauté que j’ai en stock et sur laquelle je vous fais un prix. Le tout retrempé dans le sang de deux vierges, pour une meilleure garantie et baptisée par un seigneur de l’oubli. Voilà une épée propre à libérer Continent de ses envahisseurs à elle toute seule et pour seulement, tenez-vous bien, la modique somme de deux cent soixante-cinq mille livres ! Qu’en dites-vous ? »
Le gros diplomate manque de s’étrangler. Les précautions oratoires du vendeur l’avaient préparé à un prix très élevé, mais la somme est proprement astronomique.
« Au fait, vous la voulez pour quand, cette épée ? » Demande le vendeur avec un sourire candide.
- C’est que je ne possède pas cette somme ! » Déplore Grendel, effondré. « J’imaginais bien qu’une épée magique fût plus chère qu’une épée commune, mais, avec le chiffre que vous avancez, on pourrait équiper toute une armée.
- C’est la raison pour laquelle ce genre d’arme reste si rare, Monseigneur. » Se défend le vendeur. « Si elles étaient abordables, tout un chacun en porterait à la ceinture. Or ce n’est pas le cas. Avez-vous déjà vu une épée magique ?
- Non ! Pour être honnête, je pensais même qu’il s’agissait d’une fable.
- Une fable ? S’indigne le britanien. Ai-je l’air d’un vendeur de fable ? Ce n’est pas parce que ces épées sont d’une exceptionnelle rareté et que seuls les nobles les plus fortunés peuvent s’en payer, qu’elles n’existent pas. D’ailleurs si l’on en voit jamais, c’est que leurs propriétaires les gardent au fond de coffres bien solides de peur de se les faire voler. Mais soyez sûr que vous verrez ces armes fleurir sur le champ de bataille quand vous serez à Continent en train d’affronter les Drakhens.
- C’est que, malheureusement, je ne pourrai pas y aller ! » Se désole Grendel. « Voyez-vous la perspective de posséder une épée magique me donnait le courage de cette expédition mais sans elle, je ne me vois pas affronter ces monstrueuses créatures. »
Le vendeur prend l’attitude compassée de celui qui partage la douleur d’un proche.
- Monseigneur, je sens bien que cette épée est faite pour vous et à quel point vous seriez fâché de ne pouvoir l’acquérir. Vous ne possédez pas une telle somme, je le conçois aisément ! Qui donc se promènerait avec autant d’argent….mais il ne s’agit pas de payer maintenant ! Un simple acompte de dix pour cent nous suffit pour lancer sa fabrication. Si nous faisons affaire aujourd’hui vous pourriez chercher l’objet sous deux mois et ne payer le solde qu’à ce moment-là.
- Mais je n’ai même pas ces dix pour cent ! »  Objecte Grendel au désespoir. « Et j’aurai encore moins le solde sous deux mois ! Non vraiment, cette épée est certainement merveilleuse, mais je ne peux pas me l’acheter, n’en parlons plus.
- Ces mots me navrent, Monseigneur ! Vous n’avez pas vingt-cinq mille livres ? Qu’à cela ne tienne ! Signez-moi un billet à Ordre ! Vous pourrez payer en écus Omidans une fois rentré chez vous ! Et pour le solde, pareil ! Je peux même échelonner son paiement en dix fois sans frais supplémentaire. Qu’en dites-vous ?
C’est un cadeau inestimable que je vous fais, mais je m’en voudrais de vous priver de la gloire de tuer des Drakhens à Continent. »
Comme Grendel reste pétrifié, le Britanien enfonce le clou.
«  Je sens à quel point cette épée va vous changer la vie et je vais aller encore plus loin. Si nous faisons affaire, en plus de l’épée, je vous offre son fourreau en ébène de Tolerad et cuir de baleine, avec son fermoir en bronze gravé à vos armoiries. C’est cadeau ! Je ne peux pas vous dire mieux !
- C’est très généreux de votre part, Messire ! Et j’aimerais pouvoir vous dire oui, » s’excuse Grendel, « mais je ne peux pas m’offrir ce luxe. Ma fortune y passerait tout entière…Je ne suis qu’un diplomate…Noble certes….Mais, fortuné…. jusqu’à un certain point seulement. Pour tout vous avouer, je ne dispose ici que de vingt mille livres qui doivent me permettre de vivre décemment le temps du sommet. Je pensais en rogner une partie pour réaliser cet achat que je pressentais couteux….Mais deux cent soixante-cinq mille, c’est impossible, même en payant en dix fois, même en cent fois….Comprenez-vous ?
- Je comprends ! » Répond en écho le vendeur avec la mine désolée. «  Vous ne pouvez pas ! »
Mais, alors que Grendel, confus, entreprend une manœuvre de rétablissement pour extirper ses grosses fesses des coussins dans lesquels il s’est profondément enfoncé, il ajoute : « Cependant, si vous tenez vraiment à acquérir une épée magique, j’aurais peut-être une solution beaucoup moins onéreuse à vous proposer…. »
Et comme Grendel, brisé dans son élan, se met à hésiter, il poursuit : « J’ai horreur de laisser un client insatisfait, Monseigneur, et votre problème est devenu le mien, soyez-en sûr ! Il ne sera pas dit que je n’aurai rien tenté pour vous permettre d’accéder à votre souhait le plus cher !
J’aurais bien une épée magique à vous proposer, mais il faut pour cela que vous me juriez le secret absolu.
- Vous voulez dire une épée à un prix abordable ?
-  Une épée, votre Altesse que vous pourrez acquérir sans vous ruiner !
- Mais sera-t-elle aussi puissante que celle que vous m’avez décrite ?
- C’est une épée magique, Monseigneur ! Et elle fonctionnera à merveille sur les Drakhens, je peux vous l’assurer ! D’ailleurs vous vous en rendrez compte à votre première rencontre avec ces créatures du diable…Mais….
- Mais ?
- Avant tout, Monseigneur, vous devez comprendre qu’il s’agit d’opérations rarissimes que nous menons, à titre gracieux, pour notre plus illustre clientèle et qui requièrent le secret le plus absolu. C’est non seulement une question de réputation pour notre établissement mais surtout pour les grandes familles qui nous font confiance. C’est la raison pour laquelle, si jamais vous étiez intéressé, je vous demanderai de jurer, sur votre foi, de garder le silence sur cette pratique.
- Bien sûr que cela m’intéresse ! De quoi s’agit-il, Messire le marchand ?
- Vous jurez ?
- Je jure sur les cinq dieux primordiaux ! » S’empresse Grendel en étendant le bras, main tendue et les doigts serrés. « Je serai muet comme une tombe !
- Je vous fais confiance, Monseigneur ! » Répond mielleusement le vendeur. « Un diplomate ne saurait mentir. Je remets donc mon honneur et celui d’une illustre famille de Britania entre vos mains ! »
Il fait une pause et se rapproche de son client afin de lui révéler son terrible secret à voix basse.
« Il arrive que certaines personnes cherchent, pour des raisons qui leurs sont propres et que nous n’avons pas à connaître, à se défaire d’épées magiques. Comme ce genre d’article ne peut pas se vendre sur les marchés pour des raisons évidentes de discrétion, elles nous demandent d’intervenir en tant qu’intermédiaire pour trouver un acquéreur et conclure la transaction.
- Je vois ! » Dit Grendel. « Il s’agit d’épées d’occasion !
- Absolument pas, votre Grace ! » S’insurge le vendeur, comme blessé dans son amour propre. « Cela n’a rien à voir ! Je vous parle de deuxième main tout au plus ! Ces épées sont des bijoux qui ne perdent leur solidité ni ne se corrompent, mais au contraire gagnent en préciosité. Elles gagneraient certainement aussi en valeur si la discrétion n’empêchait toute publicité autour de ces transactions.
D’ailleurs ces opérations sont rarissimes. On ne se sépare pas d’une épée magique sauf circonstance dramatique que la simple décence nous interdit d’évoquer et, moi qui vous parle, je n’en ai pas vendu plus de trente dans toute ma carrière de marchand d’épées magiques.
- Et vous auriez une épée ?
- J’en ai une, justement ! On peut dire que vous avez une veine de tous les diables. On vient de me la confier hier au soir. Une veuve sans enfants et qui se débat avec quelques soucis financiers liés à un héritage  que lui conteste son beau-frère.
Si vous le souhaitez, je peux vous la montrer. »
Grendel n’aurait jamais imaginé voir une épée magique en pénétrant dans le magasin. Il acquiesce à la proposition d’un signe de tête frénétique tant l’excitation qu’il ressent lui coupe l’usage de la parole.
Le vendeur, un large sourire aux lèvres, quitte la pièce. Les quelques minutes qu’il prend à aller chercher l’objet paraissent interminables au diplomate impatient. Il revient enfin, portant dans ses bras comme il le ferait d’un nouveau-né, un long objet emmailloté dans une étole. Cérémonieusement, il se met à genoux devant le diplomate et, avec des gestes d’une infinie délicatesse, il dépiaute l’épée, la faisant apparaître progressivement aux yeux émerveillés de Grendel, telle une déesse sortant des nimbes du Walhala.
- Avez-vous déjà vu pareil splendeur ? » Commente le britanien, lui-même fasciné. « Crosse de nacre et garde en vermeil sertie de grenats. Par transparence, on peut distinguer, dans la poignée, une inclusion de Dahlia pourpre et d’azulis cristallin entrelacés. C’est un mélange d’une grande rareté et d’un immense pouvoir. Comme vous pouvez le voir, le pommeau est orné d’une pierre de jade bleu aussi limpide que l’eau d’une source. Elle est taillée en forme de sphinx et sertie dans une vasque en or jaune. »
Il fait encore glisser l’étole et découvre un fourreau de cuir noir lacé sur toute sa longueur de tresses métalliques dorées.
« Fourreau en cuir de dragon et cheveux d’ange…Et voyez cette lame ! » Dit-il en sortant l’épée de son écrin de peau. « Ce miroir étincelant qu’aucun métal poli ne peut égaler. C’est le souffle du dragon ! »
Grendel est subjugué par la munificente beauté de l’épée.
« Quel est son pouvoir ? » Demande-t-il.
«  C’est une épée d’effroi ! » Annonce le britanien avec emphase. Elle terrorise vos adversaires au point qu’ils en sont paralysés ou qu’ils détalent comme des lapins apeurés devant le renard. C’est une arme d’une puissance exceptionnelle qui peut mettre en déroute toute une armée.
Son nom est Zigounette ! Mais vous pouvez en changer s’il ne vous plait pas.
- Et comment fonctionne-t-elle ?
- Il suffit de la sortir du fourreau et de la brandir vers sa cible.
- Comme vous venez de le faire ?
- Comme ça, oui !
- Je ne suis pas terrorisé ! » S’étonne Grendel, un peu déçu.
- C’est normal ! » Lui répond le Britanien. « L’épée ne m’appartient pas, je ne puis donc la faire fonctionner. Et puis il faut lancer l’incantation.
- Mais si seul le propriétaire originel de l’épée peut s’en servir, quel intérêt aurais-je à l’acquérir ? Elle ne fonctionnera pas plus avec moi qu’avec vous !
- C’est tout à fait exact ! Vous comprenez maintenant pourquoi les épées magiques ne peuvent être vendues comme de simples marchandises et pourquoi ceux qui veulent, malgré tout le faire, passent par notre établissement. L’opération demande un transfert du charme vers un autre destinataire.
Et c’est justement ce que nous sommes capables de réaliser pour vous, Monseigneur.
Cela nécessite bien entendu un désenvoûtement suivi d’un nouveau trempage et par conséquent d’un nouveau sacrifice, Mais c’est l’affaire d’une semaine tout au plus ! Nous nous chargeons de tout et vous n’avez rien à faire sinon nous confier une goutte de votre sang. »
Grendel, fasciné, contemple la rapière comme il le ferait d’un chapon farci aux truffes.
« Tenez ! Prenez-là en main, votre Grace ! » Invite le vendeur qui, comme s'il manipulait une relique, utilise l'étole pour empoigner la lame sans y laisser l'empreinte de ses doigts et présenter la poignée au diplomate. Ce dernier s’en saisit avec une certaine jubilation, la soupèse, la fait tourner et s’amuse à contempler les reflets changeants de la lumière sur le métal poli.
« Vous prétendez que je peux acquérir cette merveille sans me ruiner ? » Dit-il.
« La grande dame qui la vend est dans le besoin immédiat d’une certaine somme sans laquelle elle risque de tout perdre. Autant vous dire que cette somme n’a rien à voir avec la valeur de cette épée. Elle est tellement ridicule qu’on ne peut plus parler d’une bonne affaire mais véritablement d’un cadeau.
- Combien en veut-elle ? » Demande Grendel tout en continuant à faire jouer la lame dans la lumière grelottante des bougies.
- Donnez-lui vingt mille livres et cette merveille est à vous ! »
Le diplomate sursaute. Il regarde le vendeur, avec des yeux ronds.
«  Vous avez bien entendu ! » Insiste ce dernier.  « C’est à peine dix pour cent de la valeur d’une épée magique. » Puis, voyant la mine hésitante de Grendel. « C’est une occasion unique de vous procurer ce type d’arme, Monseigneur ! Vous pensez bien qu’à ce prix-là, elle sera vendue d’ici ce soir.
- Quand même ! Vingt mille livres ! Je me demande si c’est bien raisonnable.
- Certes, il s’agit d’une forte somme pour les non-initiés. Mais elle est dérisoire au regard du trésor que vous achetez. Il m’a semblé comprendre, par ailleurs, qu’il ne s’agissait pas pour vous du simple achat d’une arme, mais bien de la participation à la conquête de Continent et de ses trésors. Qu’est-ce que vingt mille livres ! Vous l’avez dit vous-même ! Un viatique pour vivre à Mont-Azur le temps du sommet.
- C’est qu’il faut bien que je me nourrisse et me loge…..Cela demande réflexion.
- Comme il vous plaira, Monseigneur ! »
Le vendeur, dont le visage s’est refermé récupère l’épée et la fait disparaître dans son fourreau ! « Vous voulez réfléchir ? C’est bien naturel ! » Dit-il sobrement. Puis il frappe dans ses mains. Un commis qui devait attendre derrière la tenture, pénètre précipitamment dans la pièce.
« Est-ce que notre client est arrivé ? » Demande le britanien.
« Il patiente en fumant le narghilé et en regardant Aïcha danser  dans la pièce voisine. »
-Tu ne lui as pas encore parlé de ce que tu sais !
- Non, Maître !
- C’est parfait ! Dis-lui de m’attendre encore, le temps que je raccompagne ce noble seigneur qui nous a fait l’honneur de visiter notre établissement. Ça ne sera pas long !
«  Qui est ce client ? " S’inquiète Grendel.
" C’est un puissant seigneur Britanien qui, comme vous, est à la recherche d’une épée magique. Je m’en vais de ce pas lui montrer notre merveille. »
- Un instant ! » S’affole le diplomate. « Ai-je dit que je n’achetais pas cette épée ?
- Certes vous ne l’avez pas dit, Monseigneur, mais vous voulez réfléchir. Nous autres commerçant savons ce que cela veut dire !
- Laissez-moi au moins le temps de me retourner ! Je dois trouver le moyen de rassembler l’argent. » Implore Grendel
«  Dois-je comprendre que vous êtes intéressé par cette épée, Monseigneur ?
- Eh bien, c’est-à-dire que….
- J’ai besoin d’une réponse, Monseigneur ! Je ne voudrais pas faire attendre mon client plus que de raison.
- Oui, certes ! Je désire acheter l’épée, mais je n’ai pas la somme sur moi et il va falloir que….
- De combien disposez-vous, là maintenant ? » Coupe le britanien sur le ton autoritaire de celui qui n’a pas de temps à perdre.
Grendel, déstabilisé et presque confus, fouille ses vêtements à la recherche de sa bourse. L’opération est délicate car elle y est profondément cachée et attachée au moyen d’un solide cordon en boyau de chat qui fait le tour de l’épaule. Tout en s’escrimant il s’excuse auprès du britanien, lequel suit l’opération avec avidité. Il l’ouvre enfin et en fait couler le contenu sur un des plateaux qui l’entourent.
« J’ai ici mille livres d’or. Le reste de mon pécule est déposé chez un de vos compatriotes banquier. Je ne pourrais pas le récupérer avant demain au plus tôt. »
Le visage du vendeur s’éclaire. Il prend une des pièces et en teste la solidité avec les dents, puis se met à les compter en faisant de petits tas. Ce faisant il rassure son client d’une voix redevenu aussi douce qu’un vin liquoreux.
«  Mille livres est un dépôt fort honorable qui me permet de vous garder la primeur de cette acquisition jusqu’à demain, votre Excellence !  Puis-je me permettre de vous demander le nom de votre banquier ?
- Il s’agit de Messire Tirloseille.
- Je le connais ! Sa réputation est sans tâche ! Au cas où vous redouteriez de vous promener en ville avec autant d’or, puis-je vous suggérer de demander à ce noble financier, un simple billet à ordre signé de sa main. Nous autres Britaniens ne nous embarrassons pas de métal. C’est lourd et bien trop tentant pour les fripouilles.
- Pourrais-je revoir l’épée ? » Implore Grendel pour compenser la douloureuse vision de ses pièces d’or disparaissant dans la grande bourse du vendeur.
« Mais certainement, Monseigneur ! La voici. »


§§§§§§§


Grendel contemple son épée.
Comme chaque soir depuis qu’il l’a récupérée chez le marchand, il la sort de sa cachette pour l’admirer. Il a dû emprunter à ses collègues et demander une avance au roi. Il a aussi grandement réduit son train de vie mais le jeu en valait la chandelle. La puissance de cette épée est stupéfiante. Lorsqu’il l’a brandit devant un parterre de malfrats que lui avait indiqué le vendeur, tous se sont roulés par terre de terreur et l’on supplié, en pleurant, de la rengainer. Depuis cette expérience, et suivant les conseils du Britanien, il la cache soigneusement afin de ne pas provoquer de catastrophe. Il n’a pas davantage fait état de son achat à quiconque par crainte d’éveiller la jalousie de son entourage ou de déclencher l’ire de la délégation agernaise. Et puis il vaut mieux que personne ne sache qu’il détient un objet aussi précieux car les voleurs ne manquent pas dans la ville depuis que le sommet a commencé.
Il a appris la formule magique par cœur : « Mé din cha Hina » C’est du Seeth. C’est en tout cas ce qu’a affirmé le vendeur et c’est logique quand on y songe. Mais même si la mémoire lui fait défaut, la formule est gravée à la base de la lame dans le sens de la largeur de sorte qu’on peut la lire en brandissant l’épée. Cependant il faut se méfier car l’orthographe est trompeuse.
En effet il est gravé : MADE IN CHINA.

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