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La nouvelle tomba comme un couperet : les légions de Rainer le Dévoyé marchaient sur Norbury. Pas pour négocier, pas pour intimider—pour écraser. Pour faire de ses ruelles un champ de cendres, de ses habitants des exemples pendus aux murs. Mais Norbury n’était pas une cité de moutons. C’était une ville de rats, de loups, de serpents. Et quand on accule une bête, elle mord.
Dès l’aube, les cloches des églises volées, ces reliques rouillées que même les prêtres avaient oubliées, se mirent à sonner. Pas un glas funèbre, non—un appel. Un rugissement. Dans chaque taverne, chaque repaire, chaque bordel, on répéta les mêmes mots : « Ils viennent. Préparez-vous. »
Theuderic, debout sur le perron du Sanglier Noir, regarda la foule se rassembler. Des visages durs, des mains calleuses, des yeux qui avaient déjà trop vu pour avoir peur. « Rainer veut une guerre ? » Sa voix porta, rauque, sans cri. « Alors nous lui donnerons une boucherie. »
Au nord, les clans des montagnes étaient descendus de leurs crêtes, leurs guerriers vêtus de peaux et armés de haches massives, leurs visages peints de runes de guerre. « Nous n’aimons pas les Autrichiens, » avait grogné leur chef, un géant nommé Borghar. « Ils volent nos terres. Aujourd’hui, nous leur volons leur victoire. »
Une colonne de cavaliers approchait, étendards déchirés flottant au vent. Une poignée de chevaliers et de miliciens, envoyés par les nobles de Norbury—ceux-là mêmes qui, hier encore, méprisaient la ville. « Nous ne combattons pas pour vous, » avait lancé leur capitaine, un homme au visage cicatrisé. « Nous combattons contre lui. » Theuderic avait ri. « Ça me suffit. »
Les portes furent condamnées avec des poutres arrachées aux entrepôts, renforcées de ferraille volée aux forges. On y accrocha des chaînes, des crochets, des seaux de poix prête à brûler. Les clans des montagnes y ajoutèrent leurs propres pièges : des lames cachées, des cordes à déclic, des fosses garnies de pieux.
Les créneaux se peuplèrent d’archers—non seulement les voleurs et les chasseurs de la ville, mais aussi les miliciens en hauberks rouillés, leurs arcs longs bandés, prêts à percer les armures autrichiennes. « Visez les officiers, » grogna un vieux mercenaire. « Un chef mort, c’est dix hommes qui hésitent. »
Les tours de guet, ces vieilles sentinelles de pierre, furent garnies de barils d’huile et de torches. « Quand ils frapperont, » murmura Theuderic, « nous leur montrerons ce que ça fait de brûler vif. » Les guerriers des clans y postèrent leurs meilleurs lanceurs de hache, prêts à fendre les crânes ennemis.
Derrière les remparts, la ville se transformait. Les ruelles, ces veines où coulaient ordinairement le vin et le sang des règlements de comptes, devaient devenir des pièges.
Les barricades poussèrent comme des champignons vénéneux : charrettes renversées, tonneaux remplis de pierres, meubles entassés. « Laissez des passages, » ordonna Theuderic. « Assez pour les attirer. Assez pour les encercler. » Les clans y ajoutèrent leurs propres techniques : des fils d’aramide tendus à hauteur de gorge, des pièges à ours dissimulés sous la paille.
Les égouts, ce dédale que seuls les enfants des rues et les rats connaissaient, furent minés. Des planches pourries masquaient des fosses, des cordes tendues attendaient de faire trébucher, des pots de poudre étaient prêts à exploser sous les pas des légionnaires. « Là-dedans, » ricana un guerrier des montagnes, « même un ours perdrait ses griffes. »
Les toits se couvrirent de tireurs, de lanceurs de cocktails incendiaires—et maintenant, de chevaliers en armure légère, leurs épées prêtes à trancher les cordes des échelles ennemies. « Un homme en feu, » ricana une gamine aux yeux noirs, « ça court moins vite. »
Les Voiles Noirs, ces assassins et ces voleurs, se fondirent dans la foule, prêts à frapper dans le dos, à égorger dans l’ombre.
Les mercenaires, ces loups sans maître, furent payés en or, en promesses—et en vin, beaucoup de vin. « Buvez maintenant, » leur dit Theuderic. « Demain, ce sera leur sang ou le vôtre. »
Les habitants, même les plus faibles, reçurent des couteaux, des gourdins, des instructions : « Si un Autrichien franchit votre seuil, qu’il ne reparte pas vivant. »
Les chevaliers et miliciens, en rang serré, leurs boucliers portaient encore les couleurs de leurs maisons—mais ce soir, ils se battaient sous une seule bannière : celle, déchirée et tachée de sang, de Norbury.
Quand le soleil se coucha, Norbury s’illumina de feux de camp. On but, on chanta, on se souvint. Pas de prières, pas de larmes—juste des rires gras, des serments murmurés, des étreintes brutales. Les clans hurlaient leurs chants de guerre, les chevaliers affûtaient leurs lames, les enfants des rues couraient entre les jambes des géants des montagnes, riant comme si la mort n’était qu’un conte.
Theuderic, seul sur les remparts, regarda l’horizon. Quelque part, dans l’obscurité, les légions avançaient. Il sentit le poids de son épée contre sa hanche, entendit le vent porter les rires et les chants.
« Venez, Rainer, » murmura-t-il. « Venez voir ce que ça coûte, de réveiller les bêtes. »
Terre de Norbury
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Lettre au roi Morvayn, copie adressée au mercenaire d’Autriche et à la Terre de Norbury
Roi Morvayn d’Okord,
Le seigneur et marchand Theuderic de Norbury, vassal de la maison Trof,
M’a prévenu de plusieurs choses.
D’une part, malgré votre confirmation d’accord de casus belli de la maison Trof envers la maison Ulfarks,
Le mercenaire d’Autriche a annoncé :
« J’envisage d’aller placer votre domaine sous ma suzeraineté, pour pouvoir ensuite négocier le renoncement du Trof à son entreprise. »
Par mon intermédiaire, la Siostry Aube-Claire dénonce cette intervention déshonorante.
Non seulement cette annonce est en conflit avec le casus belli accordé,
Mais elle ouvre un risque futur d’escalade de batailles vers la guerre alors que seul un lien de soutien les unis. Si ce casus belli était validé n’importe quelle maison en lien avec la Norbury pourrait exprimer un casus belli envers n’importe quel vassal du mercenaire d’Autriche.
Presque dans l’immédiat, le mercenaire d’Autriche a poursuivi ses menaces avec les mots suivants :
« Nous ne pouvons donc nous exprimer librement ici (au Conseil du Forum Economique du Givre). On a diffusé à un tiers mes propos sans mon accord. Je sais qui l’a fait, et j’en tire moi aussi un casus belli. Que le concerné assimile cela à une déclaration en bonne et due forme. »
Sans même parler du fait que le mercenaire n’avait aucune preuve de son accusation, la maison Trof demande à faire invalider ce casus belli :
- parce qu’aucun contrat de confidentialité n’a été signé
- parce que si ce casus belli est validé par votre autorité, cela signifie que le métier d’espionnage devient interdit. Puisqu’il n’est autre que d’obtenir des informations et de les restituer.
- parce que le carrefour économique du givre est présenté comme je cite « offrant un flux constant de ressources rares, précieuses et souvent impossibles à obtenir ailleurs ». Comme dans tous carrefours économiques des informations se vendent, des mercenaires se vendent, et j’en passe. Aussi de la même manière que n’importe quel mercenaire se vend au plus offrant même s’il s’agit d’aller face à la mort, n’importe quelle information se vend au plus offrant.
Et à titre de comparaison, si le mercenaire d’Autriche loue son armée de 80 millions de renommée pour 500 000 pièces d’or « seulement à ses alliés » ; le marchand Theuderic aura vendu quelques notes inscrites sur un cahier à un architecte pour près de 2 millions d’okors.
Et pour conclure ;
mais j’aurais sûrement dû commencer par cela puisque cela a été le premier argument du mercenaire d’Autriche ;
la maison Trof vous demande d’invalider toute annonce voir même de faire mettre aux arrêts ce dangereux individu qui a déclaré en présence de plusieurs témoins - au sujet du casus belli de Kap Hital contre la maison Ulfarks - :
« Si nul n’interrompt ce massacre, le royaume sera mis à feu et à sang. »
Roy Morvayn,
Par l’analyse des mots évoqués, le conseil considère ici qu’il ne s’agit pas d’un casus belli mais
au mieux d’une intrusion dans un casus belli
au pire d’une vengeance.
Roy Morvayn,
Le conseil des Trofs est à votre écoute, il respectera votre décision et s’adaptera à celle-ci.
Grand Intendant Trof du domaine Trof
Lignée des Trofs, et autres successeurs
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Les Autrichiens avaient créé au sein de l'administration autrichienne une nouvelle charge : celle de Très Grand Lecteur. Ce fonctionnaire n'avait qu'une attribution : faire lecture, en prenant tantôt une pause théâtrale, tantôt un ton dramatique, des déclarations et jérémiades de plus en plus longues produites par les Troffs. Les jours malchanceux, qui n'avaient pas l'honneur de voire l'éclosion d'une nouvelle tirade troffienne, le Grand Lecteur gagnait son pain en lisant les trois rumeurs qui étaient quotidiennement diffusées par le Trof contre l'Autriche.
Ce fut là une trouvaille de Rainer, que l'agitation maladive du Trof amusait beaucoup les premières lunes. Il abordait la politique avec beaucoup de distance et ne concevait pas que l'on puisse commander en se laissant dominer par des aversions personnelles. À chaque fois que ses fonctionnaires ennuyeux lui rapportaient les derniers épanchements du Trof, la même scène lui apparaissait et le faisait sourire : celle d'un aigle noir qui volait, imperturbable, tandis qu'un moucheron le piquait encore et encore depuis des jours sans aucun résultat.
Ce soir là, le Grand Lecteur lisait la dernière oeuvre du Trof, en simulant des larmes et en marquant des silences caricaturaux après chaque paragraphe. Lorsqu'il eut terminé son spectacle, tous se tournèrent vers Rainer, exhibant de grands sourires de circonstances pour lui lécher les bottes. Mais ceux qui s'apprêtaient à éclater de rire durent ravaler leurs larmes : le regard de Rainer était plus sombre que jamais.
"Combien de temps va t-on encore me bassiner avec le Trof ? Ai-je pris la tête de l'Autriche pour que l'on m'impose chaque jour de m'exprimer sur sa dernière fourberie ? Proposez leur simplement de me rencontrer.
S'ils refusent et s'obstinent à traquer le moindre de nos faits et gestes, ignorez simplement cette maison ; nous ferons affaires avec les soixante autres qui composent Okord."
Il leva la main, signifiant ainsi qu'il n'accorderait pas davantage de temps à ce sujet, et l'on poursuivit la session.
Dernière modification par Ferdinand (Hier 22:56:17)
Ferdinand
Seigneur d'Autriche
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