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#1 2025-11-29 02:16:25

Eremond de Trof
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Les dorures givrées

( Ceci est un RP d’infiltration d’un espion à la solde des Trofs, ayant pour mission d’espionner la banque du givre sur le domaine Ulfarks.
Il y aura des dés ! )

La nuit était tombée sur le parc boisé du château Trof.
Une brume s’était glissée entre les troncs, avalant les lanternes une à une comme si la forêt refusait la lumière des hommes.
Kap Hital arriva le premier, son manteau serré contre lui, les traits tirés par la fatigue de la fête, les discussions… et par tout ce qu’il n’avait pas dit à Aube-Claire.
Deux silhouettes surgirent presque en même temps, s’échappant du noir comme des fantômes discrets.
Radomir Strazca, maître des ombres, se déplaçait sans bruit, trop souple pour un homme de son âge.
Et derrière lui, massif dans sa cape épaisse, Goran Velehrad, général des armées Trof, un colosse qu’aucune ruse ne rendait léger.

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Les trois hommes se rassemblèrent autour d’un vieux banc moussu, à l’écart de tout chemin.
Radomir parla le premier.
Il parlait toujours le premier.
- Vous avez voulu cette rencontre en secret, Kap. Alors parlons franchement.
Kap inspira, puis laissa tomber la vérité.
- J’ai demandé une infiltration dans les rangs des tailleurs de pierre de la Maison Pourpre.
Il observa leurs réactions.
Goran grogna. Radomir, lui, sourit à peine comme s’il savait déjà.
- Sans l’avis du Conseil des Trofs, ajouta Kap en serrant la mâchoire.
- Parce qu’ils n’auraient rien fait. Parce qu’ils ne voient pas ce que je vois venir.
Goran s’avança d’un pas, sa voix grave vibrante dans l’air immobile.
- Et que voulez-vous ? Une guerre d’ombres ? Le fer suffit. On brandit nos étendards, on rappelle nos vassaux, et on marche jusqu’à Arkadia. Ces bâtards de la Maison Ulfarks comprendront que nos pierres ne se prennent pas sans payer le prix.
- Et perdre mille hommes ? répondit Kap sèchement.
- Ou pire, perdre notre prestige ? Nos alliances ? Tout ce pour quoi je passe mes jours sur les routes ?
Radomir leva une main, les coupant net.
- J’ai des nouvelles de l’infiltration.
Les deux autres se turent.
Le maître-espion poursuivit :
- Demain matin, les six unités de 500 ouvriers pourpres seront enfin chargées. Elles repartiront vers Arkadia comme prévu. Il a fallu plusieurs jours pour que l’un des nôtres se fonde dans la masse… mais il y est parvenu.
Kap hocha la tête, soulagé.
Goran croisa les bras, déjà contrarié par l’idée.
- Qui ? demanda-t-il.
Radomir sourit légèrement.
- Milan Drozd. Un gamin de la basse-ville, né dans les ruines près du vieux rempart. Il a vécu de petits boulots, tailleur de pierres, convoyeur, porteur. Il connaît la poussière des carrières mieux que nous trois réunis.
Il marqua une pause.
- Et surtout, il connaît les gestes, les mots, le rythme d’un ouvrier. Personne ne l’a remarqué.
Kap ferma les yeux un instant.
Il se souvenait du garçon : discret, rapide, une intelligence brute mais fine.
Un survivant.
- Demain, continua Radomir, il partira dans leurs chariots. Son objectif : nous informer sur leurs méthodes de transport, leurs dépôts, leurs communications… tout ce qui nous permettra de cambrioler la Banque du Givre.
Goran éclata de rire, un rire sans joie.
- Un cambriolage ? Mais enfin Kap, vous rêvez ! Il suffirait d’envoyer mes hommes
- Et provoquer une guerre ouverte ? coupa Kap.
- Nous ne sommes pas prêts. Aube-Claire elle-même ne veut pas de sang inutile.
Goran répondit avec mauvaise humeur :
- Aube-Claire voit le monde avec ses miracles et ses fleurs… Nous, nous devons le défendre avec des lames.
Radomir reprit, imperturbable :
- Je lui ai aussi donné instruction de noter les lieux de stockage de l’or. C’est plus compact, plus discret. Et si nous voulons frapper un grand coup…
Il laissa la phrase flotter dans l’air.
L’or.
Le sang des royaumes.
Voler cela à la Maison Ulfarks serait une déclaration silencieuse, mais plus forte qu’une bataille.
Goran resta un moment silencieux, puis secoua la tête.
- Je n’aime pas ça. Pas un mot, pas un bouclier, pas une bannière. Cela ne ressemble pas aux Trofs.
Kap répondit, sa voix plus dure que de coutume :
- Cela ressemble à ce que nous devons faire.
La lune passa entre deux branches, éclairant son visage.
On y lisait la colère.
Et la peur.
Et le désir d’équité, presque aussi brûlant que le désir de vengeance.
Radomir, attentif, murmura :
- Vous leur en voulez. Beaucoup.
Kap soutint le regard du maître espion.
- Ils nous ont pris nos pierres.
Puis, dans un souffle :
- Ils nous ont pris plus que cela.
Un silence lourd s’installa.
La forêt retenait son souffle.
Goran souffla, presque résigné :
- Très bien. Mais sache, Kap : le jour où tout cela dérape, ce sont mes hommes qui devront mourir pour réparer tes manigances.
Kap hocha la tête, sans détourner les yeux.
- Je le sais. Et c’est pour cela que je veux éviter une guerre. Comprenez-le, Goran : nous n’avons plus le luxe de combattre comme autrefois.
Radomir s’avança légèrement dans la lumière.
- Demain, Milan part. Ensuite… nous verrons ce qu’il découvrira. Alors seulement, nous déciderons.
Les trois hommes acquiescèrent.
Trois volontés différentes, trois visions opposées… mais un même fardeau.
Ils se dispersèrent dans le noir comme ils étaient venus, sans bruit.
Kap resta un instant de plus, seul, à fixer la forêt.
Il repensa au voile sombre d’Aube-Claire.
À son sourire.
À cette phrase qui résonnait encore dans son esprit :
Je suis l’involontaire. Je vous protège comme vous me protégez.
Il frissonna.
Parce que, soudain, il eut le sentiment d’être surveillé…

Dernière modification par K-lean (2025-11-29 02:22:48)


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#2 2025-11-29 02:45:34

Arkenus Ulfarks
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Re : Les dorures givrées

Le Camp des Tailleurs de Pierre d’Arkadia — Domaine des Trofs

Au cœur du domaine des Trofs, s’étendait le camp des tailleurs de pierre d’Arkadia. Vu de loin, il aurait pu sembler n’être qu’un vaste chantier parmi d’autres. Mais à mesure que l’on s’en approchait, une évidence s’imposait : ici, rien n’était laissé au hasard.

Des rangées parfaitement ordonnées de blocs taillés dessinaient des allées presque symétriques. Les feux de forge étaient disposés selon une logique précise, permettant de travailler sans jamais congestionner l’espace. Les cris des contremaîtres, le fracas régulier des outils contre la pierre, le grincement des poulies et le souffle des attelages formaient une rythmique constante, comme le battement d’un cœur colossal.

Les ouvriers travaillaient par rotations continues, organisées par cycles stricts. Tandis qu’une équipe extrayait dans la carrière, une autre taillait, une troisième transportait, et une quatrième se reposait. Ce roulement perpétuel permettait de maintenir l’effort sans jamais briser les hommes. Nul ne semblait épuisé, nul ne ralentissait le rythme général. Chacun connaissait sa tâche, son temps, et sa place.

Et au-dessus de cette mécanique humaine régnait l’œil froid et méthodique de la Banque de Givre.

Surplombant les zones de travail, des tentes renforcées de bois sombre et de pierre abritaient les administrateurs du Givre. Drapés de manteaux argentés bordés du sceau d’Arkadia, ces hommes et ces femmes ne maniaient ni pioche ni marteau leur arme était le registre, la plume et le calcul. Chaque bloc extrait était comptabilisé, pesé, catégorisé. Chaque chariot recevait son numéro, chaque équipe son quota, chaque journée son rendement exact.

Les pierres étaient classées selon une logique rigoureuse, presque scientifique, comme si chaque bloc arraché à la montagne portait déjà en lui sa future destinée. À peine sorti de la carrière, chaque fragment était ausculté, frappé, écouté. Le son qu’il rendait sous le marteau révélait sa densité, sa résistance, sa pureté. Puis venait le tri.

La pierre noble, d’un grain fin et presque soyeux, aux teintes pures allant du blanc glacé au gris perle, était immédiatement mise à part. Ces blocs-là n’étaient jamais empilés à la va-vite. Ils reposaient sur des supports de bois sec, protégés de l’humidité, destinés à devenir statues, frontons, bas-reliefs, colonnes décoratives, façades de palais et temples. Chaque éclat malheureux, chaque microfissure pouvait condamner une pièce. C’était la pierre des artistes, des sculpteurs, de la gloire.

La pierre dense, lourde, compacte, presque sourde sous l’impact du burin, était la plus stratégique. Elle ne pardonnait aucune erreur de taille, mais offrait une résistance prodigieuse. C’était elle que l’on destinait aux fondations, aux piliers majeurs, aux arches porteuses, aux structures invisibles mais vitales. Les blocs y étaient taillés avec des angles stricts, des arêtes nettes, des proportions surveillées au doigt près. Ces pierres ne devaient jamais se rompre, car toute cité repose d’abord sur ce que l’on ne voit pas.

Venait ensuite la pierre de muraille, reconnaissable à son grain plus grossier mais extrêmement résistant à l’usure et aux projectiles. Elle était débitée en blocs massifs aux formes standardisées afin de s’emboîter rapidement sur les champs de bataille ou dans les chantiers d’urgence. Ces pierres portaient souvent les marques de préperçage pour les chevilles métalliques ou les cordages. C’étaient les dents de pierre des cités, le premier rempart entre la vie et la mort.

La pierre de bâtiment, plus polyvalente, était calibrée pour les habitations, les tours, les halles, les entrepôts et les palais secondaires. Elle devait être solide sans être excessivement lourde, régulière sans être trop fragile. Ces blocs étaient découpés en formats adaptés aux constructions civiles, facilitant l’assemblage rapide et durable. Là encore, tout était standardisé pour accélérer la construction sans compromettre la tenue dans le temps.

Enfin venait la pierre de route, la plus ingrate en apparence, mais parmi les plus essentielles. Aplatie, martelée, ajustée, elle devait résister au passage incessant des chariots, au poids des convois, aux sabots, aux hivers mordants et aux fontes brutales. On la taillait large, légèrement bombée, pour que l’eau s’écoule sans ronger la surface. Ces pierres reliaient les nations autant que les murs protégeaient les cités.

Mais au-delà de ces catégories générales, certaines pierres recevaient un marquage discret, inscrit à la cire, au burin ou par un symbole codé de la Banque de Givre. Ces pierres n’étaient pas de simples marchandises : elles répondaient à des commandes seigneuriales précises. Un pont, une forteresse, un temple, un bastion, une cité neuve… Avant même que la pierre ne quitte la montagne chaque bloc était extrait, taillé et stocké pour un projet déjà scellé par contrat ou vouer à emplir les souterrain de la banque de givre.

Les administrateurs faisaient circuler les ordres par tablettes scellées. D’un simple signe, un flux de chariots se mettait en mouvement. Une hésitation, un ralentissement, et un regard suffisait à corriger l’erreur. La Banque ne grondait pas. Elle observait. Et chacun savait que le regard du Givre était plus pesant qu’un cri.

À proximité du camp, la zone des convois prenait forme.

Là, les chariots s’alignaient par dizaines, parfois par centaines. Le bois des essieux était renforcé d’acier, les bâches scellées de chaînes. Les attelages  bœufs massifs et chevaux du Nord attendaient dans un calme presque surnaturel. Et autour de tout cela, figés dans une vigilance de glace, se tenaient les Percepteurs Blancs.

Leurs armures pâles renvoyaient la lumière froide du jour. Leurs capuches dissimulaient des visages austères. Ils n’étaient ni soldats ordinaires, ni simples gardes : ils étaient la main armée de la Banque de Givre. Chargés de protéger l’or, la pierre, la nourriture, les contrats… et la dette.

Chaque convoi quittant le domaine des Trofs vers Arkadia était placé sous leur escorte directe. Ils inspectaient les chargements, vérifiaient les scellés, notaient les numéros de registre. Aucun chariot ne partait sans leur autorisation. Aucun ne déviait de sa route sans que cela ne soit consigné.

Lorsque venait l’heure du départ, tout se faisait dans un silence presque solennel.

Les administrateurs levaient leurs tablettes.
Les contremaîtres levaient le bras.
Les attelages s’ébranlaient.
Et les convois, longs serpents de bois, de fer et de pierre, s’engageaient sur les routes menant à Arkadia.

De l’extérieur, tout semblait parfaitement synchronisé, presque inhumain de précision. Les ouvriers d’Arkadia ne donnaient jamais l’impression de forcer. Leur travail était fluide, sûr, presque élégant dans sa rudesse. Chaque geste était celui d’un artisan hors pair, formé depuis l’enfance à lire la pierre comme d’autres lisent un manuscrit.

Et derrière cette façade d’ordre parfait se préparait déjà la fin programmée de l’exploitation. Les veines les plus riches étaient presque totalement entamées. Les calculs des administrateurs prévoyaient les derniers jours d’extraction, les derniers convois, les dernières livraisons avant que la carrière ne soit laissée au silence.

Mais pour l’instant, la pierre coulait encore.
Et tant que la pierre coulait, la richesse d’Arkadia prospérais.

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#3 2025-11-29 08:57:05

Eremond de Trof
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Re : Les dorures givrées

Il n’avait eu qu’à suivre le bruit. Celui des burins pourpres. Celui d’un autre monde que le sien.
Sur le chantier voisin, Milan observait depuis des semaines. Il avait appris leurs gestes, leurs codes, la façon dont les tailleurs du Nord s’essuyaient le front du revers du poignet, la manière dont ils plaçaient un pied légèrement en biais avant de frapper. Il avait absorbé leur rythme comme on absorbe la poussière d’une carrière : sans y penser.
Parmi eux, un homme revenait toujours seul à sa tente. Hjalmar Norrik. Un tailleur taciturne, sans amis, au rire rare. Un homme qui ne parlait que lorsqu’on l’y forçait, et que personne ne connaissait vraiment. Il taillait bien. Il taillait vite. Il taillait sans jamais lever les yeux.
Milan avait la même carrure. Et presque la même démarche.
La fête des Pierres fut sa brèche.
Les Trofs apportaient boisson et rations aux Ulfarks. Au début, les regards avaient été de glace. Puis l’alcool avait brisé ce qui restait de murs. Les histoires de carrières se ressemblent toujours, du Nord à la basse-ville. Hjalmar avait parlé. Un peu. Assez. Une enfance dans les étendues du Givre. Un père mort dans un éboulement. Un contrat signé faute d’autre avenir. Une tente où personne ne viendrait le chercher.
La nuit les trouva tous alourdis de bière et de fatigue.
Pour Milan, ce fut presque trop simple. Deux silhouettes sombres et discrètes étouffèrent ce qu’il restait de Hjalmar et l’emportèrent du camp. Lui glissa sous la toile avant que la lampe ne s’éteigne. Personne ne vint. Personne ne s’étonna.
Trois jours plus tard, Milan était Hjalmar Norrik.
Il travaillait à la cadence glaciale de la Banque de Givre. Il taillait juste, il taillait fort, il taillait comme un homme du Nord. On ne lui parla pas davantage qu’à l’ancien Hjalmar. Et cela lui convenait.
IMG-6668.png
Demain, les convois chargeraient la pierre.
Demain, il marcherait avec les 499 tailleurs pourpres.
Demain, son infiltration commencerait vraiment, sur la route d’Arkadia.
Et personne ne remarquerait que le cœur d’un gamin de la basse-ville battait désormais sous la peau d’un homme du Givre.


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#4 2025-11-29 10:34:30

Eremond de Trof
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Re : Les dorures givrées

Le Voyage des Cinq-Cents
Ils partirent à l’aube, lorsque le soleil n’était encore qu’un cercle pâle derrière les carrières.
Cinq cents silhouettes pourpres, poussiéreuses, avançant d’un même pas, encadrées par les Percepteurs Blancs.
La pierre quittait la montagne. Et eux, ils suivaient.
Milan marcha au centre de la colonne, invisible dans la masse, le visage fermé comme l’aurait eu Hjalmar. Chaque pas soulevait un peu plus de poussière, chaque pas l’enfonçait un peu plus dans son rôle.
Ils croisèrent d’autres groupes pourpres sur le départ, mais n’étaient pas le premier. Au détour d’une discussion Milan appris que cinq autres groupes de même ordre de grandeur prenaient la route d’Arkadia.

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1. Jusqu’à Port Doug Haal
La route serpentait entre les hameaux et les bourgs Trofs.
Les adultes sortaient pour regarder passer la colonne. Ils applaudissaient, mais c’était un applaudissement de respect inquiet, presque religieux. La pierre nourrissait leur cité, mais elle l’enchaînait aussi.
Les enfants, eux, n’avaient pas cette retenue :
ils couraient, riaient, lançaient des fleurs aux ouvriers drapés de pourpre. Certains tentaient même d’approcher les chariots jusqu’à ce qu’un Percepteur Blanc tourne lentement la tête.
Le soir, Doug Haal apparut, avec son port large et de lourds quais d’acier noirci. On accorda aux tailleurs une nuit de repos. Une nuit seulement.
Milan dormit mal : trop de bruits, trop de regards possibles. Il savait que ses premiers faux pas seraient repérés avant même l’embarquement.


2. Sur le grand canal
La traversée commença sous un ciel paisible.
Elle continua sous un ciel furieux durant deux jours.

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Le grand canal, immense entaille artificielle coupant le domaine Trof aux marais du sud, devint une bête mouvante. La mer intérieure se leva soudain. Les barges craquèrent, les ouvriers vomirent, les cordages hurlèrent.
Pendant huit heures, on ne vit que des vagues blanches marteler le bois.
Milan resta agrippé au bastingage, les yeux sur la cargaison plutôt que sur l’horizon. S’il tombait, personne ne s’en souviendrait. Mais si un bloc glissait, tout le monde s’en souviendrait.
Par miracle, aucune perte.
Même les Percepteurs Blancs semblaient surpris.

3. Les marais chauds et tranquilles
Après la violence du canal, le silence des marais avait quelque chose d’irréel.
Une brume chaude couvrait l’eau stagnante ; les roseaux, immenses, formaient de hauts couloirs verts où les barges avançaient lentement, poussées par de longues perches.
Les ouvriers séchaient leurs vêtements, pansent leurs estomacs, tentaient de reprendre figure humaine.
Milan, lui, observait. Les oiseaux. Les veilleurs dans les tours de bois. Les feux isolés dans les profondeurs des marais. Il savait que le moindre détail pouvait un jour servir. Ces deux jours furent une parenthèse reposante.
Palon surgit comme un mirage : cité paisible du croisé Staras, plantée sur des pilotis de pierre claire. On y déchargeait, chargeait, contrôlait tout avec une minutie presque égale à celle des Trofs.

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Le repos fut bref, mais au moins il fut calme.

4. En territoire d’Autriche
Dès qu’ils mirent pied sur les routes autrichiennes, Milan sentit la tension monter.
Les tailleurs du Nord n’y étaient pas mal vus.
Mais un espion, lui, risquait d’y mourir sans même que la colonne ne s’arrête.
Le paysage était marqué de travaux gigantesques :
d’immenses tas de blocs soigneusement alignés, comme si l’Autriche avait soudain décidé de bâtir quelque chose d’énorme… mais personne ne savait quoi. Les ouvriers autrichiens travaillaient en silence, sans saluer les pourpres.
La nuit, Milan aperçut les comptoirs commerciaux, de vastes halles éclairées par des lampes à huile, remplies de marchandises du nord, du sud, de régions qu’il n’avait encore jamais vus.
Si le rythme n’avait pas été si serré, il s’y serait glissé.
Mais trois heures de repos ne suffisent pas pour enquêter sans se faire prendre.
Il marcha donc… et observa de loin.

5. Les plaines vallonnées
L’ennui.
Deux journées à travers des collines herbeuses où seule la lente danse des ombres prouvait que le temps avançait. Les ouvriers parlaient peu : la fatigue devenait un manteau commun.
Même les Percepteurs semblaient s’assoupir à cheval.
Milan gardait pourtant l’œil ouvert.
C’est toujours dans les endroits vides que naissent les mauvaises surprises.
Mais rien ne vint.
Rien que le vent, doux, indifférent.

6. Aux portes du domaine Ulfarks
À l’aube du neuvième jour, le sol changea.
La terre devint plus sombre, plus lourde sous les pas.
Les chariots vibrèrent différemment.
Le domaine Ulfarks approchait.
Milan redressa la tête.
Son rôle commençait maintenant vraiment : flots de pierre, dossiers scellés, regards qui tranchent comme le givre.


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#5 2025-12-04 17:06:23

Arkenus Ulfarks
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Re : Les dorures givrées

Aux Portes du Givre

Le vent des hautes terres fouettait les bannières blanches frappées du sceau de la Banque de Givre.
Deux lignes de gardes frontaliers barraient la route pavée, leurs piques ancrées dans le sol sombre, leurs casques givrés d’un givre éternel. Derrière eux, les lourdes herses de fer attendaient, prêtes à s’abaisser au moindre ordre.

Quand la colonne pourpre apparut dans la brume du matin, un silence lourd tomba sur le poste.

— Convoi T-.6, Cinq cents tailleurs pour cette colonne. Pierre brute taillée et classée. Escorte des Percepteurs Blancs… annonça froidement l’officier de contrôle, un registre déjà ouvert dans sa main.

Les chariots ralentirent. Les sabots frappaient la route humide. La pierre gémissait sous son propre poids.

Les gardes commencèrent leur inspection avec une rigueur presque mécanique, comme un rituel ancien répété mille fois.

On fit d’abord descendre les ouvriers des premiers chariots.
Ils s’alignèrent par rangs de dix, sous les ordres secs des officiers du poste.
Les registres furent ouverts, les noms criés, les visages comparés, les marques d’atelier vérifiées sur les manteaux, les gants, parfois même sur la peau.

Chaque homme était compté. Un par un. Sans hâte, sans erreur possible.

Des mains calleuses furent saisies, retournées, examinées. On cherchait les traces de la carrière, la poussière incrustée sous les ongles, les déformations propres au métier. Les regards trop fuyants attiraient l’attention. Les dos trop droits aussi.

Puis vinrent les scellés.

Les administrateurs de la Banque de Givre s’avancèrent, robes grises bordées d’argent, chaînes de sceaux tintant doucement contre leurs hanches. Ils comparèrent chaque marque de cire, chaque empreinte de marteau, chaque rune de transport gravée dans le bois des chariots.

Milan sentit peser les regards.

Un garde s’arrêta devant lui plus longtemps que prévu. Trop longtemps.
Son regard glissa sur ses mains, ses bottes, la poussière trop propre sur son manteau. Il fronça légèrement les sourcils.

— Tu viens d’où, toi ? demanda-t-il, la voix neutre, mais l’œil acéré.

— Grisecourant, répondit Milan sans hésiter. au sud est de Arkadia.

Le garde observa encore. Une seconde. Puis deux. Un soupçon. Pas encore une certitude. Finalement, il cracha au sol.

— T’as la tête d’un type qui a lécher des cailloux depuis toujours. Circule.

La tension se relâcha d’un souffle.

Le contremaître pourpre fut appelé. Un administrateur de la Banque de Givre, manteau gris brodé d’argent, s’avança à son tour.

— Ordre direct du : le convoi ne rentre pas directement dans Arkadia. Vous faites halte au centre de logistique extérieur. Tout sera stocké sous contrôle de nos percepteurs. Vous attendrez ensuite les contre-ordres.

Le contremaître hocha la tête.

— Comme prévu par contrat.

L’officier leva le poing.

Les herses se levèrent dans un grondement de chaînes.

— Convoi autorisé à entrer sur les terres des dents de Givre. Faites en sorte qu’aucune pierre ne manque, et qu’aucun homme ne disparaisse.

Les chariots reprirent leur route.

Derrière eux, les gardes restèrent un instant immobiles.

— J’aime pas leurs yeux… murmura l’un.

— Moi non plus. Mais les registres sont propres. Et quand la Banque dit “propre”, on ferme la porte et on regarde ailleurs.

Lorsque la colonne quitta enfin les routes militaires pour atteindre les plaines d’Arkadia, le paysage s’ouvrit soudain comme une mer de toits, de tours, de halles, de fumées et de couleurs.

Le Forum économique du Givre s’étendait sur des lieues entières.

Des centaines d’entrepôts monumentaux, alignés comme des forteresses marchandes.
Des marchés couverts, où s’échangeaient soies du sud, épices brûlantes, ivoire noir, vins ambrés, fourrures épaisses, aciers runiques, artefacts anciens. Des échoppes de toutes les domaine seigneural d’Okord, chacune portant ses couleurs, ses emblèmes, ses gardes privés.

L’air lui-même y était riche : épices, fer chaud, cuir tanné, encens, neige fondue et or fraîchement frappé.

Le convoi pourpre pénétra dans ce tumulte sous l’escorte silencieuse des Percepteurs Blancs, dont les manteaux éclatants tranchaient avec la poussière des ouvriers. Des administrateurs de la Banque de Givre attendaient déjà. Tablettes en main. Registres ouverts. Bannières dressées.

— Zone B-17 à B-29. Stockage de la pierre Trof. Répartition immédiate par catégories.

Les chariots furent guidés avec une précision chirurgicale. Chaque bloc était déchargé, inscrit, pesé, frappé du sceau du Givre.

Autour, d’autres convois arrivaient : des caravanes du sud, des barges fluviales, des chariots blindés escortés par des mercenaires d’azur, d’obsidienne ou d’or. Tout circulait, s’échangeait et s’achetait.

Et au milieu de cette richesse colossale, Milan posa le pied sur le sol du Forum.

Là où les pierres deviennent pouvoir. Là où l’or devient arme. Là où une simple information peut valoir plus que mille soldats.

Au-dessus des entrepôts, les étendards de la Banque de Givre flottaient lentement dans le vent glacé.

La pierre était arrivée. Le jeu, lui, ne faisait que commencer.

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#6 2025-12-06 18:44:31

Eremond de Trof
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Re : Les dorures givrées

Le plus dur avait été la frontière. Cet instant suspendu où une simple hésitation pouvait tout briser. Maintenant encore, le cœur de Milan battait trop vite. Pourtant, à la clé, il y avait plus de douze mille pièces d’or. De quoi acheter le silence des hivers, la sécurité des jours, et offrir à sa famille des années sans peur. Cette pensée seule l’empêchait de vaciller.

Il se força à respirer comme les autres. À marcher comme les autres. À regarder les étals, les entrepôts, les tours du Forum avec l’indifférence feinte de ceux pour qui tout cela n’était que routine. S’émerveiller était dangereux. Ici, l’étonnement était une faute.

Et pourtant… Arkadia n’était pas un monde entièrement étranger. Le Forum était immense, oui, mais pas tant plus vaste que celui de Charmelune. Les produits, eux, étaient d’une diversité étourdissante. Certains lui étaient totalement inconnus, venus des confins gelés du royaume, voire d’au-delà. Les fourrures l’avaient surpris plus que tout. Jamais il n’en avait porté. Jamais il n’en avait eu besoin. Jusqu’à aujourd’hui. Le froid, ici, n’était pas une menace : c’était une loi.

Sa mission, elle, restait claire. Comprendre le stockage. Comprendre l’usage des pierres. Et peut-être, s’il avait la chance — ou la folie — découvrir où dormait l’or de la Banque de Givre. Cette seule information doublerait sa paie. Pour y parvenir, Milan n’avait qu’une règle : ne jamais poser de questions. Il imitait. Il suivait. Les démarches pour la paie. Les délais des permissions après les deux mois de travaux du Sudord. Les lieux où l’on dormait, où l’on mangeait, où l’on s’oubliait.

Mais surtout, il suivait ce petit groupe de tailleurs d’Arkadia. Après quelques chopes, certains parlaient trop. De leur femme. De leurs enfants. De leur quartier. De leurs rêves. Milan enregistrait tout. Il tissait son histoire à partir de la leur. Lui ne buvait jamais. Et quand on lui demandait pourquoi, il racontait toujours la même chose : son père mort au fond d’une carrière, après avoir trop arrosé son anniversaire. Il disait que cela l’avait brisé à huit ans. Qu’il taillait la pierre pour retrouver un peu de son père chaque jour. Cette histoire touchait juste. Toujours.

Et pendant qu’ils buvaient, Milan son intrusion dans Arkadia.


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