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#1 2025-10-28 22:38:08

Siostry Vespasia
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De la bataille de Krakow

Krakow, trois mois après les inspections voir ici

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La matinée d'hiver s'était levée claire et froide sur Krakow. Dans la petite chapelle de la Rue des Tisserands, l'encens montait en volutes paresseuses vers les voûtes de pierre, se mêlant à la vapeur des souffles dans l'air glacé. Une dizaine de fidèles s'étaient rassemblés pour l'office du matin, emmitouflés dans leurs manteaux, les mains jointes pour prier et se réchauffer tout à la fois.

Fryderyk Zawadzki se tenait au fond de la chapelle, près du bénitier de marbre veiné de gris. Il n'était pas venu pour diriger l'office – un vieux diacre s'en chargeait, sa voix chevrotante récitant les prières matinales en vieux slavon. Non, l'inspecteur était simplement venu prier. Chercher un peu de paix. Un peu de réponses, peut-être.

Trois mois avaient passé depuis qu'il avait remis son rapport à Main-De-Sixte. Trois mois pendant lesquels il n'avait reçu aucune réponse à ses questions. Le surintendant avait simplement hoché la tête, pris les documents, et dit : Merci, Inspecteur. Votre travail est apprécié. Puis plus rien. Le silence.

Fryderyk avait essayé de reprendre sa vie normale. Ses tâches administratives. Ses inspections de routine. Mais la nuit, les rêves venaient. Des prophéties. Des arbres qui tombent. Des voix qui murmurent : "Ce qui vient... ce qui vient..."

L'office se termina. Les fidèles se levèrent, se signèrent du symbole de la croix à huit branches, et commencèrent à quitter la chapelle en silence. Fryderyk resta un moment encore, les yeux fixés sur l'autel modeste où brûlaient trois chandelles.

C'est alors qu'il la vit.

Elle était agenouillée dans l'ombre d'un pilier, si discrète qu'il ne l'avait pas remarquée pendant l'office. Une femme vêtue d'une simple robe de laine gris foncé, un voile blanc couvrant ses cheveux. Pas de bijoux. Pas d'insignes. Mais Fryderyk la reconnut immédiatement à sa posture – droite, immobile, d'une concentration absolue.

La Siostry Vespasia.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Devait-il partir discrètement ? Rester ? S'approcher ?

Avant qu'il n'ait pu décider, elle se leva avec une grâce fluide, se signa, et se tourna vers lui. Leurs regards se croisèrent. Pendant un instant, Fryderyk crut voir une lueur amusée dans les yeux sombres de la Siostry.

Elle s'avança vers lui à pas mesurés, ses sandales de cuir produisant un léger claquement sur les dalles froides. Dans la lumière tamisée qui filtrait par les vitraux, son visage austère semblait presque doux.

Frère inspecteur Zawadzki, dit-elle d'une voix calme et claire. Quelle heureuse coïncidence.

Fryderyk s'inclina profondément, maladroitement.

Siostry... je... je ne savais pas que vous...

Elle eut un sourire – rare, fugitif, mais authentique.

Que je venais parfois prier dans les petites chapelles plutôt que dans les grandes Katadra ? Podeszwa entend aussi bien les prières murmurées que les chants magnifiques, Inspecteur.

Elle ajusta son voile et se dirigea vers la sortie. Fryderyk la suivit, ne sachant trop quoi faire d'autre.

Dehors, la rue était encore presque déserte. Le soleil d'hiver brillait faiblement, sans chaleur, projetant des ombres longues et pâles sur les pavés couverts de givre. Quelques marchands commençaient à ouvrir leurs échoppes, soufflant sur leurs mains engourdies.

La Siostry s'arrêta sur le seuil de la chapelle et inspira profondément l'air glacé.

Une belle matinée, dit-elle simplement. Puis, après un moment : Je rentre au palais. Marchons ensemble un moment, voulez-vous ?

Ce n'était pas vraiment une question. Fryderyk acquiesça et se mit en marche à ses côtés.

Ils remontèrent la Rue des Tisserands en silence, leurs pas trouvant un rythme commun. La Siostry marchait avec une assurance tranquille, les mains croisées sous son manteau. Fryderyk, plus nerveux, gardait les yeux fixés droit devant, conscient des quelques passants qui les regardaient avec curiosité – la Siostry était reconnaissable même dans ses vêtements simples.

Ils tournèrent dans la Rue du Grand Canal, plus large, bordée de maisons de pierre à deux étages dont les volets peints commençaient à se rouvrir. Une charrette passa, chargée de tonneaux, le charretier saluant respectueusement la Siostry d'un hochement de tête.

Votre rapport, dit soudain la Siostry, rompant le silence. Main-De-Sixte m'a dit que c'était un travail minutieux. Très complet.

Fryderyk sentit ses joues rougir légèrement.

Je... je dois m'excuser, Siostry. Je l'ai perdu.

Elle tourna la tête vers lui, sourcil levé.

Perdu?

Oui, je... je ne sais pas comment. Un soir, je l'avais avec moi. Le lendemain, il avait disparu. Je pense que... peut-être qu'il est tombé quelque part. Ou qu'on me l'a volé. Je ne sais pas. Mais j'ai tout en tête encore, si vous le désirez, je peux...

La Siostry eut un petit rire – un son surprenant, presque enjoué.

Ce n'est pas grave, Inspecteur. Les mots écrits peuvent se perdre. Les vérités vues et comprises, elles, restent.

Elle reporta son regard vers la rue devant eux, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

Et puis, Main-De-Sixte a déjà fait trois copies de votre rapport avant que vous ne le perdiez. Il est très prévoyant.

Fryderyk ne savait pas s'il devait être soulagé ou embarrassé. Probablement les deux.

Ils continuèrent en silence, traversant maintenant la Place du Marché aux Grains, où quelques paysannes installaient leurs étals de légumes d'hiver – choux, navets, pommes flétries. L'odeur de pain frais s'échappait d'une boulangerie proche, mêlée au parfum de fumée de bois des cheminées.

Le palais de la Siostry se dressait maintenant devant eux, au bout de l'Avenue des Saules. Une imposante bâtisse de pierre grise à trois étages, flanquée de deux tours carrées aux toits d'ardoise. Pas de décorations ostentatoires – l'architecture était sobre, fonctionnelle, presque austère. Mais solide. Inébranlable.

Deux gardes en livrée bleu et argent se tenaient devant le portail de fer forgé. Ils s'inclinèrent profondément à l'approche de la Siostry, ouvrant les portes sans un mot.

Ils entrèrent dans la cour intérieure, un espace pavé de pierres claires où quelques arbres nus tendaient leurs branches vers le ciel d'hiver. Une fontaine au centre, gelée, portait en son sommet la croix à huit branches de Podeszwa, taillée dans le marbre blanc.

La Siostry se dirigea vers l'entrée principale – une porte de chêne massif ornée de ferrures en bronze représentant des motifs géométriques. Elle s'arrêta sur le seuil et se tourna vers Fryderyk.

Merci pour cette promenade, Inspecteur. C'était agréable d'avoir de la compagnie.

Fryderyk s'inclina.

L'honneur était pour moi, Siostry.

Il allait se retourner pour partir, mais quelque chose le retint. Une question. LA question. Celle qui le hantait depuis trois mois. Celle qui l'empêchait de dormir.

Il inspira profondément.

Siostry... puis-je... puis-je vous poser une question?

Elle le regarda avec attention, la tête légèrement inclinée.

Vous pouvez toujours poser, Inspecteur. Je ne promets pas de répondre.

Fryderyk hésita, puis les mots sortirent d'un coup :

Que cherchez-vous, Siostry? Quel mystère plane sur Okord? Qu'avez-vous cherché dans tous ces lieux que j'ai visités? Les prophéties, les textes anciens, les... les visions de fin du monde. Que cherchez-vous vraiment?

Le silence s'installa. La Siostry le regarda longuement, son visage impossible à lire. Puis, lentement, un sourire étrange – ni triste, ni joyeux, juste... certain – se dessina sur ses lèvres.

Des signes, mon cher. Des signes et un dessein pour l'avenir.

Avant que Fryderyk ne puisse répondre, des pas résonnèrent dans la cour. Tous deux se tournèrent.

Wacław Kowalczyk, le Corbeau de l'Est, franchissait le portail d'un pas mesuré. Il portait son habituelle tunique sombre de Strolatz, ses deux épées croisées dans le dos, son catogan poivre et sel impeccablement noué. Son visage buriné, avec sa balafre caractéristique, restait impassible, mais ses yeux gris acier brillaient d'intelligence.

Il s'arrêta à quelques pas, s'inclina avec respect.

Siostry. Vous m'avez fait appeler.

En effet, Corbeau. Entrez.

Elle se tourna vers Fryderyk, qui s'apprêtait à prendre congé.

Inspecteur Zawadzki.

Il se figea.

Si votre volonté de 'savoir' vous empêche de dormir... vous pouvez rester. Ce que nous allons discuter vous concerne aussi, d'une certaine façon.

Fryderyk sentit son cœur s'accélérer. C'était une invitation. Une invitation à percer enfin le mystère. Comment pouvait-il refuser ?

Je... oui, Siostry. Si vous le permettez.

Alors venez.

Elle poussa la lourde porte et entra. Wacław suivit, impassible. Fryderyk, les mains légèrement tremblantes, leur emboîta le pas.

---

L'intérieur du palais était à l'image de son extérieur : sobre mais majestueux. Le hall d'entrée, vaste et haut de plafond, était dallé de marbre gris veiné de blanc. Des tapisseries aux couleurs sobres – bleus profonds, gris argentés, blancs immaculés – représentaient des scènes de l'histoire d'Osterlich et des passages du Podreznik illustrés avec une finesse remarquable.

De grandes colonnes de pierre soutenaient des voûtes en ogive, et entre elles, des niches abritaient des statues de saints Podeszwites – non pas dorées comme dans les Katadra riches, mais taillées dans la pierre brute, d'une beauté austère et puissante.

Des braseros de fer forgé brûlaient à intervalles réguliers, diffusant une chaleur bienvenue et une lumière dansante. L'air sentait l'encens de pin et la cire d'abeille des chandelles.

Ils traversèrent le hall, leurs pas résonnant sur le marbre, puis s'engagèrent dans un long couloir. Les murs ici étaient tapissés de lambris de chêne sombre, et des portraits d'anciens seigneurs d'Hebron – les prédécesseurs de la Siostry – les observaient de leurs cadres dorés. Leurs visages sévères, peints avec réalisme, semblaient suivre les visiteurs du regard.

À intervalles réguliers, des fenêtres hautes et étroites laissaient entrer une lumière pâle qui projetait des rectangles lumineux sur le sol. Entre les fenêtres, des appliques murales en fer forgé portaient des chandelles qui brûlaient en permanence.

Des objets religieux ornaient le couloir avec parcimonie mais élégance : une croix à huit branches en argent massif, suspendue à un velours bleu ; un reliquaire de cristal contenant, selon l'inscription gravée, un fragment de la tunique du Zwiastun Baldir ; un petit autel de pierre sur lequel brûlait en permanence une lampe à huile, symbolisant la lumière de Podeszwa qui ne s'éteint jamais.

Fryderyk regardait tout cela avec émerveillement. Il était déjà venu au palais, mais jamais dans cette aile privée.

Ils montèrent un escalier en colimaçon, les marches de pierre usées par des siècles de passages. Les murs ici étaient nus, à l'exception de quelques inscriptions en vieux slavon gravées directement dans la pierre – des prières, des maximes tirées du Podreznik.

Au deuxième étage, ils débouchèrent dans un couloir plus petit, plus intime. Le plafond était plus bas, les murs tapissés d'une tenture de lin blanc brodé de motifs géométriques discrets. Des portes de chêne massif, chacune marquée d'un symbole différent, s'alignaient le long du corridor.

La Siostry s'arrêta devant la troisième porte, marquée du symbole de l'œil de Podeszwa – un œil stylisé entouré de huit rayons. Elle posa sa main sur la poignée de bronze et la tourna.

Le bureau de la Siostry Vespasia.

C'était une pièce de taille moyenne, mais dont chaque centimètre semblait pensé, organisé, porteur de sens.

Le sol était couvert d'un tapis épais aux motifs Osterlichois – entrelacs complexes de lignes noires et argentées sur fond bleu nuit. Trois fenêtres hautes, orientées vers le sud, laissaient entrer la lumière du jour, adoucie par des rideaux de lin blanc semi-transparents.

Le mobilier était fonctionnel mais de qualité exceptionnelle. Un large bureau de chêne sombre occupait le centre de la pièce, sa surface polie reflétant la lumière. Dessus, soigneusement rangés : des piles de documents maintenus par des presse-papiers en pierre polie, un encrier de cristal et trois plumes d'oie taillées, un sceau de cire rouge et son cachet de bronze, une carte du domaine tenue aux coins par quatre petites statues de marbre représentant les quatre saisons.

Derrière le bureau, un grand fauteuil de bois sculpté, sobre mais imposant, au dossier droit orné d'une croix à huit branches finement ciselée.

Le long du mur de gauche, une bibliothèque massive montait jusqu'au plafond, remplie de livres reliés de cuir – bruns, noirs, quelques-uns rouges. Fryderyk reconnut plusieurs titres : le Podreznik bien sûr (trois exemplaires différents), des chroniques historiques d'Okord et d'Osterlich, des traités de théologie, des commentaires des Pères de l'Église Podeszwite. Et aussi, rangés sur une étagère à part, des volumes plus anciens, aux reliures usées – probablement les textes prophétiques dont tout le monde parlait.

Le long du mur de droite, un autel personnel. Plus élaboré que ceux qu'on trouvait habituellement dans les demeures privées. Une table de marbre blanc supportait plusieurs objets sacrés disposés avec un soin méticuleux :

- Une croix à huit branches en argent, haute d'environ deux pieds, incrustée de pierres semi-précieuses – améthystes, lapis-lazuli – aux huit extrémités
- Un reliquaire en or et cristal, contenant ce qui semblait être un petit fragment d'os (relique d'un saint, probablement)
- Une icône peinte sur bois représentant le Zwiastun Baldir recevant la révélation de Podeszwa, dans le style iconographique Osterlichois – fonds dorés, figures hiératiques, regards perçants
- Un chapelet de prière en bois d'olivier, aux grains polis par l'usage
- Un encensoir en bronze ciselé, d'où s'échappait encore un mince filet de fumée parfumée
- Une lampe à huile en argent, brûlant d'une flamme constante

Au-dessus de l'autel, accrochée au mur, une grande tapisserie représentant la Vallée du Zwiastun – le lieu saint où Baldir avait reçu sa révélation. Les montagnes stylisées, le ciel étoilé, la silhouette solitaire de l'homme au pied de la montagne. C'était une œuvre ancienne, les couleurs légèrement passées, mais d'une beauté saisissante.

Le mur du fond, derrière le bureau, portait une immense carte d'Okord et des royaumes environnants. Mais pas une carte ordinaire. Celle-ci était annotée, couverte de symboles, de lignes tracées à l'encre rouge et noire, de petites épingles de différentes couleurs plantées à divers endroits. Fryderyk reconnut certains des lieux qu'il avait visités – le Monastère de Sainte-Bogumila, l'Académie des Strolatz, l'Oratoire de Saint-Erasme. Mais il y en avait d'autres, beaucoup d'autres, qu'il ne connaissait pas.

La Siostry entra et alla directement vers une petite table près des fenêtres où se trouvait un service à thé en porcelaine blanche. Elle versa de l'eau chaude d'une théière maintenue au chaud sur un petit réchaud à charbon, prépara trois tasses avec des gestes précis et mesurés.

Asseyez-vous, dit-elle simplement, désignant deux chaises disposées devant le bureau.

Wacław prit place avec la grâce économe qui le caractérisait, son dos droit, ses mains posées calmement sur ses cuisses. Fryderyk s'assit plus maladroitement, conscient du caractère extraordinaire de cette situation.

La Siostry leur apporta les tasses – une tisane d'herbes qui sentait la menthe et le miel – puis alla s'asseoir derrière son bureau. Elle but une gorgée, posa sa tasse avec délicatesse, et regarda Wacław.

Son visage était serein, presque détendu. Aucune trace d'anxiété. Juste une certitude tranquille.

Alors, Corbeau. Les nouvelles.

Wacław posa sa tasse et croisa les doigts devant lui. Son visage resta impassible, mais Fryderyk crut déceler une légère tension dans ses épaules.

Sprawa jest w toku — l'affaire est en cours, Siostry. Comme vous le savez, le Roi Trof a convoqué le représentant de l'Autriche il y a deux semaines. Il lui a demandé de ployer le genou, de réannoncer publiquement son soutien à la couronne d'Okord et à ses institutions.

La Siostry hocha la tête, son regard fixe.

Le représentant a refusé, continua Wacław, sa voix grave et mesurée. Il a ainsi laissé entendre que l'Autriche ne reconnaissait d'autre autorité que celle qu'elle s'était elle-même donnée. Que l'Okord était fragmenté, corrompu, et que seuls ceux qui avaient la force de ramener l'ordre – comme le Lys et l'Autriche elle-même – méritaient respect.

Il marqua une pause, ses doigts se resserrant légèrement.

Le Roi Trof a considéré cela comme un affront personnel. Comme une insulte à la couronne. D'autant plus après les proclamations du Lys qui s'est également autodéclaré protecteur d'Okord il y a quelques mois.

Fryderyk écoutait, les yeux écarquillés. Il connaissait les tensions politiques d'Okord, bien sûr, mais pas dans ces détails.

Cet incident a déclenché les hostilités, reprit Wacław. Les armées Dorées du Roi Trof, jointes aux forces du prince Denryl Altéria, ont lancé une offensive contre les positions Autrichiennes.

Il but une gorgée de tisane avant de continuer.

Si vous voulez mon avis personnel, Siostry...

Elle fit un geste de la main, l'invitant à poursuivre.

L'ego dont fait preuve l'Autriche et le Lys en s'autodéclarant garants d'Okord, décideurs de son avenir, couplé à la puissance militaire considérable de Vienne... to stało się zbyt wielkim ryzykiem — c'est devenu un risque trop important pour les autres seigneurs Okordiens.

Ses yeux gris se plissèrent légèrement, signe qu'il réfléchissait intensément.

Je pense que ce n'était pas simplement une question d'honneur blessé. C'était stratégique. Les deux grosses puissances – les Dorés et Altéria – se sont alliées contre l'Autriche pour remettre les pendules à l'heure. Pour rétablir l'équilibre des forces. Montrer que personne, aussi puissant soit-il, ne peut se déclarer maître d'Okord sans consensus.

La Siostry écoutait, impassible, ses doigts fins tapotant doucement le bord de sa tasse.

Et nous dans tout ça ? demanda-t-elle calmement.

Wacław inspira lentement.

Le Surintendant Main-De-Sixte, agissant en votre nom, a publiquement annoncé le soutien de notre domaine à la couronne. Il a également émis une déclaration critiquant le Lys pour son arrogance et ses prétentions.

Il marqua une pause, son visage se durcissant imperceptiblement.

Le Lys n'a pas apprécié.

Le silence s'installa dans la pièce. Seul le crépitement léger du charbon dans le réchaud à thé troublait le calme.

Ils ont décidé de nous attaquer, continua Wacław, sa voix restant parfaitement contrôlée. Une expédition punitive, pour reprendre leurs termes. Pour 'rappeler à l'ordre les vassaux impudents qui oublient leur place'.

Fryderyk sentit son sang se glacer. Une attaque. Contre eux. Contre Krakow.

La Siostry, elle, ne broncha pas. Son visage resta serein.

Combien d'hommes ?

Według naszych zwiadowców — selon nos éclaireurs, environ vingt ou trente mille. Infanterie lourde principalement, avec un bon contingent de cavalerie. Ils sont menés par le seigneur Khil, notre voisin du sud-ouest.

Wacław se pencha légèrement en avant.

Ils voulaient attaquer ces murs, Siostry. Mettre le siège à Krakow. Mais nous avons commencé à parlementer avec le chef de cette expédition, le seigneur Khil. C'est un homme raisonnable, malgré tout. Nous essayons de négocier une bataille en terrain neutre, loin des innocents. Dans les plaines de...

Non.

La voix de la Siostry était douce mais absolue. Wacław s'arrêta net, surpris.

Non, répéta-t-elle, son regard soutenant celui du Corbeau sans ciller. Laissez-les venir ici.

Elle se leva avec grâce et fit quelques pas vers la grande carte murale.

Vous combattrez sous ces murs.

Wacław fronça légèrement les sourcils – une expression rare chez lui. Il choisit ses mots avec soin.

Siostry... rozumiem — je comprends l'avantage défensif des fortifications. Mais cela mettra la population civile en danger. Si le siège se prolonge, si les murs sont percés... Les femmes, les enfants, les vieillards...

Corbeau.

Elle ne se retourna pas, continuant à observer la carte. Son ton n'était pas dur, mais ferme. Définitif.

J'ai lu et j'ai vu beaucoup de signes ces derniers mois.

Elle traça du doigt une ligne invisible sur la carte, reliant différents points.

L'Unique nous met à l'épreuve car nous avons fait trop d'erreurs.

Elle se tourna enfin, et son visage était illuminé d'une certitude presque mystique. Pas de ferveur excessive, pas de fanatisme – juste une conviction profonde, inébranlable.

Nous pensions que le Krol (explications ici) ne pouvait être que le jeune Mérovée de Vaux. Le profil était parfait. Noble, pieux, juste, aimé du peuple. Nous avons concentré tous nos efforts sur lui. Nous l'avons soutenu. Conseillé. Préparé.

Elle secoua lentement la tête.

Or ce n'était pas le cas. Ce n'était pas lui. Et nous, Siostry d'Okord, nous avons déçu le Tout-Puissant en nous trompant ainsi.

Wacław était parfaitement immobile, mais ses yeux trahissaient son étonnement. C'était la première fois qu'il entendait cela.

La Siostry pointa du doigt vers Fryderyk, qui sursauta.

Cet inspecteur en est témoin.

Fryderyk sentit tous les regards se tourner vers lui. Il déglutit difficilement, ne sachant que dire.

Il a sillonné notre domaine, continua la Siostry, se déplaçant maintenant lentement autour de son bureau, les mains croisées dans le dos. Les lieux religieux. Les lieux de connaissance. Les lieux d'oubli, parfois. Il a vu ce que j'ai vu. Il a entendu ce que j'ai entendu.

Elle s'arrêta près de l'autel, posa une main sur la croix d'argent.

Et les signes sont là, Corbeau. Partout. Dans les textes anciens. Dans les prophéties. Dans les rêves des mystiques. Dans les événements eux-mêmes.

Sa voix était calme, presque douce, mais chargée d'une autorité qui ne souffrait aucune contradiction.

Le Dieu Unique veut une mise à l'épreuve.

Elle se tourna vers eux, la lumière de la fenêtre créant un halo derrière elle.

Il veut que nous prouvions notre valeur. Notre foi. Notre détermination. Pas dans le confort d'une bataille arrangée sur un terrain neutre. Non. Ici. Devant notre peuple. Sous nos murs. Là où la foi sera testée. Là où le courage sera mesuré. Là où Podeszwa Lui-même verra si nous sommes dignes.

Elle revint vers son bureau, ouvrit un tiroir, et en sortit un document scellé.

J'ai fait réunir une force assez conséquente en prévision de tout cela.

Elle posa le document devant Wacław.

Quarante mille hommes. Infanterie, archers, cavalerie légère. Les milices des villages que nous avons armées. Les Strolatz de l'Académie. Les mercenaires que nous avons discrètement recrutés ces derniers mois.

Wacław ouvrit le document, parcourut rapidement les listes. Ses sourcils se levèrent légèrement – c'était effectivement une force respectable.

La Siostry le regarda droit dans les yeux.

Et c'est vous, Wacław Kowalczyk, le Corbeau de l'Est, qui serez en charge de donner à l'Unique le choix. Vous commanderez nos soldats. Vous serez l'instrument par lequel Podeszwa jugera si nous sommes dignes de Son soutien.

Le silence qui suivit était chargé d'électricité.

Wacław resta immobile un long moment, son regard fixé sur les listes de troupes. Puis, lentement, il referma le document et leva les yeux vers la Siostry.

Son visage, habituellement si difficile à lire, montrait maintenant quelque chose. Pas de la peur. Pas de l'hésitation. Mais une sorte de... reconnaissance. Comme si on lui confiait enfin ce pour quoi il était vraiment fait.

Il se leva, mit un genou à terre devant le bureau, et posa son poing fermé sur son cœur – le salut des Strolatz.

Przyjmuję, Siostry — j'accepte, Siostry. Par Podeszwa et par l'honneur de mon serment, je commanderai vos forces. Et nous donnerons à l'Unique la victoire qu'Il attend, ou nous mourrons en tentant de Le servir.

La Siostry hocha la tête, satisfaite. Elle fit signe à Wacław de se relever.

Bien.

Elle retourna s'asseoir derrière son bureau, but une gorgée de tisane maintenant tiède, et continua comme si elle discutait d'affaires administratives routinières.

En cas de victoire, Corbeau, nous devrons continuer dans cette perspective. Ce combat n'est pas juste une bataille politique de plus. C'est le début d'un mouvement plus grand.

Ses yeux brillèrent d'une lueur intense.

Nous devons œuvrer à rendre Podeszwite le royaume d'Okord tout entier. Pas par la force seule, mais par l'exemple. En montrant que ceux qui suivent vraiment la voie de l'Unique sont bénis. Que la foi sincère triomphe de l'arrogance politique. Que l'humilité devant Podeszwa vaut mieux que l'or et les armées.

Wacław écoutait, son visage redevenu impassible, mais Fryderyk voyait ses doigts se crisper légèrement sur le document qu'il tenait toujours.

Et... commença le Corbeau, sa voix hésitant pour la première fois. A w przypadku porażki — et en cas de défaite, Siostry?

La question plana dans l'air comme une lame suspendue.

La Siostry se leva lentement et se dirigea vers l'une des hautes fenêtres. Elle écarta légèrement le rideau de lin et regarda dehors, vers la ville de Krakow qui s'étendait en contrebas.

Les toits d'ardoise brillaient faiblement sous le soleil d'hiver. La fumée des cheminées montait en colonnes paresseuses. On entendait, assourdis par la distance et les murs épais, les bruits de la cité qui vivait – voix de marchands, rires d'enfants, cloches d'une chapelle sonnant midi.

Elle resta ainsi un long moment, silencieuse, contemplative. Ni triste, ni effrayée. Juste... réfléchie.

Puis elle parla, sa voix calme portant clairement dans le silence de la pièce.

En cas de défaite...

Elle posa sa main sur le montant de pierre de la fenêtre, ses doigts fins traçant distraitement les veines du marbre.

Alors je devrai prendre mes responsabilités.

Elle se tourna vers eux, son visage parfaitement serein, presque lumineux.

Si Podeszwa juge que nous avons échoué, que nous ne sommes pas dignes, alors c'est qu'il y a une raison. Et en tant que dirigeante de ce domaine, en tant que Siostry qui a guidé son peuple dans cette voie, je devrai assumer les conséquences de cet échec.

Elle revint vers son bureau, s'y appuya légèrement, les regardant tous deux avec une douceur presque maternelle.

Mais je ne crois pas que nous échouerons. J'ai vu trop de signes. Trop de confirmations. L'Unique nous teste, oui. Mais Il ne nous abandonne pas. Cette bataille sera notre rédemption.

Son sourire s'élargit légèrement – un sourire étrange, mélange de foi absolue et d'acceptation tranquille du destin.

Ayez foi, mes amis. Ayez foi.

Wacław et Fryderyk restèrent silencieux, chacun absorbant à sa manière les implications de ce qu'ils venaient d'entendre.

Fryderyk regardait la Siostry avec un mélange de fascination et de stupeur. Cette femme était-elle une visionnaire inspirée ? Une mystique guidée par une vérité supérieure ? Ou une fanatique qui entraînait son peuple dans un désastre au nom de prophéties mal interprétées ?

Il ne savait pas.

Mais une chose était certaine : la tempête dont tout le monde parlait depuis des mois n'était plus une menace lointaine.

Elle était là.

Elle allait frapper les murs de Krakow.

Et bientôt, très bientôt, ils sauraient tous si les signes de la Siostry étaient véritables... ou si le Dieu Unique avait d'autres plans pour Okord.

La lumière du jour commençait à décliner. Les ombres s'allongeaient dans le bureau.

Et dans le silence, Fryderyk entendit, porté par le vent d'hiver, le lointain son d'une cloche qui sonnait.

Comme un glas.

Ou comme un appel aux armes.

Dernière modification par HernfeltMayer (2025-10-28 22:47:43)


Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.

Hors ligne

#2 2025-11-01 00:55:43

Wacław Kowalczyk
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Re : De la bataille de Krakow

Depuis la tour de guet, Wacław Kowalczyk observait l'échiquier vivant déployé sous ses yeux, une main sur le parapet de pierre froide, l'autre tenant son bâton de commandement. Deux armées se faisaient face, séparées par une bande de terre neutre jonchée des premiers morts de la matinée.

L'armée du Lys occupait le flanc ouest. Infanterie lourde au centre, cavalerie sur les ailes, archers en arrière. Face à eux, les forces de Krakow : milices urbaines au centre, mercenaires sur le flanc droit, archers sur l'élévation à gauche. Et éparpillés dans les lignes, des Strolatz de l'Académie de Wrocław, reconnaissables à leurs armures sombres et capes bleues.

Plusieurs assauts avaient déjà eu lieu. Chaque fois repoussés, mais l'ennemi apprenait. Le commandant adverse, le seigneur Khil, sondait les défenses, cherchait la faille.

Corbeau! Mouvement ennemi, centre !

L'infanterie lourde du Lys avançait de nouveau. Formation serrée, boucliers levés, tambours battants.

Wacław leva sa main, puis l'abaissa. Un cor retentit. Trois notes longues. Les archers lâchèrent leurs volées. Le ciel s'obscurcit de flèches. Des hommes tombèrent. Mais l'infanterie continuait d'avancer.

Stójcie mocno! — tenez ferme ! cria un Strolatz au premier rang.

Les deux lignes se percutèrent dans un fracas assourdissant. Métal contre métal. Cris de fureur et de douleur. Les Strolatz tenaient les points critiques, leurs voix ralliant les hommes, bouchant les brèches.

Le centre tenait. Pour l'instant. Et puis, venant de l'est, un son nouveau. Plusieurs cors. Des notes graves et puissantes.

D'abord, la poussière sur la route de Wrocław. Puis, émergeant du nuage, une colonne de cavaliers en formation parfaite.
Leurs armures brillaient d'un éclat sombre. Leurs capes bleues claquaient au vent. Sur leurs boucliers, le symbole de l'académie de Wrocław, l'académie des strolatz que le corbeau de l'est dirigeait lui-même. Ils bougeaient avec une synchronisation troublante. Fluide. Précis. Comme une lame vivante.

Sur le champ de bataille, des têtes se tournèrent. Les milices de Krakow les regardaient avec stupéfaction. Ces guerriers presque mythiques... ils étaient là. Réels. Même pour des Podeszwites, les voir ainsi en grand nombre surprenait. L'armure noire. Les mouvements synchronisés. Cette aura de discipline martiale.

Un lieutenant monta la rampe, essoufflé.
Ils sont arrivés, Commandant!
Wacław hocha lentement la tête, impassible. Il leva son bâton et traça un geste précis.

À la tête de la colonne, Maître Grzegorz reçut les ordres. Il leva son épée. Ses cavaliers se divisèrent en sections avec une fluidité parfaite.
Une partie obliqua vers le flanc nord. D'autres se positionnèrent en réserve. Le reste, mené par Grzegorz, se lança vers le sud où la cavalerie ennemie menaçait les archers.

Ils bougeaient comme une chorégraphie mortelle. Juste le martèlement des sabots et le cliquetis des armures.
Au centre, l'arrivée des Strolatz changeait quelque chose. Les défenseurs se raffermissaient. L'espoir renaissait.
Au sud, Grzegorz intercepta la cavalerie ennemie. Le choc fut violent mais bref. Les Strolatz tinrent la ligne.

Wacław observait depuis sa tour, calculant.
La bataille devait continuer. Les Strolatz n'étaient qu'un maillon de la stratégie. L'ennemi avait encore l'avantage numérique. L'affrontement était loin d'être fini. L'issue restait incertaine.

Le soleil touchait l'horizon. Dans une heure, ce serait le crépuscule. Il restait une heure pour forcer une décision.
Se tournant vers son messager, Wacław parla d'une voix calme :
Aux Strolatz du centre. Signal : trois cors courts, deux longs. Ordre : avancée mesurée sur le flanc droit ennemi. Aux archers : feu concentré sur le point d'avancée. Exécution dans cinq minutes.

Il leva son cor de guerre, attendit.
Puis il souffla. Trois notes courtes. Deux longues.

Sur le champ de bataille, les Strolatz entendirent. Comprirent. Réagirent.
La danse continuait. Les pièces bougeaient.

Et quelque part, dans le ciel qui s'assombrissait, Podeszwa "si les signes de la Siostry étaient vrais" observait et jugeait.


Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.

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#3 2025-11-05 23:56:54

Wacław Kowalczyk
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Re : De la bataille de Krakow

Le cinquième jour, alors que l'aube teintait le ciel d'un rose maladif, le seigneur Khil lança son ultime assaut.
Ce ne fut pas une attaque mesurée, calculée comme celles des jours précédents. Ce fut une charge monumentale, désespérée, où tout l'orgueil du Lys se concentra en une vague de fer et de rage. Près de mille cavaliers s'élancèrent dans un grondement qui fit trembler la terre gelée, leurs bannières déployées claquant comme des oriflammes de damnation. Les sabots martelaient le sol en un rythme infernal, et la plaine tout entière sembla vibrer sous l'assaut.

La première ligne des défenses de Krakow – des piquiers épuisés par cinq jours de combats ininterrompus – se désintégra sous le choc. Les lances se brisèrent. Les boucliers éclatèrent. Des hommes furent piétinés, broyés, dispersés comme fétu de paille dans la tempête. Le mur qui avait tenu depuis l'aube de la bataille cédait enfin.
Depuis sa tour, Wacław observait. Immobile. Ses mains posées calmement sur le parapet. Son visage de pierre ne trahissait rien.

Les cavaliers enfoncèrent la seconde ligne. Nouveaux cris. Nouveau fracas. La marée de fer avançait, inexorable, porté par l'élan de sa propre fureur.
Autour du Corbeau, les officiers s'agitaient, les messagers attendaient les ordres, les cors pendaient aux ceintures, prêts à sonner la retraite, l'appel aux réserves, n'importe quoi.
Mais Wacław ne bougeait pas.
Il regardait. Calculait. Attendait.

Les cavaliers atteignirent la troisième ligne – la dernière avant les portes de la cité. Là, les milices les plus fraîches, renforcées par les Strolatz, formaient un dernier rempart. Mais face à mille chevaux lancés au galop, combien de temps tiendraient-ils ?
C'est à cet instant précis que Wacław leva son bras.
Les cors retentirent. Pas trois notes. Pas cinq. Mais une note unique, longue, terrible, qui se propagea sur tout le champ de bataille comme le souffle de Podeszwa lui-même.
Et le ciel s'obscurcit.
Des quatre positions d'archers restantes – celles que Wacław avait gardées en réserve durant toute la bataille, économisant chaque flèche, chaque archer – jaillirent des milliers de traits. Pas en volées successives. Pas en tirs mesurés. Mais en une apocalypse d'acier qui s'abattit sur les cavaliers avec la fureur d'un jugement divin.

Les chevaux s'effondrèrent en pleine course. Les cavaliers furent arrachés de leurs selles, criblés avant même de toucher le sol. En l'espace de quelques secondes, la charge glorieuse se transforma en un chaos sanglant de bêtes hurlantes et d'hommes mourants.

Mais ce n'était pas fini.
Les portes de Krakow s'ouvrirent dans un grincement métallique. Et de l'enceinte jaillit une marée humaine.
Des lanciers. Plus de deux mille. Compacts. Serrés comme les rangs d'une phalange antique. Ils avaient attendu cinq jours derrière ces murs, écoutant les combats, voyant leurs frères tomber, rongés par l'impatience et la rage contenue.

Maintenant, ils étaient libérés.
Ils percutèrent les cavaliers survivants dans un fracas qui résonna jusqu'aux confins de la plaine. Ce ne fut pas un combat. Ce fut un massacre. Les chevaux, déjà désorganisés par les flèches, ne purent manœuvrer face à cette masse compacte. Les lances s'enfoncèrent dans les flancs des montures, dans les gorges des cavaliers. Le sol devint un charnier.

Wacław descendit de sa tour.
Il traversa la cour intérieure du palais, franchit les portes, et marcha vers la plaine. Ses bottes foulaient l'herbe qui n'était plus verte depuis longtemps. La neige initiale avait fondu sous le piétinement de milliers d'hommes et de chevaux. Ce qui restait était une boue épaisse, noire, puante, mêlée de sang coagulé et de chairs déchiquetées.

Partout, des corps. Certains encore chauds. D'autres froids depuis des jours. Des bannières déchirées flottaient mollement dans le vent hivernal. Des armes brisées jonchaient le sol comme les ossements d'une bête titanesque.
Les chevaliers du Lys étaient en déroute. Ceux qui pouvaient encore marcher fuyaient vers l'ouest, abandonnant armes et honneur. Ceux qui ne pouvaient pas fuyaient rampaient, pleuraient, imploraient.

Wacław avançait parmi eux, épée au côté mais non dégainée. Son regard balayait le champ de bataille. Là, un jeune homme – peut-être dix-huit ans – agonisait, une flèche dans le poumon, appelant sa mère d'une voix de plus en plus faible. Là, un cheval gémissait, les deux pattes avant brisées, essayant encore de se relever. Là, un Strolatz – l'un des siens – gisait face contre terre, trois lances enfoncées dans le dos.
Un mouvement sur sa droite.
Un cavalier survivant, désarçonné mais encore debout, l'épée à la main. Son armure était cabossée, son heaume arraché révélant un visage jeune, terrifié, mais déterminé. Il reconnut l'armure distinctive du Corbeau. Vit en lui l'ennemi. Le responsable de tout cela.

Avec un cri rauque, il chargea.
Wacław ne bougea pas jusqu'au dernier instant. Puis, dans un mouvement d'une fluidité presque surnaturelle, il pivota légèrement, sa main gauche attrapa le poignet de l'attaquant, et son épée – qu'il avait dégainée sans qu'on le voie – traça un arc précis.
La main qui tenait l'épée ennemie se sépara du bras dans un jet de sang écarlate.
Le jeune cavalier s'effondra dans un hurlement de douleur, tenant son moignon mutilé, le sang pulsant entre ses doigts.
Wacław le regarda un instant. Puis, sans un mot, il fit signe à deux miliciens proches de s'occuper de lui. De cautériser la plaie. De le garder prisonnier.

La bataille était terminée.
Krakow avait tenu.
Pas un seul soldat du Lys n'avait pénétré l'enceinte de la cité. Les murs étaient intacts. Les portes, fermées durant cinq jours, avaient tenu. Le peuple, terrifié mais en sécurité, avait prié sans relâche dans les chapelles.

La victoire était totale.
Autour de lui, les soldats de Krakow commençaient à réaliser. Des cris de joie s'élevèrent. Des hommes tombèrent à genoux, remerciant Podeszwa. D'autres s'embrassaient, pleuraient de soulagement.
Mais Wacław Kowalczyk, le Corbeau de l'Est, vainqueur de la bataille de Krakow, restait debout au milieu du charnier, et sur son visage buriné se lisait quelque chose qui n'était pas de la joie.

De la tristesse, peut-être.
Ou simplement le poids de toutes ces vies – ennemies et alliées – qui s'étaient éteintes pour prouver un point que personne ne comprendrait vraiment.

Il leva les yeux vers le ciel d'hiver, où les nuages s'écartaient enfin, laissant filtrer un rayon de soleil pâle.
Czy to był znak, Panie ? — était-ce là le signe, Seigneur ? murmura-t-il en vieux slavon, trop bas pour que quiconque l'entende.

Le ciel ne répondit pas.
Mais dans la tour du palais, derrière une fenêtre du troisième étage, une silhouette vêtue de gris observait la plaine. La Siostry Vespasia contemplait son œuvre. Et sur ses lèvres, un sourire, non de joie, mais de confirmation.

Les signes étaient vrais.
L'Unique avait jugé.
Et Krakow, malgré tout, était toujours debout.


Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.

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