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#1 2025-08-25 22:34:20

Karl
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Verdelaine, le monstre se réveille

Le récit d'un paysan

On disait encore « le Marquis » dans mon village, par habitude. Mais à Verdelaine, tout le monde parlait désormais du Duc Karl. Un titre nouveau, qui sonnait lourd dans les bouches, comme une promesse ou une menace. Moi, j’y comprenais pas grand-chose aux titres et aux couronnes, mais je voyais bien une chose : la terre elle-même tremblait.

On m’avait pris mon blé. Pas volé, non, payé. Mais pas question de discuter. Les collecteurs avaient noté chaque sac, marqué mon nom, et m’avaient dit de tout amener à Verdelaine. Alors j’ai pris ma charrette, mon vieux cheval, et j’ai suivi la route.

En approchant de la ville, j’ai cru que mes yeux me trompaient. Les chemins étaient bondés comme jamais je n’avais vu. Des colonnes de chariots s’étendaient à perte de vue, chargés de bois, de fer, de vivres. Des hommes d’armes venaient de partout, avec des bannières que je ne connaissais même pas. Les champs eux-mêmes étaient couverts de campements. Verdelaine n’était plus une ville, c’était devenu un monstre.

À l’intérieur, le chaos avait une forme. Les rues n’étaient plus des rues, mais des couloirs pour la guerre. Le marché où j’amenais mes sacs d’orge autrefois n’existait plus. À la place, des montagnes de provisions, des tas de lances, des caisses de flèches. Les tavernes avaient été vidées, les écuries débordaient de chevaux. Partout, ça martelait, ça frappait, ça criait.

Et les hommes… Père tout-puissant, les hommes. Il en venait sans cesse. Des seigneurs des fiefs alentours avaient envoyé leurs contingents, des pays entiers semblaient avoir vidé leurs granges pour remplir les rangs du Duc. Il n’y avait pas un coin de rue sans une troupe, pas une place sans un campement. On aurait dit que Verdelaine avalait la population entière de Valdor.

Mais ce qui m’a le plus glacé, ce ne sont pas les soldats. C’étaient les machines. Je n’avais jamais rien vu de tel. Des tours roulantes s’élevaient déjà plus haut que les murailles. Des trébuchets énormes étaient assemblés comme des bêtes de bois et de fer. Des cordes tendues comme des tendons, des roues aussi larges que des maisons. Les charpentiers travaillaient jour et nuit, comme possédés, pour donner forme à ces monstres de guerre.

Moi, avec ma charrette, je passais au milieu de ce chaos. Tout ce que j’apportais disparaissait aussitôt dans le flot. Je n’étais personne, et pourtant, je nourrissais une créature plus grande que je ne pouvais comprendre.

Et c’est alors que je l’ai vu. Un mendiant, barbu, les yeux fous, assis sur une borne de pierre. Il criait, d’une voix qui semblait venir d’ailleurs. Les passants riaient, certains le repoussaient, d’autres l’ignoraient. Mais ses paroles me frappèrent comme un coup de tonnerre.

« Le Duc est enfin prêt ! » hurlait-il. « Il marche dans les sillons des Fürst de l’Ordre Teutonique ! Eux voulaient le trône par la diplomatie… mais lui, regardez-le, il n’a pas besoin de diplomatie ! Voyez ses armées, voyez ses machines ! Père lui-même l’a choisi ! Le monde entier ploiera sous son pas ! »

Certains crachaient à ses pieds, d’autres détournaient la tête. Mais moi, j’avais des frissons dans le dos. Je ne savais pas si je venais d’entendre un fou ou un prophète.

En quittant Verdelaine, je regardai mes mains calleuses, vides de blé. Je n’avais pas nourri des hommes, mais quelque chose de bien plus grand. Et je me demandai si, demain, il resterait encore des champs à moissonner… ou seulement des cendres à fouiller.

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