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Le récit d'un sans-nom
Je suis qu’un gars parmi les autres. Un de ceux qui marchent à pied, qui dorment dans la boue, qui sentent la sueur et la peur avant chaque bataille. Pas un cheval, pas d’armure brillante, juste une épée, un bouclier, un vieux plastron cabossé et le nom de Valdor en guise de prière.
Ce jour-là, on nous a dit qu’on servirait d’appât. On l’a pas dit comme ça, pas à voix haute, mais tout le monde avait compris. On allait faire du bruit, occuper l’ennemi, prendre les premiers coups pour que la cavalerie arrive dans leur dos et frappe là où ça fait mal. Sur les 1100 qu’on était, seuls 648 sont rentrés. Y en a qui disent que c’est un bon ratio. Moi je dis que ça fait beaucoup de familles qui vont attendre pour rien.
Le général, c’était Frère Soren Valcreux. Un homme droit, silencieux, qui regarde la guerre comme s’il l’avait déjà vécue cent fois. À ses côtés, Frère Bob, moins calme, plus étrange, mais pas moins efficace. Eux, ils avaient pour tâche de surveiller le canal, au sud du territoire de Valdor. Un coin tranquille en apparence, mais y avait un avant-poste apparu là, comme une verrue sur une peau propre. Ça puait le piège.
On nous avait rassemblés. Une troupe immense, dix mille hommes, tous armés jusqu’aux dents, tous avec l’ordre d’attaquer tout ce qui ne portait pas nos couleurs. On ne voulait pas savoir qui c’était, on voulait juste être sûrs qu’eux ne repartiraient pas.
Le premier affrontement n’a pas tardé. À peine quelques heures plus tard, ça gueulait dans les haies, ça courait dans les fourrés. On savait pas qui on avait en face. Pirates ? Mercenaires ? Nobles paumés ? On s’en fichait bien. Eux tiraient, alors on tirait aussi.
Soren avait l’air tranquille, presque sûr de lui. Il a envoyé Bob rassembler les cavaliers. Trois cents des nôtres ont été envoyés pour tâter l’ennemi, voir ce qu’ils valaient. Pas de doute possible : ils voulaient la guerre. À peine nos gars avancés qu’ils tiraient déjà comme des possédés. Nos archers, près de mille cinq cents, sont revenus se mettre en place. Le ciel s’était couvert et l’air s’était tendu. On savait que ça allait partir pour de bon.
Heureusement, nos éclaireurs avaient réussi à foutre un peu le désordre dans leur camp. De quoi leur faire perdre du temps, de la coordination. Pendant qu’ils se réorganisaient, nous, on ajustait nos lignes. Les gars resserraient les rangs, vérifiaient leurs lames, priaient Père à mi-voix. On entendait déjà les sabots des ennemis, au loin, comme un grondement qui s’approchait.
Et puis l’inattendu. Un vrai miracle. Un groupe de chevaliers adverses, quinze cents au moins, s’était trop avancé. On sait pas pourquoi, peut-être une erreur, peut-être de la précipitation. Mais ils se sont retrouvés isolés, au milieu de nos lignes. Nos archers, les meilleurs du royaume, n’ont pas laissé passer une occasion pareille. Ils les ont criblés. Une pluie de flèches comme j’en avais jamais vu. C’était pas une bataille, c’était une boucherie.
Et là, la phrase que tous attendaient. Le général a levé le bras et a crié, d’une voix qu’on n’oubliera jamais.
« Bob, charge ! »
C’est toujours la même tactique, mais elle fonctionne. Nous, les gars à pied, on tient la ligne. On fait front, on encaisse. Pendant ce temps, la cavalerie passe sur les flancs, au nord et au sud. Au sud, ils frappent fort pour forcer l’ennemi à s’y concentrer. Au nord, c’est plus discret, plus rapide. Et quand l’ennemi mord à l’hameçon et avance, alors nous, on le retient. Et la cavalerie lui tombe dessus dans le dos.
Mais cette fois, Bob a vu autre chose. Il a vu qu’il pouvait en finir plus vite. Alors il a lancé la charge directement sur leur camp. On l’a entendu, son cri, porté par le vent, suivi du tonnerre des sabots. Ce fut brutal. Il y a eu des pertes, bien sûr. Des cris, des corps, de la fumée. Mais au final, c’est nous qui avons tenu le champ.
Nous, les piétons, les sans-noms, les gars qui avancent sous la pluie des flèches, on était encore là. Vivants. Fatigués, couverts de sang, tremblants, mais debout. Les chevaux, ça se rachète. Mais nous, les gaillards qui marchent, on nous façonne pas en un hiver.
Alors on a crié, pour ceux qui étaient tombés, pour ceux qui nous avaient menés. On a crié :
Gloire à Soren et Bob.
Gloire à Karl et Erwan, nos chefs.
Et gloire à Père, notre sauveur.
Dernière modification par Aokairu (2025-06-08 22:51:46)
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