Vous n'êtes pas identifié(e).
Aguilar recevait de plein fouet les rafales du vent d'Est qui s'était levé depuis quelques heures . Les yeux plissés pour les protéger des gifles venteuses , il se tenait debout au plus haut de la tour de la forteresse du Capitoul qui gardait un des bras du Grand Canal de l'Est , au sud du domaine de Vivesource . Aguilar fixait au loin les premiers navires pirates que les vigies avaient repérés depuis deux jours déjà . Les vents contraires avaient heureusement retardé les pirates jusqu'à ce soir , mais le Suet qui venait de se lever allait leur permettre d'accoster dans la nuit . La bataille qui se préparait depuis quelques jours allait pouvoir se dérouler sans doute dès le lendemain .
Aguilar avait eu largement le temps de faire venir des troupes pour protéger le Capitoul , de les positionner et de préparer sa défense . Une petite moitié de son armée était venue défendre la forteresse pendant que le reste des troupes étaient positionné dans son fief afin de le défendre en cas d'attaques multiples . Aguilar n'avait jamais beaucoup aimé les batailles , mais si , fidèle à sa doctrine , il n'avait à ce jour encore jamais agressé aucun Seigneur Okordien autrement que pour des combats d'honneur amicaux ou d'entrainement , il avait toutefois appris à se défendre et il se sentait calme et confiant en lui à l'idée de la bataille à venir .
Toute la nuit , les guetteurs avaient entendu les bruits étouffés par la distance d'une grande activité , d'une foule en action . Puis ce furent les lueurs des feux de campements , qui tels des étoiles naissantes dans le firmament , s'allumaient un à un , ici puis là , dans la nuit noire . La nuit noire , amie qui permettait encore de voir des étoiles au lieu des feux de campements , d'entendre la rumeur du souffle des dieux au lieu de celle d'une armées des hommes en marche . Mais le matin , en même temps qu'il dissipait les ténèbres , déchira sans pitié le voile du rêve , et la réalité crue et froide prit forme . Deux armées sur le pied de guerre se faisaient face . Les cris , la fureur et la souffrance allaient être pour le temps d'une bataille les vrais rois du monde des hommes .
La bataille avait commencé classiquement . les pirates cherchaient à se rapprocher des défenseurs afin de pouvoir placer leurs cavaleries et leurs tireurs en position de frapper efficacement , alors que les défenseurs s'efforçaient de maintenir les assaillants à distance . La première moitié de la journée s'était plutôt bien déroulée pour les troupes d'Aguilar , l'avancée des ennemis avait été contenue et les pertes s'étaient équilibrées , le temps passait et jouait en faveur des défenseurs .
Pourtant Aguilar avait visiblement commencé à se crisper rapidement et montrait un visage de plus en plus inquiet au fil des heures . Si la situation semblait maitrisée , Aguilar s'était très vite aperçu que son adversaire possédait une parfaite maitrise tactique des déplacements et que son armée était tout à fait aguerrie . Dans un ordre quasi parfait et sans que cela sauta aux yeux de façon spectaculaire jusque là , l'ennemi resserrait implacablement son étau autour de la forteresse et la situation allait devenir intenable au fil du temps si rien ne venait perturber ce bel ordonnancement .
Hors ligne
Peu après le milieu de la journée , Aguilar avait pris sa décision . Il allait faire ce qu'il détestait , ordonner une charge de contre attaque dans l'espoir de provoquer une désorganisation , une faille dans le dispositif ennemi . Il savait que peu des hommes envoyés dans ce genre d'action n'en revenait généralement et c'était la raison pour laquelle il détestait y avoir recours . Mais il avait compris que la défaite était inéluctable si rien n'était tenté maintenant. Tant qu'à connaitre la défaite , il fallait à tout prix tenter quelque chose .
- Lieutenant Marton , il nous faut absolument perturber la marche de l'ennemi . Je vais charger avec un groupe de cavaliers appuyé par deux groupe de chevaliers . Prenez le commandement du reste des troupes jusqu'à mon retour . Qu'on prépare mon cheval et mon fourbis à l'instant .
Hélas , un coup du sort vint alors condamner la tentative à son commencement même . Un groupe de fantassins , ayant mal interprété les ordres transmis par fanions , vint se placer sur la route que devait emprunter le second groupe de chevaliers en soutien de la charge . Celui ci se trouva ainsi bloqué dans son camp et ne put remplir son rôle de soutien comme prévu . Ainsi privé d'un de ses soutiens , la charge était irrémédiablement condamnée et n'avait plus qu'à périr vaillamment .
Ayant pris son élan , la charge de cavalerie progressait pourtant , fendant les troupes ennemies . Alors que son groupe était parvenu jusqu'à un groupe de Huskarls , Aguilar fut désarçonné par un écart violent de son cheval . Pendant qu'il se relevait , et avant que sa garde n'ai eu le temps de revenir à lui , un huskarl monumental qui avait réchappé à la progression des cavaliers lui asséna un formidable coup de masse d'arme en pleine poitrine . La violence du choc plongea instantanément Aguilar dans l'inconscience . Il s'affaissa d'abord sur les genoux , les piques de la masse d'arme plantées dans son armure , puis il s'affala au sol .
Sa garde rapprochée avait réagi vivement et ne laissa pas au Huskarl le temps d'en faire plus . La scène se déroulant sous une pluie nourrie de carreaux d'arbalètes et de flèches mêlés , ses hommes chargèrent précipitamment le corps inerte d'Aguilar et s'enfuirent sans perdre une seconde , sans même tenter de prodiguer les premiers soins à leur seigneur . Ils ne tentèrent même pas de rejoindre la forteresse mais quittèrent directement le champ de bataille afin de porter leur maitre blessé le plus rapidement possible jusqu'à son fief afin de le faire soigner dans les meilleures conditions .
La charge de cavalerie avait donc échoué nettement . Elle s'était empalée sur les défenses ennemies qui l'avait taillée en pièces sans désemparer . Aucune brèche n'avait été faite , aucune désorganisation n'avait été provoquée . L'ennemi avait subit peu de pertes alors que les troupes d'Aguilar avaient perdu beaucoup d'hommes . Une fois de plus , l'ennemi avait montré sa maitrise tactique et la discipline de ses troupes .
La bataille avait basculé du coté des pirates et il ne restait plus aux troupes restantes qu'à tenter l'impossible et à espérer une erreur de l'attaquant . Tout fut tenté , on se réfugia dans la forteresse pour mieux se défendre , on démonta un mur d'une écurie pour jeter les pierres du haut des remparts sur l'ennemi . Mais l'erreur de l'ennemi ne vint jamais , ce qui permit aux troupes d'Aguilar de montrer leur courage en se battant jusqu'au bout avec grande vaillance et en infligeant des pertes conséquentes à leur ennemi .
Au crépuscule , tout était dit . Le capitoul était vaincu et l'étendard ennemi flottait au sommet de sa tour de guet .
Dernière modification par Max (2025-05-25 18:57:58)
Hors ligne
A Alezan Bonvent , la nouvelle de la défaite s'était répandue , ainsi que celle de la sérieuse blessure du seigneur Aguilar . Une foule de paysans , ceux résidant au plus proche de Alezan , campait dans les rues , à même le sol , avec ce qu'ils avaient pu amener de nourriture sur pattes ou en sacs , afin de chercher la protection des murailles de la ville contre les pillages qu'on attendaient des pirates . Dans les campagnes plus reculées , on avait enterré ce qui pouvait l'être afin de le soustraire au pillage , on avait libéré le bétail et l'on s'était enfuis au plus profond des forêts pour sauver sa vie .
Pourtant … aucune crainte ne se réalisa . Nul pillage , ni viol ni assassinat , aucune maison incendiée , rien ! Les pirates restaient dans la forteresse prise et ne se livraient à aucune des exactions habituelles qui suivaient généralement les défaites . Seules quelques rumeurs les concernant semblaient parcourir le domaine et signer leur victoire et leur présence dans le domaine . On commençait à dire qu'ils n'étaient pas des pirates , la preuve en étant qu'ils ne pillaient rien . Des bruits disaient qu'ils étaient venus libérer le peuple , mais ici le peuple n'était pas prisonnier . D'autres bruits disaient qu'ils voulaient que le peuple gouverne , on finissait par en rire tant cela semblait absurde à tous . Il finit par se dire qu'ils voulaient faire cesser l'oppression que le peuple subissait ... bon , certes on aurait préféré payer moins de taxes , mais il fallait bien payer les soldats qui défendaient le peuple d'une part , et d'autre part , il faut bien dire qu'on ne se sentait pas particulièrement opprimé dans le domaine du seigneur de Vivesource . On était plutôt satisfait de ce seigneur humble , honorable et plutôt pacifiste , et de la façon dont on vivait dans son domaine .
On ne comprenait donc pas vraiment ce que voulaient ces envahisseurs qui avaient pourtant accepté de lourdes pertes pour des buts incertains . Ce qui était sur à ce moment , c'était que ces envahisseurs faisaient couler beaucoup de salive et provoquaient beaucoup de parlotes non concrètes et donc inutiles , mais qu'ils avaient l'immense mérite de ne point piller les contrées qu'ils avaient vaincues . Jusque là tout du moins ! Et c'est pourquoi la population restait encore globalement méfiante devant ce qu'elle comprenait mal .
En Alezan , comme à chaque fois qu'Aguilar n'était plus en position de gouverner , son capitaine Peyrus avait instantanément remplacé son maitre . Bras droit et homme de confiance d'Aguilar , Peyrus connaissait intimement son maitre depuis toujours . Quand il le remplaçait , il avait droit d'exercer les prérogatives du Marquis et de parler en son nom . Il savait tout d'Aguilar , il était son ombre .
Comme à son habitude , Peyrus était resté en apparences calme , efficace et maitre de lui lorsque la garde d'Aguilar avait ramené le corps inconscient de leur maitre et appris la nouvelle que la bataille serait probablement perdue le soir même . Avec sang froid , il fit chercher de suite le druide Perlin le Chanteur afin qu'il commença les premiers soins sur Aguilar . Puis il envoya un messager en salle du trône et à ses alliés afin d'apprendre aux Okordiens la nouvelle de la défaite et la blessure de son maitre . En plus des vœux de prompte guérison que ses amis adressèrent à Aguilar , le seigneur de Vaux eu la sollicitude d'envoyer son propre druide en Alezan pour seconder Perlin , et Dame de Charmelune fit concocter par son druide réputé Gatoramix un onguent à appliquer sur les blessures .
Le choc de la masse d'arme avait plongé Aguilar dans l'inconscience , mais le coup avait été si violent que les piques de la masse d'arme s'étaient fichés dans l'armure et l'avaient traversée . Sous l'armure , une des piques avait cassé une côte et deux autres avaient pénétré la chair assez profondément . Aguilar avait perdu beaucoup de sang avant de pouvoir être soigné . Perlin estima que la côte cassée n'avait que peu bougé et ne nécessiterait que du temps pour se resouder , sans plus de manipulations potentiellement dangereuses pour les poumons . Les deux autres blessures furent nettoyées puis recouvertes de l'onguent de Gatoramix quand il fut à disposition .
Perlin était inquiet de la quantité de sang perdu par Aguilar , mais il s'inquiétait plus encore de l'inconscience du Marquis . En effet , tant qu'il était dans cet état , il serait difficile voire impossible de le faire boire , et si la situation se prolongeait , Aguilar mourrait de soif . Mais Perlin savait que parfois les êtres vivants inconscients conservaient tout de même un reflexe partiel de déglutition , cela dépendait des cas . Il tenta donc prudemment de faire couler quelques goutes de tisane sucrée au miel dans la bouche d'Aguilar en espérant ne pas l'étouffer et provoquer au contraire la déglutition . Et cela marcha ! En répétant souvent l'opération , quelques goutes après quelques goutes , Aguilar ne mourrait pas de soif , et l'on pouvait désormais se remettre à espérer que son sang perdu se reconstituerait et qu'il guérirait .
Perlin et le druide du seigneur de Vaux veillaient Aguilar à eux deux nuit et jour . Les soins lui étaient prodigués chaque fois que nécessaire . De plus , Perlin faisait régulièrement des offrandes aux dieux et prononçait souvent les prières sacrées que les dieux avaient inspirées à Dame de Charmelune , prières que celle ci avait consignées dans un codex dont Perlin possédait une copie et qu'il choyait comme un bien des plus précieux .
Après avoir déposé ses offrandes sur un petit autel dressé à coté du lit de souffrances d'Aguilar , Perlin y faisait bruler quelques herbes odorantes pour purifier l'air de la chambre et plaire aux dieux , puis sa voix s'élevait dans la pièce , vibrante et implorante :
Ô Botia, mère féconde,
Toi dont les mains caressent les bourgeons pour les faire naître,
Bénis cette terre humide et généreuse,
Fais jaillir des eaux, l’herbe qui soigne et le fruit qui nourrit.
Que tes guérisons passent par nos doigts, comme ton souffle par les feuillages.
Goben, maître des gestes et des formes,
Inspire la main du guérisseur et du cueilleur,
Montre à ceux qui œuvrent, la beauté dans l’utile,
Et permets que chaque plante devienne remède, chaque pierre, fondement .
Au septième jour d'inconscience , Aguilar ouvrit enfin faiblement les yeux . Il était trop faible pour parler , mais par de faibles mouvements des yeux et d'infimes mouvements des doigts , il montrait qu'il entendait et comprenait ce qu'on lui disait . Le plus dur était passé et l'on pouvait espérer que les dieux et le temps passant lui accorderaient la guérison complète .
Hors ligne
Aguilar était si affaibli et déshydraté qu'il lui fallu quelques jours pour retrouver un minimum de forces . Puis il pu commencer à écouter le résumé des faits survenus pendant son inconscience que Peyrus lui fit scrupuleusement , y réfléchir quand la fatigue ne l'emportait pas vers le sommeil et commencer à en discuter par bribes avec son capitaine .
Douze jours après la conquête du Capitoul et après sa blessure , Aguilar prit pourtant la délicate décision d'écrire une missive directement au capitaine de la Moisson Libre . Les échos que Peyrus lui avait rapportés sur les revendications de ce mouvement ne lui étaient pas indifférents et conformément à son attitude de toujours , il souhaitait éviter par le dialogue tout combat si cela était possible . Malgré les positions agressives prises comme presque toujours par ses pairs , Aguilar souhaitait malgré tout tenter la possibilité du dialogue , bien que sachant que cela serait probablement mal vu des autres seigneurs .
- Peyrus , mon ami , une fois n'est pas coutume et je souhaite à cet instant que ce soit ta main qui porte mes paroles , plutôt que celle de notre scribe . Relève un peu mon oreiller , si tu veux bien , puis prends ta plus belle plume et écris .
Capitaine Dren Varnok ,
voila maintenant 12 lunes que vous avez conquis par la force ma forteresse du capitoul (194/88) . Votre attaque s'est arrêtée là et vos troupes n'ont commis aucun pillage et se sont montrées respectueuses de la population locale . Les revendications de votre mouvement la Moisson Libre me sont parvenues .
Vous avez pu pendant ces 12 lunes constater que dans mon domaine , la population n'est pas maltraitée , que les taxes sont raisonnables et destinées à entretenir la défense du domaine et son fonctionnement , que je mène une vie humble sans guère d'apparats couteux , que je consulte déjà régulièrement mes gens à propos de tout et de rien car j'ai le soucis de leur bien être et que la population ne m'est guère hostile . Je suis donc sensible aux aspirations que semble défendre la Moisson Libre , meilleure écoute et prise en compte de la parole du peuple .
Par contre , vous comprendrez que je ne peux en aucun cas accepter la méthode que vous avez adoptée pour défendre ces idées , les nombreuses attaques de forteresses que vous avez conquises . Je me sentirais prêt en tant qu'homme et en tant que suzerain de mon domaine à défendre vos idées par les mots , mais par les mots uniquement . Mais je ne peux en tant que seigneur Okordien admettre vos attaques et je me dois de soutenir mes pairs dans leurs efforts pour reconquérir leurs biens perdus par la force . J'espère que vous comprendrez cette position double qui est la mienne .
Nous concernant vous et moi , ma missive a pour but de vous proposer un accord dans l'intérêt de la population . C'est dans ce seul but que je vous contacte , ce qui me vaudra sans doute bien des problèmes plus tard . Toute bataille entraine son cortège de morts et de souffrances pour la population , même si aucun pillage n'a lieu . Et c'est pourquoi je vous propose d'éviter une bataille de plus entre nous . Puisque vous ne semblez pas vouloir envahir Okord et si votre soucis est pour le peuple , vous aurez à cœur de lui éviter les dommages d'une bataille de plus .
Je vous propose donc d'abandonner la forteresse du Capitoul sans combattre . Le peuple s'en portera mieux et vos idées sans doute aussi , puisque vous aurez fait montre de votre soucis d'épargner au peuple des souffrances , ce dont beaucoup doutent encore . Et je pourrais défendre , par les mots , et comme je le fais déjà , vos idées dans les différentes assemblées où je suis admis avec cet exemple fort de votre sincérité .
Pour qu'il n'y ait pas de quiproquo entre nous , comprenez moi bien , même si vous acceptez ma proposition , je mettrais mon armée à disposition de mes pairs qui le souhaiteront pour reconquérir ce que vous leur avez pris par la force s'il le faut . Tout comme vous mettrez probablement les soldats du Capitoul en défense de vos autres conquêtes . Car je ne peux cautionner ces attaques sur Okord . Je ne me désolidariserais pas de mon royaume . Je vous propose simplement d'éviter une bataille de plus et de prouver ainsi votre bonne foi . J'espère aussi éviter plus de souffrance à la population de mon domaine , alors que d'autres seigneurs n'ont pas ces préoccupations dans leur domaine .
Si vous refusez ma proposition , nous nous combattrons encore au capitoul et je ne pourrais plus croire en votre désir sincère d'agir pour le bien du peuple .
Recevez , Messire Dren Varnok , mes salutations .
Hors ligne
Aguilar fut surpris de recevoir une réponse , et fort rapidement de plus . Mais le contenu de cette réponse le surprit encore plus , et le laissa bien pensif …
À Sa Seigneurie Peyrus,
Votre plume honore votre rang, et vos mots — empreints de mesure, d’honneur et de lucidité — méritent une réponse du même métal.
Douze lunes ont passé depuis que mes hommes ont hissé leur étendard sur les remparts du Capitoul. Douze lunes de calme, sans exaction, sans profanation, car notre cause, vous l’avez compris, ne se nourrit ni de feu ni de sang : elle se fonde sur une idée, et cette idée, vous venez d’en démontrer la résonance.
Dans un royaume où tant d’autres réagissent par la censure, la menace ou le mépris, vous avez choisi l’intelligence et la dignité. Vous reconnaissez que les Moissonneurs ne sont pas des bandits mais des porteurs d’un souffle nouveau. Vous affirmez, à votre tour, vouloir défendre par les mots ce que nous avons dû brandir par l’épée. Cela suffit, pour nous, à justifier un geste.
Aussi, je vous annonce que la forteresse du Capitoul vous sera rendue. Sans combat. Sans rançon. Sans humiliation. Elle vous sera remise comme un symbole — celui d’un seigneur qui n’a pas besoin de murs pour asseoir sa légitimité, mais d’un peuple qui parle encore et d’un cœur qui l’écoute.
Qu’on ne s’y méprenne : ce geste n’est pas un aveu de faiblesse. Il est la preuve que, là où les idées trouvent écho, nous savons retirer la lame. Vous dites que vous défendrez la Moisson Libre dans les assemblées. Qu’il en soit ainsi. Mais sachez que ce que vous ferez désormais de cette parole pèsera bien davantage que toutes les lames que nous pourrions lever ailleurs.
Quant à votre loyauté envers vos pairs et votre royaume, je ne la conteste point. Vous ne trahissez pas Okord en répondant à la Moisson Libre ; vous lui offrez peut-être l’occasion de se regarder autrement.
Je vous adresse donc mes salutations respectueuses, Seigneur Peyrus — et les remerciements d’un capitaine qui sait reconnaître, même chez l’adversaire, la noblesse véritable.
Capitaine Dren Varnok
Maître de Guerre de la Moisson Libre
Au nom de la Dame des Sillons
Le lendemain matin du jour où la réponse de Dren Varnok lui était parvenue , les guetteurs rapportèrent que le drapeau de la Moisson Libre ne flottait plus sur la forteresse du Capitoul . Les moissonneurs avaient libéré la place et levé le camp dans la nuit . La forteresse était libre .
L'annonce de la libération de la forteresse sans combat à la demande d'Aguilar stupéfia la foule et souleva son enthousiasme . Partout l'on fêtait la nouvelle tant le soulagement était grand . Les hourrahs et les vivats fusaient quand des quidams se croisaient . La gestion de l'affaire par Aguilar était louée , mais bien plus encore l'attitude de ces moissonneurs libres , qu'on ne comprenait toujours pas très bien , mais qui avaient assurément gagné la sympathie des gens du domaine de Vivesource malgré leur attaque initiale , et dont on commençait parfois , en fin de soirée , à discuter les idées et essayer de les comprendre .
De plus , un convoi de chars envoyé par Dren Varnok et chargé de pierres faisait route pour Alezan afin de permettre les réparations des dégâts que la forteresse avait subis pendant l'attaque .
Aguilar se dit que décidément , la nature de l'adversaire dépendait aussi beaucoup de la façon dont on le regardait et le traitait .
Il dicta sa réponse sa réponse à Dren Varnok sans attendre .
Messire Varnok ,
vous me voyez extrêmement satisfait que vous ayez été sensible à mes arguments et que vos troupes aient libéré sans combattre ma forteresse du Capitoul . Mon peuple l'est sans doute tout autant que moi même à la perspective de voir s'évanouir ses craintes d'une nouvelle bataille sur nos terres , et c'est bien le principal . J'estime que c'est un grand mérite que de pouvoir trouver chacun satisfaction de nos aspirations sans avoir eu besoin de recourir une fois de plus au combat , malgré la façon violente dont cette affaire avait commencée .
Sachez que j'ai fait savoir en Salle du Trône aux seigneurs d'Okord ce fait que vous avez libéré ma forteresse sans combat et les raisons pour lesquelles vous avez agit ainsi . Ceci afin que les seigneurs qui seraient intéressés sachent que cette possibilité existe pour peu que le dialogue s'instaure avec vous et que l'on réfléchisse un peu aux idées que la Moisson Libre prône . Et dans l'espoir que d'autres que moi choisissent cette voie du dialogue .
Hélas , je dois vous dire qu'à cette heure , mes propos n'ont pas suscité le moindre intérêt . Je n'ai eu aucun retour positif et cela me désole . Il semblerait que le temps ne soit pas encore venu d'une plus grande attention aux besoins du peuple et que notre royaume ne soit pas encore prêt pour de telles avancées .
Je vous remercie également pour les pierres que vous m'avez fait parvenir afin de restaurer la forteresse du Capitoul , endommagée pendant les combats . Cette attention est appréciée .
J'espère maintenant que vos idées pourront désormais se répandre dans notre royaume par le dialogue et que vous n'aurez plus recours à la force qui ne peut être admise par quiconque et qui , à mon sens , dessert plus votre cause qu'elle ne la sert . Je plaide auprès de vous en ce sens .
Je vous salue , Messire Varnok .
--
Peyrus . Capitaine représentant du Marquis Aguilar de Vivesource .
Ainsi se conclut l'attaque de la forteresse du Capitoul dans le domaine du seigneur Aguilar de Vivesource .
Hors ligne