Vous n'êtes pas identifié(e).

#1 2025-05-09 13:15:02

Rose de Charmelune
Inscription : 2024-12-18
Messages : 25

L'embuscade

Le message avait été remis sans un mot, de main à main, par un voyageur inconnu, aux abords des frontières du domaine de Charmelune. L’homme s’était éclipsé aussitôt, comme si le vent l’avait emporté. Le soldat de faction, troublé par l'étrangeté du messager et par la mention directe de sa maîtresse, n’hésita pas : il remit l’enveloppe sans délai.
Le pli, écrit d’une main nerveuse mais assurée, portait une adresse singulière :

Chancelière,
J’ai pour vous d’importantes informations qui intéressent directement la destinée même d’Okord.
De celles que l’on ne peut partager par voie de télégramme.
Retrouvez-moi sur la grande colline à l’est de votre domaine.
Et prenez beaucoup d’encre ; vous en aurez besoin pour prendre note.
— Un réfugié politique.

Rose lut le message à deux reprises, le front légèrement plissé. Aucun sceau, aucune signature. Rien pour trahir l’expéditeur, si ce n’est une prétention manifeste à lui parler du destin du royaume. Elle n’hésita pourtant pas longtemps.

Avant de quitter le domaine, elle glissa ses tablettes de cire dans un petit coffre et son stylet à sa ceinture. Par précaution, elle ordonna à une poignée de ses archers de se positionner en surplomb, sur la colline voisine, arcs longs en main, silencieux comme les ombres. Son propre carrosse, modeste mais robuste, fut avancé à la frontière.
L’est de son domaine s’ouvrait sur un paysage de terres douces, entre plaines herbeuses et reliefs légers. La grande colline se dessinait à l’horizon comme un dos d’animal endormi. Un peu plus bas, un bois discret, d’apparence anodine, se tenait à égale distance entre la colline et la lisière du domaine : une position idéale pour une embuscade.

Ce fut justement là que le danger guettait.

Une demi-douzaine d’hommes armés, tapis parmi les fourrés et les troncs, observaient en silence. À distance, d'autres, munis d’arcs, guettaient leur cible. Ils s’étaient attendus à une escorte, à un déploiement de cavaliers, peut-être à une douzaine de gardes. Pas à une femme seule, marchant d’un pas calme, le regard clair et le manteau claquant au vent.
Ce silence étrange, fut brisé d’un coup par un sifflement aigu : celui des flèches quittant leurs arcs.

Mais Rose n’était pas tout à fait seule. Son instinct, ou sûrement la vigilance des dieux, la poussa à réagir une fraction de seconde avant que la mort ne fonde sur elle. D’un mouvement vif, elle plongea vers le carrosse, s’abritant juste à temps derrière sa structure renforcée.
La riposte ne se fit pas attendre. Des traits précis et meurtriers jaillirent de la colline voisine. Les archers de Rose, embusqués, n’avaient pas manqué le signal. Pris entre deux feux, les assaillants abandonnèrent leur position, fuyant vers les ombres plus profondes du bois.

Tous s’enfuirent, sauf un. Une flèche avait trouvé sa gorge, perçant net, le jetant au sol dans une convulsion silencieuse. Ses compagnons, dans leur panique, n’eurent pas le temps — ni le courage — de le relever. Son corps gisait là, solitaire et sans vie, à la lisière du bois.

Il serait fouillé.
Et peut-être, dans ses poches ou sur sa peau, les premiers indices sur ceux qui osaient tendre un piège à la chancelière d’Okord.

Rose demeura un instant derrière le flanc du carrosse, le souffle encore court, sa main posée sur le bois taché par une flèche fichée tout près. Puis, avec cette grâce tranquille qu’on lui connaissait, elle se redressa. Son regard balaya l’horizon : le bois était silencieux, les archers veillaient. Plus de danger immédiat.

Un des siens, l’archer Ewald, descendit la colline, arc à la main, puis s’approcha du cadavre avec la prudence d’un homme qui sait qu’un piège peut encore s’y cacher.
Pendant que l’archer fouillait le mort, Rose s’agenouilla.
D’une main encore tremblante, elle tira de l’intérieur de son manteau un petit médaillon de bois sculpté, où les symboles des anciens dieux s’enchevêtraient comme les racines d’un arbre sacré. Ses doigts s’y refermèrent, et sa voix s’éleva doucement :

Anciens Dieux,
vous dont les noms résonnent au-delà des temps,
entendez les mots d'une âme reconnaissante.
Quand l’ombre s’est tendue comme un fil prêt à trancher,
vous avez soufflé dans mon sang un avertissement silencieux.
C’est par votre main invisible que j’ai plongé à temps,
échappant à la première volée.

Botia, Mère de Vie,
toi qui veilles sur chaque souffle et chaque battement,
merci pour la sève qui n’a pas été versée.
Merci pour les corps qui sont restés debout,
et les miens qui ont pu répondre sans être fauchés.

Cerdo, Architecte du monde,
ce jour, ton ordre a tenu bon contre la main du chaos.
Le piège fut dressé, mais la structure ne s’effondra pas.
Le carrosse, abri de fortune,
devint bastion par ta volonté.

Daeth, porteur du Savoir,
c’est ta voix que j’ai suivie,
dans ce souffle de lucidité où l’on ne pense pas,
mais où l’on sait.
Tu m’as rappelé que la vérité est souvent masquée par la vitesse.

Goben, Seigneur des mains habiles,
les flèches de mes archers t'ont chanté une prière de bois et d'acier.
Leur visée fut la tienne. Leur précision, ton œuvre.
À travers eux, tu m’as protégée.

Rituath, toi dont l’acier est loi,
ton esprit brûlait dans mes veines.
Tu n’étais pas le cri de la vengeance,
mais la flamme calme du commandement,
celle qui fait tenir même face à la peur.

Arduinna, toi dont les bois sont sanctuaire,
tu n’as pas laissé la forêt me trahir,
et c’est ton soupir que j’ai entendu
avant que ne chantent les arcs.

Drac’el Gra, feu libre et dangereux,
tu as gardé ton brasier contenu.
Mais c’est ta menace latente
qui a pesé sur mes ennemis,
et les a poussés à fuir sans regarder derrière eux.

Lussuria, souveraine du choix,
c’est toi qui m’as soufflé de ne pas hésiter.
De céder au mouvement,
de croire à mon propre instinct,
et d’agir sans attendre l’évidence.

Et toi, Seir’a Neir,
juste entre les justes,
tu as frappé là où il le fallait :
un seul a chuté, porteur de réponses.
Tu n’as pas exigé plus de sang.
Je te loue pour cette justice mesurée.

Je suis vivante.
Les miens sont saufs.
Que cette prière vous parvienne
comme le soupir d’un cœur éveillé,
ni aveuglé, ni soumis,
mais plein de gratitude.

Le silence retomba. Une brise légère souleva un pan de son manteau.
L’archer Ewald leva les yeux vers elle et lui tendit les coordonnées d'un emplacement très proche des lieux de l'embuscade ainsi qu'un médaillon représentant un épi de blé et une faux.

- «Votre Excellence … Je crois que nous avons de quoi commencer à comprendre.»

Rose hocha lentement la tête.
La prière était finie. Maintenant venait le moment des réponses.

Hors ligne

Pied de page des forums

Propulsé par FluxBB