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L'aube déployait à peine ses voiles d'or sur l'ancien monastère d'Hébron lorsque Wacław Kowalczyk gravit le sentier menant au chantier. Sa silhouette noire se découpait sur le ciel pâle comme un augure, tandis que sa démarche claudicante marquait le rythme de sa progression sur le chemin de terre battue. Les ouvriers, déjà à l'œuvre depuis les premières lueurs du jour, s'immobilisèrent un à un en apercevant l'ancien Strolatz d'Osterlicht. Sa réputation l'avait précédé jusqu'ici — ces hommes connaissaient les récits sur le "Corbeau de l'Est", Strolatz austère dont le passé demeurait voilé de mystère.
L'ancien monastère se dressait dans une vallée entouré de promontoires rocheux, de son regard de pierre. Ses murs jadis dédiés uniquement à la prière et à la contemplation subissaient maintenant une métamorphose profonde, à l'image du projet ambitieux qui prenait forme en ces lieux. Des échafaudages s'élevaient contre les façades comme autant de squelettes éphémères. Le chant des pioches et des marteaux s'était tu, remplacé par un silence lourd de déférence mêlée d'appréhension.
Wacław s'arrêta au pied du grand portail, où un maître charpentier dirigeait l'installation de nouvelles portes en chêne massif. Ce dernier, un homme trapu aux bras noueux comme des branches de vieux chêne, essuya la sueur de son front et s'inclina légèrement.
Seigneur Kowalczyk, murmura-t-il, la voix emplie d'un respect teinté d'inquiétude. Nous ne vous attendions pas si tôt.
Le regard gris acier de Wacław balaya l'ensemble du chantier avant de se poser sur l'artisan.
Le jour n'attend pas l'homme, et l'homme sage n'attend pas le jour, répondit-il d'une voix grave aux inflexions étrangères qui trahissaient ses origines osterlioises. Montrez-moi vos travaux.
Le maître charpentier s'empressa d'obtempérer, guidant l'ancien Strolatz à travers le dédale du chantier. À leur passage, les ouvriers s'écartaient respectueusement, certains inclinant la tête, d'autres se signant discrètement. La balafre qui barrait la joue gauche de Wacław semblait s'accentuer dans la lumière matinale, rappel silencieux des batailles qu'il avait traversées.
Ils passèrent sous une arche de pierre blanche, vestige de l'architecture originelle du monastère. Au-delà s'étendaient les jardins en terrasses que des dizaines d'hommes transformaient en zones d'entraînement. Des pavés étaient disposés selon un motif précis, formant ce qui deviendrait bientôt une cour d'exercice.
« Ici, nous aplanissons le terrain pour les futurs exercices d'escrime, » expliqua le charpentier avec un enthousiasme grandissant, enhardi par le silence attentif de son interlocuteur. « Et là-bas, nous avons prévu une aire pour le maniement de la lance et les formations en—»
Non, l'interrompit Wacław, son ton ferme mais pas discourtois. L'aire d'entraînement à l'épée doit faire face à l'est. Un paladin qui s'exerce à l'aube ne doit pas avoir le soleil dans les yeux.
Le charpentier pâlit, prenant conscience de l'erreur. Mais, Seigneur, les plans ont été approuvés par—
Par des hommes qui n'ont jamais tenu une épée en situation de combat réel, compléta Wacław sans élever la voix. Il se tourna vers les ouvriers qui avaient cessé leur travail pour écouter. Reprenez les pavés. Orientez la cour vers l'est, avec une légère pente pour l'évacuation des eaux de pluie. Un guerrier ne doit pas glisser pendant l'entraînement — cela pourrait signifier sa mort sur un vrai champ de bataille.
Les hommes se regardèrent, incertains, jusqu'à ce que le maître charpentier hoche la tête. « Faites comme il dit, » ordonna-t-il, et aussitôt l'activité reprit avec une vigueur renouvelée.
Wacław poursuivit sa visite, s'arrêtant devant chaque élément du chantier, suggérant ici un renforcement des fondations, là une modification de l'angle d'une meurtrière. Sa connaissance précise de l'architecture militaire impressionnait visiblement les artisans, qui notaient scrupuleusement ses observations dans de petits carnets en cuir usé.
Lorsqu'ils atteignirent le cloître, un espace de sérénité au cœur de l'agitation du chantier, ils croisèrent un groupe de moines qui s'empressèrent de s'écarter du chemin de l'ancien Strolatz. L'un d'eux, plus âgé que les autres, mit plus de temps à se déplacer, s'appuyant lourdement sur un bâton noueux.
Wacław s'arrêta et s'inclina profondément devant le vieil homme, dans un geste qui surprit tous les présents.
Frère, dit-il avec une douceur inattendue, vos prières sont la véritable fondation de ce lieu. Sans elles, nous ne bâtirions que des pierres sans âme.
Le moine leva des yeux hésitants vers le guerrier. Vous parlez comme un homme qui connaît la valeur de la prière, messire, répondit-il d'une voix chevrotante.
Je l'ai apprise à mes dépens, acquiesça sobrement Wacław. Chaque cicatrice sur ma peau est une leçon que j'aurais pu éviter par la sagesse plutôt que par l'épée.
Cette confession inattendue sembla apaiser quelque peu la crainte du vieux moine, qui hocha la tête avec compréhension avant de reprendre son chemin. Les autres religieux, cependant, continuaient de regarder l'ancien Strolatz avec méfiance, se chuchotant des mots à l'oreille dès qu'il s'éloignait.
La visite se poursuivit jusqu'aux anciennes cellules des moines, désormais en cours de transformation pour accueillir les futurs apprentis paladins. Wacław examina minutieusement les travaux, s'arrêtant particulièrement sur les systèmes de fermeture des portes.
Ces verrous sont trop complexes, remarqua-t-il en manipulant l'un d'eux. En cas d'attaque nocturne, un jeune paladin endormi perdrait de précieuses secondes à les ouvrir. Simplifiez-les.
Un jeune ouvrier, enhardi peut-être par l'enthousiasme de la jeunesse, osa une question : Mais, Seigneur, une cellule doit pouvoir se verrouiller pour la sécurité et la discipline, n'est-ce pas ?
Wacław posa son regard perçant sur le jeune homme, qui sembla aussitôt regretter sa témérité. Pourtant, contre toute attente, les lèvres de l'ancien Strolatz s'étirèrent en un sourire ténu.
La discipline d'un paladin ne réside pas dans les verrous de sa porte, mais dans la trempe de son âme, répondit-il. Et quant à la sécurité... Il tapota la garde de son épée. Un vrai paladin doit être capable de défendre sa vie et celle des autres à tout moment. Un verrou ne fera que lui donner un faux sentiment de sécurité.
Le jeune ouvrier hocha la tête, visiblement impressionné par cette leçon inattendue. Autour d'eux, d'autres travailleurs avaient cessé leur labeur pour écouter, absorbant chaque parole de l'ancien maître d'armes comme une précieuse goutte de sagesse.
À mesure que la matinée avançait, la présence de Wacław semblait de moins en moins intimidante pour les ouvriers. L'admiration remplaçait progressivement la crainte, surtout lorsqu'il se joignit spontanément à une équipe qui peinait à soulever une poutre massive. Malgré sa claudication, sa force restait considérable, et ce geste simple de solidarité fit plus pour gagner le respect des hommes que tous ses conseils techniques.
Vers midi, alors que le soleil atteignait son zénith, Wacław et le maître charpentier parvinrent à la chapelle du monastère. Contrairement au reste du complexe, celle-ci n'avait subi que peu de modifications, préservant son austère beauté. La lumière filtrait à travers d'étroites fenêtres, dessinant sur le sol de pierre des motifs lumineux semblables à des lames d'or.
Wacław s'avança jusqu'à l'autel et s'agenouilla, indifférent aux regards curieux qui le suivaient. Il demeura ainsi en prière pendant de longues minutes, immobile comme une statue de marbre noir dans son armure sombre. Lorsqu'il se releva enfin, ce fut pour se diriger vers un coin particulier de la chapelle, où un tailleur de pierre travaillait sur un bas-relief.
Que représentez-vous ici ? demanda-t-il à l'artisan.
Une scène de bataille, Seigneur, répondit ce dernier avec fierté. Les futurs paladins auront besoin d'inspiration pour leurs exploits guerriers.
Wacław examina attentivement le travail en cours, passant ses doigts calleux sur la pierre sculptée avec délicatesse.
C'est un bel ouvrage, admit-il. Mais à côté de cette bataille, je vous suggère de sculpter une scène de miséricorde. Un guerrier qui épargne un ennemi, ou qui protège les innocents.
Le tailleur de pierre fronça les sourcils, perplexe. Mais, Seigneur Kowalczyk, n'est-ce pas contradictoire avec la formation de guerriers ?
Wacław secoua lentement la tête. Un paladin n'est pas qu'un guerrier. Il est d'abord un serviteur de la lumière. Sa plus grande victoire n'est pas de vaincre son ennemi, mais de le ramener vers le Tout-Puissant. L'épée n'est que le dernier recours quand la parole et l'exemple ont échoué.
Ces mots résonnèrent dans la chapelle silencieuse, empreints d'une autorité qui ne venait pas seulement de l'expérience militaire, mais d'une profonde réflexion spirituelle. Le tailleur de pierre s'inclina, acceptant la suggestion comme une révélation.
En quittant la chapelle, Wacław fut accueilli par la Siostry Vespasia elle-même, venue elle aussi observer l'avancement des travaux. Son visage austère s'adoucit légèrement à la vue de l'ancien Strolatz.
J'ai entendu dire que vous apportiez des modifications à nos plans, messire Kowalczyk, dit-elle d'un ton qui ne trahissait ni approbation ni reproche.
Wacław s'inclina respectueusement. Uniquement là où la pratique doit informer la théorie, Siostry. Ce chantier sera la pépinière de notre ordre. Chaque détail compte.
Elle l'observa un moment, jaugeant peut-être encore une fois la mesure de cet homme énigmatique qui avait traversé des frontières et brisé des traditions pour venir soutenir leur cause.
Montrez-moi ces modifications, dit-elle finalement. Je veux comprendre votre vision dans ses moindres détails.
À l'ombre d'un tilleul centenaire dont les feuilles dispensaient une fraîcheur bienvenue en ce midi ardent, la Siostry Vespasia s'arrêta. Son profil aquilin se détacha sur le ciel d'un bleu limpide tandis qu'elle contemplait les silhouettes affairées des ouvriers au loin. Un silence contemplatif s'installa entre eux, rompu seulement par le chant métallique des marteaux sur la pierre.
Je reviens du Sudord, en Osterlich, annonça-t-elle soudain, sa voix posée tranchant le silence comme une lame fine. J'ai eu l'occasion d'y rencontrer le Généralissime Heidrich Von Stuffen.
Le nom résonna dans l'air comme un coup de tonnerre lointain. Pourtant, sur le visage balafré de Wacław, pas un muscle ne tressaillit. Ses yeux d'acier demeurèrent fixés sur l'horizon, aussi impassibles que les pics montagneux qui délimitaient le domaine d'Hébron. Seule une légère crispation de ses doigts sur le pommeau de son épée aurait pu trahir un quelconque trouble intérieur, mais ce geste fut si fugace que même le regard perçant de la Siostry ne put le déceler avec certitude.
Elle l'observa un instant, scrutant ce masque impénétrable qu'il opposait au monde, avant de poursuivre comme si elle n'avait jamais espéré autre chose que ce silence imperturbable.
Je souhaite que vous continuiez à suivre ce chantier, messire Kowalczyk, déclara-t-elle, balayant d'un geste ample l'étendue des travaux qui s'étalaient devant eux. Elle leva les yeux vers le ciel, comme pour chercher l'approbation divine, puis se signa avec une dévotion tranquille. Par la grâce du Tout-Puissant, je ne veux pas simplement un lieu d'entraînement, mais une commanderie digne de ce nom. L'Unique nous observe et guide nos mains dans cette œuvre. Ce sera un endroit qui inspirera autant de respect que de crainte, qui sera le symbole de ce nouvel ordre que nous bâtissons. Un phare de la foi podeszwite qui brillera jusqu'aux confins des terres connues, portant la lumière du Très-Haut dans les ténèbres de ce monde troublé.
Wacław inclina légèrement la tête, acceptant cette mission sans emphase superflue. Ce sera fait, Siostry, répondit-il simplement, sa voix grave portant le poids d'une promesse solennelle.
La religieuse contempla un instant les collines environnantes, comme si elle y distinguait déjà les contours d'un avenir que lui seul pouvait percevoir. Le vent printanier jouait dans les plis de sa robe sombre, conférant à sa silhouette austère une grâce inattendue.
Ce n'est qu'un commencement, messire Kowalczyk, reprit-elle. Ses yeux, clairs comme l'eau d'un torrent de montagne, se posèrent sur lui avec une intensité nouvelle. D'autres commanderies, d'autres académies vont s'élever à travers le royaume d'Okord. Des semences de notre foi, plantées dans chaque province, chaque comté où vivent nos frères podeszwites, qui auront besoin d'être cultivées avec la même rigueur qu'ici.
Un battement d'ailes les fit lever les yeux vers le ciel où un corbeau décrivait des cercles paresseux. Wacław suivit son vol un instant, comme s'il y déchiffrait un présage.
L'Unique a placé sur notre route un homme qui connaît les voies du guerrier et celles de l'âme, poursuivit-elle avec une ferveur contenue. Je vous demande de veiller sur ces futures installations, de tisser un réseau au sein de notre royaume. D'être la main qui guide et l'épée qui protège.
Elle fit quelques pas, s'approchant d'un apprenti tailleur de pierre qui s'escrimait sur un bloc de marbre. D'un geste délicat, elle effleura la surface à demi ciselée avant de se tourner à nouveau vers l'ancien Strolatz.
Chaque Podeszwite d'Okord qui élèvera son cœur vers cet idéal, qui voudra former des paladins dans nos terres, devra pouvoir compter sur votre sagesse, sur votre expérience. Sa voix s'adoucit, presque jusqu'au murmure. Notre royaume a besoin de défenseurs qui ne soient pas seulement forts par l'épée, mais également par l'esprit. Des hommes et des femmes qui porteront notre foi comme un étendard, même dans les contrées les plus reculées d'Okord.
Elle s'éloigna de quelques pas, observant le va-et-vient des ouvriers qui s'affairaient autour des échafaudages tels des abeilles autour de leur ruche. Puis, se tournant vers Wacław avec une détermination renouvelée, elle ajouta :
Entendez-moi bien, messire. Toutes les grandes maisons Podeszwites du royaume, toutes sans exception pourront requérir vos services. Lorsqu'une maison, qu'elle soit humble ou puissante, vous fera appel pour former ses fils, vous devrez répondre présent. Je ne veux pas que cet ordre soit l'apanage de quelques familles ou d'un seul domaine. La lumière de Podeszwa doit briller partout avec la même intensité. Cet ordre est le fruit d'une réflexion commune avec les autres Podeszwites Okordiens.
Elle leva un doigt vers le ciel, comme pour prendre le Tout-Puissant à témoin de ses paroles.
Il ne s'agit pas uniquement de bâtir des forteresses de pierre, mais une forteresse de cœurs et d'esprits unis dans la même foi, la même discipline. Formez-les tous, messire Kowalczyk, sans distinction de rang ou de richesse. Formez-les pour qu'ils deviennent des remparts inébranlables contre les ténèbres de ce monde.
Un silence s'installa entre eux, uniquement troublé par le battement d'ailes du corbeau qui s'éloignait vers l'horizon. Dans ce silence lourd de responsabilités et d'attentes, la révérence que Wacław adressa à la Siostry fut plus éloquente que tous les serments.
Le soleil, à présent haut dans le ciel, nimba d'or la chevelure poivre et sel de Wacław. Son visage marqué demeura impassible, mais quelque chose brilla dans son regard — une étincelle fugace, aussitôt maîtrisée, qui aurait pu être de la fierté, de l'appréhension ou peut-être simplement la reconnaissance silencieuse d'un homme qui, après des années d'errance, trouvait enfin une cause à la mesure de ses talents et de sa foi.
Droga jest dluga - la route sera longue, Siostry, dit-il enfin. Les traditions ne se construisent pas en un jour, ni les hommes qui les portent.
L'Unique nous accordera le temps nécessaire, répondit-elle avec une conviction tranquille.
Et si certains s'opposent à nous ? La question planait entre eux comme l'ombre du corbeau sur la pierre claire du monastère.
Les lèvres de la Siostry s'étirèrent en un sourire presque imperceptible. Alors vous leur enseignerez que la foi podeszwite forge des guerriers aussi redoutables qu'elle crée des marchands habiles.
Ils repartirent ensemble vers le cœur du chantier, suivis par les regards désormais empreints de respect des ouvriers et des moines. Le soleil illuminait pleinement l'ancien monastère, nimbant les pierres séculaires d'une aura dorée. Dans cette lumière révélatrice, on pouvait presque apercevoir, au-delà des échafaudages et de la poussière, les contours de ce que deviendrait ce lieu : non pas simplement une académie militaire, mais le berceau d'un nouvel idéal, où la force et la spiritualité ne seraient plus des voies distinctes, mais les deux faces indissociables d'une même vocation.
Dernière modification par HernfeltMayer (2025-03-14 15:44:41)
Siostry Vespasia et toute sa clique, Aldric "Main-de-Sixte" Ravenswood, Amaury de Gavere, Le Denier, Maître Balthazar ou le Strolatz Wacław Kowalczyk.
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