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#1 2025-02-11 03:27:14

Ekiattar
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Récits d'Attignat

Récits D'Attignat
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Thibaud D’Attignat, récemment adoubé à l'âge inhabituel de 55 ans, arriva enfin sur les terres que le roi lui avait confié. Homme pieux, aimable et peu querelleur, il avait accepté avec humilité cette mission sacrée : ériger, au sein de la nature indomptée, une cité qui serait un flambeau de justice et de prospérité. À ses côtés, quelques colons désireux de devenir florissants, des artisans portant en eux l’espoir de reconstruire, et des soldats veillant sur ce fragile rêve. Ils posent enfin le pied sur ce sol fertile, baigné par la chaleur bienveillante du début du printemps.

Thibaud n’avait pas toujours été destiné à cette charge. Issu d’une vieille lignée de chevaliers modestes, il avait longtemps vécu dans l’ombre de ses frères d’armes plus jeunes et plus ambitieux. Jeune, il servit comme écuyer auprès d’un seigneur sévère, apprenant la rigueur du combat et la discipline des champs de bataille. Mais jamais il ne fut un guerrier par nature. Son âme aspirait davantage à la contemplation et à la justice qu’à la fureur des affrontements.

Durant les longues décennies de sa vie, il fut administrateur, conseiller, intendant des domaines de nobles plus puissants. Sa parole était écoutée pour sa sagesse, et sa droiture lui valut le respect des paysans comme des chevaliers. Pourtant, ce n’est qu’à l’approche du crépuscule de son existence qu’il reçut enfin l’honneur de l’adoubement. Peut-être était-ce une récompense pour ses années de loyauté, ou une nécessité face à des terres inoccupées qu’il fallait organiser. Quoi qu’il en fût, il accepta sa mission avec la ferveur d’un homme qui trouvait enfin son véritable destin.

Le voyage fut rude. La forêt, gigantesque et séculaire, se refermait sur eux comme un monstre immobile. Les montagnes opposèrent leurs crêtes aux chariots gémissants sous le poids des vivres et des matériaux. Un éboulement les surprit sur un sentier escarpé, manquant d’emporter plusieurs d’entre eux dans le gouffre qui s’ouvrait en contrebas. Plus loin, une rivière en crue les força à attendre plusieurs jours avant de pouvoir la traverser en sécurité, ce qui mit leur patience à rude épreuve. Grâce à sa foi et à ses paroles réconfortantes, le chevalier parvint à apaiser les esprits et maintenir l’ordre au sein de la troupe.

Thibaud mit pied à terre, et dans ce geste simple résonnait toute la gravité de l’instant.

« Mes amis, dit-il d’une voix pleine et grave, voici notre terre. C’est ici que s’élèvera notre cité, ici que s’écrira notre destin. Que le Très-Haut nous bénisse et nous guide ! »

Alors, l’homme s’ébranla. Les forgerons établirent leur feu, les menuisiers dressèrent les premières structures, les paysans arpentèrent la plaine, cherchant le meilleur terreau pour les semences. Certains hommes s’attelèrent à creuser un puits tandis que d’autres commencent à ériger une palissade pour protéger le campement.

La première nuit dans cette nouvelle contrée est marquée par une veillée où tous partagent du pain et du vin en guise de célébration. Thibaud veille tard, s’assurant que les familles soient bien installées et que la garde de nuit est en place. Il discute avec le capitaine des soldats des prochaines étapes : cartographier la région, identifier les potentielles menaces et préparer un sanctuaire pour rendre grâce à Dieu.

Le lendemain, les travaux s’intensifièrent. Sous les gestes répétés des bâtisseurs, la cité prenait corps, émergeant peu à peu de l’état de rêve. Chaque matin, Thibaud marchait parmi les siens, partageant leurs efforts, écoutant leurs doléances, soignant leurs blessures. Lorsqu’un chariot s’effondra sous le poids d’un tronc massif, il fut le premier à tendre l’épaule, à soulever la charge avec eux, car le chef devait être à la fois guide et frère.

Les jours s’écoulaient, et la cité grandissait. Elle naissait de la pierre et du bois, certes, mais aussi de la foi et de la volonté. Et si l’avenir demeurait incertain, si mille périls guettaient encore ce havre en devenir, Thibaud savait une chose : tant que ses hommes et ses femmes porteraient en eux la lumière de l’espoir, nul ennemi ne pourrait l’éteindre.

Mais la cité ne pouvait survivre seule. Thibaud le savait : il lui fallait un suzerain, un seigneur puissant sous la bannière duquel son domaine prospérerait. Sans cela, les ambitions d’autrui, les pillards, ou même les rivalités seigneuriales finiraient par écraser ce qui a été entrepris. Après une prière à l’aube, il rassembla ses chevaliers et quelques messagers. Il fallait trouver un protecteur, un seigneur dont la puissance garantirait la paix et la stabilité.

Les émissaires partirent vers les fiefs voisins, traversant champs et rivières, franchissant cols et villages. Certains barons étaient réputés justes, d’autres belliqueux, d’autres encore opportunistes. À qui se rallier ? Quelle loyauté offrir en échange d’une protection ? Thibaud se doutait que ces choix pèseraient sur l’avenir de sa cité, que la chaîne vassalique était autant un bouclier qu’un carcan.

Les jours passaient, et dans l’attente d’une réponse, Thibaud préparait son peuple. La cité continuait de croître, les tours de guet s’élevaient, les greniers se remplissaient. Mais l’ombre d’une décision capitale planait sur lui. Quelle main tendrait la sienne pour sceller le destin de son œuvre ?

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#2 2025-02-19 01:17:53

Thibaud D'Attignat
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Re : Récits d'Attignat

Après de longs mois d’efforts et de labeur, les terres que Thibaud D’Attignat avait reçu s’étaient agrandies bien au-delà de leurs frontières initiales. Au Nord par delà les montagnes, le domaine d’un seigneur voisin, laissé à l’abandon, était lentement tombé en ruine. Depuis deux ans, ce seigneur négligeait son peuple, désertant son rôle et laissant ses sujets livrés à eux-mêmes. Loin de s’opposer à Thibaud, les paysans et artisans de ces terres désolées virent en lui un protecteur providentiel.

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Au fil des semaines, ce fut sans bataille ni effusion de sang que Thibaud incorpora ces terres délaissées à son domaine. Il y envoya des intendants, remit en culture les champs, rétablit la garde et assura la protection de ces nouvelles âmes sous sa bannière. La cité d’Attignat, en expansion, profita grandement de cet afflux de nouveaux habitants, et le commerce en fut revigoré. Accueilli avec ferveur par ses gens, il comprit que cette élévation n’était pas une fin en soi, mais le commencement d’un nouveau devoir. Une Baronnie exigeait encore plus de vigilance et de sagesse. Il regarda sa cité, son œuvre, et sut qu’il lui faudrait redoubler d’efforts pour être à la hauteur de ce titre nouvellement acquis.

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#3 2025-04-04 11:25:20

Thibaud D'Attignat
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Re : Récits d'Attignat

Deux années s’étaient écoulées depuis l’installation de Thibaud d’Attignat et de son peuple sur ces terres. Le domaine s'était davantage étendu, s’emparant des montagnes environnantes ainsi que des plaines, collines et bras d'eaux qui les bordaient. Ce développement avait renforcé son influence, faisant de lui une figure respectée au sein du Royaume d’Okord, accédant au titre de Marquis.

Mais si l’on vantait les succès politiques en ce début de l'an IV de l'ère 25, ce fut un incident plus trivial qui fit grand bruit en Attignat. Lors d’un banquet familial, un malheureux serviteur, empressé de remplir les coupes, trébucha contre un tapis mal ajusté et projeta le contenu entier d’une carafe de vin sur les genoux du baron. Un silence stupéfait s’abattit sur la salle. Le coupable, livide, s’attendait déjà à une sanction sévère. Mais au lieu de se fâcher, Thibaud observa son pourpoint gorgé de vin, poussa un soupir, puis déclara, d’un ton résigné : « Voilà donc le destin des étoffes trop raffinées : elles attirent toujours le meilleur des crus. »

L’assemblée éclata de rire, et l’incident, au lieu de se transformer en disgrâce, devint une anecdote prisée dans tout le domaine. Pendant des semaines, on railla gentiment le pauvre serviteur, et l’on rapporta jusqu’aux chaumières que le baron d’Attignat portait désormais des couleurs "de grand millésime".

Alors que le domaine prospérait, que le Roi Ferdinand entreprit une réforme d’envergure : la création d’un parlement destiné à mieux séparer les pouvoirs du royaume. Sensible à cette évolution politique, Thibaud se porta volontaire pour représenter la chaîne vassalique de de La Nouë, son suzerain, et ainsi siéger parmi les parlementaires.

Lorsqu’il fallut élire un prévôt, un seul candidat s’était initialement déclaré : le seigneur Édouard Khil, un homme d’expérience, mais rattaché directement à la chaîne vassalique du roi. Bien qu'il s'était présenté en absence de candidats, cette situation souleva des protestations, notamment de la part du marquis Aldric Ravenswood, qui estima que ce choix ne refléterait pas l’équilibre des pouvoirs voulu par la réforme. Encouragé par les paroles du marquis, Thibaud sentit qu’un devoir s’imposait à lui. Lors des débats, il prit la parole et annonça sa propre candidature, citant les arguments du marquis et défendant l’idée d’une meilleure répartition des responsabilités entre les grandes maisons du royaume. Evoquant également le désir de voir une maison plus ancienne et puissante à cette tâche.

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Ce fut un moment de silence. Un instant où chaque regard se posa sur lui. Seul, Aldric Ravenswood applaudit, brisant l’hésitation générale et marquant le début d’un nouveau tournant politique. L’assemblée sembla basculer en faveur de Thibaud. Bien que le vote ne fût pas encore officiel, les tendances étaient claires.

Mais derrière cette apparente assurance, Thibaud d’Attignat n’était pas sans crainte. La charge de prévôt était lourde, bien au-delà de ce qu’il pouvait encore mesurer. Il n’était arrivé en Okord qu’il y a deux ans, un étranger venu d’Osterlich, et pourtant, il se retrouvait au seuil d’une responsabilité qui le dépassait. Dans l’ombre des grands seigneurs, il se demandait s’il serait réellement à la hauteur du rôle qu’on s’apprêtait à lui confier.

Dernière modification par Ekiattar (2025-04-04 11:25:38)

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#4 2025-04-23 03:28:22

Thibaud D'Attignat
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Re : Récits d'Attignat

Quelques jours seulement après les agitations du parlement, alors que Thibaud d’Attignat semblait bien parti pour être nommé prévôt du Royaume, une nouvelle tomba, inattendue et brutale, le roi Joseph abdiqua. Personne ne s’y attendait. Dans cette ambiance troublée, le marquis Thibaud préféra retourner calmement sur ses terres. Il n’avait pas encore été officiellement désigné prévôt.

De retour chez lui, il reprit ses habitudes avec entrain. Car s’il prenait son rôle à cœur, il restait un homme joyeux, qui aimait les repas chaleureux, les plaisanteries et les longues soirées au coin du feu. Il riait facilement, même quand les sujets étaient sérieux, comme s’il pensait que l’humour aidait à supporter les responsabilités. La grande salle, récemment construite, accueillit de nouveau les doléances. L’odeur de pierre fraîche et de bois neuf se mêlait à celle des herbes brûlées dans les coins de la pièce. Les tapisseries, encore jeunes, n’avaient pas d’histoire à raconter, mais leurs couleurs dansaient sous les flammes et donnaient de la vie à la salle.

Les doléances du jour étaient plutôt simples. Un vigneron accusait son voisin d’avoir ensorcelé ses barriques, sûrement plus à cause de quelques excès de dégustation que de magie. Une fermière râlait contre les oies de son voisin, et un marchand de tissus se plaignait des chats qui abîmaient ses étoffes. Thibaud riait avec eux, lançait quelques plaisanteries, tout en veillant à ce que la justice soit respectée. Il aimait ces moments, car c’est ce qui faisait vivre le domaine. C’est aussi dans cette ambiance tranquille qu’il lança un projet plus ambitieux. Construire la grande Katadra. Un monument sacré dédié à la foi de Podeszwa, qui montrerait la piété du domaine.

d'Attignat, originaire d’Osterlich, avait visité de nombreux lieux religieux tout au long de sa vie. Il avait prié dans de vieilles églises, dormi dans des sanctuaires reculés, et admiré les rosaces colorées de l’Est. Il savait ce qu’il voulait et ce qu’il ne voulait pas. Les architectes étaient appelés un par un, parfois même très tôt pour présenter leurs idées, leurs dessins, leurs calculs. Le marquis était exceptionnellement exigeant. Il voulait que la lumière du matin traverse la nef, comme une sorte de bénédiction. Mais ce qui posait le plus de problème, c’était la hauteur du bâtiment. Il devait être 3 mètres plus haut que la plus grande Katadra du Royaume. Installée au bord de la falaise, au Sud-Est de Saint-Piotr-sur-Mer, il la voulait visible de loin, comme un phare brillant, un joyau que tous les bateaux remontant le Fleuve remarqueraient. Et pour finir, il avait demandé qu’on y ajoute des dorures, pour qu’elle scintille comme la mer sous le soleil. Qu’elle brille de tout son éclat, aussi bien sur les eaux que sur les terres alentours.

Pendant qu’on posait les premières pierres, d’autres, sans le vouloir, faisaient naître un petit miracle. Giraud, l’éleveur de vaches, confia un matin la traite à son apprenti. L’adolescent, bien trop pressé de retourner courtiser la jeune femme qui lavait les linges, en contrebas de la colline où serpente la rivière, eut l'idée de ne pas traire entièrement les bêtes afin de gagner du temps. Ce n’est qu’en milieu d’après-midi que l'éleveur s’en rendit compte. On retourna donc aux champs afin de traire une seconde fois. Le lait obtenu se trouvait être plus riche et donna naissance à un fromage nouveau. On l’appela le Rebelotte, car il avait fallu y retourner avec un soupçon d’agacement, et beaucoup de rires.

Thibaud en goûta lui-même un morceau, lors d’un souper. Il rit de bon cœur, leva sa coupe et déclara que « c’est parfois dans l’erreur qu’on trouve les meilleures idées ».

Malgré cette chaleur de vivre, Thibaud n’était pas dupe. L’accession au trône de Nuada, ce vassal puissant et respecté de feu le roi Joseph, bouleversait les équilibres. Thibaud le savait commerçant honnête, capable, mais désormais roi. Serait-il aussi juste ? Aussi ferme ? Les anciens ennemis de la couronne, étouffés sous le règne de Joseph le Juste, pourraient bien revoir leurs ambitions à la hausse.

En regardant les collines depuis le balcon de sa demeure. Il resta là un long moment, mains dans le dos, à méditer. Car derrière ses rires, son cœur demeurait aux aguets. Gouverner, pour lui, c’était veiller sans relâche. Avec le sourire, certes, mais les yeux ouverts.

Dernière modification par Ekiattar (2025-04-23 03:40:34)

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