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#1 2025-02-07 12:55:11

Cantacogorda
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Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

"Tu es le fils de personne et d'une putain".
Voilà ce que m'a dit celui que je croyais être mon père, avant de me mettre à la porte de sa demeure.

Il a craché sur le sol avant de poursuivre, ivre de colère et de mauvais calvok.
"Elle-même, c'était la fille de personne et d'une putain. J'ignore dans quel cloaque elle est allée pour te concevoir, tout comme j'ignore quels sortilèges elle a utilisé jadis pour me manipuler afin que je la prenne sous mon toit et dans ma couche. Mais peu m'importe. Demain, tu ne seras plus là pour salir mon honneur de ta présence."

Impassible, sa seconde épouse m'observait, en serrant dans ses bras ce mouflet joufflu, cause de ma déchéance. Pourquoi s'encombrer d'un fils issu d'une union avec une lignée éteinte, quand on peut avoir pour héritier le fruit d'un mariage glorieux et profitable, avec l'aînée d'une famille riche de la vieille noblesse d'Okord ?

J'ai baissé la tête pour cacher ma honte, ma colère et mes larmes, et je suis parti en silence.

Jamais plus. Je le juge par Rituath et tout ce qu'il y a de plus sacré, jamais plus je n'accepterai que l'on m'insulte ou que l'on m'humilie. Plus tard, d'autres m'ont craché au visage ou traité de bâtard. Je me suis expliqué avec eux l'épée à la main, ils n'ont pas vu le soleil se lever à nouveau.

Mais ce n'est pas moi qui ai tué celui que je croyais être mon père, une mauvaise fièvre s'en est chargée trois ans plus tard, par un hiver particulièrement cruel. Peut-être était-il bien mon père, et les dieux n'aiment pas que l'on tue son géniteur.

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#2 2025-02-17 00:08:38

Cantacogorda
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Re : Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

Quand on me jeta sur les routes, je me promis d'abord de leur montrer, à tous, à tous ceux que j'avais considéré comme ma famille, à quel point ils avaient eu tort de me chasser. Comme ils regretteraient de s'être privés de mon talent ! Je deviendrais chevalier, je remporterais de nombreuses batailles et triompherais aux meilleurs tournois. Mieux, je deviendrais un grand seigneur d'Okord, je trouverais un lopin de terre où m'établir, le ferais fructifier, en agrandirais les frontières jusqu'à en faire un immense domaine. Je me voyais déjà siégeant dans la salle du trône, aux côtés des plus grands qui me considèreraient comme leur égal.

Perdu dans mes rêveries de gloire et de grandeur, je fus rappelé brutalement à la réalité par mon estomac criant famine. Je réalisai que j'avais déjà tout consommé des maigres provisions que m'avaient données un serviteur compatissant, et qu'il me faudrait idéalement trouver un abri pour passer la nuit. Répugnant à quémander un toit, j'envisageais un instant de dormir à la belle étoile, mais un petit vent glacial me fit considérer cette option avec répugnance. Si seulement j'avais pensé à prendre une bonne couverture ! Ne sachant que faire, je continuais à chevaucher vers l'Est, suivant la principale route qui me permettrait de quitter au plus vite les terres de celui que je croyais être mon père. Je n'avais que rarement quitté sa demeure, à chaque fois pour rendre visite avec lui à l'un de ses parents éloignés ou à ses amis. Ils ne tarderaient pas à apprendre ma disgrâce, et je doutais que je fusse désormais bienvenu chez aucun d'eux.

Après avoir traversé une mosaïque de champs, la route me mena à un paysage plus sauvage de collines boisées où je ne reconnaissais plus rien de familier. De route pavée elle était devenue chemin de terre, et cela faisait plusieurs heures que je n'avais croisé personne. J'arrivai à une intersection : le chemin de gauche allait se perdre dans un bois dense et sombre, tandis que celui de droite semblait mener à un village que je distinguais à l'horizon. J'envisageai de m'y rendre pour y trouver un toit avant la nuit, lorsque mon regard fut attiré par le tronc d'un chêne un peu plus loin. Un ours y avait laissé de profondes marques de griffes, qui semblaient indiquer le chemin de gauche et le bois en contrebas. Peut-être était-ce un signe de Rituath ? Je renonçai donc au village, espérant je ne sais quel miracle de l'autre sentier.

Je ne tardai pas à regretter cette décision : en s'enfonçant dans le bois, le chemin était de plus en plus envahi de végétation, et ma monture peinait à avancer. Par ailleurs, la lumière du soleil déclinait peu à peu, et je craignis que la nuit me surprît dans le bois, loin de toute habitation. Par orgueil je me refusais à revenir sur mon choix et à faire demi-tour. Il était de toute façon déjà trop tard pour atteindre le village avant la nuit. Ce n'est qu'aux dernières lueurs du crépuscule que j'atteignis enfin l'orée du bois.

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#3 2025-02-24 19:46:08

Cantacogorda
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Re : Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

Malgré l'obscurité, je discernai des champs de toute évidence cultivés, des prés qui pouvaient servir de pâtures. Un peu plus loin une vaste bâtisse à demi en ruine. J'hésitai un instant, pourrais-je supporter un refus après avoir été chassé de chez moi le matin même ? L'humidité de l'air commençait à imprégner tous mes vêtements, j'avais faim. Je frappai à la porte.

La porte s'ouvrit, révélant un homme rougeaud dont les petits yeux me dévisageaient avec méfiance sous des sourcils broussailleux. Derrière lui, une femme replète, probablement son épouse, me fixait avec le même air soupçonneux. Je distinguais plusieurs silhouettes à l'intérieur autour d'une grande table rustique. Des senteurs de volaille au thym arrivèrent à mes narines. Par les dieux, que j'avais faim !

"Que Botia bénisse votre demeure ! Je cherche simplement un repas et un toit pour la nuit."

L'homme me scruta des pieds à la tête, s'attardant un instant sur l'épée ma ceinture. Il échangea quelques mots avec sa femme, que je ne pus entendre, avant de se tourner à nouveau vers moi :
"Les temps sont durs, ce ne sera pas gratuit".

Réprimant une grimace, je sortis quelques pièces de ma bourse.
"Ce n'est pas suffisant" dit la femme.

La colère commença a m'envahir. J'avais proposé largement de quoi m'offrir un bon repas dans une excellente auberge. De quel droit ces paysans osaient-il m'extorquer davantage ? Ils étaient trop nombreux cependant pour que je me risque à recourir à la violence. A contrecoeur, j'ajoutais encore quelques pièces. Le couple finit par acquiescer.
"Je vais vous montrer l'étable, votre cheval pourra dormir parmi nos bêtes. Et vous n'aurez pas froid. Mon fils vous apportera de quoi vous rassasier."

L'étable était chaude, la paille presque accueillante. Je dessellai mon cheval et attendis ce qui me sembla une éternité. Épuisé par la journée, j'allais tomber de sommeil quand un jeune homme m'apporta sans un mot un bol de mauvais bouillon et un morceau de pain presque rassis. Je réalisai que j'avais si faim que j'aurais mangé n'importe quoi, et cela accrut encore mon sentiment d'humiliation. La fatigue reprit cependant le dessus sur mes pensées noires, je m'endormis rapidement.

Réveillé par les premiers rayons du soleil, je repartis sans revoir mes hôtes. Le chemin par lequel j'étais arrivé se poursuivait à travers bosquets et friches. Il eut été plus raisonnable de demander où il menait mais je préférai laisser au plus vite derrière moi cette désagréable sensation d'avoir été roulé par des paysans. Ma bourse était quasiment vide, comment allais-je payer mon prochain repas ? J'avais pris mon arc, peut-être me faudrait-il chasser en priant Arduinna qu'elle me donne bonne fortune ? Mais chasser me prendrait une bonne partie de la journée, et il me faudrait retrouver un autre abri dès le soir. Je décidais de poursuivre ma route, ne sachant trop ce que j'espérais trouver.

Dernière modification par Cantacogorda (2025-02-24 19:47:22)

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#4 2025-02-25 16:23:21

Cantacogorda
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Re : Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

Je sus assez vite où menait le chemin. Nulle part. Ou plutôt jusqu'aux rives d'un lac aux rives incertaines et boueuses. Une barque était attachée à un vieux saule, mais il m'était inconcevable d'abandonner mon cheval pour tenter la traversée du lac. Je n'avais désormais plus que lui pour seul compagnon. Cannelle, son nom évoquait bien sûr sa robe aux tons si chauds, et les douces pâtisseries que je chapardais aux cuisines dans ce qui me semblait déjà une autre vie.

Vers le sud du lac, le paysage s'élevait en pente douce jusqu'à une crête où une rangée d'arbres attira mon attention. Peut-être une haie, ce qui laissait supposer des cultures, et peut-être des paysans un peu plus bienveillants que ma précédente rencontre. Je rebroussai chemin jusqu'à trouver un terrain où la végétation me permit de gravir la pente. Les dieux semblaient enfin me sourire à nouveau : parvenu à la crête, je découvris une route pavée qui longeait les arbres, et au loin des silhouettes et des chants. Une procession chantant Botia pour la fête de Sauin. Tenant Cannelle par la bride, je rejoignis la queue de la file des fidèles des dieux anciens.

Comme le voulait la coutume, nobles et druides avaient fait préparer des victuailles où chacun, quelles que soient sa richesse ou se naissance était invité à se rassasier. Je dus faire un effort pour ne pas me jeter sur la nourriture, et m'approchai des tables à pas mesurés quand un druide m'interpella :
"Que Rituath et Botia t'accueillent parmi nous en cette fête de Sauin. Ton visage ne me dit rien, serais-tu un pélerin de passage ?"
Ses traits ne montraient ni méfiance ni dédain, seulement de la curiosité, et, pour la première fois depuis mon départ sur les routes, de la bienveillance.
"Je ne suis pas un pèlerin, non. Je suis un chevalier que la mauvaise fortune a jeté sur les routes. Votre confrérie aurait-elle une toit où je pourrais passer la nuit ?
- Tous les pèlerinages ne débutent pas par une décision de celui qui se met en route. Il arrive que Rituath bouscule une vie pour lui faire prendre un chemin différent. Mes frères ont bâti un complexe à proximité du temple, où nous accueillons des orphelins ou des enfants dont la famille nous a confié l'éducation. Des serfs comme des nobles."
Il marqua une pause pour me regarder,  ses yeux bleus semblant vouloir lire mon âme à travers mon visage.
"Sais-tu lire et écrire ?"

Avais-je à ce point l'air d'un rustre imbécile ? Offusqué par sa question, je répondis :
"Bien évidemment !
- Eh bien, bien évidemment nous avons chez nous des fils de serfs ou d'artisans qui n'ont pas encore eu la chance d'apprendre. Tu aideras Frère Evrard à leur enseigner, et tu pourras vivre parmi nous quelques temps. Puis, reprendre la route ou demeurer parmi nous, selon ce que te dicteras la volonté de Rituath."

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#5 2025-03-04 23:26:31

Cantacogorda
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Re : Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

Je demeurai dans le prieuré pendant près de deux ans. Aujourd'hui, je me demande parfois combien de temps j'y serais resté si le drame ne s'était pas produit. Serais-je devenu druide, ou aurais-je fini par repartir de mon initiative ?

Le druide qui m'avait accueilli se nommait Anselme. Tout dans ses gestes et sa démarche dégageait une assurance tranquille qui inspirait naturellement la confiance. Il me montra d'abord les limites des terres du prieuré, les cultures de céréales et surtout ses vignes. Si chaque druide devait participer à la vie commune sous toutes ses formes, Anselme était particulièrement impliqué dans l'élaboration du vin local.
"Il n'y a pas que l'Altevin en Okord ! Notre vin n'a pas à rougir à la comparaison."
J'acquiesçai de la tête en silence, préférant ne pas le contredire. Il sourit, montrant qu'il percevait mon scepticisme mais ne s'en offusquait pas. Il me montra le bâtiment réservé aux druides, puis m'amena vers une bâtisse à l'écart pour les pèlerins de passages et tous ceux qui participaient à la vie du prieuré sans pour autant être druides.
"C'est là que tu dormiras, tout le temps que tu passeras chez nous jusqu'à ce que Rituath t'appelle à nous rejoindre ou à reprendre la route."
Nous montâmes un escalier étroit, menant à une longue galerie. D'un côté des ouvertures donnaient sur les champs et les vignes. De l'autre, des portes régulièrement espacées. Il en ouvrit une, et me montra l'étroite cellule où je pourrais dormir, une pièce nue à l'exception d'une paillasse. Je déposai mes affaires, mon épée, ma bourse, pas grand chose en vérité.

Le lendemain, je rencontrai Frère Evrard et ceux qui allaient devenir mes élèves, pour la plupart des enfants de paysans ou d'artisans qui venaient recevoir des rudiments d'enseignement, avec guère plus d'ambition qu'être capable de compter les bûches de leur réserve de bois pour l'hiver. Certains cependant se révélèrent au fil des mois des élèves brillants et attentifs, et il ce fut un déchirement pour moi de voir leur famille les rappeler au travail de la terre, du métal ou du bois sans leur permettre de nourrir davantage leur esprit. Quand je m'en confiai à Evrard, il me fixa de ses yeux gris qui semblaient lire à travers mon âme, et me demanda :
"Comment le serviteur de Daeth trouverait-il confort et nourriture sans le secours de Botia, Goben ou Cerdo ? Ne méprise pas le travail des serfs, car il t'est aussi nécessaire que l'air que tu respires."

Daeth. Chaque fois que je me remémore cette époque, je réalise à quel point ce fut dans les lieux que je découvris Daeth. Il était dans chaque rouleau, chaque codex de la bibliothèque où je passai l'essentiel de mon temps, une fois débarrassé des corvées liées au travaux des champs et des vignes, des cours dispensés aux enfants et des offices du soir et du matin. A de nombreuses reprises pendant les célébrations aux dieux anciens et véritables, Evrard me lança un regard perçant, montrant qu'il voyait bien que mon esprit était ailleurs. J'étais dans tel traité d'architecture ou de cartographie, ou parfois je rêvait à quelque récits de légendes anciennes et m'imaginais combattant aux côté de Gweddnidrup.
"Il fut un temps où nous ne partagions notre savoir que par la parole" se plaisait à dire Evrard, rajoutant avec humour "mais comme il a donné le feu pour cuire nos viandes et préparer la bouillie pour que les vieilles bouches édentées parviennent à manger autant que les jeunes, il a donné l'écriture pour que les sourds puissent continuer à s'instruire et que rien ne soit oublié".

Evrard trouva ma calligraphie satisfaisante, et me confia la tâche de recopier des manuscrits, d'abord de simple contes, puis des récits de plus en plus longs. J'aimais ces moments de calme où je m'appliquais à tracer les lettres, laissant mon esprit vagabonder sans que cela puisse m'être reproché. J'en vint presque à oublier l'injustice qui avait mis fin à mon enfance.

C'est par une journée pluvieuse du début de printemps où je profitais de la douce chaleur de la bibliothèque que tout a basculé à nouveau. Un jeune homme venait d'entrer dans la pièce. Sa vêture le désignait comme un fils de famille aisée, noble ou bourgeoise. Il me toisa des pieds à la tête, s'arrêtant sur les tâches de boue de mes chausses et le moindre accroc à la cotte que m'avait donnée les druides.
"Qui es-tu ?" me demanda-t-il du ton de celui qui est habitué à commander et obtenir réponse rapidement, me rappelant douloureusement celui qui fut mon père.
"Mon nom est Guilhèm."
Voyant qu'il haussait les sourcils d'un air narquois, je rajoutais :
"Guilhèm de Chantecourge. J'aide Evrard dans ses tâches.
- De Chantecourge ? Jamais entendu parler. C'est le nom de ton père ? Il était quoi ? Chevalier errant ?
- C'est le nom de ma mère.
- Ah. Et ton père ? Laisse moi deviner : tu n'en as pas, et tu es allé pleurer ici pour ne pas crever de faim. Assez perdu de temps, dis moi où se trouve Evrard, ce que j'ai à lui dire est de la plus grande importance."
Ayant entendu nos voix, Evrard entra dans la pièce à ce moment, et je n'eus le temps de répondre. Il reconnut le visiteur, et ils partirent tous les deux discuter plus loin.

Je me souvins du serment que je m'étais fait lorsque l'on m'avait chassé de chez moi, je décidai d'aller m'expliquer avec ce vaniteux lorsqu'il aurait terminé sa conversation avec Evrard, et allai me promener dans le domaine en attendant, tentant de calmer ma colère. Je doute qu'il souhaitait me retrouver, sans doute m'estimait-il trop insignifiant à ses yeux. Je ne saurais dire si ce fut par la volonté de Rituath ou de Virdumar, mais je le recroisai alors qu'il quittait le domaine et cela scella la fin de cette période de ma vie. Je ne garde guère de souvenirs des mots acerbes que nous échangeâmes, ni des insultes qui s'en suivirent, seulement de la gifle que je lui infligeai sous le coup de la colère. D'abord déstabilisé, il cracha :
"Bâtard, je vais trancher la main avec laquelle tu as osé me souiller."
Il tira son épée. Quand je fis de même, ma colère retomba laissant place à une froide détermination. Je murmurai l'invocation à Rituath : "Par Fendrelune, que le coté obscur trépasse, que la foudre s'abatte sur nos ennemis !" Ne prêtant pas attention à mes paroles, il s'avança vers moi. Trop sûr de lui. Sa posture trahissait celui qui sait davantage faire le paon que se battre. Je feignis de lui laisser une ouverture, et il se jetta dans le piège. Juste avant que la nuit ne tombe sur lui, tandis que ma lame transperçait sa gorge, le mépris de son regard laissa place à un mélange de terreur et d'incrédulité.

Ce fut Anselme qui me convoqua le lendemain, avant les rites du matin, avant même le lever du soleil.
"Guilhèm, je me suis renseigné sur la lignée de ta mère. Lidvina de Chantecourge était la fille d'Azalaïs de Chantecourge et d'un père inconnu. Azalaïs possédait des terres vers l'Est d'Okord à proximité du fleuve. C'était une fidèle des dieux anciens, et elle vénérait tout particulièrement Lussuria pour qui elle avait fait construire un temple immense entouré de jardins.
- Ces terres, à qui sont-elles maintenant ? Sont-elles en Osterlich ?
- Non point. Elles sont sur la rive droite du fleuve, toujours en Okord. Étrangement, Azalaïs avait désigné sa nièce Esclarmonde comme héritière, mais tout porte à croire qu'il s'agissait en réalité d'une autre de ses filles. L'aînée probablement.
- Pourquoi ? Pourquoi aurait-elle caché qu'elles étaient ses filles ?
- Mon garçon, parmi les innombrables façons d'adorer les dieux anciens, le culte de Lussuria est le moins compris. Que peuvent comprendre du don de soi et de la communion avec la déesse les adorateurs d'Yggnir assoifé de sang ou les contemplateurs béats de Podeszwa ? Même certains qui pourtant vénèrent nos dieux n'y voient que fornication et décadence. Puisse Daeth éclairer leur ignorance !
- Et cette Esclarmonde, ma tante donc, qu'est-elle devenue ?
- Comme Azalaïs elle est décédée lors d'une épidémie de peste. Azalaïs avait prêté allégeance à la maison de la Nouë, mais leur lignée semble s'être finie avec le seigneur Eudes, mort de la peste lui aussi."

Il me regarda avec tristesse, et me tendit une carte, avec les indications pour aller du prieuré jusqu'aux terres qui avaient semble-t-il appartenu à la Maison de ma mère.
"Ainsi vous me chassez ?
- Celui qui fut ton père t'a retiré ton héritage. Moi, je te propose d'en trouver un autre. Tu peux choisir d'aller le chercher, ou tu peux choisir de le laisser de côté. Tu es libre de ton choix, comme en a décidé Lussuria lorsqu'elle offrit le libre arbitre à l'humanité. Mais tu ne peux plus demeurer parmi nous. Tout ton être est dévoué aux dieux et à Rituath en particulier, mais comme un guerrier et non comme un druide. Va. Nous nous occuperons de ce qu'il s'est passé hier."

Dernière modification par Cantacogorda (2025-03-11 16:44:54)

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#6 2025-03-18 16:15:40

Guilhèm de Chantecourge
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Re : Mémoires de Guilhèm de Chantecourge

Si ma première réaction fut l'indignation d'avoir encore une fois été jeté à la porte, je me dois de reconnaître aujourd'hui qu'Anselme fut plus que généreux avec moi. Il me donna des vivres, des vêtements de voyage et une bourse plus que bien remplie Le voyage se passa sans incident notable, Anselme ayant pris la peine de me montrer une carte avec les routes les plus sûres et les auberges les mieux tenues. J'arrivai au domaine de Chantecourge par une belle journée de printemps, le renouveau de la nature faisant écho à mon espoir de reconstruire une meilleure vie.

Un paysage de collines s'étendait devant moi, les vallons à l'aspect sauvage laissant ça et là place à quelques parcelles cultivées. Au loin, on devinait le fleuve, au bord duquel devaient se trouver les fameux Jardins de Lussuria conçus par ma grand-mère Azalaïs, et où ma mère avait dû voir le jour. Anselme m'avait appris que la demeure familiale avait été détruite lors des guerres, mais qu'il avait entendu qu'une autre place forte avait été construite à peu près au même endroit. J'appris d'un paysan qui grattait son champ que la demeure avec été nommée Trois-Épis, non en référence au blé qui avait bien du mal à pousser dans la région, mais à cause de forme de la colline sur laquelle elle était bâtie.

Je fus accueilli par un garde à l'entrée, j'apprendrais plus tard qu'il se nommait Josselin, qui ne connaissant pas mon visage me demanda ce que je cherchais.
"Je suis Guilhèm de Chantecourge. Qui à ce jour gère la demeure ? Je souhaiterais lui parler."

Il haussa les sourcils et me fit signe de le suivre. Il m'amena dans la cour, où des soldats s'entraînaient.
"Dame Mahaut" cria-t-il pour couvrir le bruit des armes "Ce jeune seigneur veut te parler."

Une femme qui devait avoir environ mon âge ôta son casque laissant voir un visage couvert de transpiration, encadré de boucles de cheveux auburns.
"Salutations, messire. Je suis Mahaut de Mangepintade, gérante du domaine depuis la mort de mon grand-père Hugues et l'extinction de la lignée des Chantecourge.
- Mon nom est Guilhèm de Chantecourge. Je suis le fils de Lidvina de Chantecourge et petit-fils de dame Azalaïs.
- Tiens donc. Et vous venez revendiquer le domaine ?
- He bien...
- Vous êtes venu seul ?
- Comme vous voyez.
- On en a eu au moins une douzaine comme ça, des héritiers de Chantecourge. Des fils d'Esclarmonde, des petits-fils d'Azalaïs, on a même eu un prétendu fils d'Azalaïs, que vu son âge il y avait dû y avoir un sacré miracle de Botia pour qu'Azalaïs ait été à l'époque capable de concevoir ! Les précédents avait pour la plupart pris la peine de soudoyer des manants qui juraient leurs grands dieux que oui c'était l'héritier pas de doute possible. Donc vous vous pointez seul, sans aucune preuve de votre parenté, et il faudrait s'agenouiller devant vous et vous confier le domaine ?
- Non, non, ce n'est pas cela.
- Ah, et c'est quoi alors ?"

Pétrifié, je ne savais que répondre. Évidemment que je n'avais aucune preuve de ma naissance. Comment avais-je pu m'imaginer qu'il me suffirait de me présenter pour être aussitôt accepté et recevoir un héritage dont j'ignorais jusqu'à l'existence quelques semaines auparavant ?

Je finis par lui conter mon histoire, et contre toute attente, elle m'écouta sans m'interrompre.
"À dire vrai, par deux fois j'ai été jeté sur les routes. Je suppose que je survivrai à une troisième. J'espérais simplement trouver ici un toit et une place dans le monde. Avant d'être rejeté, j'ai reçu l'éducation d'un noble okordien. Je suppose que je pourrai me rendre utile. Vous aider à vous occuper du domaine."
Elle réfléchit avant de me répondre :
"M'aider ? On pourrait essayer cela oui. Restez donc quelques jours, et ensuite nous aviserons."


C'est ainsi que je suis resté. Pour ces collines battues par le vent. Pour les brumes qui montent du fleuve et pour la spendeur des passiflores dans les jardins de Lussuria. Mais en vérité ce n'est pas pour les terres, pour mon nom ou pour l'héritage que mon coeur a voulu rester. Je suis resté pour Dame Mahaut.

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