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Clepsydre releva les yeux de la table ensevelie sous les rapports et reconnut Ambroise avant même de voir son visage. Les bordures orange de son habit de médecin la trahissaient, mais en même temps, elle était la seule médecin à avoir le droit de porter la couleur du duché sur sa distinction médicale.
_ Mestre Ambroise au rapport, Ma Dame.
La dirigeante laissa traîner ses yeux sur l’habit de peste, un peu étonnée de le voir ouvert, et fut saisie de stupeur en voyant le léger sourire de la physicienne.
Un élan d’espoir la fit se lever alors que ses lèvres sèches laissaient échapper une phrase qu’elle ne réussit pas à comprendre.
Idaho releva la tête. Le mouvement de ses cheveux détachés laissa apercevoir les plaies terminant leur cicatrisation sur son cou. On devinait déjà qu’elles ne s’estomperaient pas... mais au moins, il avait survécu.
Clepsydre vit Ambroise se répéter et le visage d’Idaho passer de la stupeur incrédule à la joie. Mais elle ne comprenait toujours pas les mots. Elle les connaissait. Tous. Elle savait que c’était une phrase construite, en orkodien et parfaitement compréhensible. Mais son cerveau ne semblait pas capable de comprendre cette phrase.
Son bras droit se retourna vers elle, lui décochant une bourrade que ne lui aurait pas enviée Bibé s’il avait été là et non dans l’une des pièces du château transformées en hôpital de fortune. Elle regarda son bras, puis son regard se posa sur l’armada de médecins suivant leur référente. Ils ne portaient pas leur masque et leur manteau était ouvert aussi.
Clepsydre songea qu’ils avaient vieilli. Vraiment. Le domaine totalement fermé, le temps avait pris un cours étrange, seulement rythmé par les jours et les nuits sans que les événements habituels n’aient de prise.
Combien de temps s’était vraiment écoulé ? Elle ne se souvenait plus de la dernière fête du calendrier qu’ils avaient fêtée. Elle se souvenait des échos du banquet, de la préparation de la guerre... puis d’Ambroise, rien de plus qu’une simple médecin de campagne, braillant sous sa tour, hurlant comme une démente, la conjurant par les Sept et par Yggnir de l’écouter... Idaho l’avait fait monter après avoir appris que la folle enragée avait accouru depuis son hameau et que les soldats n’avaient pas osé l’arrêter à cause de son accoutrement de “messager de la mort”. La vieille dame avait alors jeté un masque sur la table en vociférant une litanie de mesures à prendre immédiatement.
Un masque de peste.
Seul Bibé avait compris rien qu'à sa vue. Il s’était retourné vers Clepsydre, semblant avoir été contaminé par la même folie empressée que la médecin.
Idaho la fit sortir de ses pensées en la secouant telle un prunier et elle regarda à nouveau Ambroise se répéter.
_ L’épidémie est maîtrisée.
Clepsydre s’effondra sur son siège, ses jambes refusant de la porter alors que les larmes lui brouillaient la vue.
_ Il faut encore rester prudent, mais les mesures drastiques que vous avez prises dès le début ont porté leurs fruits, nuança Ambroise.
_ C’est aussi dû à la population qui a suivi les recommandations, releva un des médecins.
_ Je ne comprends même pas comment ils ont accepté de se plier à ces ordres draconiens, souffla Clepsydre, déboussolée.
_ Honnêtement, moi qui viens des bas-fonds de Gammu, commença un autre médecin, vous voir transformer le château en hôpital et lieu de quarantaine alors même qu’il n’y avait aucun cas connu dans Geidi et que vous vous apprêtiez à partir en guerre, ça nous a médusés...
_ Les gens savent que vous ne faites jamais dans la dentelle en bataille, ricana Ambroise, ils se sont sûrement dit qu’en gestion de crise vous ne couperiez pas non plus les cheveux en quatre et ont choisi de vous faire confiance.
_ J’ai fait abattre la plus grande partie des cheptels et carboniser les étables ! Je ne parle même pas des quartiers entiers que j’ai fait brûler !
_ Un mal nécessaire pour contrôler les nids de propagation.
_ J’ai créé une famine ! J’ai mis à la rue des milliers de gens ! Ça ne m’étonnerait même pas qu’il y ait plus de morts de faim et de froid que de la peste !
_ Certes, c’est sûrement vrai, confirma Idaho en posant sa main sur l’épaule de Clepsydre.
_ On est seul face à la maladie, et c’est une chose nécessaire pour éviter sa propagation..., continua Ambroise.
_ Mais pour ce qui est de la famine, nous pouvons maintenant demander de l’aide, reprit Idaho.
Clepsydre posa sa tête dans ses mains, les coudes sur la table. La tension de ses épaules s’estompait un peu. Elle ordonna que quelques cavaliers partent dès maintenant pour prévenir son seigneur ainsi que leurs alliés. Pour le reste, ça attendrait, la prudence était de mise.
Les médecins se retirèrent et, alors qu’Ambroise allait leur emboîter le pas, Idaho demanda :
_ Et l’autre idiot ?
_ Vous serez deux boiteux, mais il survivra, ricana-t-elle en quittant la pièce.
_ Ça lui évitera peut-être de se manger les retours de portes en te suivant, s’esclaffa Idaho en se retournant vers Clepsydre.
Il eut un sourire en coin en se rendant compte qu’elle s’était endormie, plume en main, alors qu’elle avait à peine rédigé l’entête narquoisement pompeuse à l’adresse d’Arkenus Ulfarks.
_ Les messagers attendront demain, visiblement, gloussa-t-il en la couvrant d’une couverture.
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