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#1 2024-08-29 23:38:29

Kaolane
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De l’Ombre à l’Armure

Automne de l'an VIII de l'ère 24


La cendre tacha la botte de cuir alors que les dernières braises étaient recouvertes, non pas afin de les conserver mais de les étouffer définitivement. C’était étrange de ne plus voir le rougeoiement salvateur, promesse de chaleur. 

Clepsydre se rendit compte que c’était la première fois que le foyer principal de cette caverne était éteint. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, ça avait toujours été son repaire. 

Ils avaient réigné un moment sur les monts et les versants, se prenant un peu pour Les Sept... Puis Yggnir leur avait rappelé la réalité de la vie en la personne d’Arkenus Ulfarks. Il n’y avait pas assez de synonymes pour traduire la monumentale raclée qu’ils s’étaient pris... visiblement, la réincarnation n’était pas obligatoire pour terminer dans la Caste des Faibles. 

Ils s'étaient cru les rois de la montagne mais n’étaient qu’une bande de brigands et seule la chance leur avait permis de vivre aussi longtemps ainsi. 

Heureusement, si Clepsydre n’avait aucune éducation, elle avait de la jacte comme on disait, et elle était effrontée.

Elle soupira en signant à ses hommes de quitter leur caverne. Maintenant, elle devait tenir le bobard qu’elle avait sorti à cet homme même si elle ne le croyait pas dupe ; que leur petite équipée brigandine fut effectivement les restes de cette compagnie guerrière qu’elle avait dû inventer, au fur et à mesure que la lame s’élevait au-dessus de sa nuque.

Le mensonge ? Une technique de lâche ? Point du tout ! C’était un argument stratégique à portée de... un subtil stratagème afin de...Bon d’accord, la mauvaise foi avait ses limites. Clepsydre était mortifiée de sa propre couardise mais elle ne pouvait pas dignement se présenter ainsi devant Yggnir ! Pas maintenant qu’elle avait compris n’être qu’un vermisseau et qu’elle se découvrait une telle marge de progression.

Clepsydre se massa l’arête du nez tout en regardant le fief où le seigneur lui avait demandé de venir au plus vite, se demandant ce qui l’attendait. 


~~~~


Merkor, 21e phase de l'automne de l'an VIII de l'ère 24.

Convaincre les gardes d’Ark-Adia qu’on leur avait bien ordonné de se rendre là sur l’ordre du Chevalier Arkenus aurait été un ardu défi, même pour la bonimenteuse qu’elle pouvait être, si celui-ci ne lui avait pas balancé un croc de loup monté sur une chaîne à la figure.

La brune n’en menait vraiment pas large, la pierre taillée ça avait carrément une autre allure que les cavernes quand même... et puis les armures... même les fourches étaient rutilantes. 


_ On va tous mourir, chuchota plaintivement quelqu’un à sa gauche.

_ Si t’ouvres ta grande mouille, carrément ouais, alors ferme-la et laisse-moi faire.


Clepsydre continua d’avancer la tête haute et louant les Sept de ne point avoir eu de jambières de fer, qui aurait trahi ses jambes en coton alors qu’elle avançait vers l’homme qui l’avait épargné quelques jours auparavant. 

Inspirant un grand coup et rassemblant la moindre once de courage, elle mit un genou à terre et inclina la tête - comme vu une fois dans une scénette de théâtre parodique dans une foire qu’ils avaient saccagé. 


_ Mon seigneur Ulfarks, Clepsydre Harkronnos pour vous servir !


Un silence reignat. Tellement long qu’après avoir salué jusqu'à la qualité des coutures des bottes de l’homme, elle remarqua la grandeur de ses pieds et la largeur des chevilles. Elle avait encore plus peur de relever la tête. 

Durant leur affrontement, il lui avait semblé qu’il était grand... mais là, “grand” était un euphémisme ! 

Soit sa troupe était vraiment chétive, soit l’homme était vraiment baraqué.


_ Des vieux, des gosses, des éclopés, un unijambiste, quasiment aucun homme valide.... Des friches pour vêtements, des armes rouillées... un râteau ?! 


Clepsydre se mordit la lèvre, l’autre avait raison, ils allaient tous calancher.


_ Tu me parles d'une compagnie guerrière et tu me ramènes cette bande de bras cassés ?


A sa défense, n’ayant connu rien d’autre et n’ayant jamais pris de telle dérouillée avant, elle ne pouvait pas savoir. La seule chose à laquelle elle pensait pour le moment, c’était prier Ralgh de lui donner la force de ne pas se souiller, du moins pas tout de suite.

Elle garda la tête inclinée sans ciller, paralysée bien plus par la terreur plus que par la démonstration de la moindre effronterie.


_ Tu ne crains pas mon courroux pour cette vaste farce ?


Elle aurait aimé dire que tout ce qu’elle craignait été déjà arrivé, mais juste au cas où, sachant à quel point elle se sentait misérable et humiliée, elle ne souhaitait pas se présenter devant Yggnir, pas encore. Si elle se réincarnait vraiment dans la Caste des Faibles, cela serait forcément pire qu’aujourd’hui...Il manquerait plus que ça.

Elle n’eut finalement pas le temps de répondre, qu’un grand rire raisonna et qu’elle sentit des doigts calleux lui relever fermement le menton. Elle remarqua d’abord la barbe et les cheveux grisonnants avant d‘être transpercée par le regard bleu.


_ Je t’aime bien, t’as des noix petite ! - s’esclaffa-t-il à nouveau. T’es qu’un caillou tout moche actuellement... mais si on te polis bien, tu deviendras aussi tranchante que la lance d’Yggnir !


Les yeux noirs s’ouvrirent de stupéfaction alors que ses muscles se relâchaient. Ses jambes se dérobèrent sous elle alors que le tissu, désormais et ce malgré toute sa détermination, mouillé de son pantalon lui collait à la peau, lui rappelant à quel point elle était transie de froid. 


_ Va y’avoir du taf, par contre... marmonna Arkenus en se lissant la barbe, songeur.

~~~~

_ On va tous crever !  Gémit quelqu’un.

_ Regardez-moi cette jolie bande de fillettes, si c’est pas fragile ça !  Ricana Arkenus en s’appuyant sur sa masse à deux mains. 


Clepsydre fit remonter un grognement bestial en lançant ses bras de toutes ses forces pour tenter de se redresser. 

Peine perdue :  l’armure, pesante et mal adaptée à son gabarit, l’avait coincé au sol. La chevelure grisonnante apparut dans son champ de vision avant même que les yeux moqueurs ne lui fassent remonter un nouveau grognement n’ayant rien à envier aux ours qu’ils avaient souvent chassé de leur tanière.


_ Plutôt que de glousser comme une grosse dinde, aidez-moi !  Ragea-t-elle.

_ Eh, tu me causes comme ça ? A moi ? Ton seigneur ?  Haussa-t-il les sourcils, goguenard. 

_ Et tu vas faire quoi de toute façon ? Je ne peux pas avoir l’air plus ridicule que ça !

_ J’ai pas encore fait cramer ton froc de l’autre fois, tu sais... je dois l’avoir quelque part, que dirais-tu d’en faire ton étendard ?


Rien à faire ! Même toute l'énergie de son accès de rage ne parvint qu’à lui donner l’air d’une tortue hystérique bloquée sur le dos. Ce constat ne fit que la faire s’agiter encore plus. Elle n’était plus à ça prêt de toute façon. 

Il finit tout de même par ordonner qu’on la remette sur pieds en la défiant d’encaisser “plus qu’une pichenette, cette fois”. 

Ses yeux s’étrécirent alors que, d’un geste rapide elle défit les attaches de ses épaules. A peine le plastron de l’armure avait-il résonné sur le sol qu’elle chargeait déjà de plein fouet le chevalier. 


_ Au moins y’a d’la volonté et de l’idée,  s’éclaffa encore son seigneur.  Mais pour le reste, alors là, zéro !


En moins d’une seconde, elle était à nouveau par terre, l’armure n’étant plus là pour la maintenir, il posa sa masse dessus. Il poussa même le vice de faire venir une chaise et une table pour déjeuner là, pariant avec ses hommes combien de temps elle mettrait à s’essouffler.

Maintenant, Clepsydre en était sûre, ce mécréant avait fait exprès de lui offrir cette armure surdimensionnée !

~~~~

_ Si vous voulez retourner torcher le fion des yetis et racler la neige, je ne vous retiens pas !  - Tonna Clepsydre avec aigreur. 
Non mais, je me décarcasse à vous sauver la vie ; je ment comme une arracheuse de dents pour vous éviter le fer de lance des troupes Ulfarks, et vous, vous osez vous foutre de moi maintenant ?!


La brune rassembla ses jupons avec rage pour les passer sur son épaule et pouvoir partir à grandes enjambées, bien décidée à remettre un pantalon quitte à devoir fouiller chaque interstice entre les pierres de ce monticule de cailloux appelé château. 

Elle nota tout de même que les replis de la taille étaient fort pratiques pour les dagues quand elle en envoya une voler dans le mur de la coursive d’où elle entendait le rire d’Arkenus retentir. 

Il allait la rendre chèvre !

En plus des entrainements aux combats ; des raids stratégiques, où il s’installait tranquillement sur la colline voisine pour la regarder des ses yeux de glace ricanant “vas-y, ne t’inquiète pas, je te regarde te noyer” ; les cours de gestions de ressources ; il fallait maintenant qu’elle déambule dans le domaine en robe de dame et qu’elle apprenne l’étiquette ! 

Elle allait vraiment finir par trouver un moyen de foutre cet homme sur un bûcher en l’honneur de Pekjaïr !

Mais pour le moment, elle avait fort à faire parce qu’elle avait franchement peur qu’Arkenus ne commence à en avoir assez de perdre son temps avec elle. Et il y avait cette exploitation qu’il n’arrivait pas à faire tourner correctement car il n’avait pas le temps de s’en occuper... trop occupé à courir aux quatre coins du royaume pour agiter sa masse sur les cranes de pauvres félons.

Une histoire de querelle entre les contremaitres, les serfs et les soldats sensés assurer leur sécurité... elle allait y mettre sa boule de neige ! Une fois la main remise sur un pantalon. 



~~~~



_ Si la force de Ralgh me permet de manier la masse à deux mains de façon fracassante, toi, tu manies la langue de serpent avec assez de brio pour donner des migraines à Orior... Par la balance du Guerrier-Tyran, qu’est-ce que tu as foutu ?

_ Bah, quoi ? La carrière a été exploitée jusqu’au dernier filon, non ? Ce n’était pas le but ? 

_ Tu sais quoi, petite ? Débrouille-toi, c’est ton fief maintenant.

_ Quoi ?!

Clepsydre se mit à courir pour rattraper son suzerain, celui-ci ayant le pas bien plus long que le sien, et blanchit alors qu’elle l’entendait ordonner à son mestre l’officialisation.

_ Mais mon Seigneur, vous n’y pensez pas ! Je suis loin d’être prête !

_ Ah bah tient ça balance du Seigneur maintenant,   ricana Arkenus. Je ne me ramasse pas une bande de pécores débiles qui se croient autogestionnaires de leur propre exploitation, je dois déjà me taper ta clique de dégénérés, c’est bien assez !

_ Oh !

_ Tu auras le droit de te vexer quand tu ne te feras pas ramasser par une douzaine de fantassins et d’archers ! 

_ AAAAAAAARGH ! 


Il fallait vraiment qu’elle arrête de mentir à tour de bras, ça finissait toujours par lui retomber sur le coin du museau.


_ C’est quoi le nom de ton bled du coup ?  S'esclaffa Arkenus qui devina parfaitement qu’elle rendait les armes ne l’entendant plus maugréer.

_ Va pour Geidi.

_ Et d’où viens Harkronnos d’ailleurs ? 

_ De ton c...


La masse d’arme siffla devant elle et elle préféra se taire.


________

[HRP: Suites potentielles à venir
Ecrit avec la participation de Arkenus Ulfarks.]

Dernière modification par Kaolane (2024-08-30 00:15:47)

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#2 2024-10-28 00:30:03

Clepsydre Harkronnos
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Re : De l’Ombre à l’Armure

Lunor, 26e phase de l'hiver de l'an VIII de l'ère 24.




Clepsydre observait son camp avec fierté. C’était le premier avec autant d’hommes où la préparation s’était bien déroulée.

Le transport des provisions et le déplacement des troupes s’étaient faits sans anicroche ; le camp avait été monté méthodiquement, les tentes ressemblaient à des abris bien ordonnés et non à un amas de tissus et de cordes et la première nuit n’avait pas fini en beuverie, ce qui aurait obligé à retarder l’attaque contre les félons.

Son visage rayonnait plus que son armure, et même Idaho, sa fidèle main droite, avait troqué son sourire goguenard habituel pour une gravité appropriée devant les capitaines de leurs troupes, en train de recevoir les ordres de déploiement.


~~~~



Les cavaliers prirent leur place, suivis des lanciers et de l'infanterie ; viendraient ensuite les archers, car ils avaient opté pour une stratégie sans arbalétriers.


— Mais qu’est-ce qu’ils sont en train de faire ?


— Je crois qu’ils quittent le champ de bataille, ma Dame...


— Je te jure que je vais finir par manier la masse juste pour te fracasser le crâne quand tu me sors des évidences pareilles ! Je vois bien que cette bande de ploucs est en train de se tirer ! Mais pourquoi ?


— Il est possible que le capitaine ait roupillé pendant une bonne partie de la réunion stratégique et n’ait entendu que “on se retrouvera donc pour le festin à la maison”...


— ...


— ...


— Rappelle-moi de faire retirer les casques la prochaine fois... et de faire cramer cet idiot du village une fois rentrer !


— Du coup, ma Dame, on fait quoi ? On rentre aussi ?




Clepsydre jeta un regard au reste de ses troupes, tandis que les fantassins se plaçaient comme prévu. Ils étaient en nette supériorité numérique et bénéficiaient d’une meilleure discipline (même s’ils n’étaient pas les plus futés...).

— On devrait pouvoir s’en sortir sans eux. On va compter sur la vitesse des cavaliers et des chevaliers ; ça devrait aller.


~~~~


Clepsydre encouragea vigoureusement sa monture, qui peinait sous le poids conjugué de sa maîtresse et de celui d'Idaho. Mais l'animal devait se montrer brave, car leur survie en dépendait. La bataille s’était mal passée, et Clepsydre galopait désormais vers un convoi dont elle espérait de l’aide d’une façon ou d’une autre. Elle se promit de s’appliquer sérieusement à l’étude de la héraldique du royaume, car elle n’avait absolument aucune idée de qui elle fonçait à toute allure, poursuivie par les cavaliers félons.


~O~O~O~

Denryl se tenait à la tête de la petite cohorte qui escortait le convoi de vivres en direction des montagnes de l’Ouest. La colonne était protégée sur les flancs par quelques lanciers et archers, et menée par un petit groupe de chevaliers qui escortaient leur baron.

 

Les étendards azur du Cygne étaient alors méconnus, si ce n’est pour avoir pacifier de nombreuses régions des bandits qui y rôdaient. Puis au détour d’un virage, sur le chemin de terre qu’ils empruntaient, ils virent au loin une jeune femme, et sa monture en plein galop

 

« Qu’est ce… ? »

 

« Une dame seule se dirige vers nous, baron. »

 

Puis à sa suite, une trentaine de cavaliers apparurent, lancés à la poursuite de la dame.

 

« Pas si seule finalement. EN POSITION DÉFENSIVE A L’AVANT ! Chevaliers, avec moi ! »

 

Denryl dégaina son épée et lança sa monture au galop, suivi de près par une dizaine de chevaliers. A leur tête, le baron leva la main gauche, doigts écartés et les chevaliers s’espacèrent.

 

La monture de Clepsydre passa à sa gauche, entre sa monture et celle d’un de ses hommes. Il n’eut pas le loisir de distinguer les traits de la femme : sitôt passée, Denryl resserra alors le poing. A l’unisson, les chevaliers se rapprochèrent, et formèrent une ligne resserrée. 

~~~

 

Le choc de la charge fit son effet : les lignes de cavaliers ennemis avaient tiré leur cheval à bride abattue, et n’avaient aucune cohésion. Ceux qui se trouvaient en tête furent empalés par les lances des chevaliers, qui dégainèrent alors épées et masses d’arme. Les félons qui suivaient arrêtèrent leurs montures, surpris. Lorsque les bandits se rendirent compte que l’ennemi n’était qu’une poignée, et que celui-ci se retirait immédiatement après sa charge, celui qui semblait être leur leader s’exclama :

 

« Rapportez-moi les têtes de ces sang bleus ! »

 

Les cavaliers poursuivirent les chevaliers, les talonnant de près. Aussi, lorsque ceux-ci se séparèrent de chaque côté, il était trop tard : Les chevaux s’empalèrent sur le mur de lances devant eux, les lanciers avaient eu le temps de se positionner à l’avant du convoi. Alors que le chef tirait sur les rênes de sa monture pour s’enfuir, il n’eut que le temps de voir la volée de flèches qui s'ensuivit. 

~O~O~O~





Clepsydre autorisa son destrier à ralentir l’allure, de toute façon, c’était ça où il risquait de lui claquer entre les pattes, les entrainant dans une chute aussi rocambolesque que cette cuisante défaite.

Heureusement, elle n’avait plus l’impression qu’Idaho allait la couper en deux en la serrant comme il l’avais fait jusque-là ; il devait donc être à peu près sortie d’affaire pour le moment.

_ N’empêche qu’on lui en doit une belle... fit remarquer l’homme alors que seul le souffle erratique de leur monture brisait le silence relatif des plaines.


_ Certes mais pour le moment tâchons de rentrer, répondit-elle simplement mortifié par la situation. Outre la Héraldique que je dois travailler, j’ai un bucher au nom de Pekjaïr à ordonner.

[HRP : Ecrit avec la participation d'Altéria. Le texte entre ~O~O~O~ est de sa plume]

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#3 2024-11-02 11:21:06

Clepsydre Harkronnos
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Re : De l’Ombre à l’Armure

Hiver de l'an VIII de l'ère 24.


Clepsydre traversa la coursive d’un pas pressé et lança un œil à la cour juste par habitude, sans même vraiment regarder, et poussa la porte de sa salle de conseil avec une telle force qu’elle se serait mangé le retour de porte si elle n’avait pas gardé son allure. Idaho, qui la suivait de son pas claudiquant, rattrapa au vol Bibé qui, lui, avait eu la malchance de trottiner à l'exacte cadence pour se prendre les portes de plein fouet. Il ricana : comme quoi le handicap avait parfois de sacrés avantages... et que, même face à lui, on n’était pas tous égaux.

Et en vrai, avoir une longueur de retard physique sur Clepsydre lui avait toujours permis de, si ce n’est tempérer ses ardeurs, au moins la canaliser assez de temps pour que quelqu’un puisse mettre le holà d’une façon ou d’une autre.


Néanmoins, pour une fois, il n’allait pas le moins du monde tenter de la modérer. Depuis son retour d’un certain camp où elle n’en était revenue qu’avec une poignée d'archers (dont elle avait fait cramer le capitaine, embaumant la tour du fumet de cette offrande à Pekjaïr), elle semblait s’être donné pour objectif de vraiment rattraper tout le travail châtelain qu’elle avait éhontément fui en supervisant l’entraînement des recrues et en allant traquer les bandits...

Oui... enfin, vu les cernes monstrueuses qu’elle avait et celles de Bibé, il allait peut-être devoir intervenir avant que l’un succombe à la tâche. Bibé était un bon intendant mais au moins aussi borné que leur Dame, et il n’était pas bon de les laisser sans une certaine supervision... Ses yeux gris se posèrent sur les restes même pas entamés du repas de midi... Le sermon pouvait bien attendre encore un peu,non?

Il n’eut même pas le temps de tendre la main vers le poulet qu’il sursauta, Clepsydre se relevant soudain pour se précipiter sur la coursive.


Quand il la rejoignit, elle hurlait déjà aux hommes dans la cour :

— Qu’est-ce que vous foutez encore ici, vous ?

— Bah, vous avez dit que les charrettes pouvaient partir, mais vous ne nous avez rien dit à nous, répondit le chef de rang des inactifs sélectionnés pour partir en exploitation.



Idaho porta la main à la bouche pour éviter de se mettre à rire maintenant, ce serait tuer la situation dans l’œuf.



— Non mais vous êtes sérieux ? Vous le faites exprès ou bien ?




Un silence gêné régna.


— À quoi ça m’avancerait d’envoyer les ressources pour une exploitation sans vous, bande de coqueberts ! J’vous ai pas demandé de vous rassembler dans la cour juste pour parader ! Vous DEVIEZ partir ensemble !




On entendait les cigales bruire gaiement, peu concernées par la situation alors que la jeune femme semblait être devenue une statue de marbre qui se fissura finalement :




— Donc si je comprends bien, j’ai de quoi faire tourner une exploitation pour deux lunaisons, mais pas un seul mou du bulbe pour monter la fameuse exploitation ?!

— Bah, vous avez seulement parlé des charrettes...




Un cri de pure frustration lui échappa alors qu’elle était aussi rouge que le tissu de ses vêtements.


— Mais à quoi ça me servirait, bon sang de bon soir ?!

— À affiner le fromage ?

— Clepsydre, non ! Non !


Idaho réussit de justesse à empêcher la jeune femme de se saisir de la lance de jet la plus proche : sous le coup de la fureur, elle aurait bien été capable d’embrocher le pauvre idiot qui avait sorti cette idée saugrenue !

C’était dans des élans pareils qu’Idaho s’était souvent demandé par qui Clepsydre avait bien pu être bénie : Biolline, Ralgh ou Orior...

Quoique, à suivre la voix d’Yggnir, on finissait sûrement bénis par les 7 pour le meilleur et pour le pire.

~~~~

Pendant ce temps-là, proche des Terres de Dame Xlatinir




Les gens s’agitent dans un petit hameau, tellement petit qu’il n’apparaît même pas sur une carte. En effet, pour une fois, il se passe quelque chose ! Des prospecteurs ont trouvé un filon de pierre ! (Pour vous dire à quel point il ne se passait rien à cette époque et à cet endroit pour que cela s’agite autant pour des cailloux !)

Alors le hameau guette avec impatience l’arrivée des serfs, de la potentielle armée et, pourquoi pas, des dirigeants pour commander le travail !

Et au loin, arrivent enfin les charrettes.

Et c’est tout.

Peut-être les hommes arriveront dans un second temps ? s’étonnent les villageois alors que les hommes s’arrêtent pourtant bien sur la zone du filon...




— Et donc... On fait quoi maintenant ?

— Bah... heu... J’suis conducteur de charrette, pas exploiteur... exploitier... exploitant ? Fin bref ! J’fais pas ça, moi !

— Ouais, c’est vrai ! firent en chœur les autres alors qu’ils en profitaient pour prendre leur déjeuner.

— Fin, z’êtes sûrs de pas vouloir essayer quand même ? J’pense pas que c’était prévu comme ça à la base et c’est bientôt les Saignées de Sassinaï... Pas envie d’être celui que la Dame va sacrifier parce que ça a foiré à un moment.


Les hommes lancèrent un regard à leur dernière ration (ironiquement du boudin) et grimacèrent.

— Fin quand même, nous on a suivi les ordres...

— T’façon, c’est ça ou attendre un pigeon qui nous dise de rentrer... Imagine qu’on rentre lors des Écartèlements de Ralgh.

— Autant rentrer au plus vite, t’façon la Dame sait déjà qu’on n’est pas les pommes les plus mûres du panier, on pourra dire qu’on est rentré dès qu’on a compris notre bêtise...




Les gens du hameau regardèrent, stupéfaits, les charrettes repartir après avoir cassé la croûte.


[HRP : Sur une boulette GP de ma part et l’idée de Xlatinir quant au POV du hameau]

Dernière modification par Kaolane (2024-11-02 11:24:57)

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#4 2025-01-19 00:10:55

Clepsydre Harkronnos
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Re : De l’Ombre à l’Armure

Clepsydre posa le porte-bougie sur la table et observa la pièce austère.

Idaho était affalé sur le divan, sa jambe raide étendue sur la table basse. Les missives pêle-mêle à ses côtés témoignaient qu’il n’avait pas tiré au flanc. Non loin, Bibé ronflait, la tête posée sur l’un des cahiers de comptes, sur son bureau qui semblait disproportionné face à sa stature.

Un sourire étira les lèvres de Clepsydre avant qu’elle ne récupère la bougie pour s’installer à son propre bureau.

Le sommeil refusait de venir, malgré son retour tardif d’un camp rondement mené (sans ironie pour une fois). D’ordinaire, elle n’avait aucun mal à trouver le sommeil; au contraire, elle manquait toujours de temps dans ses journées pour en avoir assez. Mais cette fois, rien n’y faisait! Alors autant tirer profit de son insomnie... ou essayer, du moins.


"Que les Sept vous gardent de la Caste des faibles!"


Cette phrase, qu’elle avait prononcée des dizaines de fois en début de bataille, lui revenait en boucle. Peut-être parce que, pour une fois, aucun événement absurde ou imprévu n’était intervenu dans la journée. Cela la perturbait profondément, bien plus qu'elle ne l'admettait. 

Elle tira ses cheveux en arrière et leva les yeux vers son bras droit, qui grognait dans son sommeil à propos d’une mystérieuse "coureuse de remparts".
Clepsydre détailla un peu plus Idaho. Si elle ne le savait pas boiteux, elle n’aurait pas pu le deviner en le voyant ainsi. Il était bien bâti et on ne se serait pas vraiment risqué à lui donner un âge même s’il avait quelques cheveux blancs éclairant sa tignasse raide et brune. Quelques rides d’expression aussi et pas celle du sourire, d’ailleurs... Il abattait un travail monstrueux sans en avoir l’air. C’était toujours étonnant de le voir débarquer un matin en maugréant sur un sujet qu’il ne maîtrisait pas une semaine auparavant. C’était lui, d’ailleurs, qui avait réellement appris à lire à Clepsydre. Le précepteur envoyé par son suzerain n’avait pas su comprendre qu’elle ignorait les bases mêmes de l’alphabet, et elle avait trop de fierté pour l’avouer.

Elle se replongea dans ses feuilles et saisit à nouveau sa plume.


"Que les Sept vous gardent de la Caste des faibles!"


Agacée, elle grogna et froissa la feuille où elle avait inconsciemment écrit cette phrase.


— Quatre pour un?! Mais c’est de l’escroquerie! hurla soudain Bibé en se redressant d’un coup.


Ses yeux noisette balayèrent la pièce avant de fixer le mur. Sa tête retomba aussitôt sur le bureau, avec un gémissement étouffé par un ronflement encore plus bruyant.

Clepsydre gloussa, portant une main à ses lèvres. Elle se rappela leur première rencontre: une négociation houleuse où cette phrase avait également résonné. C’était dans la Taverne du Bocal à Anchois.



Elle était venue appuyer les négociations de son ancien intendant avec le patron de la taverne la plus florissante de ses terres.

Le tavernier, impressionnant avec sa barbe tressée et ses perles de cuivre, avait servi cinq pintes et fait glisser deux verres de vin le long du comptoir, le tout avec une nonchalance calculée et sans les quitter des yeux.

Cela avait ravivé en elle une soif de provocation. Sourire en coin, elle avait fait signe à son intendant de redescendre encore les prix, déclenchant une dispute féroce à laquelle elle n'avait pu s'empêcher de participer.


  — Quatre pour un?! Mais c’est de l’escroquerie! 

  — Hé, avait-elle fait avec dédain.  Faut bien que je fasse mon beurre! Et ton établissement est sur mes terres, alors…

  — Vous baratineriez mieux votre lait si vous ne vous y preniez pas comme une chandelle d’âne! 

— La fameuse chandelle d’âne va le faire cramer ton bouge ! rugit Idaho, resté silencieux jusqu’alors. Tu crois que tu t’adresses à qui, verseur de piquette?!



La main du tavernier, occupée à caresser sa barbe ornée de perles de cuivre, se crispa dans les poils. Pour la première fois, il sembla perdre de son assurance. Ses petits yeux noisette détaillèrent Clepsydre, tandis qu’Idaho s’avançait avec un sourire cruel.


_Une raclure de comptoir comme celle-là, ça lui fera les pieds de se verser lui-même pour Sassinaï, proposa-t-il.


Le tavernier déglutit. Il avait reconnu l’homme qui n’était plus caché dans l’ombre : la fidèle main droite du seigneur de ces terres.
Clepsydre s’était levée avec un sourire perfide.


— Puisqu’il est si doué qu’il peut se permettre de m’insulter, nous allons admirer ses capacités de gestion. Si elles ne me semblent pas suffisantes, il fera effectivement une belle offrande.

— Mais attendez! J’peux pas laisser mon affaire en plan comme ça, moi ! hurla-t-il en la poursuivant, sans même avoir le moindre doute sur ses compétences.


Quand il sortit de derrière son comptoir, tout le monde fut surpris : le tavernier semblait avoir perdu un mètre de hauteur. Idaho fut pris d’un fou rire en voyant le très petit homme se prendre le premier des nombreux retours de portes qu’il allait subir en suivant Clepsydre.


Ainsi dont Clepsydre avait-elle recruté le Nain Bibé en tant qu’intendant du domaine.




Après avoir ajouté une bûche dans la cheminée, elle s’assit à nouveau, prenant un ouvrage d’héraldique du royaume.

« Au point où j’en suis, autant me plonger dans quelque chose d’aussi rébarbatif… Peut-être que ça m’aidera à me concentrer. »

Mais la phrase revenait encore :


« Que les Sept vous gardent de la Caste des faibles! »


~~~~


Clepsydre lâcha un cri perçant qui fit se retourner tout le monde, et Idaho, se prit la tête dans la main, grimaçant. La pression de l’insomnie, mêlée à l’imbroglio de ses pensées, créait un tourbillon d’agacement et de frustration qu’elle n’arrivait pas à évacuer... autant dire qu'elle était de charmante humeur.

Le pauvre capitaine d’archerie, qui avait eu l'immense malheur d'être désigné messager, lança un regard suppliant vers la fidèle main droite du Seigneur, alors que celle-ci, marmonnant furieusement contre la bêtise de ses hommes, commençait déjà à dresser le bûcher.

Hélas, il n’y avait plus grand-chose à faire pour lui. Idaho avait déjà chamboulé l’emploi du temps de la journée pour éviter une offrande impromptue en voyant l’humeur détestable de Clepsydre ce matin.

Il ne fallait pas être Tokva pour deviner que c’était mauvais présage de la trouver assise dans un fauteuil, les yeux fixant intensément le feu de la cheminée... et pire encore, avec un bouquin d’héraldique sur les genoux !

Tant pis pour ce capitaine, c’était dommage pour lui mais Idaho s’en frottait joyeusement les mains. Un léger sourire féroce se dessina sur son visage, il se délectait de la bonne fortune de se hasard fortuit. Un pigeon venait d’arriver pour annoncer l’arrivée du seigneur Ulfarks dans la journée : il venait, soi-disant, pour discuter de l’aménagement des frontières communes… ce qui, à coup sûr, finirait en un affrontement mémorable.

Si ça partait en concours d’insultes ou de boissons, ça aurait été largement gérable... mais vu l’humeur de Clepsydre jusque-là, ça risquait de virer en bain de sang et pas forcément en l’honneur de Sassinaï.


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La main dans sa barbe fraîchement tressée, Bibé rejoignit Idaho intrigué par les hurlements qui s’échappaient de l’office spontané.

Il ouvrit la bouche, mais Idaho ne lui laissa pas l’occasion de vocaliser sa remarque :


— La ferme Bibé, il vaut mieux y perdre un capitaine maladroit mais prometteur que de laisser Clepsydre aussi énervée alors que le seigneur Ulfarks arrive.

— Vu sous cet angle, concéda le petit homme, l’air pensif. Si je me débrouille bien, tu penses que je peux faire en sorte qu’elle crame les balourds que je me traîne ?

— Comment crois-tu que je n’aie que les meilleurs sous mes ordres ? ricana Idaho, son sourire carnassier illuminant son visage.

— Tout cramer pour mieux rebâtir... Je vois


L’œil de Clepsydre fut attiré par un éclat de lumière sur l’une des perles de l’indissociable barbe de son intendant et délaissa le satisfaisant spectacle du feu pour l’observer s’éloigner avec un sourire perfide encore plus inquiétant encore quand elle vit celui d’Idaho.

Elle songea quelques instants à ce qu’ils pouvaient bien comploter dans leur coin avant de se dire qu'il valait mieux rester dans l'ignorance. Elle leur faisait suffisamment confiance pour éviter d’intervenir dans leurs stratagèmes, tout en ne doutant pas que le domaine n’en retirerait que des bénéfices.

Elle jetta un œil vers les soupiraux des geôles, avant de finalement se retourner vers Idaho. Elle perçut un soupir de soulagement émanant des prisonniers. Ils devaient louer les Sept qu’elle n’ait pas décidé de rajouter du combustible à son bûcher.


“Que les Sept vous gardent de la Caste des Faibles…”


Elle haussait les épaules. Elle aurait bien le temps de se torturer l’esprit plus tard. Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait se laisser envahir par des interrogations inutiles. Le feu avait emporté son maelstrom de pensées en même temps que la vie de cet homme. Avec un sourire en coin, elle demanda


— Quelles sont les suites des festivités ?

— Réunion avec le seigneur Ulfarks pour l’aménagement des frontières, répondit-il, visiblement nerveux.


Clepsydre sourit plus largement et lança aux domestiques qui commençaient à s’affairer autour du bûcher :


— Laissez-le donc… et préparez les chevaux et les sangles.


Idaho fronça les sourcils, partagé entre la suspicion et l’incrédulité :


— Tu ne songerais quand même pas à…

— Écarteler Arkenus ? ricana Clepsydre avant de lancer, innocente comme une jeune vierge : "Au nom de Ralgh", tu crois que ça passe ?


Elle laissa passer quelques secondes avant de poursuivre, un rire amusé au fond de la gorge.


— De toute façon, il est tellement têtu que les bêtes crèveraient avant de lui étirer le cuir.

Dernière modification par Kaolane (2025-01-19 00:22:14)

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