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#1 2020-08-03 17:08:17

Liétald de Karan
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Les chroniques du Palais.

Royaume d'Österlich ; Duché de Feuerbach ; Fort Khöler
Merkor, 3ème phase du printemps de l'An VI de l’Ère 20

-Vous en demandez trop. Vous en demandez beaucoup trop... Se plaignit Jakob Khöler.

Liétald ne répondit pas tout de suite au seigneur österlichois, trop occupé à dévisager la jeune servante qui remplissait son hanap d'altevin. Quelques mèches de cheveux blonds s'échappaient de sa coiffe, semblables aux rayons du soleil perçant un ciel gris. Sa peau diaphane irradiait à la lueur des candélabres. Les yeux verts s'arrêtèrent sur le délicat grain de beauté, à l'orée de sa poitrine. La servante surpris le regard de Liétald et recula en rougissant. Deux gouttes de vin tombèrent sur la table. Le Seigneur de Ténare les épongea de son index avant de le suçoter.

Le voyage jusqu'au Duché de Feuerbach avait été aussi long que pénible. Quitter Okord n'est pas compliqué, mais quitter Okord lorsque l'on est Maître du Palais sans attirer l'attention de quiconque requiert une certaine ingéniosité. Quelques hommes de confiance, Krein Vadir, le fidèle Ugo, ce fut là toute la cour que se permit Liétald. Pas de maîtresses.

Il accorda un dernier regard à la servante, plantant son couteau dans le canard confit.

-Savoureux...

-Vous m'entendez ? Répéta Khöler. Vous en demandez trop. Je ne peux pas faire sortir cette quantité. Et même si je le pouvais...
-"Même." Reprit Liétald en souriant à Ugo. Le vieil intendant lui rendit son sourire.
-Eh bien, il faudrait que je trouve le moyen de faire parvenir les cordes, le bois, extraire le fer, trouver un moyen de faire fonctionner les forges sans passer par les Guildes, sans compter qu'il me faudrait des artisans fiables pour la conception des pièces...
Liétald repoussa son assiette d'un revers de la main, s'attardant sur le parchemin de Khöler.
-C'est un "quatre" ou un "deux" ?
-Un "deux". Répondit Jakob Khöler en suivant la ligne du doigt.
-Peu importe, ce sera ce que nous déciderons.
-Quelqu'un finira par poser des questions ! S'écria Khöler. Que fera-t-on alors ?
-On lui graissera la patte.

Liétald de Karan avait répondu d'une voix glaciale, dissipant son sourire. Le seigneur österlichois se surprit à reculer son siège. Un curieux écho résonnait dans la pupille de l'okordien ; la complainte de soldats sacrifiés sur l'autel du pouvoir, les râles d'agonie d'un homme poignardé dans le dos et les pleurs d'une vieille épouse.

-J'ai quelque chose de prévu ce soir. Reprit Liétald en tournant la tête vers la porte empruntée par la jeune servante. Alors, si nous pouvions conclure ce mauvais repas et passer à ce que nous avions convenu, cela m'arrangerait.

Khöler soupira une nouvelle fois, puis, à regret, fit un signe de la main à l'un de ses gens. Le serviteur ouvrit une porte et murmura quelque chose en ytang. Six autres servants apparurent dans le grand salon, ils se divisaient par paires, chaque couple soutenant un coffre imposant. L'un d'eux fut déposé près de Liétald.

-Combien de pièces en tout ?
-Cinq cent, comme convenu. Le reste est en train d'être chargé dans la cour.
-Il nous faudra le double pour l'an prochain. Décréta le Seigneur de Ténare en posant sa main baguée d'or sur le couvercle verni. Il le releva sans ménagement, les yeux brillants. Nos nouveaux amis en auront cruellement besoin...


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux

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#2 2020-08-04 17:07:54

Liétald de Karan
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Re : Les chroniques du Palais.

Royaume d'Okord ; Andalousie ; Domaine d'Yggdrasil
Lunor, 8ème phase de l'été de l'An VI de l’Ère 20

Snöfrid sortit l'arbalète du coffre. Il la tenait par l'arbrier, la faisant tourner sous ses yeux bleus. Le caducée de Podeszwa, gravé dans le bois sombre, arracha au chef träkbäläardien un froncement de nez. Il la rejeta dans le coffre, comme si elle n'avait guère plus de valeur qu'une branche de bois mort. Snöfrid se tourna alors vers l'un des guerriers qui l'accompagnaient et discuta à voix basse.

Liétald rehaussa le manteau de fourrure qu'il avait sur le dos et souffla dans ses mains avant de les frotter l'une contre l'autre. Faire amener la marchandise jusqu'ici s'était avéré moins difficile que d'envoyer un émissaire à Träkbäläard. Mais il avait fallu trouver une terre assez proche de la frontière pour permettre une entrevue, tout en étant suffisamment éloignée des fiefs royaux pour jouir de toute la discrétion nécessaire à ce rendez-vous.

Snöfrid avait terminé ses messes basses. Son guerrier s'avança de trois pas. Il était jeune lui aussi, seize ans, peut-être dix sept... Ils étaient tous jeunes. Une lueur étrange s'alluma au fond des pupilles de Liétald

-Le grand Snöfrid Bras Dur, fils de Rame le Gore, demande ce que ferait ses guerriers, forts parmi les plus forts d'Ygnir, des machines okordiennes ?
Ugo prit une grande inspiration et s'avança, il fut arrêté par la main gantée du Seigneur de Ténare. Un étrange sourire flottait sur ses lèvres. Il s'avança à son tour.
-Ces arbalètes ne viennent pas de mon pays, mais d'Österlich. Un murmure de désapprobation s'éleva des guerriers de Träkbäläard. Certains crachèrent même par terre. Car seule l'Österlich fabrique les modèles les plus résistants, les plus efficaces et les plus maniables. Liétald avait haussé le ton, rattrapant l'attention des barbares. Et je ne vends que ce qu'il y a de meilleur.

Le Maître du Palais tapa deux fois dans ses mains. Krein Vadir se glissa à sa gauche et monta sur son cheval. Il sortit l'arbalète de sa bandoulière et commença à faire trotter sa monture jusqu'à s'éloigner de l'assemblé plus de trois cents pieds de distance. Petit point noir sur la neige, il lança son destrier. Les premiers traits tombèrent épars, autour du pin auquel avait été accroché une cible. Le premier carreaux la toucha rapidement.

Le batteur était à moins de cent pieds lorsqu'il posa pied à terre et entreprit de tirer en marchant. Les traits se plantèrent, les uns après les autres, se rapprochant toujours plus près du centre tandis que Vadir rechargeait le mécanisme avec une vitesse insolente.

-Snöfrid Bras Dur est un grand guerrier. Reprit Liétald de Karan, d'une voix douce. Mais Rame le Gore avait plusieurs fils. Si vous avez accepté cette entrevue, j'en déduis que la menace qu'ils représentent est sérieuse. Et à voir la garde rapprochée de Snöfrid Bras Dur, j'en déduis que les guerriers d'expérience ne lui reconnaissent aucune légitimité...
Un gigantesque barbare roux, qui rougissait au fur et à mesure de la tirade prononcée par l'okordien, dégaina une large hache. Le jeune Snöfrid retint son bras.
-Elle pèse moins de vingt deux livres, continua Liétald en brandissant une arbalète au dessus de sa tête. Elle touche à cinq cents pieds de distance, elle est mortelle à cent. Elle n'a besoin d'aucun mécanisme pour son réarmement. Bien graissée et entretenue elle survie à l'humidité, au froid et à la crasse. Ses carreaux percent les côtes de mailles et les plaques de gorgerins en un trait. Elle est si simple d'utilisation que même un enfant pourrait s'en servir. Avec cette arme, un paysan sans expérience peu triompher d'un chevalier aguerri. Vous savez combien les Duchés d'Österlich en vendent aux étrangers ? L'okordien forma un zéro avec son pouce et son index. Aucune. Il n'y a que moi pour vous les procurer.

Les träkbäläardiens se mirent à discuter entre eux. Les avis semblaient partagés. Finalement, le jeune interprète repris la parole.

-Que voulez-vous ?
-Rien de plus que ce qui était convenu, répondit Liétald en dardant ses yeux avides sur le chariot des barbares.

Une bourrasque glaciale balaya la poudreuse. Snöfrid désigna l'okordien de son menton. Le chariot s'ébranla doucement et traversa la limite invisible qui séparait les deux groupes. Deux guerriers de Träkbäläard ainsi que le traducteur escortaient le petit convoi.

Les bras musclés déchargèrent les six caisses aux pieds du Seigneur de Ténare. Toutes furent ouvertes, révélant pierreries, pièces d'or et bijoux. Le fruit de bien des pillages. Le regard de Liétald fut attiré par une couronne, dépassant d'un tas d'or. Une émeraude cerclée de topaze en son milieu : la couronne de Carovar...

-Je connais un seigneur de l'Ouest qui payera cher pour récupérer ceci.
Ugo opina silencieusement. Le vieil intendant vérifia à son tour le contenu des coffres, puis, tapant dans ses mains, fit signe à ses hommes de les charger dans le carrosse.

-Qui vous dit que nous n'utiliserons pas ces armes contre les votre ? Après.
Liétald s'autorisa un petit rire. Rabattant sa capuche sur son front, il tourna le dos au träkbäläardien.
-Absolument rien. On dirait que je vais devoir vous faire confiance.
Le guerrier regarda l'étrange okordien s'éloigner. Il ne comprenait pas...
-Et... Et que dit votre Roi de notre marché ?

Dernière modification par De Karan (2020-08-05 17:11:29)


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#3 2020-08-05 17:11:02

Liétald de Karan
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Re : Les chroniques du Palais.

Ressyne ; Île du Levant
Saedor, 20ème phase de l'automne de l'An VI de l’Ère 20

-Et qu'en dit le Calife Aïamorel  ? Répondit Liétald en s'humectant les lèvres d'arak bien frais. L’Émir el-Tayeb garda le silence, son traducteur également. Son regard rehaussé par le khol resta fixé sur Liétald. Hum... C'est bien ce que je me disais... Le Seigneur de Ténare tendit sa main vers un plat et attrapa une feuille de vigne farcie. Si nous passions à la démonstration ?

L'assemblée réunie sous la grande tente de soie orange tourna la tête vers la plage. Deux proues de navires avaient été plantées dans le sable. On reconnaissait très distinctement le rostre d'une galère de Ressyne, aux yeux peints, faisant face à une solide caravelle de Valésiane. Sur la proue ressynienne était harnachée l'étrange machinerie que venait vendre d'okordien. Un druide s'activait au dessus de deux grandes cuves reliées à un gigantesque ballon de métal prolongé d'une longue tubulure. Un dragon d'airain, gueule béante, achevait l'attirail.

Le druide cria quelque chose. Les servants de siège se reculèrent tandis qu'il brandissait un flambeau imbibé de poix. Un grand flamboiement se fit entendre jusque sous la tente. L’Émir et sa cour devinrent nerveux, s’apprêtant à se lever des magnifiques coussins où ils étaient pourtant confortablement lovés. Le son s'atténua, jusqu'à devenir presque inaudible. Soudain, ce fut comme si l'air venait être attiré dans la machine okordienne, pour rejaillir en hurlant et en tempêtant. Une peur profondément atavique étreignit les cœurs lorsque la gueule du dragon vomit une tornade de flammes, longue de trois cents pieds, sur la carcasse du navire valésian.

Celui-ci ne fut pas seulement embrasé, mais soufflé par le feu. Son bois se gondola et noircit. Le petit mat juché sur son pont s’effondra dans la fumée et les cendres. Les mannequins rembourrés de paille écartaient leurs bras, noyés dans la fournaise.

El-Tayeb et sa cour avaient bondi. D'abord prêts à s'enfuir, ils regardaient le carnage, médusés. Le Seigneur de Ténare dégustait leur peur avec autant d'avidité que le chich taouk. Il savait que si les soixante navires d'el-Tayeb  étaient équipées d’incendiaires okordiens, ce dernier bouleverserait bien plus que le fragile équilibre entre lui et ses cousins.

Chacun reprit tranquillement sa place. Les murmures allaient bon train.

-Je peux vous faire livrer trente pièces dans deux mois. Poursuivit Liétald, comme si de rien n'était, tout en dégustant son poulet. Le Cana Palour restera ici, lui et ses servants. Ils assureront la formation de vos équipages.
El-Tayeb se pencha vers son traducteur.
-Sa Sérénissime Altesse souhaiterait savoir comment vos navires comptent-il débarquer sur Ressyne... alors que l'infâme République de Valésiane s’évertue à couper toutes nos voies d'accès ?
Le Seigneur de Ténare vida son verre d'un trait. Un curieux sourire aux lèvre.
-Mais de la même manière que je suis arrivé jusqu'à vous aujourd'hui : en leur demandant de me laisser passer. Et comme ils sont mes amis, ils me laisseront passer.
L’Émir el-Tayeb plongea ses yeux dans ceux de l'okordien. Cette fois, il n'utilisa pas d'interprète.
-Liétald de Karan, vous êtes un homme... très singulier.

Dernière modification par De Karan (2020-08-14 16:12:29)


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
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#4 2020-08-06 18:11:55

Liétald de Karan
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Re : Les chroniques du Palais.

Frontière australe du Gundor ; Frontière australe du Gundor
Vendor, 3ème phase du printemps de l'An VII de l’Ère 20

-C'est un parfait connard, oui.

Alexeï Tolbouzine n'était pas connu pour mâcher ses mots. On ne tient pas en respect Perdiglas, l'Österlich et Träkbäläard en jouant les politiciens maniérés. Ce petit homme trapus au poil brun était semblable au Gundor : froid, rude et -à en juger par la cicatrice qui lui mangeait le cou- extrêmement résistant. Il n'avait qu'une faiblesse...

-Père, calmez-vous, je vous en prie.

La petite main blanche posée sur la sienne aspira sa rage comme on tire un venin. Le Duc du Gundor avait trois fils, mais Evdokía était sa préférée. Il baisait le sol qu'elle avait foulé. Pour elle et ses yeux d’émeraude il aurait plongé Ohm dans les flammes.

-Tes frères veulent la guerre, ma petite. Et avec ce qui s'est passé, je suis enclin à la leur offrir... Non mais quelle audace ! Nous faire venir jusqu'à Château-Ygör, nous faire patienter deux jours et puis nous congédier comme de vulgaires courtisans ! Ce maudit Karan ne manque pas de toupet ! Pons de Ronceveaux est-il Roi d'Okord ou l'Empereur-Dieu réincarné ?

Ce que ne voulait pas dire Alexei Tolbouzine à sa fille -ce qu'il ne s'avouerait probablement jamais à lui-même- c'était la peur qui étreignait son cœur. Il gardait encore en mémoire la Guerre des Violets, celle-là même qui avait coûté au Gundor bien des possessions. Celle-là même qui avait fait mourir son père de chagrin et emporté son oncle sur le champ de bataille.

D'abord les deux guerres d'Österlich, ensuite le conflit avec Perdiglas, et enfin la révolte victorieuse contre Abrasil. Le Royaume d'Okord était un adversaire à prendre au sérieux, pas une contrée au rabais faite pour le pillage facile. Cette opinion n'était pas uniquement partagée par Alexei, elle circulait depuis déjà quelques années dans les nombreuses cours d'Ohm. Alors, lorsqu'une missive du Royaume d'Okord arriva au Gundor, parlant d'une hypothétique alliance et d'un mariage plausible, le Duc n'hésita pas longtemps avant d’affréter son char pour Château-Ygör. Le Gundor avait beaucoup de prétentions mais si peu d'alliés ; La route jusqu'à Déomul était lointaine et coupée par les barbares de Träkbäläard...

Plus que tout, il voulait redorer le blason du Gundor de son vivant et épargner la guerre à ses fils. Non pas qu'ils étaient piètres combattants -on ne faisait pas de meilleurs chevaliers qu'eux dans ce coin du Nord. Mais Alexei connaissait le cœur de ses enfants, et ils n'étaient pas stratèges. Eux au pouvoir signifiait ni plus ni moins que la fin de sa Maison...

-Que se passe-t-il, Père ?
Le char s'était arrêté net. Dehors, Alexei entendait le capitaine de son escorte s'exclamer.
-Quelle est cette chierie, Fédor ? Aboya le Duc en passant la tête par une persienne. Fédor n'était plus aux rennes. Il avait arrêté l’attelage, sauté à terre et s'employait désormais à courir dans la neige jusqu'à l'orée d'un bois. Le jeune homme tourna la tête, adressant un dernier regard à Alexei. On est en train de se faire baiser...

Éclair d'acier sous la lumière de la lune, un premier carreau transperça la gorge d'un cheval. Celui-ci s'effondra en hurlant. Le capitaine Simeon dégaina sa lame, seulement pour s'effondrer sur sa selle, le poitrail percé de nombreux traits.

Alexei referma la persienne rapidement, une pointe sortit du bois entre son index et son majeur. Il s'employa d'abord à calmer sa fille puis lui intima l'ordre de se glisser sous une banquette. Le vieux Duc souffla bruyamment et tira son épée. Il en avait vu d'autres, ces petits salopards ne savaient pas sur quel ours ils étaient tombé.

Tolbouzine attrapa la poignée de l'autre portière et l'entr'ouvrit prudemment.

Les petits salopard avait hissé une charrette ferrée depuis une hauteur. Et elle lui arrivait droit dessus.

-Evdokía, cramponne-toi !

Le choc souleva le char et Alexei se sentit voler dans les airs. Il heurta le plafond et tout devint noir.

Ce fut une désagréable sensation d'humidité qui le réveilla, ainsi que le froid. Le Duc du Gundor mit quelques secondes à comprendre qu'on le trainait par les pieds dans la neige. Des branches grinçaient sous le vent. Il se trouvait à l'orée du bois vers lequel courrait Fédor. Ce dernier était là d'ailleurs, il discutait avec un étrange personnage ; il portait une armure de cuir sombre mais sans blason, son visage était masqué par un tissu noir. Il donna à Fédor une bourse de cuir. Leurs deux visages renvoyait la lueur d'un feu...

L'adrénaline courut dans les veines d'Alexei et il braqua sa tête en arrière, poussant un gémissement douloureux ; il saignait d'une tempe. Mais ce qui étreignit son cœur fut sans aucun doute la vision de son char auréolé de flammes, les chevaux gisaient dans la neige. Evdokía...

-Merde, il est encore en vie.
Alexei envoya son pied dans le visage de l'homme qui le tirait par les pieds et bondit sur lui. Il le renversa et attrapa l'épée courte à sa ceinture. Il l'a plaqua sous sa gorge.
-Qui êtes-vous par les die...

En relevant la tête, le Duc compris qu'il ne s'agissait pas de simples brigands ou de maraudeurs en vadrouille. Il comprit également pourquoi les branches grinçaient autant. D'étranges fruits y étaient pendus. La vision de ses cheveux roux lui arracha un râle.

L'un des hommes en noir, qui jusque là abandonnait dans la neige des capes österlichoises et des carreaux arbalètes, s'était arrêté dans son geste. Fédor baissa la tête, honteux.

-Vous n'avez pas de couilles...

Les hommes en noir s'approchèrent prudemment, resserrant le cercle autour d'Alexei. Il ne résista pas et se laissa guider jusqu'aux arbres en traînant les pieds. Alors qu'on lui liait les mains, il s'adressa à l'homme qui avait payé Fédor.

-Il faudra plus que cela.
-Les dés étaient pipés depuis le début, lui répondit Krein Vadir.

Alexei Tolbouzine sourit d'un air entendu en hochant la tête, comme si on venait de lui raconter une bonne blague. Ils lui passèrent la corde autour du cou.

Tout redevint noir.

Dernière modification par De Karan (2020-08-14 16:13:08)


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#5 2020-08-16 18:38:53

Liétald de Karan
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Re : Les chroniques du Palais.

ÉPILOGUE
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Thème

Royaume d'Okord ; Province de Corélie ; Château-Ygör, roseraie royale
Lunor, 10ème phase de l'été de l'An VII de l’Ère 20

Le druide délia la corde enserrant les mains des époux, Leufroy de Karan et Isolde de la Pétaudière s'embrassèrent. La foule réunie dans les jardins applaudit. Les serviteurs relâchèrent les colombes et, durant un bref instant, la joie et la félicité emplirent tous les cœurs.

Une seule personne semblait insensible au rite. Fronçant les sourcils, une main bouchant son oreille gauche afin de mieux entendre de la droite, Liétald de Karan écoutait avec intérêt ce que lui racontait Ugo. Le vieil intendant avait fendu la foule, visiblement porteur d'une nouvelle importante.

Le Maître du Palais acquiesça puis se tourna vers son épouse. Aliénor lui lançait un regard glacial depuis déjà une bonne minute. Il comprit qu'elle savait ; peut-être pas le sujet de la discussion, mais que le mariage passait au second plan. La véritable maîtresse de Liétald était la plus versatile et la plus jalouse de toutes : le pouvoir.

Les appartements du Maître du Palais n'avaient pas changé depuis le couronnement de Pons de Ronceveaux. On y trouvait toujours les méridiennes sur lesquelles les invités pouvaient s'installer pour boire et manger. Le large bureau d'Aldegrin de Karan trônait fièrement, dos aux trois hautes fenêtres qui nimbaient la pièce d'une lumière dorée. Parmi les plumes et les morceaux de cires solidifiés, s'éparpillaient des rapports et des missives de toutes sortes.

Des troubles à l'Ouest, un jeune chef de Träkbäläard était parvenu à fédérer plusieurs tribus. Ses guerriers des montagnes parvenaient à lancer des raids plus loin qu’auparavant en Déomul.

L'équilibre changeait au sein de la Mer des Fournaises. La République de Valésiane venait de connaître l'une de ses rares et lourdes défaite face à la flotte de Ressyne.

Le Nord s'embrasait. Ivan Tolbouzine avait succédé à son père à la tête du Duché du Gundor. Ses frères lui contestaient ce droit et avaient levé leur ban.

Liétald de Karan dépassa le bureau et s'arrêta devant une petite tablette sur laquelle trônaient une carafe d'altevin et des hanaps vides. Le Seigneur de Ténare en rempli un et, le portant sous son nez, en savoura la fragrance tout en regardant ses invités à travers la fenêtre. Il savait ce que les gens pensaient de lui, pourtant les gens étaient bien loin de l'atroce et de l'angoissante vérité. C'était peut-être pour cette raison qu'il ne tenait rancune pour les piques et les injures. Liétald les plaignait, les pauvres, ils étaient à cent lieus de savoir réellement ce qui se tramait dans les sombres couloirs de Château-Ygör. Ils ne se rendaient pas compte qu'ils vivaient sur un minuscule lopin de terre, encerclés par des loups féroces et continuellement affamés.

Aujourd'hui, Liétald comprenait enfin son père. Il se rappelait des sermons et des remontrances, des leçons et des conseils. Oui, quelqu'un devait se salir les mains.

-Tu peux les faire entrer, Ugo. L'intendant acquiesça et quitta les appartements avant de revenir, accompagné d'un homme aux cheveux bruns et au teint halé. Il s'appuyait sur une canne. Maître Guccetti, prenez place je vous prie. Déclara Liétald en désigna un confortable fauteuil. Il prépara un second hanap et le déposa devant l'ancien homme de main des Dizrutore. Vous revenez de loin.

Il avait fallut une année pour l'arracher aux griffes de la mort, et encore une autre année pour lui faire quitter son lit. Battista était toujours d'une maigreur à faire peur, et il ne se séparait pas de sa canne. Mais son cœur... Oui, son cœur battait ; et haque battement était un gigantesque doigt d'honneur qu'il adressait à ses anciens maîtres.

Le Maître du Palais avait récupéré le corps brisé du valésian aux prémices de la guerre civile illyrienne, dans le plus grand secret, pour le confier aux soins experts des bardes et des vates de Ténare. Mais pas seulement.

Nusaybah al-Azwar suivit Battista. La belle ressynienne qui avait joué le rôle d'Amanalia ne le quittait plus depuis la triste fin des Dizrutore. Elle dardait sur lui l'étrange regard d'une louve se demandant encore si elle devait allaiter ou dévorer son petit. Nusaybah avisa l'une des confortables méridiennes et s'y glissa avec grâce. Elle plongea ses doigts recouverts de henné dans un bol de dates et en glissa une entre ses lèvres ; elle adressa un regard espiègle à Liétald. N'étant plus obligée de tenir son rôle d'agent-double de la Guilde des Assassins, la ressynienne avait abandonné avec joie la houpelande pour le cafetan en soie.

-Est-ce que c'est vrai ? Demanda Battista en ignorant superbement le hanap.
-Lisez par vous-même. Liétald lui tendit l'un des rapports écornés posés sur son bureau. Les dernières estimations font état de la destruction aux trois quarts des navires de la République.

Le valésian lui arracha le rapport des mains et s'y plongea complètement. Liétald n'en prit pas ombrage, il souriait. Le visage de Battista, d'abord fermé, se décomposa lentement, au rythme du nombre d'officiers morts en mer, de la valeur des pertes et des navires saisis... Le Seigneur de Ténare savait que le valésian pouvait sentir d'ici le souffle du feu et entendre les hurlements de ses compatriotes. La canne chuta sur le tapis. Battista se laissa tomber en arrière, rattrapé par un large fauteuil garni de coussins. Des larmes coulaient sur ses joues. La délivrance.

-Enfin... Murmura-t-il.
-Oui. Reprit Liétald. Enfin, vous avez votre vengeance. Okord a enfin une voie d'accès en Mer des Fournaises. Il se tourna vers Nusaybah. Il fronça le nez en voyant la belle poser ses pieds nus sur une superbe table basse en merisier. Et j'imagine que le Conclave voit ses intérêts sauvegardés.
-Oh ! Oui, mon chat ! Bailla Nusaybah en s'étirant de tout son long. Ils sont aux anges.
-Bien. Vous voici devenu l'un des hommes les plus riches d'Okord, Maître Guccetti. Des projets pour la suite ?
-Foutre le camp de votre maudit Royaume.
Nusaybah tourna la tête, son regard curieux souligné par le khôl se porta sur Liétald.

Battista soutenait celui du Seigneur de Ténare. Edard, Spatha, Guiseppe, Savino,Tussio. Alunzio... Il n'avait pas envie de rajouter son nom à cette liste. Plus cuisante que la tulipe noire, la haine qui coulait dans ses veines depuis maintenant deux ans l'avait fait tenir. Battista ne s'était jamais vraiment à l'art de la politique -pas plus que tout valésian lambda. Mais la mort d'Alunzio... Ce visage si jeune et si beau. Ce carreau d'arbalète dépassant de sa gorge. Quelque chose était mort en lui ce jour là.

Battista s'était longtemps vu comme quelqu'un d'insouciant, qui jonglait entre les dettes et qui enchaînait les emmerdes. Toujours courir, toujours remettre à demain. Il s'était étonné lui-même lorsque Liétald et Nusaybah lui avaient proposé de faire partie du complot. Non pas de ses capacités ; mais du goût que ça avait. Depuis toujours il avait frôlé ces maîtres de guildes, aperçu ces sénateurs vérolés et arpenté ces rues, frappées par la chaleur. Ni les scandales, ni les massacres des plébéiens, ni les injustices n'avaient jamais étreint son cœur.

Et puis Valésia avait tué Alunzio.

Aujourd'hui, ne restaient que des cendres.

-Et pour aller où ?
-Ailleurs...
-''Ailleurs.'' Railla Liétald. Nusaybah laissa échapper un rire de petite fille. Épargnez-moi la complainte du chevalier errant, j'en suis suffisamment entouré toute la journée. Liétald ne souriait plus. Sa voix devenait désagréablement acide. Je vous surveille depuis un moment : vous avez goutté au pouvoir et ça vous a plu.
-Je ne vous ai aidé qu'en mémoire du petit. Il ramassa sa canne.
-Connerie.
-Les garçons. Susurra Nusaybah. Ne vous battez pas...
-Alunzio est votre excuse. Repris le Maître du Palais. La vérité, l'effroyable vérité que vous ne voulez pas admettre, c'est que pour une fois dans votre vie, vous étiez aux commandes.
Battista s'était levé d'un bon, le poing serré.
-Mesurez vos paroles, Guivre.
-A Port-Preux vous trébuchiez encore. Mais aujourd'hui vous avancez avec assurance. Vous voulez remettre ça, mais vous ne vous l'avouerez jamais.
-Fermez-là. Tout ceci...
-... a uniquement été fait pour venger la mort d'Alunzio ? S'il vous plaît, épargnez-moi cette rengaine ou je vais vomir. Liétald exultait. Ce n'est pas de la vengeance, mais de la culpabilité. Si vous ne vous étiez pas gaussé d'être un membre de la Guilde des assassins, il ne serait pas mort. Si vous l'aviez ramené à Valésia comme son père vous le demandait, il ne serait pas mort. Si vous ne l'aviez pas tiré du monastère où il se terrait, il ne serait pas mort. Vous voulez savoir toute l'ironie de cette pitoyable histoire : si vous voulez voir l'assassin d'Alunzio, regardez-vous simplement dans un miroir.
-Charogne !
Battista avait bondi sur sa jambe valide, le poing en l'air. Liétald pivota sur le côté et faucha la canne de son pied gauche. Le valésian s'étala de tout son long sur le tapis. Il se retourna en grimaçant, prêt à se relever. Le Maître du Palais appuya vigoureusement son pied sur sa gorge.
-Vous vous amusez bien ? Gémit Battista en tentant de repousser le chausson qui lui écrasait la trachée.
-Au contraire, prenez-le comme un compliment. Répondit Liétald d'une voix désincarnée. Vous êtes un homme brillant. Vous avez la politique dans le sang, elle fait partie de vous. Vous ne vous retirez pas, vous venez d'y entrer. Vous ne faites que commencer. J'ai totalement foi en vous. Et un jour prochain, ce sera vous qui serez à ma place, racontant à un petit con la vérité sur la vie.
-Qui est ? Hoqueta Battista.
Liétald retira finalement son pied et s'éloigna vers la table basse. Il ramassa son hanap et contourna Nusaybah. Il s'arrêta devant les hautes fenêtres. La cérémonie était achevée depuis longtemps, ils en était désormais aux danses. Leufroy et Isolde avaient ouvert le bal, jeunes et beaux ils enchantaient la roseraie. Les Karan mariés à Château-Ygör... Liétald se demanda un instant si son père avait un jour envisagé qu'une telle chose soit possible.
-Vous naissez, vous prenez de la merde. Vous entrez dans le monde, vous en prenez d'autres. Vous gravissez quelques échelons, et vous en prenez moins. Un jour vous vous retrouvez dans l'air raréfié des sommets, et vous n'avez plus la moindre idée de ce qu'est la merde. Le Seigneur de Ténare se tourna vers Battista. Bienvenue dans la mécanique de l'ombre.
Le silence s'installa. Battista se massait doucement le cou. Il côtoyait le Maître du Palais depuis deux ans, mais ce n'était que maintenant qu'il voyait son véritable visage. Celui qu'il ne réservait qu'à lui-même... Et peut-être à ses victimes. Deux yeux verts et froids.
-Qu'attendez-vous de moi ?


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux

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