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#1 2020-05-30 09:45:14

Raoul de la Trimouille

Le pélerin

- J'imagine que votre décision est irrévocable?
- Oui, et mûrement réfléchie.
- Mais seigneur Raoul, vous n'avez que 25 ans, vous avez déjà été admis au Conseil Royal, dans plusieurs assemblées secrètes, et vous avez été sacré Stratège! Ne voyez-vous pas quel avenir pourrait être le vôtre!

Le visage du Comte était impassible. Le sourire franc qui l'illuminait en permanence semblait avoir disparu pour toujours.

- Non, je ne le vois pas. Rien de ce que nous faisons n'a de sens ! J'ai aimé ces combats que nous avons mené, je suis fier de dire que je n'en ai pas perdu un seul, pas même ces osts avec des vassaux parfois novices ou ces combats contre des seigneurs expérimentés, mais tout ceci ne sont rien d'autre que les répétitions d'un spectacle qui n'aura jamais lieu.

Le seigneur finissait son maigre paquetage.

- Je ne pourrai pas avoir un mot pour chacun de ceux que j'ai croisés. Dites juste au seigneur Mannfred de Varsse que...

Un sourire furtif réapparut sur son visage.

- Que je ne regrette pas d'avoir faussement prétendu avoir intercepté des espions à sa solde pour justifier une attaque. Je suis sûr que cela l'amusera !
Dites au seigneur Loric de la Nouë que mon départ ne doit pas l'empêcher de prendre son dessert ! Enfin, dites aux autres d'être en toute occasion respectueux et bienveillant ; Podeszwa est indulgent avec nos erreurs : comment ne le serions-nous pas avec nos frères nous qui, contrairement à Lui, en commettant également?
Allez, ne prenez pas cette mine abattue ! Nous ne sommes que de passage ici. Lorsque le banquet n'est plus à notre goût, il est tant de prendre poliment congé de notre hôte, plutôt que de laisser l'aigreur nous envahir et de nous montrer amer envers lui.
- Vous ne reviendrez donc jamais?
- Qui sait? Jamais est bien trop long pour prendre un engagement sur une telle durée! Ce monde change, peut-être y aurai-je ma place dans quelques ères...



Raoul s'éloignait du frêle donjon de La Trimouille, alors que l'aube était encore timide. Couvert d'une robe de bure, bâton en main, plus rien n'évoquait le seigneur qu'il avait si brièvement été. Il se retourna une dernière fois, le visage illuminé par un sourire profond, apaisé, qui ne semblait plus pouvoir disparaître.

#2 2020-12-05 10:55:41

Boson

Re : Le pélerin

Il arriva devant des ruines que la faible lueur laissait à peine deviner. Ici autrefois se tenait le donjon de la Trimouille ; il avait été abattu peu après son départ et avait servi de carrière pour les constructions alentours.

Raoul ne ressentait pas la moindre nostalgie de tout ce qu'il avait laissé derrière lui : terres, titres, distinctions. Leur possession importait peu, seule leur conquête comptait. S'il les avait mérités, il les reprendrait ; s'il ne les avait engrangés qu'à la faveur du hasard, alors il n'avait en réalité rien perdu.

En contrebas, il entendait les premiers tressaillements du village qui s'éveillait. Aucun des événements qui avaient pu se dérouler dans ce château ne semblaient avoir eu de prise sur la vie de ces paysans.

De sa demi-ère d'errance solitaire, un seul regret avait émergé : celui d'avoir abandonné les siens, ses vassaux, ses alliés. Il en était certain désormais, sa place était parmi les hommes.

Alors que la clarté de l'aurore remplaçait la pâleur de l'aube, son regard se porta dans la direction du dernier château au-dessus duquel flottait encore un étendard ami. Il reprit sa route.

#3 2020-12-18 11:46:30

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

La basse cour du château était parcourue par une foule nombreuse au milieu de laquelle ses habits d'ermite et son bâton de pèlerin ne le distinguaient guère des paysans affairés. Raoul marchait le coeur serré : en arrivant en vue du château, il avait constaté avec appréhension que la vexille flottant au vent était d'azur au loup d'argent, et non rose comme il espérait ; il craignait que cela ne soit de mauvaise augure. Aussi se hâtait-il en direction de la haute cour dans l'espoir d'y dissiper au plus vite son inquiétude. Il s'approcha des gardes qui en protégeaient l'entrée et reconnut, avec soulagement, un des hommes de Mannfred.
"- Bédivère !
- Seigneur Raoul ! Nous vous pensions morts !
- Pas encore, Bédivère ! Je souhaite voir le seigneur Mannfred, est-il en ces murs ?
- Hélas non, il est décédé il y a deux ans.
- De quoi est-il mort ?
- Entre la cause apparente et la cause réelle, je ne suis pas sûr que quelqu'un sache répondre à cette question."
Raoul semblait avoir reçu un coup de masse d'arme sur la tête. Bédivère en savait probablement davantage mais ne paraissait pas disposé à poursuivre sur ce sujet.
"- Qui donc a hérité de ses domaines ?
- Sa fille, Juliette ; je vais vous mener à elle".

Le garde accompagna Raoul à travers la haute cour du château, jusqu'à la porte du donjon ; ils y pénétrèrent, passèrent devant la salle de garde et montèrent par l'étroit escalier en colimaçon qui desservait les étages. Raoul attendit là tandis que son guide disparaissait derrière une porte en hêtre.

Il réapparut quelques instants plus tard, l'invitant à le suivre. A l'intérieur, l'attendait une jeune femme au regard perçant.

" - Ainsi donc Raoul vous êtes revenu ! Dommage qu'il ne soit trop tard pour mon père...
- Ma Dame. J'en suis profondément meurtri. Comment... ?
- Il se serait étouffé avec un noyau de cerise ; son page, le jeune Heimlich, a tenté en vain de le sauver. Mais ce fruit s'est probablement contenté de porter le coup mortel alors que le seigneur Mélancolie l'avait déjà grièvement blessé."

L'intonation et la nature des propos de la Dame déstabilisaient Raoul et renforçaient le sentiment qui l'avait envahi lorsque Bédivère avait fui ce sujet.

" - Mon pèlerinage touche à sa fin. Je souhaite reprendre ma place parmi les hommes et servir votre Maison au nom de l'amitié qui me liait à Mannfred."

Raoul prononça ces mots en mettant un genou à terre.

Dame Juliette se retourna, marchant jusqu'à la cheminée au-dessus de laquelle étaient sculptées ses armoiries et celles de son père. Elle y décrocha une épée, rangée dans son étui de fourrure teinte d'un rose incarnat, et revint se poster devant Raoul.

" - Je ne veux point avoir pour vassal un Chevalier-au-Bâton ; prenez ceci.
- Koutohabeur, l'arme de Mannfred !
- Est-ce une fourche ? "

Raoul se releva et resta interloqué quelques instants.

" - Euh, je dirais plutôt qu'il s'agit d'une épée ?
- Tout à fait ! Je ne vous posais la question que pour être sûre que vous n'étiez pas comme tous ceux qui s'appellent Comte mais passent le plus clair de leur temps à s'occuper de leurs champs !
- Je m'en montrerai digne.
- Je n'en doute pas. Restez donc manger, nous avons sans doute beaucoup de choses à nous dire. Bédivère ici présent et quelques hommes vous accompagneront ensuite pour prendre possession de la terre que je vous accorde en fief."

#4 2021-02-04 10:22:48

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

La nuit tombait rapidement en ce début d'hiver. Raoul se hâta d'entamer l'ascension de la falaise avant que l'obscurité ne l'enveloppât complètement.
La sente pentue se perdait souvent dans les ronces et évoquait davantage la coulée de quelque animal sauvage. Raoul y progressait néanmoins sans hésitation.
Petit à petit, les ronces devinrent moins denses, jusqu'à ce que toute végétation disparût. Il ne restait sous ses pas que le roulement de cailloux que recouvrait une fine couche de neige.
Il atteignit enfin son objectif, une anfractuosité dans laquelle il se glissa avec peine.

Les premiers rayons du soleil le tirèrent de sa torpeur. Sortant de son abri rudimentaire, il contempla le paysage qui s'offrait à ses yeux, celui-là même qu'il avait contemplé durant les six ans de sa vie d'ermite.

Un paysage minéral, désertique et glacé.

Pas la moindre trace de vie.

Sur un rocher, à une trentaine de toises, une tache de lichen.

Plus loin sur la dextre, une touffe d'herbe sèche.

A ses oreilles, le bruissement d'un insecte.

La vie partout, pour celui qui savait voir et entendre.

Quel autre lieu pouvait être plus propice à la contemplation de Son Oeuvre ?

Dans quelques jours, il redescendrait de son ermitage pour regagner la Trimouille où déjà se préparait la prochaine campagne.

#5 2021-02-05 17:47:55

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Mon frère,
Tu me dis que Ciemnota est le chaos, l'antithèse de Podeszwa, qui serait alors l'ordre absolu. Or l'Harmonie n'est pas l'ordre absolu, c'est au contraire l'équilibre entre le chaos et l'ordre. Car que serait l'ordre absolu, si ce n'est l'anéantissement de toute vie ?
Aucun de ces deux hommes ne connaît l'harmonie, de celui qui s'agite en tous sens, laissant ses pensées divaguer, et de celui qui ni ne bouge ni ne pense.
L'Harmonie est comme cet étroit chemin de crête, serpentant au sommet d'une montagne dont un versant dévale vers le chaos et l'autre vers l'ordre absolu.
Assurément il est plus facile pour adepte d'Yggnir de ne pas dévier, son chemin étant tel le lit de la rivière s'écoulant au fond de la vallée : qu'il fasse couler le sang et il ne s'écartera pas de sa voie.
Mais quel chemin emprunter pour embrasser la Beauté du monde, celui des crêtes ou celui qui s'enfonce entre deux falaises ?
N'envoie point un coursier s'épuiser pour m'apporter ta réponse, nous la connaissons tous deux.
Que l'Harmonie guide tes pas.

#6 2021-02-07 11:27:01

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Mon frère,
En réponse à ma dernière lettre, tu m'interroges pour savoir si mon propos s'applique au domaine religieux ou politique.
Crois-tu qu'il existerait des domaines où l'Equilibre serait à rechercher et d'autres où l'excès serait une vertu ?
Ainsi en va-t-il des relations entre les grands du royaume : les deux extrêmes sont à éviter, l'anarchie qui voit le fils se retourner contre le père, ou l'ordre absolu dans lequel chacun se range derrière le roi, par lâcheté ou par mollesse. Chacun de ces extrêmes conduirait inexorablement la noblesse okordienne à sa fin.
Ainsi, soumets chaque chose à la balance de ton jugement avant d'ajouter ton poids à celui des deux plateaux qui monte tandis que l'autre descend.
Que l'Harmonie guide tes pas.

#7 2021-02-24 19:33:04

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

" - Le Prince Aposs Trof a fait part de ses ambitions. Il nous faut prendre une position en faveur du Prince ou du Roi.
- Le Roi Cochonou s'est montré à l'écoute de la Petite Noblesse ; il a proposé de contribuer à la récompense du tournoi...
- La même contribution que des barons ! Mais attention, sur ses deniers personnels ! "

Thierry éclata d'un rire moqueur, mais Bernard continua.

" - Il soutint la création de l'Assemblée de la Petite Noblesse et admit au Conseil Royal son représentant élu, le Baron Mordread.
- Alors que nous en demandions deux. Et accessoirement, il bannit du royaume le Baron Robert de Norbury qui fut à l'origine de l'Assemblée.
- Le Baron Mordread a indiqué avoir reçu un bon accueil et eu la possibilité de formuler nos propositions.
- Mais le Roi a fait la sourde oreille ! Aucune de nos propositions n'a été retenue et la réforme publiée n'a aucune consistance ! "

Bernard ne sut que dire, il avait lui-même formé beaucoup d'espoir au sujet de cette réforme, et le résultat était, il devait bien l'avouer, des plus décevants.
Thierry en profita pour poursuivre.

" - Le Prince Aposs Trof a apporté son appui à la constitution de l'Assemblée dès sa genèse.
- Manœuvre politique ! Il ne se comportera pas différemment de ses prédécesseurs une fois son royal séant posé sur le molleton pourpre.
- Nous pourrions apporter un soutien secret au Prince Apo... "

Thierry ne put finir son intervention, coupé sèchement par son oncle, qui n'avait pas encore pris la parole.

" - Ceci n'est pas une pratique de la maison de La Trimouille ! Si nous soutenons un candidat au trône nous le faisons ouvertement ! "

Il s'apaisa ensuite.

" - Les évènements dont je reçois les échos sont particulièrement inquiétants. Le Prince Aposs Trof est un grand seigneur, digne héritier d'une grande lignée. Il est en mesure de restaurer l'Equilibre...  La Maison de la Trimouille lui apporte son soutien sans réserve. Que cela soit dit."

#8 2021-03-02 23:27:53

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Raoul et son capitaine observaient l'étrange manège qui faisait, de loin, ressembler la forteresse à une fourmilière. Pendant qu'une colonne de paysans s'étirait depuis la porte fortifiée jusqu'à disparaître derrière les collines à quelques lieues vers l'ouest, des chars débordant de nourriture empruntaient le chemin en sens inverse.

Bientôt, ce ballet s'interrompit et il n'en resta plus que cette couleuvre de baluchons et de fourches qui serpentait vers l'occident.

" - Nous y voici, Bédivère !
- Pourquoi n'avons-nous pas attaqué par surprise ? Je ne dis pas qu'il faut soudoyer quelques gardes pour assassiner le gouverneur pendant son sommeil, mais il n'était peut-être pas utile d'envoyer un faire-part d'invasion ?"

Raoul désigna du doigt une colline située à quelques lieues à peine vers l'orient.

"- Voici mon Ermitage, l'endroit où je me rends pour contempler l'Oeuvre de Podeszwa. Je souhaite pouvoir le faire ainsi sans être dérangé par les râles d'agonie de paysans affamés. "

Puis il ajouta, devant l'air dubitatif de son capitaine :

"- Les râles d'agonies des paysans affamés portent loin."

Dernière modification par Boson (2021-03-02 23:29:13)

#9 2021-04-02 13:43:14

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Abattu dans son siège, Raoul examinait à nouveau le message, cherchant à lire ce que son auteur n'avait pas écrit.

" - Vous a-t-elle expliqué sa décision ? "

Mais face à lui, son interlocuteur resta muet, se contentant de tourner légèrement la tête sur le côté pour mieux fixer Raoul de son oeil droit.

" - Je sais bien que vous en connaissez la raison mais que vous ne me la direz ! "

Raoul se leva :

" - Soit, elle reviendra ! En attendant il me faut protéger ses terres contre tous ceux qu'elle a vaincus, et ils sont nombreux ! Je n'y parviendrai pas seul, il me faut trouver des seigneurs dignes de confiances, et cette seconde catégorie est assurément beaucoup plus restreinte que la précédente... "

Pour seule réponse, Liétald fit quelques pas de côté pour gober une mouche.

" - Accessoirement il me faut également trouver des seigneurs avec qui m'entretenir si je ne veux pas devenir à mon tour 'Raoul le Fou' : je doute que parler à un canard soit un signe positif concernant l'état de ma santé mentale."

#10 2021-07-14 21:25:40

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Bédivère pénétra dans la pièce qu'en ce soir d'hiver n'éclairait que le foyer brûlant dans l'âtre. Non loin, Ignisfer jouait avec quelques brindilles sous la surveillance de Lietald, tandis que son père était assis à une demi-douzaine de coudées, quelques parchemins, un broc et trois timbales posés devant lui.

Au regard que Raoul posa sur lui lorsqu'il entra, le capitaine sut qu'il connaissait déjà la nouvelle. Il vint se laisser tomber sur une chaise, face à son seigneur.

Aucun mot ne fut échangé durant de longs instants ; seuls le crépitement du feu et les bruits étouffés de la bataille imaginaire menée par Ignisfer habillaient le silence de la pièce.

" - Comment est-ce possible ?
- Pourquoi cet étonnement, Bédivère ? Pensiez-vous que la Princesse Juliette fût immortelle ?
- Certes non, mais comment la lignée des Varsse peut-elle s'éteindre ainsi dans l'indifférence générale ?
- A votre avis, quelle est la différence entre ce canard et nous ?
- Les bras. Les canards n'ont pas de bras. C'est horrible !"

Raoul haussa les épaules.

" - Nous portons un fardeau bien plus horrible : celui de la conscience de notre mort. Un animal peut avoir peur d'un danger mortel, il peut même ressentir l'absence consécutive à la mort d'un autre animal, mais seul l'homme sait qu'il mourra quoi qu'il fasse : l'animal peut échapper à son prédateur, mais nul ne court plus vite que la mort."

Bédivère empoigna le broc, remplit deux timbales et porta l'un d'eux à ses lèvres :

" - Heureusement que nous avons l'altevin !
- Parfaitement, mais l'altevin présente l'inconvénient de n'offrir qu'une ivresse temporaire...
- Je suis obligé de vous interrompre, mon seigneur ! Je connais quelque noble dont l'ébriété semble pérenne ! "

Raoul esquissa un sourire :

" - Si vous parlez d'un seigneur qui s'offre régulièrement en spectacle en salle du trône, je me vois contraint de vous concéder ce point ! Disons que c'est un principe : le Cydon n'obéit à aucune règle, pas même celles qui régissent ce monde !
Mais revenons au cas général : nous avons trouvé une ivresse bien plus efficace que celle de l'altevin, le mythe."

Raoul but à son tour quelques gorgées, laissant à Bédivère le temps de réfléchir à la portée de ce dernier mot.

" - Toutes sortes de mythes. Vous qui êtes un adepte d'Yggnir, ne vous est-il pas promis de rejoindre la Grande Armée Divine après votre mort, transformant celle-ci en un simple passage d'une vie à une autre ?
Mais le mythe le plus puissant n'est pas forcément religieux, il s'agit du mythe de la rémanence collective. "

Bédivère vida sa timbale et se resservit :

" - Si je dois avoir mal au crâne, je préfère autant que ce soit à cause de l'alcool plutôt que de mots !"

Ignisfer ne semblait pas prêter attention aux deux hommes, occupé à mener la charge d'un groupe de chevaliers-brindilles contre un repère de brigands-brindilles.

" - Le mythe de la rémanence collective, la croyance que nous contribuons à bâtir quelque chose d'éternel, Empire, monument, Histoire, ou simplement une lignée. Mais tous les Empires s'effondreront, tous les monuments s'écrouleront, toutes les Histoires s'effaceront, et toutes les lignées s'éteindront.
- Même la glorieuse lignée des Trimouille-Bonnefoy ?
- Je sens une pointe d'ironie, particulièrement déplacée de la part d'un homme qui n'a même pas de patronyme !... Mais oui, même elle. Et lorsque la dernière lignée aura disparu, il ne restera plus le moindre souvenir du plus héroïque des Empereurs...
- Comme du plus ordinaire des hommes...
- Voilà, ce sera en quelque sorte une revanche pour vous !
- Alors tout n'est que mythe, même Podeszwa ?
- Podeszwa n'est pas un mythe, c'est une métaphore. Nulle promesse d'éternité, même le Zwiastun est mort. Le Podreznik est un guide pour bien mener sa vie, et non pour se soustraire à sa condition de mortel."

Les deux hommes vidèrent leur verre, le capitaine se chargeant de les remplir. A côté de l'enfant, des brindilles rompues jonchaient le sol, les chevaliers-brindilles avaient remporté la victoire et fait prisonnier le chef des brigands-brindilles. Ignisfer s'en empara, se dirigea vers le foyer et le jeta dans les flammes :

" - Rétique ! Au bucer !"

Raoul et Bédivère éclatèrent de rire.

" - Il est tellement mignon !"

Un messager frappa à la porte. Raoul lui ordonna d'entrer et pris connaissance de son message.

" - Un message de mon suzerain... Capitaine, je pense que nous aurons bientôt l'occasion de nous réjouir devant l'harmonie d'une belle bataille !"

Raoul se leva et gagna le centre de la pièce.

" - Venez ici, Bédivère. Mettez-vous à genoux."

Tandis que le capitaine s'exécutait, le seigneur trémoïlien dégaina Koutohabeur, l'épée de Mannfred que Juliette lui avait offerte à son retour parmi les hommes.

" - Moi, Raoul, Duc de la Trimouille, sénéchal du Joyaume de Varsse, vous fait chevalier, pour votre gloire et celle de votre lignage, et vous nomme seigneur de Varsse. Que ce glorieux nom continue à être scandé sur les champs de bataille pour quelques temps encore !"

#11 2021-10-30 22:33:14

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

Raoul tournait en rond dans la salle du trône, dans son donjon fortifié de La Trimouille. Rouge de colère, il frappa violemment du pied dans un des nombreux pichets vides jonchant le sol. De sa main dextre, il agitait un parchemin chiffonné.

" - Mais moi les dingues, j'les soigne, j'm'en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d'Okord qu'on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts façon puzzle... Moi, quand on m’en fait trop j'correctionne plus, j'catapulte, j'disperse, et j'ventile.
Y connaît pas Raoul ce baronnet ! Y va avoir un réveil pénible... J'ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter qu'le sang coule... Mais maintenant c'est fini... je vais le travailler en férocité... le faire marcher à coups de latte... A ma pogne je veux le voir... Et je vous promets qu'il demandera pardon !... Et au garde-à-vous !"

#12 2021-10-31 11:20:16

Raoul l'Ermite

Re : Le pélerin

La porte s'ouvrit violemment et une demi-douzaine d'hommes aux couleurs de l'Ordre de Podeszwa pénétrèrent dans la pièce et repoussèrent sans ménagement les deux gardes présents.

A la tête de la petite troupe, Bernard s'approcha de son oncle, contemplant avec désapprobation les vestiges de son alcoolisation :

" - Visiblement nous sommes tous les deux conscients du pathétique échec auquel nous a mené votre conduite. Toutefois, nous semblons être en désaccord sur l'expédient à mettre en oeuvre."

Raoul, bouillonnant, tituba jusqu'à son neveu, la main sur le pommeau de son épée :

" - P'tit vaurien, j'vais te..."

Mais d'un coup de poing vigoureux, Bernard mit fin à sa tirade.

" - Je prends les rênes de la Maison de la Trimouille, tant qu'il en reste encore quelques murs à sauver."

#13 2021-11-01 17:22:12

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

Le lendemain matin, Bernard convoqua Dame Kana. Celle-ci fut escortée par deux gardes jusqu'à la salle du trône où le Duc avait pris place.

" - Dame Kana, vous n'êtes pas sans savoir que le seigneur Raoul, harassé par de nombreuses années de guerre, a décidé de se retirer en son ermitage et de me confier la lourde tâche de diriger notre Maison.
Ma première décision vise à protéger les intérêts de mon bien-aimé cousin Ignisfer, héritier légitime de la province de Westfalie, dite province de la flamme des amants éternelle, en reprenant pour son compte possession de cette terre que vous avez abandonnée dans votre fuite.
Ne me remerciez pas, chère tante, tout neveu prévenant aurait agi de la sorte."

#14 2021-11-02 10:51:42

Kuïla
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Re : Le pélerin

Je vous remercie pour autant de prévenance. Je pense cependant que si mon fils, l'héritier légitime de mon mari Raoul, venait demander sa restitution lorsqu'il succédera à son père au Roi Galahad, celui-ci se ferait un plaisir de lui en céder ses droits car il est aussi l'enfant de son ex vassale.

Elle voyait clair dans le jeux de son neveu par alliance. Elle pouvait bien sentir la haine qu'il avait envers elle et ses enfants. Enceinte, approchant du terme, elle ne savait pas rester longtemps debout et était obligée de s'asseoir mais elle faisait face à Bernard car au moindre signe de faiblesse, elle savait qu'il n'hésiterais pas à s'en prendre à elle ou encore à ses enfants.

Dernière modification par fatality (2021-11-02 19:45:28)

Hors ligne

#15 2021-11-04 16:45:51

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

" - Chère tante, je crains de m'être mal exprimé. Je vais tâcher d'être plus explicite : lorsque le danger s'est présenté, vous n'avez pas hésité à abandonner sans combat les terres appartenant à notre Maison, les confiant à un homme qui n'a probablement pas d'autre dessein que de les offrir à sa femme... une esclave ! En ces lieux, nous appelons cela une trahison !
Aussi, si vous le permettez, je gèrerai désormais les intérêts de mon cousin sans nécessairement vous solliciter.
A ce titre, Ignisfer ayant dépassé l'âge de raison, sa place n'est plus parmi les femmes : il est temps pour lui de commencer sa formation. Comme il est de coutume, il servira donc en tant que page dans une grande famille jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de devenir écuyer. Il partira sous peu."

#16 2021-11-04 22:04:25

Kuïla
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Re : Le pélerin

Elle n'est plus esclave mais soit. J'ai fait dès que je l'ai pu. Vous avez bien vu l'état de mon mari que je n'ai pas pu aider malgré moi. Donc selon vous, je dois être jugée pour traitrise? Soit, j'assume mon sort mais seulement quand j'aurai accouché et sevré mon enfant. Si ce n'est pas une trop grande faveur à vous demander cher neveu.
Ainsi, vous voulez m'enlever mon fils. Votre courroux ne s'arrêtera donc jamais? Je ne peux pas m'opposer à vous pour l'instant. Je dois donc me plier à vous. Dois-je préparer mon second fils à pareil destin?

Elle était furieuse mais faible. Elle se savait entourée d'ennemis ici. Elle faiblissait, il lui faudrait écourter l'échange pour qu'elle puisse aller se reposer.

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#17 2021-11-04 22:56:42

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

" - Un procès ? Non, cela n'est pas dans mes projets pour deux raisons : déjà parce que, bon gré mal gré, vous faites désormais partie de ma famille et que faire publicité de votre comportement nous porterait préjudice ; ensuite parce que, si vous étiez reconnue coupable de trahison, la seule peine possible serait la mort, et je pense que nous ne le souhaitons ni l'un ni l'autre.
Quant à Ignisfer, ne vous méprenez pas sur mes intentions : à ce jour, ni mon frère Thierry ni moi n'avons de descendance. Il n'est donc pas exclu qu'Ignisfer deviennent un jour le chef de la Maison ; or ce n'est pas en grandissant dans un gynécée qu'il deviendra un grand chevalier !
Liefer devra suivre la même voie lorsqu'il en aura l'âge. Pour vos autres enfants, leur chance d'accéder à ce titre sont minces, aussi leur éducation ne me préoccupe-t-elle pas ; libre à vous de la mener comme vous le souhaitez."

#18 2021-11-06 10:38:06

Kuïla
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Re : Le pélerin

Bien, je suppose que nous n'avons donc plus rien à nous dire? Je prend congé.

Elle se leva et parti en direction de sa chambre devant laquelle il y avait deux gardes.

Puis-je vous demander d'aller chercher Thierry de la Trimouille? J'aimerais lui parler. Merci à vous.

Elle entra dans sa chambre et se coucha sur le lit, faisant venir Ignisfer et Liefer. Elle sera aussi Incendea contre elle.

Mes fils, une épreuve difficile vous attend. Vous allez partir loin de moi et ça va être dur de me revoir. Mais je veux que vous soyez fort et courageux d'accord?

Hors ligne

#19 2021-11-07 12:15:20

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

Thierry se présenta devant la porte de Kana, avant d'être introduit par un garde. Son air avenant, ses chausses et son pourpoint colorés contrastaient avec le visage austère de son frère, la côte de maille et le haubert qu'il portait en permanence.

" - Bonjour chère tante, vous m'avez fait mander ?"

#20 2021-11-07 12:49:29

Kuïla
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Re : Le pélerin

Venez, prenez une chaise. Vous n'êtes surement pas sans savoir que votre frère ne me porte pas dans son coeur. Il vient d'exiger que j'envoie Ignister dans une famille tel que le veux la coutume.
Mais je ne vous fait pas venir pour ça. Je vous ai fait venir pour demandez vos conseils. Est-ce que si je me convertissait à la religion podeswenite, cela apaiserait il un peu sa colère à mon égard?
La dernière chose est une faveur. Est-ce que vous pouvez, de temps en temps me donner des nouvellesde mon mari?

Elle le regarda, les yeux rempli d'espoir, allaitée avec son ventre qui faisait une belle courbe sous la couverture.

Dernière modification par fatality (2021-11-07 16:29:20)

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#21 2021-11-08 22:32:42

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

Thierry prit une chaise et s'assit en face de sa tante.

" - Oh je le sais bien que mon frère peut montrer une certaine froideur ! Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, je me demande s'il n'a pas eu davantage de ressentiment envers notre oncle qu'envers vous-même.
Son page, le jeune Velasquez, me rapporta ses propos suite à votre mariage : ' Que les noces de Kana eussent été une débauche de paganeries ne me surprend guère - un homme aurait pu y changer de l'eau en altevin sans que cela ne me surprît - , mais que le Maître de l'Ordre de Podeszwa se mariât sous les auspices d'une flamme déifiée m'est inconcevable ! '
Je ne suis pas certain que votre conversion modifie son attitude à votre égard, mais si vous prétendez qu'elle est le fruit du travail de Raoul, alors peut-être adoucira-t-il son jugement sur lui."

Dernière modification par Boson (2021-11-08 22:34:06)

#22 2021-11-08 23:53:37

Kuïla
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Re : Le pélerin

Peut-être que cela me permettra de voir mon mari aussi ainsi. Je vous remercie pour vos précieux conseils. Vous voudrez bien m'aider dans ces démarches?

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#23 2021-11-09 20:35:06

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

Thierry s'adossa à sa chaise et plongea sa main dans son épaisse chevelure blonde tout en fronçant les yeux.

" - Et bien cela pourrait se faire de plusieurs façons. Vous pourriez aller voir mon frère pour confesser votre foi ; ce serait assurément rapide mais il vous faudra probablement justifier de la sincérité de votre conversion.
Ou nous pourrions rédiger une lettre à destination de Raoul dans laquelle vous lui révéler votre illumination, et nous arranger pour que Bernard l'intercepte opportunément ; ce ne serait guère difficile tant il contrôle l'isolement de votre mari..."

Dernière modification par Boson (2021-11-09 20:35:39)

#24 2021-11-27 22:59:06

Kuïla
Inscription : 2019-02-19
Messages : 291

Re : Le pélerin

Avec l'aide de Thierry, elle rédigea sa lettre.

Bonjour mon cher mari,

Je vous envoie cette lettre pour prendre de vos nouvelles, voir comment vous vous portez et donner des nouvelles de nos enfants.
Ignister et Lïfer vont tout deux partir selon la coutume dans des familles pour parfaire leur apprentissage dans le but de succéder à votre neveu si celui-ci venait à mourir. Mais ils vont bien et font face à cette épreuve avec beaucoup de courage.
Incendea reste avec moi, elle m'aide pour ma grossesse malgré son jeune âge.
Le petit dans mon ventre grandit bien. Tu devrais me voir, je suis énorme.

Je t'écris aussi cette lettre pour t'informer d'une autre bonne nouvelle. Le départ de nos deux ainés m'a fait beaucoup réfléchir. Et j'ai eu une illumination. Je me suis ouverte à la foie de podeswana, j'ai ouvert le yeux et renié mes anciennes croyances pour me tourner vers les saintes écritures.
Je viens de demander à Thierry le Zwiastun, mon nouveau livre pour ma table de chevet. J'espère que cela apaisera ton coeur de savoir que nous ne devrons pas trancher quant à l'éducation religieuse de nos enfants.

Je t'embrasse avec amour et en espérant pouvoir te serrer dans mes bras avec notre nouvel enfant bientôt.

Ta femme qui t'aime.

Elle se tourna ensuite vers Thierry.

Alors, qu'en pensez-vous?

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#25 2021-12-01 11:28:44

Bernard de la Trimouille

Re : Le pélerin

Thierry relut la lettre, fronçant les sourcils. Il s'empara de la plume et apporta quelques corrections, avant de regarder le résultat d'un air satisfait.

" - Voilà, sans erreur sur Son Nom, c'est probablement mieux ! Je vais vous envoyer un messager pour prendre en charge ce courrier 'hautement confidentiel'... j'ai l'homme de la situation ! "

Thierry arbora un large sourire, rendit le courrier à Kana puis la salua pour prendre congé.

***

Le lendemain matin, on frappa à la porte. Un jeune homme, qui n'avait probablement pas l'âge d'être écuyer, tremblant de tous ses membres, entrouvrit la porte et se glissa à l'intérieur avant de chuchoter :

" - Dame Kana ? "

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