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#1 2015-03-20 23:30:01

Lhassa

Adieu Momo

Dame Lhassa était restée seule dans le temple. Le Vicomte Jeyangel était parti, peut-être pour aider le Comte Momo à retrouver la vue.
  Elle était donc seule avec le devin. Même le mage Ar'da Ney s'était volatilisé.

  Le grimoire était ouvert sur la table. La Vicomtesse demanda au devin de continuer la lecture des incantations.
  Le rituel de purification, qui obligeait à consommer des plantes vénéneuses, semblait effrayer Jeyangel. Cependant, elle ne craignait pas ce rituel. Elle était déterminée à percer à jour tous les mystères de cette magie barbare.

  L'aube pointait déjà. Personne n'était venu dans la grande salle du temple. Lhassa se demandait si elle devait rester chez Jayangel ou partir. Elle ne savait ni où il était parti ni quand il comptait rentrer...
  Elle se souvenait de cet homme étrange, à moitié fantomatique, qui était apparu par deux fois. Il semblait très bien connaître Momo et Jeyangel. Un magicien de l'autre monde, disait-on. Son ami Momo lui avait parlé de ce monde, que l'on nommait "Bordeciel". Une contrée froide et rude, terre de dragons et de magie. Il évoquait avec nostalgie l'époque où il y vivait.

  Des rayons de lumière perçaient à travers les fenêtres de l'immense pièce. Le devin avait terminé l'examen du livre. Lhassa avait pris des notes. Elle se tourna vers le vieil homme. Ils se fixèrent longuement, en silence. Elle avait pris sa décision : elle allait tenter le rituel du grimoire d'Yselda. Ce rituel devait donner accès à la connaissance de la magie d'altération, qui avait permis à la reine barbare de créer un épais brouillard autour de ses armées ou les marais mortels à l'entrée de son camp.

  Le devin et la vicomtesse quittèrent le majestueux temple de Jeyangel. Le livre sacré était resté sur la table. Un billet était posé dessus à l'attention du maître des lieux.

   
                                                                               * * * * *

  Le Vicomte Monstro restait assis dans son fauteuil au coin de la grande cheminée de pierre. Il ne voulait voir personne. L'ingestion forcée de champignons et de plantes toxiques l'avait laissé affaibli et malade. Il avait des douleurs aiguës au ventre et en bas du dos. Un excellent médecin envoyé par le Prince Morgan avait diagnostiqué un foie anormalement gros et des reins défaillants. Malheureusement, il ne connaissait pas de remède pour soigner ces maux.
  Monstro s'était donc résigné à une mort lente, à souffrir jusqu'à ce que ses organes arrêtent de fonctionner. 

  Une après-midi, un messager arriva à Zouzouland. Le régent Godefroy organisait un tournoi et, bien sûr, le Vicomte était invité.
  Cependant, il ne voulait pas s'y rendre. On réussit tout de même à le convaincre. Il participa en serrant les dents. Ses douleurs étaient fortes et il termina en bas du classement. Il grommela à son écuyer qu'on ne l'y reprendrait plus et qu'il ne participerait plus jamais à un tournoi.

  Peu de temps après, le Prince Morgan annonça la tenue de son propre tournoi. Le seigneur Monstro n'eut pas le cœur de décliner l'invitation. Les festivités étaient joyeuses. Malgré le vin, le Vicomte fut battu par tous les participants.

  Toutefois, la joie de voir Morgan monter sur le trône à l'issue du tournoi fit oublier bien des souffrances.


                                                                             * * * * *

  Les différentes plantes avaient été cueillies et tous les accessoires nécessaires au rituel étaient rassemblés sur la table. Dans la grotte, on n'entendait que le murmure du ruisseau.
  Le devin prit la parole :
  "Ma Dame, nous commençons quand vous le désirez."

  Soudain, un pigeon entra dans la troglodyte et se posa sur l'épaule de la Vicomtesse, qui s'empressa de lire le message qu'il portait à la patte. Le devin attendait, le regard interrogatif.
  "C'est une missive du Vicomte Jeyangel. Le Prince Morgan est devenu roi ! Sa majesté Morgan le Bon... ça sonne bien, tu ne trouves pas ?"
  Le devin approuva. Dame Lhassa ajouta :
  "Pour répondre à ta question, nous commencerons le rituel à la prochaine lune noire."
  "C'est dans trois jours, Ma Dame", répondit le vieil homme.

  Le billet de Jeyangel était bref. Il n'évoquait ni le grimoire, ni Momo.

 

                                                                            * * * * *

  Le seigneur Monstro s'était levé de bonne humeur. Le Grand Duc du Nord était roi et cela le remplissait de joie. Il en oubliait presque son foie et ses reins. Il était même sorti la veille pour passer en revue les nouvelles recrues.

  Il commençait son repas avec entrain, savourant un petit pain frais et un œuf mollet.
  Tout-à-coup, quelqu'un frappa à la porte. Le sénéchal s'avança, annonça un coursier, puis s'effaça pour le laisser entrer.
L'homme, essoufflé et trempé, parla avec émotion :
  "Messire, le roi, sa majesté Morgan le Bon, a été capturé cette nuit."

  Cette nouvelle glaça le Vicomte. Il devint blême et murmura :
  "Ce... Ce n'est pas possible... Pas possible... Dis-moi, mon brave, comment est-ce arrivé ?"

  Le messager répondit :
  "La Forteresse d'Arald a été attaquée sournoisement par les seigneurs Edwin et Jacquouille, Messire. Il ne reste là-bas que des milliers de cadavres. Et le seigneur Morgan, déchu de son trône, a été conduit menotté vers un endroit tenu secret."

  "Le Prince Morgan, capturé par le vil Jacquouille et par le fantôme d'Edwin... Le complot dont on m'avait parlé se met donc en place. Ils n'ont pas traîné les bougres ! Et certains en Arald avaient raison lorsqu'ils évoquaient la présence d'un traître au sein du Duché..." songea le Vicomte Monstro.

  Toute sa bonne humeur l'avait brusquement quitté. Il demanda au serviteur de ramener le plateau en cuisine. Il n'avait plus d'appétit. De plus, il décida de rester seul dans sa chambre.

  En fin de journée, le sénéchal lui apporta un texte que le Sire Bélial avait fait parvenir de façon officielle au Duché d'Arald. A la lecture de ce texte, Monstro faillit s'étrangler avec son bouillon de légumes.

  "Quoi ?! Quasiment tout le royaume se ligue contre nous ! Et en plus ils veulent détruire Arald ! Ont-ils perdu la tête ? Qu'ont-ils contre nous ?"
 
  Le sénéchal restait debout devant son seigneur, sans rien dire. Le Vicomte soupira :

  "Ces guerres épuisantes ne cesseront jamais... Je ne sais pas si j'aurai suffisamment de forces pour faire celle-ci..."

  Puis, il fit signe à son sénéchal d'approcher et lui donna quelques ordres.


                                                                            * * * * *

  Dame Lhassa se préparait avec assiduité au difficile rituel qu'elle allait faire. Elle ne sortait de sa méditation que pour avaler des soupes d'orties.

  Lors d'un moment de concentration, l'homme étrange lui apparut une troisième fois. Il avait l'air grave.
  "Je viens vous donner des nouvelles de Momo. Il m'a demandé de le faire, puisqu'il ne peut pas communiquer avec ce royaume, à présent. Sa blessure est bien guérie mais personne n'est parvenu à soigner sa cécité. Il hésitait à revenir en Okord. Maintenant, il a pris sa décision : il reste en Bordeciel. Il s'y trouve mieux. Il est parmi ses frères et sœurs. Il a donné des ordres pour que les villages qu'il possédait en ce royaume soient abandonnés par leurs habitants."

  Lhassa n'eut pas le temps de poser des questions ; l'individu fantomatique avait disparu. Une immense tristesse l'envahit. Elle avait espéré le revoir. Elle ne pouvait pas aller dans ce pays lointain.


                                                                             * * * * *

  Le seigneur Monstro était couché, mais il ne parvenait pas à trouver le sommeil, lorsqu'il entendit un battement d'aile et des bruits de pattes. Il tira la tenture qui entourait son lit. L'épais rideau huilé qui couvrait la fenêtre bougea. Un volatile en sortit et vola jusqu'au lit.
  Le Vicomte le reconnu comme étant le pigeon favori de son épouse. Il pensait à elle, avec amertume, chaque fois que des douleurs le torturaient.
  Il alluma sa bougie de chevet et lut le message que portait l'oiseau.
  "Mon ami, j'ai jugé nécessaire de vous faire part des tristes nouvelles que j'ai eues ce jour. Le Comte Momo ne reviendra pas en Okord. Il a décidé de rester en Bordeciel, sa terre natale. Ni vous, ni moi, ne pouvons l'y rejoindre... Pour ma part, je ne réapparaîtrait pas sur vos terres. Je pense que c'est mieux ainsi. Votre dévouée, Lhassa."

  Le pigeon s'envola brusquement et disparut dans la nuit de la même façon qu'il était venu.

  Le Vicomte plongea dans une profonde mélancolie. Il voulait présenter ses excuses à son ami Momo, lui dire que cette flèche était un accident... Il n'en avait pas eu l'occasion. C'était trop tard.

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