Vous n'êtes pas identifié(e).

#1 2019-06-22 17:47:57

Luis

Ma mère

Les bourrasques d'air chaud de la brise du Suroît se frayaient un chemin sur les crêtes et les toits.
Les coups de vent geignaient jusqu'au fond des ruelles.
C'était le chant de deuil de Guarida la Belle.


Depuis la veille, la ville portait le noir.
Serfs, bourgeois, soldats, venaient rendre un dernier hommage à la duchesse Carmen. Parmi la foule qui montait vers le roc du palais, beaucoup de femmes et d'enfants. Beaucoup étaient venus de loin, du Nord du Canal.

Les armoiries de Carmen, coupées d'argent au Cygne de sable et de pourpre au Guépard d'argent, pendaient en longues bannières suspendues aux murailles.

La chapelle du palais était ouverte à tous.
Cet édifice modeste, à la coupole percée pour laisser passer le soleil, ne pouvait accueillir que peu de gens à la fois. L'attente était longue pour y parvenir. Seuls, les nobles étaient accompagnés pour remonter la file.


À l'intérieur, dans l'obscurité et la fraîcheur, le corps embaumé de la duchesse reposait sur une dalle de marbre rose tapissée de roses blanches. Ses mains étaient croisées sur sa poitrine. On lui avait passé sa plus belle robe pourpre.


Le père et le fils de la duchesse se tenaient debout à côté de l'autel. Tour à tour, les deux hommes recevaient les condoléances de celles et ceux qui étaient venus.

Le vieux duc Zyakan ne tenait sur ses pieds que par la force de Podeszwa. Seul, il n'aurait jamais eu la force de soutenir le poids de son cœur, lourd comme un cercueil de plomb.


Le jeune duc, Luis, impassible, comme absent, semblait tendre l'oreille vers les échos perdus d'une vieille chanson.



Je m'invente un pays,
Où vivent les soleils,
Qui incendient les mers et consument mes nuits
Les grands soleils de plomb, de bronze ou de vermeil
Les grandes fleurs soleil, les grands soleils soucis...
Ce pays est un rêve, où rêvent mes saisons.
Et dans ce pays-là, j'ai bâti ma maison.

Ma maison est un bois, mais c'est presque un jardin,
Qui danse au crépuscule autour d'un feu qui chante
Où les fleurs se mirent dans un lac sans tain
Et les images embaument aux brises frissonnantes
Aussi folle que l'aube, aussi belle que l'ambre,
Dans cette maison-là, j'ai installé ma chambre.

Ma chambre
Est une église, et je suis à la fois,
Si je hante un instant ce monument étrange,
Et le prêtre et le Dieu et le doute et la foi
Et l'amour
Et la femme, et le démon et l'ange

Au ciel de mon église brûle un soleil de nuit
Dans cette chambre-là, j'y ai couché mon lit.

Mon lit est une arène
Où se mène un combat
Sans merci sans repos, je repars tu reviens,
Une arène où l'on meurt aussi souvent que ça
Mais où l'on vit pourtant sans penser à demain...
Les grandes fatigues chantent quand je m'endors

Je sais que dans ce lit, j'ai ma vie, j'ai ma mort


Barbara - Ma maison

Dernière modification par Zyakan (2019-07-15 01:40:27)

#2 2019-06-22 22:03:57

Des Armoises

Re : Ma mère

Le jeune duc sursauta, brutalement rappelé du Pays où vivent les soleils.
Une main de plomb s'était posée sur son épaule, qui semblait vouloir l'enfoncer sous les dalles de la chapelle.

Des Armoises était venu.

Dissimulant son chagrin derrière une brusquerie virile, le comte martelait affectueusement l'épaule de Luis, appuyant chaque parole de réconfort d'une nouvelle tape.
La liste des qualités de sa mère lui fut lourdement assénée.
Nombreuses, les qualités.
Trop.
Le gars allait vraiment lui enfoncer la clavicule.

Puis, Nicolas - la gorge nouée - évoqua sa propre peine. Les mots "amie" et espérance" furent puissamment soulignés.
Heureusement que le vieux fou ne portait pas ses gantelets d'acier !

Enfin - loué soit Podeswa - Des Armoises se trouva à court de mots.
Deux ou trois tapotements encore, et puis la main se retira.

Le Sans-Epée se détournait du jeune-homme pour aller présenter ses respects à Zyakan lorsqu'il se figea soudain, et déclara d'une voix douce :
- "A ta mère gisante, baisant ses mains glacées, j'ai juré qu'à sa chair je resterais lié.
Je te salue.
Marquis."

Dernière modification par Des Armoises (2019-06-23 11:48:15)

#3 2019-06-25 22:41:03

Sheeana

Re : Ma mère

Elle se trouvait à Guarida avant d'avoir passé les portes.

Elle se trouvait à Guarida durant la chevauchée à bride abattue depuis Nid de Griffon. Depuis l'annonce crachée par le souffle d'un messager qui ne comprenait pas, entre les compagnies de lanciers qui comprenaient à demi mot que la retraite avait sonné.

Elle ne portait pas le noir mais une robe de pourpre et de dentelles, un cadeau datant presque de leurs vertes années. Son voile tressaillait par instants, et une main sèche venait fendre sa manche pour le remettre en place. Une image très pâle, fine et brune et comme affadie, de la dame de Solède.

Elle se trouvait toujours à Guarida. Depuis les fenêtres de sa Caladan, quelque part entre les pics, ses tours s'effilaient et venaient lui pointer le ciel du doigt.
Elle se trouverait toujours à Guarida. Après avoir repassé les portes. Après. Toujours. Tant pis. Elle ne la quitterait pas des yeux.

Pied de page des forums

Propulsé par FluxBB