Vous n'êtes pas identifié(e).

#1 2019-06-02 17:46:44

alceste

Le Banquet du Closier

On a fait place nette au Closier pour accueillir les grands esprits des seigneuries d’Okord.
Dans le jardin du manoir, des klinês ont remplacé les rudes bancs de pierre. La pièce d’eau est protégée du soleil par tout ce que la contrée compte de lianes : des glycines, des lierres et des vignes, bien entendu. Dans un second cercle, on a tendu des velums pour s’assurer que les plus éloignés des voyageurs trouveront une place ombragée dès leur arrivée.

Le maître des lieux a souhaité que tout l’Empire puisse se trouver à son aise, dans l’intérêt des sciences et des lettres. Malgré les réticences du Recteur Marillac, on a sacralisé des lieux de prière à Yggnir et à Podeszwa sur le domaine, dans des tentes diamétralement opposées. Ceci, de manière à ce que le rite bruyant des adeptes d’Yggnir ne vienne pas troubler la méditation des Podeszwien tandis que les libations joyeuses faites aux Dieux anciens se tiendraient directement dans la cave « pour une plus grande proximité avec Lussuria » avait expliqué Alceste.

Navet s’est beaucoup démené dans les chais de chaque fief pour proposer aux convives des cuvées différentes pour chaque jour des deux phases de lune que durera le symposium : on commencera par les vins nouveaux pour s’aventurer vers des fermentations et des gardes plus longues aux saveurs plus corsées. On finira par les plus exotiques, conservées à La Quadra del Garraf (dont on dit que pour en préserver le secret, les serfs en charge de la vinification sont muets de naissance mais d’aucuns ne reculent pas à se mutiler la langue pour s’assurer un avenir de labeur moins pénible que le travail des champs).

Hommes et femmes, philosophe ou dévot, géomètre ou poète, praticien ou chirurgien, architecte ou herboriste, voire les plus éclairés des seigneurs, toutes celles et ceux d’Okord qui savent unir la treille aux choses de l’esprit sont conviés.

Deux lunes entières consacrées aux idées.
Un ordre du jour avait été savamment étudié, déclinant pour chaque journée une réflexion thématique :
-"Lectures chantées des grandes pages d’Eugénée Anet",
-"Les pratiques dérivées du Démonikon dans la vallée du Zwiastun",
-"La Bataille de Trézidad – mythe fondateur de la noblesse okordienne ou réalité historique",
-"Le tumulus de Gweddnidrup comme porte d’entrée vers le monde des dragons - relecture de la légende à l’aune de récentes découvertes de pierres gravées pré-déomuliennes",
-etc…

Mais, le royaume bruissant de tant de rumeurs sur un nouvel Art de la guerre, Alceste convoqua la fine fleur des savants d’Extrion en charge de l’organisation du Banquet. Son élocution était étonnamment claire, signe évident d’une période de relative sobriété car Alceste était sobre en toute chose, y compris la sobriété :
Soyez tous remerciés pour l’exhaustivité des thèmes que vous vous proposiez d’enrichir par l’acuité des plus agiles penseurs de l’Empire. Vous savez qu’en haut lieu on réfléchit à de nouvelles méthodes d’engagement dans la bataille. Je n’ai nul doute sur la grande pertinence des états-majors des plus grandes armées d’Okord pour susciter des stratégies qui feront de chaque combat une épopée. Mais à cette heure où de nouvelles manières de guerroyer vont se faire jour, il me revient en mémoire les lignes du grand poète satyrique Borrisvianis :
"Voilà des ères et des années
Que j'essaye d'augmenter
La portée d’mon trébuchet
Et j’me suis pas rendu compt'
Que la seul' chos' qui compt'
C'est l’fief où l’boulet tombe."

L’assemblée rit timidement à cette audace. Alceste se dissimula malhabilement derrière le rimeur:
Gageons que nos hauts dignitaires ne prendront ombrage des mots du génial pamphlétaire.

Mais force est de constater qu’aujourd’hui nos caves et greniers sont pleins et que nos veaux sont gras. Et nos villages, s’ils retentissent du babil des nourrissons c’est bien la preuve de l’engagement de nos sujets dans des joutes bien pacifiques, même si parfois glorieuses.

Aussi, chers érudits, j’ai décidé que vous auriez à deviser durant ces deux lunes sur un unique sujet. A l’instar de nos tacticiens qui travaillent d’arrache-pied - son cœur se serra à cette image d’épouvante pour le vigneron qu’il était, il se reprît – qui travaillent ardument, disais-je, à la question du "Comment bien guerroyer ?", vous aurez pour tâche de nous donner le meilleur de vous-même pour répondre à cette énigme : "Pourquoi batailler ?".

Tout Okord compte sur vous. Ne négligez rien dans cette quête.
Les sentiments les plus vils y seront les plus surs alliés des causes les plus nobles.
La soif de pouvoir s’inventera un frère puissant qu’elle nommera Honneur.
La cupidité se légitimera par la famine.
La vengeance et la colère prendront le digne aspect de la riposte et du droit.
J’ai même ouï dire que le vol de l’épouse d’un Roi avait su être un bon motif à une guerre légendaire.

Excès d’abstinence ? On sentît une colère soudaine dans sa péroraison : "Soyez créatifs – Inventez le terreau des conflits de demain – Suscitez l’appétit de pourfendre son prochain – Pour qu’à la veille d’une prochaine aube aux doigts de rose, un cavalier s’écrie crânement : « J’aime l’odeur des lanciers au petit matin ».
Était-ce la colère, une trop longue privation, une vive douleur au talon ? Toujours est-il qu’Alceste se retira sous sa tente, laissant une assemblée pantoise.
Les invitations avaient été lancées aux quatre coins du monde connu et ce brusque changement de programme changeait sérieusement la donne. Qui s’aventurera dans les méandres de ce symposium [en rp] ?
Enfin… le vin était tiré. Cette rare occasion de déguster tant de nectars en convaincra certains.

#2 2019-06-02 22:35:20

Des Armoises

Re : Le Banquet du Closier

L'homme qui se tenait devant le comte des Armoises aurait pu prétendre aux plus hautes fonctions dans le clergé de Caddyro.
Son visage, marqué par les dermites les plus aigües - et martyrisé, dans de singulières circonstances, pour le service d'Okord - constituait un véritable hommage aux champignons.
Les années n'avaient pas été clémentes avec la peau de Seborian, qui continuait d'arborer pustules, squames et plaques rouges. Semper fideles...

On s'habituait assez vite à la singularité dermique de celui qu'on surnommait "Sire Séborrhée".
La vivacité pétillante de son regard, par contre, ne manquait jamais d'étonner.
Nicolas s'était encore fait surprendre.
Il sourit affectueusement à l'érudit, qu'on aurait pu confondre - encore - avec un étudiant boutonneux, et saisit un parchemin sur sa table de travail.
-Ainsi donc, mon ami, vous souhaitez vous rendre au...
Des  Armoises plissa les yeux, en raison de sa vue déclinante.
- Au Closier, seigneur comte. Tenure du Sieur Alceste. Je crois savoir que...vous l'appréciez.
- Je n'en fais pas mystère, Seborian. Peu d'Okordiens ont su offrir de la beauté à ce Royaume. Alceste la fait surgir, jour après jour de son raisin. Cet homme est un bienfaiteur.
J'accepte donc que vous vous rendiez chez Alceste pour éduquer votre palais. Ces temps ne sont pas si mauvais, où les savants sont instruits par les vignerons.
J'ai presque envie de vous accompagner.
- Mais, seigneur-comte, je ne vais pas au Closier pour boire !
- Ainsi perdriez-vous toute l'estime que je vous porte.
- A vous entendre, sire Nicolas, pour pourriez tenir boutique de ses nectars.
- Des boutiques de vin Nicolas. Quel comique vous faites, Seborian... Allons, j'accède à votre requête. Faites-vous escorter par un escadron d'Enfants-Perdus et faites porter au Saint-Homme un tonnelet de mon eau-de-vie d'angélique. Moins subtile que son vin, mais puissamment remontante. Excellent désinfectant, par ailleurs.
- Seigneur, permettez-moi de préciser que le sieur du Closier entend nous faire philosopher.
Des Armoises ne put retenir un rire joyeux.
- Ah le brave homme ! Boire et penser ! Comme on sait vivre en Extrion ! Au Closier, ventre à terre ! Prête hommage au raisin et...
Le regard du comte se fit pensif.
- Et ?
- A la civilisation.

Dernière modification par Des Armoises (2019-06-22 13:39:49)

#3 2019-06-22 10:22:56

alceste

Re : Le Banquet du Closier

Le symposium qu’avait convoqué Alceste n’avait pas tenu ses promesses.
Si ce n’est un émissaire du Comte des Armoises qui avait bien voulu se prêter aux jeux de l’esprit, les seigneurs d’Okord avaient négligé cette occasion de s’interroger sur les justes motifs à porter la mort et la désolation dans le fief du voisin.
Le banquet platonicien avait fait long feu. Alceste s’était vite découragé. La réflexion avait vite cédé le pas à des considérations avinées sur la qualité des breuvages. Le grand apparat du salon dans les jardins du Closier s’était mû au fil des barriques en une bacchanale échevelée que la décence m’interdit de raconter ici. On ne saura que remarquer que pour les choses de la chair, chacun a eu tôt fait de faire fi de ses percepts religieux et de sa défiance pour la mystique d’autrui.
Bref, on ne savait toujours pas pourquoi faire la guerre alors on s’adonnait à d’autres formes d’archaïsmes moins funestes. Au moins s’entendait-on sur la manière : dans le désordre et la furie.

Les récents événements parvinrent aux convives. Comme on jette un seau d’eau froide sur deux chiens qui s’affairent dans la rue, le récit des combats de Carmen contre l’Empereur a vite dégrisé les esprits.
On ne savait toujours pas pourquoi l’on faisait la guerre mais on savait maintenant qu’elle nous avait privé d’une des plus remarquables plumes d’Okord. Que la force brute d’un soudard avait eu raison de la finesse de lame et d’esprit de l’admirable Carmen de Guarida, duchesse de Solède et de Luscanie.

Dans le même temps, Hagen de Myzar, Sénéchal des Templiers, Commandeur des Provinces du temple de Quintras et du Valar, déclarait la guerre au Recteur Marillac.
Le sens de l’histoire d’Okord avait mené vers les sommets de l’Empire l’habile prêcheur. Sa parole et une conjoncture favorable lui avaient procuré en quelques lunes plus de pouvoir qu’un marquis rompu à l’art du combat.
Hagen de Myzar se targuait donc de vouloir éprouver le pouvoir des Anciens dieux ?
On y voyait plutôt la défiance de la vieille noblesse d’épée envers les naissantes noblesses de cloche et de robe.

L’on décrocha les pavois du Closier non sans un dernier toast à la mémoire de la duchesse de Guarida. On bût un vin des plus droits qui laissait en bouche l’amertume du deuil et l’acidité du souvenir.
Alceste rassemblait ses troupes pour partager avec son suzerain une défaite quasi certaine : par sens du devoir, pour écorner un tant soit peu la force brute d’une vielle noblesse revancharde…
On savait donc enfin pourquoi aller au combat. Et cela n’avait rien de glorieux…

Il revînt à Alceste, les bribes d’un poème de Ninoferrerus que lui avait rapporté le Vicomte Slinnix:
« Jour l’autre saura qu’y a guerre, c’est très sûr.
N’aime pas ça mais pas savoir faire quoi,
Destin, destin. »

Alceste se promît d’en rechercher la version originale si les anciens dieux lui prêtaient vie.

Pied de page des forums

Propulsé par FluxBB