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Installé depuis plusieurs saisons en Solède, le jeune Ismaël se promenait songeur au milieu de ses jardins.
Lui qui venait de débarquer en Okord pétri d’ambition et d’exaltation se souciait de son avenir. Qu’allait-il laisser à la postérité ?
Exilé de Valesia, voilà que celui-ci apprenait la disparition récente de l’Empereur, manquant de faire vaciller ce nouveau monde qu’il commençait tout juste à embrasser. Qu’avait laissé cet homme à la postérité ?
Ismaël déambulait parmi les orangers, ne pouvant s’empêcher d’être enivré par l’odeur que dégageaient ces derniers. Rappelé à l’ordre par la densité de la végétation, il évitait avec précaution d’écraser les plantes aromatiques. Finalement, en arrivant aux frontières de ce clos, il contemplait au loin l’immense nature du Sudord confrontant les années.
Il se rappelait alors, devant cet horizon de pureté, de quelques mots volés à de lointaines fabulations : « Verba volant, scripta manent ».
Si les actes et les paroles s’enfouissaient dans les âges, les écrits eux les traversaient. Alors, Les tourments logeaient-ils dans un passé condamné ou accompagnaient-ils cette nouvelle œuvre incertaine ?
Ismaël rentra précipitamment au château, comme si le temps ne l’attendait pas.
Je m’appelle Ismaël Saraeli.
Ni mon prénom ni mon nom ne sont familiers et ne résonnent au cœur de la dense histoire du Royaume d’Okord. Ceci n’est pas anodin puisque je n’en suis issu, j’y suis même complètement étranger.
Cette différence est singulière car bon nombre de dames et seigneurs qui liront ces mots se rappelleront, pour certains, d’un quasi réflexe, des histoires de leurs ancêtres qui fondèrent et forgèrent ce Royaume.
La mienne d’histoire, l’okordienne, prend racine dans ces écrits que je me dois de rédiger afin que vous compreniez le seigneur que je suis.
Toutefois, avant de partager mes péripéties en ce nouveau monde, il m’apparaît plus judicieux de vous conter l’histoire de celui dont je suis originaire, la Valesia.En effet, je suis né bien plus au Sud, là où les navires okordiens naviguent avec timidité ; là où évoquer un Roi attirerait sur votre personne au mieux des regards interloqués, au pire des pensées suspicieuses ; là où les seigneuries n’existent pas et où la chevalerie semble poussiéreuse.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les contrées de Valesia sont tout aussi hostiles que celles d’Okord, toutefois moins pour vos valeurs et vos actes que pour vos pensées et vos mots.
Les rares récits de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Empire d’Okord voyageant jusqu’en Valesia rapportent un monde hostile marqué par ses contrastes géographiques, où les reliefs sauvages du Nord détonnent avec les régions chatoyantes et arborées du Sud, où l’humidité des régions de l’Est fait ressortir l’aridité de leur versant occidental.
La rudesse de l’existence est également particulière à cet espace que je découvre. Veiller à sa vie est ici tout aussi primordial qu’en Valesia, entreprise dans laquelle vous serez toutefois plus avisé de recourir à votre épée qu’à vos deniers.
La nature valesianne quant à elle diffère en tous points. Majoritairement damée de plaines, la République connaît d’autres contrastes, particulièrement sociaux, dessinant une nation verticale façonnée par la centralité des grandes villes marchandes.
Par chez nous la puissance est drapée, l’influence obligée et les intentions masquées. L’épée réduite au folklore de quelques traditions oubliées.
En prenant la route pour votre royaume, le désir de trouver un autre monde a bercé mes espérances, quand le mien s’offrait à l’indigence.
D’une naissance plutôt bien placée je grandis sans peine au sein d’une famille d’artisans valésians : les Saraeli, qui firent fortune dans la confection ainsi que le commerce d’étoffes.
Par chance, notre famille évita d’engendrer quelques progénitures habiles pour abîmer leur nom aussi vite qu’il ne faut de temps pour le prononcer. C'est ainsi que les Saraeli s’installèrent durablement au sein du tissu bourgeois valésian, ce qui ne manquait pas de faire sourire mon père qui n’avait jamais vraiment apprécié la compagnie de ces « oiseaux ».
Finalement cette vie idéale qui semblait sourire aux audacieux -non pas par chance mais par bonne naissance- apparaissait comme idoine et pleine de réconfort.
Dans cet univers où l'opulence régnait sans limites, le clan Saraeli cultivait malgré tout une certaine particularité, pudique aux yeux de tous mais à l’intimité romantique.Je dresserai dans d’autres écrits le portrait de cette famille nombreuse, il n’en reste pas moins que ma place dans cette lignée semblait déjà m’attendre, destinée écrite sur laquelle je ne souhaitais poser les yeux.
Cadet de ma fratrie, l’amour des lieux et des paysages m’avait progressivement amené à désirer d’une autre existence. Sous la surveillance de mes frères et sœurs j’aimais m’adonner aux rêveries et autres jeux de l’imagination, quand arpenter les rues de la capitale valesianne aux côtés des autres bambins finissait par me lasser.
La branche sur laquelle j’étais assis paraissait ainsi se fragiliser au fil des années, mais mon père Jacob avait fini par comprendre que son dernier fils filait un coton sibyllin, faisant front à la tradition entrepreneuriale des Saraeli.
C’est avec une bienveillante attention qu’il laissa libre cours à mes tribulations, s’appuyant sur mes autres frères pour assurer la pérennité de son affaire.
Portrait de mon père Jacob Saraeli, ma sœur Éléonore et moi même à l'âge de 7 ans.
Le temps n’attendait pas. Ce chemin qui se dessinait inéluctablement allait se figer, une maladie couvait.
Jadis les voyageurs qui faisaient escale en Valesia découvraient un creuset au potentiel infini, à la fois surprenant et intriguant. Celui-ci n’échappait d'ailleurs pas aux fantasmes et autres mythes transportés par delà les mers.
Jeune par son existence et véritable singularité culturelle reconnue à travers tout le continent d’Ohm, cette nation était un diamant brut à polir s’appuyant sur un régime républicain novateur qui ne manquait pas de la distinguer des autres.
L’enjeu existentiel de cette petite enclave rayonnante était de taille, encore fallait-il en prendre la mesure.
Hélas, à ces grandes promesses se substituèrent peu à peu de lancinantes désillusions. Valesia s’éloigna de son essence, et s’écroulait à petit feu sur les sentiers de la gloire.
La resplendissante s’éteignait dans un crépuscule dramatique.Cette sinistre époque s’annonçait il y a de ça une dizaine d’années. Je terminais mon éducation quand les premières graines malades germèrent au cœur de ce jardin idyllique, en sa capitale.
Les scandales foisonnaient, la vie publique se grippait, gagnant en violence. L’air qui parcourait ses rues devenait suffoquant et c'est toute la cité qui perdait son éclat flamboyant.
En quelques années la République souffrait d’une étrange et stridente crispation. Le tissu s’était raidit, il ne se réinventait pas. Les oiseaux, enlaidis, frôlaient désormais le trépas.Notre famille allait progressivement être confrontée à ce décor tragique qui s'installait dans l’apathie générale. L’identité valésianne qui faisait la fierté des Saraeli se convertissait au fil des années en un malaise, et les idées politiques défendues par mon père allaient rapidement aiguiller dans la direction de notre famille de nombreux ressentiments.
Un mal qu’il s’agissait de traiter.
Dernière modification par Ismaël Saraeli (2019-05-09 01:46:58)
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