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-Les armées conjointes du Coq bataillaient ferme contre celles de Wanderer. Mais la cavalerie araldienne fit la différence en enfonçant les lignes arrières.
-J'comprends. Dit le petit garçon, ses sourcils froncés comme s'il parvenait à saisir toute l'importance de la discussion. Pour gagner une bataille faut de gros chevaux.
Le rire d'Aldegrin de Karan éclata dans la pièce, sévère et rocailleux. Un rire qui n'était ni moqueur, ni entaché d'ironie. Un éclat fugace d'une joie qu'il pensait avoir oublié.
-Non, Maël. Pour gagner une bataille, il faut être impitoyable.
Le jeune héritier fronça encore les sourcils, tentant de saisir le sens d'un mot qui ne faisait pas partie de son dictionnaire. Aldegrin se leva de son fauteuil, encore le sourire aux lèvres. Il sortit d'une commode un étrange étui de cuir, emmailloté dans une peau de chamois.
-J'ai gardé en mémoire ce que tu m'as dit avant mon voyage pour Ténare. Là-bas j'ai demandé au meilleur artisan de...
-Mordante ! Cria Maël en bondissant de son siège. Donne ! Donne ! Donne !
Ce n'était pas Mordante à proprement parler. L'épée des Seigneurs de Samarie restait fermement attachée à la ceinture de Baudoin. Cependant, l'imitation en bois de chêne était brillamment réussie. Maël brandit fièrement ce qui s'annonçait être le destin funeste des rosiers de la cour... et déjà celui des pages écrivant dans le bureau du Gouverneur.
-Maël Morgan d'Arald ! Veux-tu bien...
La nourrice s'arrêta à l'entrée des appartements du Seigneur de Ténare, dardant sur le vieillard ce regard si particulier que tous lui accordaient, à des degrés différents. Subtile mélange de haine, de peur et de dégout. Maël n'avait pas ça dans ses yeux. Lui ne voyait qu'un vieux monsieur qui lui donnait des gâteaux au citron, racontait des histoires que sa mère lui interdisait d'écouter et lui donnait des jouets faisant le malheur des frêles genoux des serviteurs.
-Regarde, nourrice ! Chuis Antoine de Samarie et j'vais piller Fort Dyscarie !
Sans rien ajouter d'autre qu'un "Salut, Vieux Dragon !" l'enfant fila entre les jambes de sa nourrice, remplissant le couloir de cris de reproches. La silhouette qui se découpa dans l'embrasure de la porte effaça tout sourire sur le visage d'Aldegrin.
-C'est étrange, déclara Liétald, les bras croisés. Mais je n'ai pas souvenir de t'avoir vu jouer avec nous, quand nous avions son age. Ni même t'avoir entendu conter des histoires...
-Oh ! Tu m'en vois navré, asséna Aldegrin d'un ton caustique. Tu veux peut-être un sablé au citron et du lait chaud pour rattraper toutes ces années ?
-Très spirituel, vraiment. Je passais juste pour te prévenir que Maître Anet était bien aux archives royales.
Liétald servit un sourire forcé à son père et disparut à son tour dans le couloir. Le Seigneur de Ténare ramassa quelques parchemins qu'il rangea dans ses tiroirs. Il s'empara d'une lettre cachetée qu'il glissa sous sa robe puis quitta son office, non sans distribuer quelques dernières directives à ses pages.
Escorté de deux gardes karaniens, Aldegrin arpenta le palais jusqu'aux escaliers. Il repensa au chemin parcourut, ainsi qu'à celui qu'il restait à parcourir. Probablement le plus dangereux. S'il échouait non seulement la Maison Karan s'éteindrait, mais le Royaume d'Okord serait définitivement éteint.
Le Royaume d'Okord... Pouvait-on encore parler d'un Royaume d'Okord ? Aldegrin y croyaient encore, dur comme fer. Les autres contrées, les empires... Personne ne comprenait Okord. Okord était robuste comme un vieux saule au tronc tordu. Profonde étaient ses racines, vivaces étaient ses branches. Valésiane se croyait riche, Abrasil se croyait puissant, mais Okord parvenait à transporter dans le cœur de chacun de ses seigneurs une force quasiment mystique. Une volonté inébranlable devant qui leurs ennemis seraient amenés à mettre genou en terre.
C'est ce que pensait Aldegrin de Karan. Avec cette même détermination, il plaqua devant l'historien l'autorisation faite par la Polémarque.
-Maître Anet, je crois que nous avons une entrevue.
Ce n'était pas une question, ni même une demande. Aldegrin prenait. Une autre subtilité okordienne que le Gouverneur de l'Ouest comptait bien faire comprendre à Torkson, Théodophane et au Grand Khan.
Dernière modification par De Karan (2017-11-02 18:47:34)
Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux
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L'Historien d'Okord était installé à sa table de travail, un chandelier éclairant un livre poussiéreux posé devant lui. D'un geste agacé, signé que l’olibrius qui le dérangeait n'était pas le bienvenu, il le repoussa.
Mais l'homme ne sembla pas comprendre, aussi, Eugénée Anet leva la tête de ses parchemins et dévisagea l'intrus. De haut en bas. De bas en haut. Il tendit la main, pris l'autorisation signé du sceau de la Polémarque. Son visage marqua de l'étonnement, car rares étaient les Okordiens intéressés par leur passé.
Ce que veut ma Polémarque... Soit !
Dites moi qui vous êtes et ce que vous cherchez en ces lieux, je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.
Sachez, jeune effronté, que si vous ne convenez pas, je n'aurai d'autre choix que de vous renvoyer trouver réponses ailleurs. Mon temps n'est pas extensible et je n'aurai cure de vos impertinences.
Est-ce clair ?
L'air satisfait d'avoir tenu tête à l'imposant guerrier devant lui, Eugénée Anet s'enfonça dans son fauteuil et attendit la réponse.
Un cliquetis métallique se fit entendre. Les deux gardes karaniens venaient d'échanger un regard à travers leurs visières. Aldegrin de Karan entendait souvent des menaces de mort et des insultes aussi diverses que variées ; mais jamais on ne l'avait traité de jeune effronté.
-Je suis Aldegrin de Karan, Haut Conseiller d'Okord, Seigneur de Ténare, Gouverneur de l'Ouest et Grand Défenseur d'Okord. Je viens ici pour parler des royaumes étrangers.
D'abord Guyard, maintenant Eugénée. Les clercs royaux devenaient de plus en plus gênants, pensait Aldegrin. La disgrâce de Foulques d'Ambrivère avait jadis calmé plus d'un roturier ambitieux. Peut-être était-il temps de leur rappeler leur place...
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Un sourcil levé, interrogateur, l'Historien chercha quelconque ressemblance dans le visage de l'homme en face de lui, avec ce qu'il pensait être un de ses glorieux ancêtres... Le Dragon.
De Karan, seriez l'héritier de ... Non. Nul doute que non. Lui, n'aurait pas eu besoin de s'annoncer de manière pompeuse...
Sentant le poids du regard inquisiteur de son interlocuteur, le bibliothécaire repris plus calmement.
Ainsi, vous êtes ici pour parler des royaumes étrangers.
Ces mots suffisent à illustrer votre incurie. Ce terme pourrait englober tous les royaumes de ce vaste Continent. Soyez précis, que cherchez-vous en ces lieux ?
Avec un petit soupir de tristesse, Eugénée Anet se mis à regretter de n'avoir connu la grande bibliothèque d'Abruxal. Tant de parchemins, tant de rouleaux de connaissances si précieuses... Disparus dans un océan de flammes, rayant de l'existence des Hommes la quasi-intégralité des informations disponibles sur le Premier Age.
Qu'il aurait aimé le faire défenestrer... Mais Aldegrin n'était pas Mazër, ni même Bélial. Il n'était ni un jeune parvenu capricieux, ni un bâtard névrosé rejetant sa bile sur ceux qui l'entourait. Lui avait la justesse de son sang au creux de ses veines. Aldegrin de Karan croyait en sa famille avec une volonté absolue. Quiconque la menaçait devenait son ennemi.
-Mes recherches portent sur plusieurs choses, articula avec raideur le Seigneur de Ténare. D'abord sur la Horde. Par le passé ils se sont déjà rendus jusqu'en Abrasil "où l'herbe n'a jamais repoussé", à cette occasion j'imagine que le fonctionnement de ces cavaliers pillards a été observé : qui était ce Grand Khan et comment a-t-il vassalisé les autres Khans ? Je souhaiterais également que nous parlions d'Ohm. Plus précisément d'Abrasil ; je sais cet empire composé de plusieurs royaumes : Lolälf, Trankrède, Murine, Tersifal et Verno. Je m'interroge sur leur passé commun. Enfin, je voudrais m’intéresser à un autre prétendant au trône d'Ohm : Déomul. Quelles sont là-bas ses plus illustres et anciennes familles ?
Aldegrin de Karan était tout sauf un inculte. Ce qu'il ignorait, il l'apprenait puis il l'utilisait.
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Enfoncé dans son fauteuil, les lèvres d'Eugénée Anet s'étirèrent en un fin sourire. L'homme en face de lui ne valait sans doute pas ses ancêtres, mais il ne déméritait pas l'honneur de sa Maison.
On ne fait pas d'un laboureur un véritable guerrier, ce qui vaut pour les canassons l'est autant pour les hommes.
Sur ces mots un peu énigmatiques, l'Historien se leva et de la main, fit signe à Aldegrin de le suivre. Il le conduisit jusqu'à une large table sur laquelle était étalée une carte du monde connu. Elle faisait plusieurs pieds de côté, la finesse des détails, la précision des traits étaient redoutables. Elle présentait Okord et toutes les connaissances sur les royaumes voisins.
Messire de Karan, la base de vos connaissances est bonne. Peu de gens savent mettre un nom sur ce que vous appelez là "où l'herbe n'a jamais repoussé".
Je manque de précision pour vous situer cet endroit, mais les habitants des plaines d'Yselda parlent du Coeur des Cendres, une région à l'extrémité Sud-Ouest des plaines. Voilà pour la localisation.
Il va me falloir remonter dans le temps pour répondre à vos questions. Tout d'abord, sachez que l'Histoire de ce monde est divisée en deux grandes époques. Le Second Age, dans lequel nous vivons, précédé par le Premier Age, ce qui ne sera pas sans vous surprendre. Les évènements dont nous allons parler sont la cause de la chute de l'Empire d'Ohm originel et ont précipité la fin de la première période de gloire de notre Continent.
Avez-vous quelques connaissances, même lacunaires, sur cette période ?
Eugénée Anet plongea son regard dans celui de son interlocuteur. Impossible de dire si l'homme lui plaisait, mais la justesse de ses premières questions avait plu à l'Historien.
Aldegrin regarda la carte, une étrange lueur au fond des yeux. Des répliques identiques étaient épinglées dans le char de commandement, détaillant parfois certaines parties de la Province.
Cela faisait huit cent ans que les Karan occupaient Okord. Huit cent ans qu'ils enseignaient à l'héritier de Samarie tout ce qu'il devait savoir sur la politique, la rhétorique, l'histoire et la théologie. Le Seigneur de Ténare démontra donc au bibliothécaire ce qu'il savait de cette période.
-Je sais que l'Empire d'Ohm s'étendait de la Mer des Fournaises jusqu'à l'Océan Capricieux. Il était divisé en différents royaumes : le Duché du Nord, le Duché d'Arald, les Iles de Boulimal, les Marches des Fournaises, la Principauté d'Österlich, la Principauté de Salahin, le Royaume Barbare de Karan, le Royaume d'Abrasil et le Royaume de Perdiglace pour ne citer que les plus connus. Tout en nommant es anciennes contrées, Aldegrin faisait impérieusement courir son index sur le cuir de la carte. Nos ancêtres formaient alors Auklamienord et vivaient ici, indiqua Aldegrin en désignant le Royaume d'Abrasil. Alors que le Grand Cataclysme ébranlait Ohm ils migrèrent vers l'Est pour s'établir où nous nous trouvons aujourd'hui. C'est tout ce que je sais. Comme vous le savez, l'incendie de la bibliothèque d'Abruxal a emporté avec lui une grande partie du savoir de cette époque.
Si le ton condescendant d'Eugénée Anet irritait Aldegrin, ce dernier n'en laissait rien paraître.
Dernière modification par De Karan (2017-11-05 18:18:35)
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