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#1 2016-07-17 15:13:13

De Karan
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La Légende de Karan l'Infâme.

La Légende de Karan l'Infâme.

À la fin du Grand Age, aux temps troublés du Vénérable Empire, un grand mal s'empara des terres des hommes : la déshérence ; pis de tous les maux. Point de chef aux armées, point de thane dans la forteresse.

Les barbares étaient les moindres périls de ce temps. Car alors, géants et dragons parcouraient encore la terre et les cieux. Réduits à un petit nombre après la Grande Guerre des cendres, les derniers cracheurs de feu ailés nichaient au cœur d'Auklamienord. Ils dormaient au plus profond du brasier de Centreterre.

Appâté par les dissensions des hommes, Naor le Battoir, la Vieille Salamandre, mena son engeance à la surface. Ses ailes noires recouvrirent l'Empire. Ne restèrent plus que cendres et os blanchis.

Étincelle d'espoir dans un monde en déliquescence, Silgund, Grand Duc du Nord, ramena les siens sous l'oriflamme avant que les terribles bêtes ne passent les cols. Commença alors la Bataille des sept jours, qui vit la mort de nombreux rejetons de Naor. Courroucé, le Grand Dragon frappa Silgund en plein cœur. Il mit à sac Haut-Des-Glaces et s'empara de la belle Orwyn, sa fille unique.

Le Vénérable Empire s'était reformé, avec à sa tête un homme pour porter les lauriers. Mais Naor et les siens retournaient déjà dans leurs trous, laissant derrière eux quelques bêtes pour veiller sur les ruines qu'ils avait émiettés. Les légions d'Ohm les terrassèrent les uns après les autres. Silgund mena chaque bataille, espérant trouver tantôt dans un donjon effondré, tantôt dans des cavernes obscures sa fille bien aimée.

Orwyn était son trésor. Il devint celui de Naor, le plus précieux qui soit. Amenée dans Centreterre, elle eut droit aux honneurs car Naor se lia a elle. Orwyn savait qu'elle ne reverrait jamais sa patrie. Entourée d'esclaves, elle vécut jusqu'à donner naissance à l’héritier de Naor, puis elle rejoignit les dieux émus de son martyr. L'enfant était robuste, grand et fort. Il marchait comme un homme et nageait dans les rivières rougeoyante comme un dragon. Naor le baptisa Karan, le ''Souffle''.

L'infamie resta sous terre pendant de longues décades. Fils du Grand Dragon, il ne connaissait pas les hommes, seulement les quelques esclaves qui le paraient de joyaux. Karan possédait une tête et deux jambes, mais il n'en demeurait pas moins une immondice. Un formidable monceaux de chairs recouvertes d'une peau pâle et sans poils, une paire d'yeux brillants comme ceux d'un loup et une gueule pourvue de dents acérées. Naor lui transmit sa force mais également son savoir.

A travers son mentor, Karan se mit à nourrir de grand projets pour un royaume : le monde de sa mère. Mais la flamme de Naor vieillissait. Les dragons avaient été décimés. Il faudrait des siècles d'hibernation pour qu'ils prolifèrent de nouveaux. Karan attendit que  Naor s'endorme pour lui écraser le crâne sous un rocher. Ainsi, il porta la Couronne de Cendres et se proclama Roi de Centreterre. Les autres dragons protestèrent. Alors Karan en tua beaucoup. Ne restèrent que Scalon, Kör, Numie, Moth et Umerk. Les cinq rendirent hommage.

La paix était revenue dans le Vénérable Empire. Les récoltes avaient poussé. Le deuil était achevé. Pourtant certains n'oubliaient pas. Volfë, fils de Silgund du Gundor, se rappelait encore de sa sœur et du chagrin qui avait tué son père. Il fut l'un des premiers potens d'Ohm a s'inquiéter des rumeurs. Les dragons se terraient, rares étaient les géants qui s'aventuraient hors de leurs monts enneigés... Désormais on parlait de rapines et de brigands fort bien organisés. On parlait également d'un chef énigmatique qui unissait la lie des hommes et qui promettaient à des félons sans honneur des montagnes d'or pour se battre à ses côtés ; des vassaux bannis lui prêtaient allégeance durant les nuits sans lune.

Karan fut à la tête d'une véritable armée lors du siège de Fort Cruel. Le massacre pris l'Empire de court. Jamais telle force dépourvue de bannière n'avait avancé sur les Sentiers Millénaires. Les Piquiers de Cervenne voulurent le prendre de court lors de la Bataille de Fontaine Rouge. Seul au milieu de la poix enflammé, il s'avança face à ses ennemis leur lançant ''Je suis Karan, Unique Porteur de la Couronne de cendres, Souverain de Centreterre, Fléau d'Ohm et de tous les territoires impériaux.'' Ce jour là, ses terribles haches apportèrent mort et désolation. Du ciel tombèrent les cinq. Encore aujourd'hui, le vent de Fontaine Rouge transporte la lamentation des Piquiers.

Tous comprirent ce qu'était Karan, la progéniture infâme du dernier roi des dragons. L'Infâme quitta Auklamienord pour les autres domaines de l'Empire. Il incendia Salahin, pilla Abrasil et plongea l'Archipel dans la terreur. Karan s'arrangeait pour ne pas avoir à se battre longtemps, retirant ses troupes pour fuir et attaquer de nuit. Car il était lâche et vil.

Karan l'Infâme devint une peste, passant d'une province à une autre au gré des saisons. Mais il se souvenait, tout comme le Duc Völfe de Gundor se souvenait.

Karan commandait une armée capable de rivaliser avec vingt légions. Il se dirigea au Nord sans hésiter. L'Infâme s'était proclamé maître de son Royaume de Karan, ramassis d'égorgeurs et de barbares. L'or n'était plus suffisant pour contenter son ambition, il lui fallait une terre.

Seul, Volfë tenta d'empêcher le mal d'entrer en Auklamienord, ce fut la Défaite de Maliénord. Privé de soutien et de ravitaillement, Volfë dû fuir vers l'Ouest tandis que Karan l'Infâme marchait plus avant. L'armée gundorienne, menée par Guert du Bois Vert et Ranek de Cormorie, les fils du Duc, fut de nouveau défaite alors que la terrible armée passait les monts. Haut-Des-Glaces fut assailli une seconde fois. L'Infâme pris un plaisir certain à pénétrer en conquérant dans la ville que Naor avait réduit en cendres par le passé.

Le Roi Sans Cœur fit même d'Enasia, fille cadette de Völfe, sa captive. Puis il repartit au Sud.

Apprenant la terrible nouvelle, Guert réunit ses derniers chevaliers et coupa par le Vallon Sec. Il ne tint pas compte des ordres de son Père et donna sa vie pour libérer Enasia. Karan ne fit montre d'aucune pitié. Il découpa les membres de Guert et fit recoudre les jambes sur les épaules et les bras sur les cuisses. Puis la dépouille fut livré à Völfe qui perdait là son aîné. Les dieux récompensèrent Guert en faisant de lui le patron des estropiés et des causes perdues.

Karan l'Infâme prit place sur la Grande Preskill. Il chassa les thanes qui la gouvernait et s'établit en son centre. Seuls deux dragons étaient toujours en vie. Le Nord fut donné à Scalon, tandis que le Sud revint à Moth. Les hommes qui résidaient sur ces terres durent endurer de pénibles existences.

Le grand péril qui aurait du avoir raison de l'unité de l'Empire ne fit qu'embraser les cœurs meurtris. Volfë de Gundor s'était retiré à l'Ouest, ce fut de l'Ouest que vint son soutien. Esseulé et perdu, il erra dans les forêts de pins verts. Il abandonna son épée sur le tapis d'épines. Alors, sous le chaud soleil de midi qu'aucun nuage ne pouvait occulter, Ogma descendit des cieux. Elle s'empara de l'épée du Duc et en oignit le tranchant de ses larmes. La vieille rapière s'en trouva fortifiée et brillante. La Déesse Première remit sa lame à Volfë, dans l'âme duquel la détermination pénétra comme la lumière sous les rameaux. S'il avait le cœur pur et l'esprit empli d'espoir, alors en brandissant sa lame il saurait enflammer les esprits mornes, effrayer les mauvais hommes et parer les maléfices. Ogma s'en retourna dans les Cieux, non sans conseiller le Duc.

Volfë quitta les pins verts rasséréné. Il retrouva ses chevaliers inquiets d’apercevoir des étendards venir du Sud. Volfë n'avait pas peur : il s'agissait d'Elah le Samarien et de ses fidèles vougiers. Mené par la providence, Elah était porteur d'un message. Le Prince Legio était parti pour le Grand Détroit, quêtant de ci de là les bonnes gens et les derniers seigneurs qui n'étaient pas couards ou vendus. Peu avaient répondu. Mais ni Volfë de Gundor, ni le Samarien n'étaient effrayés par la Dernière Bataille. Le premier portait l'espoir, le second connaissait les karaniens pour leur avoir survécu par deux fois.

Les deux armées repartirent à l'Est d'un même pas, ralliant les éreintés et les désespérés. Diminués mais conséquents, gundoriens et samariens arrivèrent au Défilé de Lusca sous l’œil sombre de l'Infâme. Ses hommes étaient frais, ses défenses solides. Les troupes de l'Ouest entrèrent dans la Preskill, Scalon et Moth jaillirent de la vase et se projetèrent dans le ciel. Le feu déferla sur les armures. Mais Volfë avait tiré son épée. Alors que tous étaient prostrés lui se tenait droit en cette aube du premier jour du printemps. Ogma dissipa les flammes et la fumée, les dragons prirent peur.

La bienveillance d'Ogma disparut dès que Volfë et ses troupes pénétrèrent dans le domaine de Karan, car les lieux étaient froids et abandonnés des Cieux.

La Dernière Bataille s'étira sur trois jours, au terme desquels la Lame de Volfë pénétra le cœur de Karan lors d'un ultime duel au sommet du Mont Sifflant. Ainsi, le Gundor retrouva enfin son héritière, toujours honorable. L'armée de l'Infâme se désunit à sa chute, car c'étaient là de faibles mandes intéressés par l'or et soumis à l'autorité vénéneuse d'un chef barbare.

Scalon et Moth furent terrassés par les balistes du Prince Legio et sombrèrent dans le Canal.

On voulut faire brûler Karan, mais aucun feu n'entama sa dépouille. On le laissa sécher au soleil, mais aucun loup ne mordit sa carcasse, aucune mouche ne se posa dans sa bouche. Alors l'Empire emmaillota sa dépouille dans le lin et la cercla de plomb. L'Infâme fut emporté au Gundor par le Duc Volfë, loin par delà les toundras, et jeté profond sous les montagnes avec ses biens impies. Jamais plus il ne serait réchauffé par Centreterre et jamais plus il ne verrait la lune. Privé des sacrements, tel le pire des félons ; Karan l'Infâme ne gagnerait jamais la paix.

Le Vénérable Empire se trouva restauré, le Gundor se rétablit et Elah le Samarien fonda sa dynastie dans l'Ouest ; fidèle rempart de la justice il poursuivit la défense de ses terres contre les ennemis d'Ohm.

Ainsi se termina le Grand Age.


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
Maître du Palais ; Gardien du Trésor Royal
Chevalier au Léopard ; Chevalier de l'Ordre des Fondateurs royaux

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#2 2016-07-17 15:14:18

De Karan
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Re : La Légende de Karan l'Infâme.

Extrait de La nature des règnes.
Bède d'Iona, académicien royal et maître des pages.

« L'incendie de la bibliothèque d'Abruxal m'a toujours laissé un goût amer. Il fut pour le savoir ce que fut le Grand Cataclysme pour l'Empire d'Ohm : la fin de tout. Aujourd'hui, cela nous oblige à traiter avec la plus grande circonspection le moindre écrit que n'importe quel copiste parvient à dater du Premier Age.

Si certains récits -tenant plus souvent du mythe que de la vérité historique- sont désormais connus, il faut exercer notre esprit critique. Ce qui n'est point chose aisée lorsque des seigneurs de notre bon Royaume d'Okord tirent leur légitimité de chansons de geste qu'ils ne veulent surtout pas voir vérifiées.

Dans le cadre de mes travaux, je suis néanmoins parvenu à me faire ouvrir les portes de la bibliothèque de Nefret, par  la bienveillance du Comte Bélial de Karan. Ce lieu est pour n'importe quel académicien la Grotte de Salahin. Outre la grande pluralité des traités et édits que l'on puisse trouver sur le Pays de Karan et le Royaume d'Okord, certains écrits du Premier Age y sont retranscrits. Notamment celui qui nous intéresse dans ce chapitre : ''la Légende de Karan l'Infâme.'' Le travail comparatif reste malheureusement toujours incertain, car il tient d'une part à des faits invérifiables, d'autre part à des éléments encore inconnus qui seuls, pourraient affirmer ou infirmer ces faits.

Tous connaissent désormais cette légende. D'aucun tissent encore aujourd'hui un lien de filiation entre la Maison de Karan et le mythique Karan l'infâme. Si la baronnie de Karan descend effectivement d'un Karan, c'est de Karan dit ''le Jeune'' et non ''l’Infâme''. Comme nous le verrons par la suite, la défaite de ce dernier relève de temps immémoriaux, supposément au Premier Age ; tandis que la Maison des Karan d'Okord date de la défaite de Karan ''le Jeune'' par la Samarie il y a désormais six siècles de nos jours.

Notons que le récit fait état d'un ''Grand Age du Vénérable Empire''. Très probablement une période faste antérieure à ce que nous nommons le ''Premier Age''. Tempérons néanmoins notre propos : l'Empire d'Ohm est décrit en proie à une guerre de succession. ''Auklamienord'', ''Salahin'' et ''Abrasil'' sont également des repères géographiques que nous connaissons et qui sont mentionnés. Ce qui pourrait donc prêter le flan à une certaine forme de vérité. Mais les chevauchement des noms ''Duchés du Nord'' et ''Gundor'' font croire à au moins deux parties d'un même récit, mais écrit à des époques différentes. Enfin, si ''l'Archipel'' ou encore ''Cervenne'' ont jamais existé, ces régions ou puissances sont désormais disparues.

Ce qui pose réellement problème est l'introduction d'un bestiaire fantasmagorique dans ce qui me paraît être un traité politique. Géants, dragons... Je reste septique quant à l'existence de ces créatures. Il ne fait nul doute que la Légende de Karan l''Infâme'' a été rédigée par ses adversaires victorieux. De même que les österlichois se plaisent à voir en nous des barbares, de même que nous voyons les träkbäläardiens comme des démons anthropophages, il n'est pas idiot de penser que les ennemis des karaniens d'alors les aient dépeints sous les traits de bêtes impies.

La ''Salamandre'' aurait donc été un blason sous lequel se seraient ralliés certaines figures rebelles de l'Empire d'Ohm alors en proie à la fameuse ''déshérence.'' Vu sous cet angle, certains faits apparaissent plus clairement. Par exemple le mariage d'Orwyn de Gundor avec Naor (un seigneur d'Auklamienord parmi d'autres), qui aurait été un arrangement politique suite à une guerre sanglante, mais que la postérité retiendrait comme étant un enlèvement.

L'intérêt de Karan l'Infame pour la conquête du Gundor, terre de sa mère, apparaît clairement ; de même que sa volonté d'épouser sa cousine. Karan apparaissait comme un héritier légitime, mais sans être un bâtard il ne devait être guère reconnu par le reste du potentat nordique.

Faisons mention de la Samarie, qui n'est ici pas encore le Duché que nous connaissons. Et quid de cet ''Elah le Samarien'' ? Un point d'ombre parmi d'autres qu'il m'a été impossible d'élucider.

Enfin, notons l'existence de certains codes encore usités de nos jours. La félonie, la trahison et le serment brisé sont décrits ici comme étant des offenses sérieuses que même la mort ne peut vider. Si au Royaume d'Okord certaines coutumes funéraires diffèrent d'une province à une autre, il est une constante : les seigneurs sont embaumés avant de gagner le tombeau, tandis que les félons n'ont point sépulture.

J'élude évidemment ici le mythe de la Tombe de l'Infâme et de son trésor maudit. Si l'histoire est plaisante à l'oreille, l'expédition dans les toundra l'est beaucoup moins. Si vous désirez joindre vos ossements à ceux des fous qui se sont adonnés à cette sottise je ne vous en empêcherais pas. Mais je doute qu'après avoir défait les karaniens lors de cette campagne harassante, Volfë, Elah et le Prince Legio se soient simplement contentés d'entreposer ce trésor de guerre dans une caverne.

Je doute aussi que ce fut la fin des karaniens. Je pense plutôt que la ''Légende de Karan l'Infâme'' est le fondement de ce qui sera par la suite le ''Royaume Barbare de Karan.'' Un Royaume qui existe d'ailleurs toujours aujourd'hui dans une autre partie du Vieil Empire. »


Seigneur de Ténare ; Marquis de Falcastre
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#3 2016-07-17 15:16:44

De Karan
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Re : La Légende de Karan l'Infâme.

Karst
Preskill du Gundor,
1000 ans avant le couronnement d'Enigral le Brutal.

Les trois chevaliers arrivaient enfin au bout du sentier, haletants et en nage sous les armures. Il firent halte à l'orée du camp pour reprendre haleine.

-Volfë, voyez-vous quelque chose ?
Le Duc risqua un rapide coup d’œil au dessus des pierres.
-Il est seul, répondit-il au Prince. Il est assis près d'un feu et déguste un cuissot de chèvre.
Tous savaient de qui il s'agissait. Il n'avait pas besoin de nom pour être introduit.
-Ce bâtard est décidément confiant de sa victoire.
-Il peut ! Intervint Elah en observant les troupes qui bataillaient au pied de la montagne. Ses hommes se battent comme des...
Un cri rauque et guttural résonna au dessus d'eux, soulevant la poussière et faisant vibrer chacun de leurs os. Une ombre gigantesque les survola. Ils se collèrent tous contre la paroi de la montagne, retenant leur respiration. L'ombre  passa sur la plaine et les trois comparses soufflèrent de soulagement. Mais une honte tenace étreignit leurs cœurs en entendant gémir d'infortunés compagnons d'armes.
-Nous n'aurions jamais dû faire cela... Se lamenta Volfë de Gundor.
Le Samarien empoigna le Duc par son gorgerin. Il jetait des éclairs sous ses sourcils broussailleux.

-Des hommes de bien sont morts pour que nous puissions passer. Des hommes de bien meurent pour que nous ayons une petite chance de couper la tête du serpent. Des hommes de biens mourront pendant que nous battrons ici. Sonner la retraite n'est pas une possibilité. Alors, reprenez-vous, tirez votre épée et agissez en homme.

Volfë hocha la tête d'un air décidé. Malheureusement, tout le courage qu'il parut trouver dans son corps fatigué s'évanouit dès qu'il entendit une voix grave et lointaine.

-Alors, mon oncle, allez-vous enfin sortir de votre cachette ou dois-je écourter mon repas et venir vous chercher ?

Le Duc du Gundor déglutit, puis il dégaina son épée. Entouré du Prince Legio et d'Elah le Samarien, il s'avança à découvert. Les trois chevaliers furent d'abord étonnés de trouver Karan toujours assis sur son rocher, à mordre dans un morceau de viande empalé au bout d'une large pique. Ils le furent plus encore de constater que le camp était effectivement désert, tout comme les autres qu'ils avaient traversé en gravissant la montagne. Karan avait vraiment mis toutes ses forces dans la bataille. Ils ne savaient si c'était là une bonne ou une mauvaise chose. Enfin : Karan était définitivement très laid.

Même si l'Infâme se trouvait à moitié accroupi, il n'était pas inconsidéré de penser que l'animal faisait bien ses dix pieds de haut. Il ne portait rien d'autre qu'un pagne de cuir et une simple paire de bottes, laissant à ses invités le loisir d'observer les nombreuses scarifications qui sillonnaient sa peau banche et imberbe ; sous laquelle dansaient de puissants muscles au moindre de ses mouvements. Nombreuses étaient les brûlures et autres cicatrices mangeant ce qui avait dû être à l'origine de délicats motifs. Une pâte faite de cendres et de charbon dessinait un cercle entourant le sommet de son crâne. Plongeant ses yeux rouges dans ceux de Volfë, il ouvrit sa bouche, dévoilant ses dents taillées au couteau avant de les planter dans la viande.

-C'est lui. Articula péniblement Elah, campé derrière son épée.
Le regard de Karan se braqua sur le Samarien.

-Karan l'Infâme lui-même, dit-t-il, effectuant de pompeuses arabesques de ses mains griffues. Porteur de la Couronne de cendres, Souverain de Centreterre, Fléau d'Ohm et de tous les territoires impériaux, Victorieux de Sans-Soucis, Maître des Feux et Brasseur des Vents etc, etc, etc... Du moins si vous êtes porté sur les titres. Il cracha un nerf et un bout d'os dans le feu. Je reconnais le Prince Legio ainsi que mon oncle, mais votre visage m'est inconnu. Si je me fie aux rumeurs vous êtes celui qu'on nomme le Samarien. Et c'est mon lignage qu'on remet en question ? Karan ricana. Vous n'avez pas trouvé mieux qu'un métayer de l'Ouest pour vous seconder, ''Duc'' ?
La barbe brune d'Elah tressaillit, mais ce fut Volfë qui s'emporta.
-C'est un des seigneurs les plus braves qui m'ait été donné de voir. Il a plus d'honneur que vous n'en aurez jamais !
-L'honneur ! Karan avait hurlé. Les trois seigneurs sursautèrent. Le monstre sourit. Il reprit d'une voix étonnement douce. A Cervenne ils vous attendent encore, mon oncle. Si a vos yeux les Piquiers étaient plus honorables que moi, aux miens ils étaient sots. Mais tout ceci n'a aucune importance... Il se gratta la tempe. Au final leurs cris d'agonie résonnent dans mon crâne et non dans le votre, ô glorieux Duc.
-Que cela finisse, tonna le Prince en pointant sa lame vers Karan. Qu'il rende gorge pour l'Empire.
Karan se leva, remettant rapidement en considération les désirs immédiats de Legio.
-Pensez-vous que mon oncle fasse tout ceci pour l'Empire ? Pour l'honneur ? Ou même la justice ?

L'Infâme jeta son repas par terre et recula près d'une tente. Il plongea un bras immense à travers les peaux de bête et attira à lui une jeune femme qu'il tenait pas les cheveux. Elle n'avait pas plus de seize ou dix sept ans. Des mèches brunes tombaient sur son visage, pas assez longues pour masquer son œil violacé, ni la balafre encore rouge qui lui barrait la lèvre supérieure. Son ventre était rond.

-Enasia !
-Elle ne vous répondra pas, cher oncle. Je lui a ôté la langue dès la deuxième semaine, je n'en pouvais plus de l'entendre jacter...
Le Duc voulut s'élancer, rapidement retenu par les bras solides de Legio et d'Elah. Le jeune femme gardait les yeux rivés sur le sol, incapable de soutenir le regard de quiconque. Elle ne réagit pas lorsque Karan posa sa main sur son ventre.
-Regardez, Prince Legio. Là sommeille l'avenir de votre Empire moribond. Il ne m'aura fallut que quelques hommes, quelques épées et de fines tactiques de guerre. J'ai une terre, bientôt un héritier et avant peu j'aurais un trône.
-Pas si nous avons notre mot à dire, démon !

Karan repoussa sans ménagement Enasia derrière lui, elle s'étala de tout son long dans la poussière. Il plongea ses mains dans le foyer et en retira deux haches forgées dans un métal aussi sombre que la nuit. Il écarta ses bras, pointant les tranchants sur ses adversaires. Ses mains fumaient et cloquaient, mais il ne semblait éprouver aucune douleur.

-Oh ! Je me doute bien que vous essayerez.

Karan sursauta. Il regarda Volfë d'une manière étrange, presque avec étonnement. Un sourire timide se dessina sur son visage vide de tout doute. Alors, avec la lenteur inexorable d'une lourde armoire, Karan chuta en avant, la tête dans le feu. Une plaie béante ouvrait sa nuque. Les haches rebondirent un peu plus loin.

Derrière se tenait Enasia. Elle serrait encore dans ses mains la pique traversant le gigot de chèvre.


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